Malawi : revers de fortune
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En 2012, le Malawi s’est à nouveau trouvé en difficulté. Une crise alimentaire s’est lentement installée causée par des pluies irrégulières, la hausse du prix des denrées alimentaires et des difficultés économiques. Pour la première fois depuis plusieurs années, le pays risquait de ne pas pouvoir subvenir aux besoins alimentaires de sa population. Le Malawi n’était plus l’exemple de réussite agricole qu’il était devenu au prix de nombreux sacrifices. Auparavant, sa production de maïs lui permettait de s’autosuffire et d’exporter ses excédents vers les pays voisins..
Selon le Programme alimentaire mondial, organisme d’aide alimentaire des Nations Unies, plus de 1,63 million de personnes, soit 11% de la population, ont été confrontées en 2012 à de graves pénuries alimentaires. Il fallait au Malawi 30 millions de dollars avant la fin de l’année pour pallier l’insuffisance. L’agriculture est le pilier de son économie : quatre personnes sur cinq en dépendent. La plupart des agriculteurs cultivent à la main de petites parcelles peu irriguées et sont donc vulnérables aux sécheresses à répétition, observe l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Le Malawi abrite le troisième plus grand lac d’eau douce en Afrique, le lac Malawi, et pourtant, moins de 3% des terres sont irriguées.
Les problèmes du Malawi peuvent paraître surprenants. Toutefois, pour ceux qui suivent l’évolution de ce minuscule pays pauvre d’Afrique australe, enclavé et densément peuplé, il s’agit davantage d’un auto-sabotage progressif que d’un soudain revers de fortune.
Hausse des subventions agricoles
En 2004, le président Bingu wa Mutharika, mort en fonction début 2012, a accédé au pouvoir en promettant d’augmenter les subventions agricoles dans le cadre de son Programme de subventions aux intrants agricoles. Selon ce programme, le Gouvernement a offert des subventions sous forme de bons aux «petits exploitants pour l’achat d’une petite quantité d’engrais et de semences afin qu’ils puissent reconstituer les éléments nutritifs du sol, bénéficier de variétés de semences améliorées et vivre de leurs petites récoltes», explique Africa Confidential, un bulletin d’information du Royaume-Uni. Ces bons étaient échangeables contre des semences et de l’engrais à environ un tiers du prix d’achat normal.
Les résultats ont été immédiats. En 2005, un an après l’augmentation des subventions, le Malawi a récolté un excédent de céréales d’un demi-million de tonnes. Les années suivantes, le pays a exporté des céréales à destination du Lesotho et du Swaziland, ainsi que 400 000 tonnes de maïs vers le Zimbabwe. Des experts en alimentation et des groupes de défense ont à tour de rôle fait l’éloge du Malawi lors de forums internationaux, en le présentant comme un exemple de la «révolution verte» en Afrique. Fort de son succès, le président Mutharika a appelé les autres dirigeants africains à adopter sa politique. Depuis, la situation a changé et le Malawi se heurte à de graves pénuries alimentaires.
Paradoxalement, même pendant les années d’abondance, le Malawi a continué d’importer de grandes quantités de blé, maïs et autres céréales, et des poches de malnutrition isolées subsistaient, révèle la FAO. En continuant d’attribuer des subventions, M. Mutharika a bravé les critiques des bailleurs de fonds qui prétendaient que le programme était entaché de corruption, qu’il allait à l’encontre des principes du libre marché et qu’il n’était pas viable. En effet, en 2009, le gouvernement a consacré 16% du budget aux subventions.
Au fil du temps, le Président Mutharika est devenu un dirigeant autocratique, accusé de corruption et de népotisme. En 2009, il a dépensé plus de 20 millions de dollars pour l’achat d’un avion présidentiel long courrier. Pire encore, il a commencé à présenter son frère Peter, alors Ministre des affaires étrangères, comme successeur. Cette décision a eu pour effet d’éloigner encore un peu plus les bailleurs de fonds dont le Malawi dépend. Lorsque ces derniers l’ont abandonné, l’économie a sombré et les manifestants sont descendus dans la rue, ce qui a entraîné l’instabilité politique.
