En finir avec l’enrôlement d’enfants
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En finir avec l’enrôlement d’enfants
Les gouvernements et les groupes armés qui recrutent des enfants dans leurs rangs ne doivent plus “passer à travers les mailles du filet”, a déclaré le Ministre français des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy au cours d’une conférence qui s’est tenue à Paris les 5 et 6 février. Il a indiqué que ces “enfants perdus” constituaient une bombe à retardement qui pouvait menacer la stabilité et la croissance aussi bien en Afrique qu’au-delà du continent.
M. Ishmael Beah, ex-enfant soldat de Sierra Leone, a expliqué que si les jeunes ex-combattants ne sont pas réinsérés, ils risquent de devenir des mercenaires. “Ils savent utiliser un fusil, [s’]il y a un conflit à côté où on offre 100 dollars par jour et tout ce que vous pouvez piller, ils vont s’y remettre.” Bien qu’il ne soit pas facile de réinsérer des enfants soldats, il cite sa propre expérience : “Je suis la preuve vivante que c’est possible.” (Voir encadré).
Baptisée “Libérons les enfants de la guerre”, la conférence était organisée par le Gouvernement français et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). Cinquante-huit Etats et des dizaines d’organisations non gouvernementales (ONG) ont signé une série de principes — les “Engagements de Paris” — par lesquels ils s’engagent à “ne ménager aucun effort pour mettre fin à l’utilisation ou au recrutement illégaux d’enfants par des forces ou des groupes armés dans toutes les régions du monde”.
L’ONU estime qu’environ 300 000 enfants (ce terme désignant tous les moins de 18 ans) sont actuellement activement engagés dans des conflits armés dans une vingtaine de pays. Bien que les Engagements de Paris ne soient pas contraignants, les participants à la conférence ont noté qu’ils avaient un poids moral et politique certain.
Les responsabilités des Etats
Depuis 1996, année où Mme Graça Machel, ex-Ministre de l’éducation du Mozambique, a présenté à l’Assemblée générale un important rapport commandé par l’ONU sur les conséquences des conflits pour les enfants, la campagne contre le recrutement d’enfants soldats a été principalement menée par l’ONU et des ONG.
A Paris, pour la première fois, de nombreux gouvernements se sont engagés à se joindre à ces efforts. Les signataires africains comprennent par exemple le Burundi, la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, la Somalie, le Soudan, le Tchad et l’Ouganda.
D’après les Engagements de Paris, “Il incombe en premier lieu aux Etats” de protéger les enfants et de les réinsérer dans la vie civile. Concrètement, cela consiste à identifier tous les enfants recrutés par des groupes armés et à obtenir leur libération, “sans conditions et à tout moment, y compris durant des conflits armés”. En d’autres termes, la libération des enfants enrôlés ne doit pas dépendre d’un cessez-le-feu ou d’un accord de paix et il ne faut pas non plus permettre aux groupes armés d’utiliser la présence d’enfants dans leurs rangs comme moyen de pression lors de négociations pour la paix.
Aucune amnistie ne doit en outre être accordée aux chefs de groupes armés ou autres individus ayant participé au recrutement d’enfants ou commis d’autres crimes contre des enfants. Les gouvernements et les tribunaux doivent poursuivre les auteurs de ces actes. L’annonce par la Cour pénale internationale, une semaine seulement avant la conférence de Paris, de l’ouverture de son premier procès, celui d’un chef de milice de l’Est de la RDC accusé d’avoir recruté des enfants soldats, est à cet égard encourageante.
Les participants à la conférence ont reconnu que les enfants soldats ayant commis des crimes ne doivent pas seulement être considérés comme de présumés coupables mais “en premier lieu comme des victimes de violations du droit international”. Conformément aux normes internationales relatives à la justice des mineurs, les autorités concernées ont pour responsabilité de chercher des solutions autres que des poursuites judiciaires.
Le sort des filles
La conférence a notamment porté sur le sort des filles enlevées en grand nombre par des groupes de combattants pour servir d’esclaves domestiques, victimes de viols et d’autres violences sexuelles et parfois même forcées de combattre. Dans certains groupes, selon une estimation de l’ONU, les filles représentent jusqu’à 40 % des enfants enrôlés.
“Les filles en particulier sont contraintes d’accorder des faveurs sexuelles”, a noté la Directrice générale de l’UNICEF, Ann Veneman et sont ainsi privées de “leurs droits et de leur enfance”. Les Engagements de Paris demandent aux gouvernements et aux autres parties prenantes de “répondre aux besoins spécifiques des filles et de leurs enfants en matière de protection et d’assistance”.
Les participants ont souligné que la réinsertion et la réintégration sociales des filles et des garçons libérés de leur servitude militaire doivent bénéficier d’un appui à long terme. Les pays africains pauvres ne disposent souvent pas des ressources nécessaires pour accomplir cette tâche eux-mêmes. “Nous demandons à la communauté internationale de nous aider à réinsérer les enfants soldats dans la société”, a déclaré Mme Qamar Aden, Présidente du Comité des droits de l’homme du parlement somalien. Elle estime qu’environ 70 000 enfants ont été recrutés au cours du conflit le plus récent qu’a connu la Somalie.
S’il arrive que certains enfants se joignent “volontairement” à un groupe armé — en général pour obtenir nourriture ou protection — “personne ne naît violent”, a remarqué M. Beah à Paris. “Aucun enfant d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie ne veut participer à une guerre.
Le témoignage poignant d’un ex-enfant soldat
Ishmael Beah avait 12 ans quand la violente guerre civile de la Sierra Leone l’a jeté à la rue en 1993. Un an plus tard, des soldats gouvernementaux lui ont donné de la drogue et une arme pour l’envoyer se battre pour la première fois. Après trois ans de combats — au cours desquels il a été tour à tour tueur et pris comme cible — il a été sauvé de sa servitude militaire par des membres du personnel de l’UNICEF. Envoyé dans un centre de réinsertion sociale, il a lutté pour reconquérir son humanité. Revenir à la vie civile n’a pas été facile, car nombreux sont ceux en Sierra Leone qui considèrent avec méfiance et crainte les ex-combattants. La plus grande partie de sa famille ayant été tuée, M. Beah est parti pour les Etats-Unis. Quelque temps après, il a confié à Afrique Renouveau un témoignage poignant de ses épreuves (voir “Des soldats redeviennent de simples enfants”, Afrique Renouveau, octobre 2001). A l’époque, il avait préféré ne pas être identifié sous son véritable nom, mais sous le pseudonyme de “Djibril Karim”. Il suivait alors des cours à Oberlin College, dans l’Ohio, et redoutait la réaction de ses enseignants et condisciples s’ils apprenaient qu’il avait été soldat.
M. Beah a par la suite obtenu un diplôme d’Oberlin (en 2004) et a depuis pris la parole sous son véritable nom aux Nations Unies et devant de nombreux groupes. Il est devenu membre du comité consultatif de la Division des droits de l’enfant de l’ONG Human Rights Watch. Début 2007, peu de temps avant la conférence “Libérons les enfants de la guerre” à Paris, il a publié ses mémoires, A Long Way Gone*. Il y raconte avec force et talent mais sans sentimentalité la descente en enfer d’un enfant soldat — et comment il s’en est échappé. Ce livre, qui est un rare récit d’une guerre vue par un enfant qui y a participé, est rapidement devenu un succès de librairie.
* A Long Way Gone: Memoirs of a Boy Soldier, par Ishmael Beah (Sarah Chrichton Books/Farrar, Straus and Giroux, New York, 2007; 229 p. ; relié 22 $)