Contre les 'tsunamis silencieux' de l'Afrique
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Contre les 'tsunamis silencieux' de l'Afrique
Après une décennie marquée par la baisse de l’aide consentie à l’Afrique, le vent semble tourner. Selon les estimations de l’ONU, le continent a reçu 23,1 milliards de dollars d’aide publique au développement (APD) en 2003, soit une augmentation notable de 46 % par rapport au taux enregistré il y a seulement trois ans (voir diagramme). Tout porte à croire que les niveaux d’aide seront encore plus élevés en 2004 et en 2005.
Il n’y a toutefois pas lieu de pavoiser, a déclaré le Président français, Jacques Chirac, au Forum économique mondial de Davos (Suisse), fin janvier. L’Afrique et les autres régions en développement, a-t-il dit, souffrent de “tsunamis silencieux” chroniques qui tuent d’innombrables personnes du fait de la famine, des maladies infectieuses et de la violence.
Pour que l’Afrique réduise ses taux élevés de pauvreté, elle doit recevoir une aide substantiellement accrue – l’aide doit en fait doubler au cours de la prochaine décennie. Grâce au Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), a déclaré M. Chirac devant le parterre de dirigeants politiques et de chefs d’entreprises du monde entier, “l’Afrique a engagé sa mutation. … Il faut y répondre par l’engagement massif de la communauté internationale”.
Prenant la parole au nom de plusieurs présidents africains qui ont participé au Forum de Davos, le Président nigérian, Olusegun Obasanjo, a fait observer que les dirigeants africains ont démontré par leurs propres efforts qu’ils entendent “s’aider eux-mêmes”. Mais tant que le continent ne sera pas en mesure de relancer son économie et de percevoir davantage de recettes d’exportations, il ne disposera pas de ressources financières suffisantes pour remédier au manque de nourriture, d’emplois, d’écoles et de soins de santé. “Nous ne recevons pas le niveau de fonds nécessaires au développement.”
Détournement ou opportunité?
Pour certains, le tsunami qui a dévasté l’Indonésie, Sri Lanka et d’autres pays le long de l’océan Indien fin décembre aura été une nouvelle occasion de “détourner” l’aide de l’Afrique, les pays du monde entier s’empressant d’apporter des secours aux nombreuses victimes de la catastrophe.
Le quotidien burkinabé Le Pays se demandait si l’importance géostratégique que revêt l’Asie pour l’Occident explique les contributions substantielles annoncées en faveur des victimes du tsunami, alors que la Somalie, le Kenya et les autres pays africains côtiers qui ont été eux aussi touchés ont été “totalement ignorés”.
Comme pour étayer ce point de vue, le Programme alimentaire mondial a fait savoir que les donations destinées à ses opérations en Afrique ont baissé de 21 % en janvier 2005 par rapport au même mois de l’année précédente. Devant le Conseil de sécurité, M. Jan Egeland, Coordonnateur des secours d’urgence de l’ONU, a qualifié la situation difficile de l’Afrique de “quadruple tsunami oublié et négligé”, constitué par la maladie, les conflits, la mauvaise gouvernance et les pénuries alimentaires chroniques. “L’Afrique devrait susciter le même intérêt que la région touchée par le tsunami”, a-t-il dit ; or, l’aide humanitaire effectivement octroyée reste en deçà des besoins dans les pays comme le Soudan, le Congo, l’Ethiopie, la Somalie, le Tchad et le Zimbabwe.
Ces avertissements ont amené certains responsables des opérations de secours à promettre qu’ils s’efforceraient de maintenir les projecteurs braqués sur l’Afrique. “Pas un seul euro destiné à l’Afrique ne sera détourné vers l’Asie du Sud”, a promis M. Louis Michel, Commissaire européen au développement et à l’action humanitaire.
Quel que soit l’impact immédiat sur les budgets restreints consacrés aux secours, la générosité et la rapidité avec lesquelles les gouvernements et les citoyens des pays les plus riches ont réagi face au tsunami témoignent des possibilités d’accroître les flux d’aide à long terme.
“Les pays riches sont capables, s’ils le veulent, de répondre, dans un élan extraordinaire, aux besoins des pauvres, en un rien de temps”, a fait observer le Professeur Jeffrey Sachs, qui dirige le Projet du Millénaire de l’ONU. “Le tsunami a modifié notre mode de calcul."
Pour les défenseurs du développement de l’Afrique, il s’agit maintenant de tirer parti de ce potentiel de solidarité internationale – et ce de manière soutenue en prenant, au-delà des situations d’urgence à court terme, les besoins fondamentaux de développement du continent pour point de mire.
L’impulsion donnée à Davos
La rencontre de Davos a confirmé que certains des principaux bailleurs de fonds du monde réfléchissent plus sérieusement aux moyens d’accroître l’aide qu’ils octroient à l’Afrique. En outre, cette tendance à la hausse de l’aide intervient au moment où les pays et institutions créanciers reconnaissent que les pays les plus pauvres ont besoin d’un allégement de la dette plus généralisé (voir page 5).
A l’ouverture du Forum économique mondial, le Premier Ministre britannique, Tony Blair, a réaffirmé que l’Afrique et le changement climatique seront les deux priorités de son gouvernement lorsqu’il présidera le Groupe des huit pays les plus industrialisés (G-8). Le Royaume-Uni a soutenu les appels en faveur du doublement de l’aide consentie à l’Afrique.
