Promesses de paix au sommet des Grands Lacs
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Promesses de paix au sommet des Grands Lacs
Les efforts de consolidation de la paix dans la région des Grands Lacs d’Afrique centrale, ravagée par la guerre, ont progressé fin 2006 avec l’adoption du Pacte sur la sécurité, la stabilité et le développement de la région des Grands Lacs. Cet accord exhaustif a été signé le 15 décembre à Nairobi (Kenya) par les chefs d’Etat de 11 pays et finalisé après l’élection présidentielle organisée avec succès en République démocratique du Congo (RDC).
La région a sombré dans un conflit armé généralisé à la suite du génocide rwandais de 1994 et du renversement en 1997 de la dictature de Mobutu Sese Seko en RDC, qui était alors le Zaïre. Lorsqu’en 2003, un gouvernement provisoire a pris le pouvoir en RDC dans le cadre d’un accord de paix appuyé par l’ONU, huit pays africains et une vingtaine de groupes rebelles indépendants étaient impliqués dans les combats. Parmi les protagonistes figuraient les forces armées rwandaises et ougandaises qui cherchaient à renverser le gouvernement de la RDC, des troupes angolaises, zimbabwéennes et namibiennes combattant aux côtés de l’armée du Gouvernement congolais, des troupes du Burundi luttant au Congo contre les forces rebelles de leur pays et des milices rwandaises antigouvernementales réfugiées dans l’Est du Congo, ainsi que des milices ethniques locales ().
Quatre priorités, de multiples défis
Les signataires du pacte (Angola, Burundi, République centrafricaine, République du Congo, RDC, Kenya, Rwanda, Soudan, Tanzanie, Ouganda et Zambie) se sont engagés à coopérer dans quatre domaines : sécurité, démocratie et gouvernance, développement économique, affaires humanitaires et protection sociale. Ils se sont mis d’accord sur des protocoles et des programmes d’action régionaux détaillés sur chacun de ces chapitres. Les dirigeants présents ont également promis de définir des approches communes du VIH/sida, du renforcement du rôle des femmes, de la protection de l’environnement et des droits de l’homme. Les quatre domaines d’application principaux du pacte sont :
Paix et sécurité : Les signataires doivent renoncer à l’usage de la force dans les relations régionales, s’abstenir de soutenir des dissidents armés opposés aux autres Etats ou tolérer leur présence, coopérer au désarmement et au démantèlement des mouvements rebelles existants, contrôler les transferts d’armes régionaux, éliminer et bannir les discours racistes et ethnicistes ainsi que la discrimination ethnique ; enfin, poursuivre les auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, particulièrement les auteurs de violences sexuelles et de voies de fait contre des femmes et des filles.
Démocratie et bonne gouvernance : Les signataires doivent établir ou maintenir un Etat de droit et respecter les principes des droits humains ; mettre en place ou renforcer des systèmes constitutionnels fondés sur la séparation des pouvoirs, le pluralisme politique, des élections régulières et crédibles et la transparence des procédures de gouvernance politique et économique ; établir un conseil régional de l’information et de la communication pour promouvoir la libre expression et les droits des médias.
Développement économique : Les parties prenantes à l’accord doivent faire cesser ou prévenir l’exploitation illégale des ressources naturelles, respecter la souveraineté nationale sur ces ressources, faire de la région des Grands Lacs une “zone spécifique de reconstruction et de développement”, harmoniser les politiques économiques nationales et régionales, coopérer à des projets régionaux concernant l’énergie ainsi que les transports et les communications, stimuler le commerce et le développement parmi les populations frontalières afin de promouvoir l’intégration régionale.
Affaires humanitaires et protection sociale : Les signataires ont pour obligation de protéger et de secourir les populations déplacées à l’intérieur de leur propre pays, conformément aux normes internationales, de protéger et respecter le droit à la propriété des réfugiés et des personnes déplacées qui reviennent, d’établir des systèmes régionaux d’alerte rapide et de prévention des catastrophes naturelles, de garantir l’accès aux services essentiels des populations touchées par les conflits et les catastrophes naturelles.
Un long et difficile chemin
Ce pacte est le fruit de six ans d’efforts diplomatiques destinés à atténuer la méfiance entre les gouvernements de la région et à ériger un cadre juridique et politique permettant de traiter d’urgents problèmes économiques, humanitaires et sécuritaires. La première étape décisive a été franchie en 2002 en Afrique du Sud quand les parties prenantes au conflit congolais ont accepté un cessez-le-feu, le retrait des troupes étrangères et l’établissement d’un gouvernement intérimaire.
En 2004, les dirigeants de la région ont accepté les pourparlers régionaux proposés par le Conseil de sécurité de l’ONU en participant à la première Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, organisée en Tanzanie. Ce sommet a mené à l’adoption de la déclaration de Dar es-Salaam, qui définissait les termes d’un règlement général pour la région. C’est à la seconde conférence internationale tenue en décembre que les dirigeants régionaux se sont mis d’accord sur les détails du pacte. Ce processus a bénéficié de l’appui politique et financier des 28 pays du groupe des Amis de la région des Grands Lacs, qui comprend l’Afrique du Sud, les Etats-Unis, le Nigéria et de nombreux pays membres de l’Union européenne.
