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Un trou au cœur de l’Afrique

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Un trou au cœur de l’Afrique

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Ban Ki-moon Photo: Ãå±±½ûµØPhoto/Mark Garten

Le Conseil de sécurité a approuvé ma proposition de déployer une mission de maintien de la paix en République centrafricaine, ouvrant la voie à l’envoi de 10 000 militaires et de quelque 2 000 policiers pour rétablir un semblant d’ordre dans une nation en ruines.

ÌýJe viens de rentrer d’une visite en Centrafrique où j’ai pu me rendre compte par moi-même de ce qui s’y passe. Dire que la situation est désespérée est un euphémisme.

ÌýDans ce pays de la taille du Texas, plus de la moitié de la population a besoin d’aide pour survivre. Un Centrafricain sur quatre a été arraché à son foyer. Dans les camps de fortune installés à l’aéroport de Bangui où je me suis déplacé, jusqu’à 500 personnes doivent partager un sanitaire. Et les conditions ne vont faire que s’aggraver avec l’arrivée de la saison des pluies.

« Qui accepterait de vivre ici? », m’a lancé une femme. « Mais nous risquerions nos vies en restant là où nous vivions. »

La majorité de la communauté musulmane du pays a fui pour échapper à la terrible vague de violences interconfessionnelles qui a coûté la vie à de nombreux innocents de part et d’autre. Et les atrocités continuent. Le système judiciaire s’est effondré. Le nettoyage ethnoreligieux est une réalité. Ce sont des communautés entières qui sont démantelées.

Parmi les nombreuses privations que connaît la Centrafrique, c’est le temps qui lui fait le plus défaut. Il faudra au moins six mois pour que la mission de maintien de la paix soit opérationnelle. En attendant, la population du pays doit lutter chaque jour pour survivre.

Je me suis arrêté en République centrafricaine avant de me rendre au Rwanda à l’occasion du vingtième anniversaire du génocide. Au Rwanda, j’ai exprimé ma profonde tristesse devant l’inertie dont la communauté internationale a fait preuve lorsque le pays était dans la détresse.

Mais quid des crises qui se déroulent sous nos yeux?

La communauté internationale va-t-elle intervenir maintenant ou s’excuser dans 20 ans de ne pas avoir fait ce qu’il fallait quand elle en avait les moyens? Les dirigeants de la planète vont-ils tirer les enseignements du passé et agir pour empêcher un nouveau Rwanda?

Le centre de l’un des quartiers les plus touchés de Bangui que nous avons traversé n’est plus qu’une agglomération de carcasses de maisons et de magasins. Nous avons croisé une multitude de camions pleins à craquer de pots, de casseroles, de bidons d’eau, dernières possessions d’une population en fuite.

Femmes et hommes nous ont fait le récit poignant des violences sexuelles, des enlèvements et des menaces qui pèsent constamment sur leur vie. Les voilà devenus des prisonniers en puissance qui n’ont plus qu’une idée en tête : fuir. Les écoles, les hôpitaux et mêmes les cimetières leur sont fermés, m’ont-ils raconté. « Nous ne pouvons même pas nous occuper de nos morts », a déploré l’un d’entre eux.

En ce moment, il faut nous occuper des vivants. Pour ce faire, nous devons agir, et vite, sur trois fronts.

La sécurité, d’abord. Les forces de l’Union africaine et les forces françaises travaillent d’arrache-pied pour rétablir la paix et la sécurité. L’arrivée des premiers soldats de la force de l’Union européenne est un renfort bienvenu. Mais des troupes supplémentaires sont nécessaires pour contenir la violence et protéger les civils. J’ai demandé que 3 000 militaires et policiers supplémentaires soient déployés immédiatement pour préparer l’arrivée de la future mission de maintien de la paix des Nations Unies.

Ensuite, le Gouvernement a besoin d’aide pour rétablir les fonctions les plus essentielles de l’État, et notamment pour remettre la police, la justice et l’administration pénitentiaire au travail. Le chef d’État de la transition, Catherine Samba-Panza, est déterminée à restaurer l’autorité de l’État. Mais, les caisses du pays étant vides, sa capacité d’action est fortement limitée. Le financement de l’aide humanitaire est également insuffisant : seuls 20 % des contributions annoncées ont été reçues.

Enfin, la nouvelle opération de maintien de la paix ne pouvant être qu’une partie de la solution, il est indispensable que s’engage un processus politique sans exclusive. Les chefs locaux et religieux ont un rôle fondamental à jouer : promouvoir la tolérance, la non-violence et le dialogue. Il est indispensable pour la paix que les auteurs de crimes odieux répondent de leurs actes. Le peuple centrafricain doit voir que l’état de droit vaut pour tous, quelle que soit leur croyance, des dirigeants aux combattants.

Ce sont là des éléments essentiels pour parvenir à la réconciliation et veiller à ce que les réfugiés et les déplacés puissent rentrer chez eux. Faute de quoi, on assistera à une partition de fait, qui sèmera les germes du conflit et de l’instabilité en ce cœur fragile de l’Afrique pour des années, voire des générations.

Au cours de ma visite, la responsable d’une association de femmes pour la paix m’a confié : « Notre tissu social est en lambeaux. Les liens qui nous unissaient sont rompus. Plus rien ne nous relie. Mais vous êtes là, vous qui représentez la communauté internationale. Nous savons maintenant que nous faisons partie du monde. »

J’ai été très touché par sa confiance, mais je suis conscient que nous devons agir pour la mériter.

La République centrafricaine est un pays riche en ressources naturelles et en terres fertiles. Depuis des générations, le pays était un carrefour de cultures où coexistaient pacifiquement plusieurs communautés.

Il appartient à la communauté internationale de prouver, par ses actes, que le peuple centrafricain fait bien partie de notre humanité commune et de notre avenir partagé. Un peu d’aide fera grand bien. Il est de notre responsabilité collective d’agir maintenant pour ne pas avoir à se confondre en regrets dans 20 ans.
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