Cela étant, l’aide et l’allégement de la dette ne suffisent pas, a reconnu M. Blair. L’Afrique doit aussi être en mesure de toucher davantage de recettes de ses propres exportations. A cette fin, a-t-il dit, “nous devons ouvrir nos marchés, réduire nos subventions, y compris celles accordées aux produits controversés comme le coton et le sucre” et aider les pays africains à renforcer leur capacité de gérer les réformes commerciales.
En 2004, M. Blair a nommé une Commission pour l’Afrique, dont la moitié des membres sont des Africains. Le rapport qu’elle a publié le 11 mars appelle à la fois à accroître les apports d’aide et à prendre des mesures pour renforcer les capacités des démocraties et institutions africaines.
Priorité aux OMD
Le Premier Ministre Blair et les autres participants au Forum de Davos ont inscrit leurs propositions dans le cadre des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), qui consistent notamment à réduire de moitié le nombre de personnes vivant dans la pauvreté extrême d’ici à 2015. “Une nouvelle vision globale du développement s’impose”, s’appuyant sur l’idée de partenariat qu’expriment les OMD et le NEPAD, a dit M. Chirac.
Un peu plus d’une semaine avant la rencontre de Davos, le Projet du Millénaire a publié un rapport exhaustif intitulé “Investir dans le développement”, qui préconise le doublement de l’aide consentie aux pays les plus pauvres. Le rapport présente aussi des mesures détaillées pour la réalisation de certains OMD en Afrique, notamment la fourniture de moustiquaires traitées à l’insecticide en vue de réduire considérablement la mortalité infantile due au paludisme.
Ces idées ont été accueillies favorablement non seulement par les dirigeants politiques présents à Davos, mais aussi par de nombreux dirigeants de sociétés. M. Bill Gates, patron du géant américain du logiciel Microsoft, a rappelé que des millions d’enfants africains meurent de maladies évitables. “Le fait que nous ne consacrons pas les ressources voulues aux traitements connus ou à la recherche de meilleurs traitements est vraiment … le plus grand scandale de notre temps.” Sa propre fondation a déjà versé plus 750 millions de dollars en faveur de programmes de vaccination des enfants dans les pays en développement.
Propositions du G-8
Les contributions individuelles, même lorsqu’elles proviennent des pays les plus riches, ne peuvent suffire à satisfaire les énormes besoins financiers de l’Afrique. Pour examiner d’autres solutions, les ministres des finances des sept principales puissances occidentales se sont réunis à Londres une semaine plus tard. Parmi les propositions examinées :
• La création d’un mécanisme international de financement, présentée par le Chancelier de l’échiquier du Royaume-Uni comme un moyen de mobiliser des fonds en vue d’un nouveau “Plan Marshall” pour les pays pauvres. Selon ce système, les gouvernements donateurs lèveraient des fonds sur les marchés internationaux au moyen d’obligations à taux variable assorties de promesses d’aide à l’avenir.
• Un mécanisme “expérimental” semblable mais moins ambitieux, proposé également par le Royaume-Uni, en vue de mettre au point des vaccins contre le VIH/sida et d’autres maladies.
• Diverses nouvelles taxes, proposées par la France, dont les recettes seraient consacrées à l’aide au développement. Il s’agissait notamment d’une taxe modeste sur les opérations financières internationales, d’une taxe sur le carburant des avions (qui n’est pas imposé actuellement) et d’un droit d’environ un dollar prélevé sur chaque billet d’avion vendu. Ce dernier choix permettrait, selon le Président Chirac, de lever chaque année 3 milliards de dollars supplémentaires.
Certains pays, notamment les Etats-Unis et le Japon, ayant émis des réserves concernant certaines de ces propositions, les ministres des finances n’ont pu parvenir à un accord. Ils ont toutefois décidé de poursuivre les discussions au prochain sommet du G-8, prévu en juillet au Royaume-Uni.
Une aide plus forte et meilleure
Commentant les propositions tendant à doubler l’aide consentie à l’Afrique, M. Paolo de Renzio, chercheur à l’Overseas Development Institute de l’Université de Sussex au Royaume-Uni, fait observer qu’il faudra des mesures d’accompagnement pour garantir l’efficacité de l’aide. Cela devrait en partie permettre aux pays africains de renforcer leur capacité institutionnelle à gérer l’aide. Les donateurs eux-mêmes doivent également beaucoup mieux coordonner leurs interventions et leurs pratiques, dit-il.
En février, le Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, K.Y. Amoako, a déclaré que la Commission pour l’Afrique, dont il est membre, appelle non seulement à accroître le montant de l’aide à l’Afrique, mais aussi à améliorer “la qualité et l’ensemble des relations concernant l’aide”. Entre les donateurs et les bénéficiaires de l’aide, dit-il, il faudrait une “responsabilisation mutuelle”.
Certains représentants d’organisations non gouvernementales ont ajouté que les pays donateurs devraient arrêter de dicter leurs politiques à l’Afrique. “La pratique consistant à assortir l’aide et l’allégement de l’aide d’une série de conditions touchant la politique économique, notamment la privatisation, la libéralisation du commerce et la réduction des dépenses publiques, doit cesser”, a dit Mme Romilly Greenhill, spécialiste des politiques à ActionAid, organisation du Royaume-Uni.