Le rôle des dirigeants
Maintenant que l’expérience d’une «révolution verte africaine», autrefois couronnée de succès, a échoué, quelles leçons peuvent en tirer les autres pays ? L’Afrique sera-t-elle un jour capable de produire assez d’aliments pour nourrir une population grandissante qui compte aujourd’hui plus d’un milliard de personnes? Pour y parvenir, certaines conditions doivent être réunies.
Pour commencer, une forte volonté politique au plus haut niveau est un élément essentiel à la réussite agricole. Dans son livre intitulé The New Harvest: Agricultural Innovation in Africa, Calestous Juma, professeur à l’Université Harvard, originaire du Kenya, estime que les dirigeants africains doivent faire de l’agriculture un élément central de toutes les décisions économiques majeures.
Rhoda Tumusiime, Commissaire de l’Union africaine pour l’économie rurale et l’agriculture, partage cette opinion. Elle note que les principaux moteurs de la réussite agricole étant peu nombreux, le rôle des dirigeants est crucial. «Il doit y avoir parmi les chefs d’État un défenseur politique de premier plan qui dirige et défende une vision d’ensemble de la révolution agricole», a-t-elle déclaré à la Commission économique pour l’Afrique.
Non seulement M. Mutharika était doté d’une volonté politique, il s’efforçait aussi de donner l’exemple. Sa politique anti-pauvreté a ainsi plu à de nombreux militants. Jeffrey Sachs, le directeur de l’Institut de la Terre de l’Université Columbia à New York, qui a collaboré étroitement avec les autorités malawites pour lutter contre la pauvreté, en fait partie. «Nous devons … nous remémorer l’héritage positif du défunt Président Mutharika, car il peut aider l’Afrique à se développer et à échapper à la pauvreté», a écrit M. Sachs dans une tribune libre du New York Times.
Il a reconnu le courage de l’ancien président qui en 2005 s’était élevé «contre l’arrogance d’une communauté humanitaire internationale mal informée.»
Sécurité alimentaire = sécurité nationale
Ensuite, bien que l’aide étrangère soit indispensable pour nourrir les affamés et relancer l’agriculture en Afrique, la sécurité alimentaire est trop importante pour dépendre de la générosité des partenaires extérieurs. La sécurité alimentaire requiert autant d’attention et de ressources que la sécurité nationale, si ce n’est plus. En fait, la sécurité nationale perd sa légitimité si des milliers de citoyens meurent, non pas sous le feu ennemi, mais de faim, ou risquent leur vie en traversant des frontières alors qu’ils fuient la faim.
Enfin, l’Afrique a besoin d’une politique alimentaire solide soutenue par des ressources provenant des membres de l’Union Africaine, qui seront investies dans des institutions de promotion de l’agriculture. L’UA a pris une initiative concrète dans ce sens en créant le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA), qui exige des pays signataires qu’ils consacrent au moins 10% de leur budget national à l’agriculture. Le PDDAA ne dispose lui-même que d’un budget minime, mais il utilise le peu dont il bénéficie pour renforcer les institutions agricoles et créer des équipes de personnes qualifiées qui parcourent le continent en partageant les pratiques optimales avec les autorités nationales.
«L’agriculture africaine a indubitablement besoin de solides institutions locales pour éviter le type de bulle observée au Malawi, qui a été largement générée par l’énergie extérieure,» a confié à Afrique Renouveau Martin Bwalya, le chef du PDDAA, en rappelant ainsi que le succès éphémère du Malawi dépendait des bailleurs de fonds. Le PDDAA, qui est dirigé par le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), l’organisme de développement de l’UA, reconnaît que l’Afrique a besoin d’institutions dont l’efficacité et la durée de vie ne dépendent pas de la survie des individus.
M. Mutharika a essayé de recourir aux subventions et a en grande partie réussi. Les pays qui ont suivi l’exemple du Malawi ont «obtenu pour la première fois dans leur histoire moderne, des résultats spectaculaires en matière de rendement agricole et de production de denrées alimentaires,» a déclaré le Professeur Sachs. Le successeur de M. Mutharika, Joyce Banda, la troisième femme présidente en Afrique, doit désormais formuler une nouvelle politique alimentaire, reconquérir les bailleurs de fonds, stabiliser l’économie et remettre l’agriculture sur la bonne voie.