Le commerce en Afrique au temps des changements climatiques
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Le commerce en Afrique au temps des changements climatiques
Les effets dévastateurs des changements climatiques se font déjà ressentir sur toute la planète, y compris en Afrique. La famine provoquée par la sécheresse en 2011 dans la Corne de l’Afrique a touché plus de 10 millions de personnes, causé 257 000 décès et coûté plus de 1 milliard de dollars de dommages. Le récent rapport intitulé Africa Adaptation Gap publié par leÌý Programme des Nations Unies pour l’environnement sur le fossé en matière d’adaptation en Afrique avertit que les changements climatiques pourraient réduire le rendement total des cultures en Afrique subsaharienne jusqu’à hauteur de 20 % d’ici à 2070. Pire encore, ils pourraient commencer à nuire au potentiel commercial de l’Afrique. C’est ainsi qu’une élévation de 70 centimètres du niveau de la mer projetée en TanzanieÌý d’ici à 2070 pourrait dévaster la ville portuaire de Dar es Salaam, la ville la plus grande et la plus riche du pays et un acteur majeur des échanges en Afrique de l’Est. Ce scénario coûterait au pays environ 10 milliards de dollars de dommages matériels et pertes liées. Les écologistes préviennent que l’élévation du niveau de la mer pourrait provoquer de graves inondations, submerger les terres et détruire des écosystèmes côtiers.Ìý
Les changements climatiques menacent-ils l’Afrique ? La région peut-elle développer son commerce dans les conditions actuelles? Les experts répondent par l’affirmative à ces deux questions, mais, en plus de réduire les obstacles qui entravent les échanges nouveaux et existants, les pays devront utiliser leurs écosystèmes pour protéger les secteurs productifs du continent de l’impact négatif des changements climatiques. Il fautÌý des écosystèmes résilientsÌý pourÌý promouvoirÌý l’utilisation rationnelle de la biodiversité et du patrimoineÌý naturel. CetteÌý utilisation permettra de préserver l’environnement naturel de la dégradation et s’assurer qu’il demeure productif et continue de contribuer au développement économique.Ìý
Obstacles en tous genres
Selon la Banque mondiale, la production alimentaire pour des populations urbaines et rurales à forte croissance constituera la plus grande opportunité de croissance pour les agriculteurs africains. Le secteur agricole doit donc mettre au point des stratégies d’adaptation auxÌý changements climatiques. Alors que l’Afrique produit actuellement des aliments de base d’une valeur de 50 milliards de dollars par an, la banque a constaté que la région pourrait ajouter un supplément de 20 milliards de dollars annuellement si elle supprime les obstacles au commerce agricole. L’Afrique de l’Ouest notamment pourrait réduire ses coûts de transport de moitié en moins d’une décennie si ses politiques commerciales agricoles étaient conçues pour servir de fondement à la croissance économique plutôt que de lui faire obstacle,Ìýaffirme la banque.
En outre, avec l’aggravation des changements climatiques, les industries et l’agriculture devrontÌý riposter. Les experts recommandent une augmentation de la production de biens et services environnementaux comme une option viable. Ces biens et services sont des bienfaits dont des écosystèmes sains permettent de bénéficier. Ils comprennent l’air pur, l’eau douce, la purification de l’air et de l’eau provenant des forêts, la pollinisation des cultures et la reconstitution des nappes d’eau souterraines à travers les zones humides. Ces biens et services étaient évalués à 690 milliards de dollars en 2006, mais pourraient atteindre 1900 milliards de dollars en 2020 selon le PNUE, compte tenu de l’augmentation de la demande mondiale.Ìý Par conséquent, pour stimuler le commerce, les experts insistent sur la nécessité de diversifier les exportations au-delà des produits de base. Les gouvernements doivent aussi adopter des politiques qui permettent à davantage de personnes de participer au commerce. Mais l’utilisation durable des écosystèmes permet-elle d’atteindre cet objectif ?
Stimulation des échanges grâceÌýauxÌý écosystèmes
« Repenser les possibilités » est l’expression employée par les spécialistes du développement pour insister sur le fait qu’il est possible de se servir des ressources naturelles comme moyensÌý de production. En utilisant les services écosystémiques à bon escient, l’Afrique pourrait protéger ses ressources naturelles et augmenter le volume de ses échanges au sein du continent ainsi qu’avec le reste du monde. Et cette protection est assurée avec des coûts supplémentaires minimes ou nuls.Ìý
Quelques approches écosystémiques, telles que l’utilisation de « pollinisateurs indigènes » gagnent déjà en popularité. On parle aussi de « l’agriculteur ami desÌýabeilles ». Cette approche suppose que les habitats d’abeilles sont protégés lorsque les agriculteurs limitent le labourage, permettent aux cultures de fleurir, plantent des haies végétales ou des brise-vent avec des arbustes à fleurs, réduisent ou éliminent l’utilisation de pesticides et travaillent avec les propriétaires fonciers du voisinage pour protéger les zones naturelles. En investissant dans la protection des habitats naturels des abeilles, les agriculteurs investissent dans leurs cultures. Les abeilles et l’utilisation durable d’autres techniques de gestion peuvent accroître les rendements des cultures de 5 %, selon un article publié par la Royal Society de Londres .