Dans un message présenté au sommet de la part du Secrétaire général de l’époque, Kofi Annan, le Secrétaire général adjoint et Conseiller spécial pour l’Afrique, Joseph Legwaila, a noté que “la région des Grands Lacs a été témoin de certaines des guerres les plus sanglantes du monde. Le mécanisme de coopération incarné par cette conférence internationale reflète l’importance de la dimension régionale dans la recherche d’une solution aux divers conflits”. Tout en reconnaissant que les négociations “s’étaient révélées longues et difficiles”, il a prédit que le plus difficile — la mise en œuvre — restait à venir.
La responsabilité de cette mise en oeuvre incombe aux gouvernements des Grands Lacs, épaulés par un secrétariat de la conférence. Ce comité conseille les chefs d’Etat, qui se réuniront en sommet tous les deux ans. Des groupes de la société civile apporteront leur participation au niveau local grâce à des organismes nationaux chargés de la mise en œuvre de l’accord. Le secrétariat sera financé par des contributions prélevées auprès des pays signataires, ainsi que par des bailleurs de fonds. Le pacte porte également création d’un Fonds de reconstruction et de développement qui sera alimenté par les bailleurs de fonds et les gouvernements des Grands Lacs et géré par la Banque africaine de développement. Ce fonds contribuera à financer des projets régionaux de reconstruction, de développement et d’intégration.
L’échec ‘n’est pas une option’
Bien que ce complexe accord de paix soit fragile, il y a des signes de progrès. Début février, les autorités du Sud du Soudan ont enjoint aux rebelles ougandais de quitter le pays. Quelques semaines plus tard, le Président nouvellement élu de la RDC, Joseph Kabila, a déclaré à une réunion de parlementaires de la région des Grands Lacs que les conflits “bloquaient le développement” de la région. “La guerre ouverte a pris fin et le dialogue est devenu la méthode de règlement des conflits”, a-t-il affirmé. Il a ajouté que son gouvernement suivait attentivement les pourparlers de paix en cours en Ouganda et au Burundi.
Selon certains articles de presse, les forces armées de la RDC se sont efforcées d’expulser les rebelles rwandais de leur territoire et d’achever la démobilisation des ex-combattants. Il reste en RDC environ 20 000 Casques bleus des Nations Unies qui aident le nouveau gouvernement à assurer la sécurité dans l’ensemble du pays. Au Burundi voisin, la mission des 6000 Casques bleus s’est achevée fin 2006.
Dans un entretien accordé à Afrique Renouveau, Liberata Mulamula, Ambassadrice de Tanzanie et chef du secrétariat de la conférence, a indiqué que la mise en oeuvre du pacte était “un défi considérable”, qu’il existait des perspectives de “résultats rapides” dans un certain nombre de domaines, “dont l’établissement d’un mécanisme de gestion conjointe des frontières communes”, la création de “bassins de développement transfrontaliers” qui permettraient de réduire la pauvreté et les mécontentements le long de frontières nationales poreuses et peu sûres, et de mécanismes d’alerte rapide pour la prévention des conflits et des situations d’urgence humanitaire.
“La signature du pacte a été perçue comme un nouveau départ pour la région des Grands Lacs”, déclare Mme Mulamula. Mais le succès dépendra du financement adéquat de l’accord et de ses programmes de développement ainsi que de la volonté politique des dirigeants régionaux d’en respecter les dispositions. “Le monde a été témoin des effets dévastateurs de la guerre et des conflits sans issue qu’a connus cette région, conclut-elle. L’échec n’est pas une option!”
La première ‘guerre mondiale’ africaine
La région des Grands Lacs a hérité du titre peu enviable de théâtre de la “première guerre mondiale africaine” quand, à la suite de la chute de la dictature de Mobutu, le vaste territoire du Zaïre (rebaptisé depuis République démocratique du Congo), riche en ressources minières, a suscité toutes les convoitises. Mais la crise qui se poursuit dans la région est en réalité une série de conflits interdépendants, impliquant virtuellement tous les pays de la région. Les relations entre les gouvernements du Soudan et de l’Ouganda ont par exemple été gravement ternies par des allégations selon lesquelles l’Ouganda aurait soutenu les rebelles de l’Armée populaire de libération du Soudan et les Soudanais appuyé l’Armée de résistance du Seigneur en Ouganda, insurrection qui a fait plus de 10 000 victimes, déplacé 2 millions de personnes et entraîné l’enlèvement de quelque 25 000 enfants par l’armée rebelle. L’Ouganda accueille près de 200 000 réfugiés soudanais, plus des dizaines de milliers de Congolais et de Rwandais, ce qui grève lourdement les modestes ressources du pays.
Selon le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, la Tanzanie — un des pays les plus pauvres du monde — accueille depuis des années plus de 600 000 réfugiés de la région des Grands Lacs. Début 2006, on en comptait également 300 000 en Zambie et au Kenya.
Dans la seule RDC, plus de 4 millions de personnes sont mortes, victimes de la violence, de famines et de maladies ; 1,3 million de réfugiés se sont enfuis dans des pays voisins et 4 millions de personnes (dont 1,4 million d’enfants), forcées d’abandonner leur domicile, ont été déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Des dizaines de milliers de femmes et de filles ont été violées et ont subi des violences sexuelles au cours de ce conflit brutal. (Voir Afrique Renouveau, janvier 2007.