En outre, ces techniques sont plus gratifiantes à l’endroit des agriculteurs qui se retrouvent face à un produit de meilleure qualité à vendre. Ainsi, au Burkina Faso, où la noix de karité est la deuxième culture de rente la plus exportée (après le coton), les techniques reposant sur les écosystèmes pourraient améliorer la qualité des noix de karité et garantir des méthodes de production durables. Ce fut le cas récemment lorsqu’un projet incorporant une approche fondée sur les écosystèmes a permis de former 120 femmes à la production du beurre de karité de haute qualité, leur permettant d’augmenter leurs ventes de 18 dollars supplémentaires par mois en moyenne. L’approche fondée sur les écosystèmes est une méthode agricole qui favorise la conservation et la durabilité grâce à une gestion intégrée des terres, de l’eau et des ressources. Les femmes sont désormais encore plus motivées pour protéger leurs cinq hectares d’arbres de karité et l’écosystème associé (qui fait partie de leur chaîne de production) de la destruction etÌýde la déforestation.Ìý
Partout en Afrique de l’Ouest, 4 à 5 millions de femmes dépendent presque entièrement de la noix de karité pour leur subsistance, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agricultureÌý Le recours élargi à l’approche fondée sur les écosystèmesÌý pourrait accroître la production pour la consommation locale et pour l’exportation.Ìý
Développement du commerceÌýen Afrique
D’un certain nombre de façons, l’Afrique pourrait stimuler le commerce si elle exploitait ses vastes ressources naturelles en adoptant des approches écosystémiques. Elle pourrait ainsi tout d’abord, augmenter le volume des échanges agricoles grâce à des rendements plus élevés. En Zambie, les agriculteurs ont augmenté les rendements des cultures de 60 % en passant des pratiques monoculturales aux cultures intercalaires et à d’autres méthodes durables. En deuxième lieu, unÌý plus grand recours à l’approche fondée sur les écosystèmes favorisera le passage de méthodes traditionnelles à des méthodes agricoles durables parce que le marché mondial des biens et services environnementaux connaît une croissance rapide.Ìý
Les pratiques reposant sur les écosystèmes pourraient aider l’Afrique à tirer parti des atouts que présentent les biens et services environnementaux.Ìý
Troisièmement, en raison de la diversité des cultures produites, les pratiques reposantÌý sur les écosystèmes permettront à l’Afrique de conquérir de nouveaux marchés. Grâce à l’agroforesterie (cultures intercalaires, cultures de barrière et utilisation de cultures fixatrices d’azote), les petits agriculteurs peuvent produire une plus grande diversité de cultures. Et enfin, des produits de meilleure qualité ou plus écologiques permettront à l’Afrique de s’ouvrir à des marchés de qualité supérieure. Comme pour le projet de beurre de karité au Burkina Faso, les produits ainsi obtenusÌý peuvent accéder aux marchés « durables », où leurs prix deÌývente sont supérieurs.Ìý
Introduire des réformesÌýcommerciales
Même si les biens et services environnementaux permettent d’accroître les débouchés commerciaux, les obstacles au commerce en Afrique persisteront. Les principales recommandations de la Banque mondiale vont dans le sens de réformes du secteur du commerce et d’un renforcement des institutions qui conçoivent et mettent en Å“uvre la réglementation. La Banque veut que les pays africains réduisent le coût des échanges transfrontaliers. Selon la Banque, les coûts associés aux échanges en Afrique subsaharienne sont deux fois plus élevés qu’en Asie de l’Est et dans les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Elle plaide en faveur de la suppression d’une série de barrières non-tarifaires au commerce, y compris les règles restrictives quant à l’origine des marchandises, l’interdiction des importations et exportations et les licences coûteuses. Dans la région d’Afrique subsaharienne, relève la Banque, il faut en moyenne 38 jours pour importer des marchandises et 32 jours pour les exporter au-delà des frontières - soit, deux des plus longs temps d’attente au monde. Cependant, même si lesÌý nouveaux biens et services environnementaux risquentÌý de se trouver bloqués du fait deÌý ces barrières, les experts estiment que les services bancaires mobiles et d’autres dispositifsÌý transfrontaliers innovants pourraient améliorer la situation.
Les écologistes affirment déjà que les services écosystémiques devraient cesser d’être considérés comme gratuits et illimités. Il conviendrait au contraire de les protéger contre les effets des changements climatiques.Ìý Il est toutefois entendu que l’introduction de biens et services environnementaux dans les économies africaines pourrait accroître les avantages économiques, sociaux et environnementaux dont jouit le continent. Et c’est là un triple avantage.  
Richard Munang est le coordonnateurÌý régional pour les changements climatiques du Bureau régional pour l’Afrique du PNUE. Jesica Andrews est spécialiste de l’adaptation des écosystèmes au Bureau régional pour l’Afrique du PNUE.