Plus de liberté d’action ou plus de restrictions?
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Plus de liberté d’action ou plus de restrictions?
Au lieu d’en finir avec les programmes de réforme économique fort critiqués du Fonds monétaire international (FMI) après les avoir mis en œuvre, un certain nombre de pays africains choisissent d’adhérer à un programme d’un nouveau genre : l’Instrument de soutien aux politiques économiques (ISPE), établi en 2005, et que le Fonds qualifie de “mécanisme non financier”. Contrairement à d’autres programmes, le FMI n’accorde pas de financements directs dans le cadre de ce programme. Il se contente de donner des conseils aux pays et suit et avalise leurs politiques. A ce jour, six pays, tous situés en Afrique, ont adhéré à cet instrument, et d’autres envisagent de le faire.
Dans le cadre des ISPE, le FMI aide des pays à faible revenu à mettre au point leur programme économique. Si un pays réussit à satisfaire aux normes qui ont été définies, le Fonds informe alors les donateurs, les banques de développement multilatérales et les financiers privés que le pays a “de solides politiques”. Les objectifs fixés dans les ISPE sont issus des programmes antérieurs du FMI et de la Banque mondiale, et des bilans ont lieu tous les six mois.
Certains pays où des ISPE sont en place, comme le Mozambique, constatent déjà qu’à cause de ces conditions, il leur est difficile de consacrer une plus grande partie de leur budget à l’amélioration de leur système éducatif ou à la réalisation d’autres objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) convenus par la communauté internationale.
“Il s’agit en fait d’un programme type du FMI sans prêt, mais accompagné des dispositions relatives à ‘l’ajustement structurel’ (privatisation, libéralisation, réduction des dépenses, etc.), et de l’objectif habituel d’une inflation très faible”, déclare Soren Ambrose de l’organisation non gouvernementale (ONG) Solidarity Africa Network dont le siège est au Kenya. Si un pays doté d’un ISPE ne réussit pas à obtenir une certification du FMI, ajoute-t-il, les conséquences peuvent être graves. “Lorsque le FMI élimine un pays de ses programmes, les autres institutions en font généralement autant. C’est cette fonction de ‘gardien’, plutôt que les prêts accordés par le FMI, qui lui confère le plus de pouvoir."
Un pays qui a fait l’objet d’un bon rapport du FMI a moins de difficulté à obtenir des prêts et un allègement de sa dette auprès de la Banque mondiale ou une restructuration de cette dernière dans le cadre du Club de Paris, un groupe de gouvernements créditeurs riches. Cette “conditionnalité croisée” peut être un puissant instrument. Certains pays pauvres qui n’arriveraient pas sinon à obtenir des prêts à des taux d’intérêt relativement bas sur les marchés financiers internationaux se tournent vers les ISPE pour bénéficier de l’aval du FMI. C’est pourquoi, affirme M. Ambrose, les ISPE peuvent “inciter les pays à s’engager de nouveau dans les programmes du FMI”, au lieu de les aider à s’en détacher une fois pour toutes.
A ce jour, le Cap-Vert, le Mozambique, le Nigéria, la Tanzanie, le Sénégal et l’Ouganda ont adhéré à des ISPE, tandis que le Ghana en négocie actuellement les termes.
Approbation du FMI
Dans une déclaration expliquant en quoi consistent les ISPE, le FMI fait valoir que cet instrument rend un service nécessaire en “faisant connaître” les vues du Fonds sur les politiques suivies aux créditeurs et aux donateurs privés “qui souhaiteraient être rassurés quant à la situation des pays qu’ils aident”. C’était déjà le rôle que le FMI assumait dans les pays à revenu faible par le biais de son programme de prêts, la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC). “Un certain nombre de pays — ceux que nous appelons les pays en phase de stabilisation avancée — ont déclaré: ‘Nous voulons sortir du cadre de la FRPC, mais nous voulons disposer d’une structure qui montre que nous avons mis en place des politiques solides’”, explique Patricia Alonso-Gamo du Département de l’élaboration et de l’examen des politiques du FMI. “Ils ne voulaient pas avoir ce que d’autres pays avaient à ce moment-là : une surveillance renforcée ou des programmes suivis par le Fonds. Ils ont déclaré : ‘Nous voulons quelque chose de plus structuré qui reçoive l’aval du Conseil d’administration du Fonds, et nous pourrons ainsi dire au monde que nous avons mis en place des politiques solides’. Cela a donc été le résultat d’une demande.”
Au cours des années 1980, la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne, tentant de se relever de crises économiques, ont commencé à mettre en œuvre des programmes d’ajustement structurel sous l’égide du FMI et de la Banque mondiale. Ces programmes ont prôné des politiques visant à renforcer l’économie de marché et à réduire le rôle de l’Etat dans les affaires économiques. Ils ont mis un frein aux dépenses publiques consacrées à l’éducation et aux soins de santé, privatisé les entreprises d’Etat et libéralisé le commerce. “Les gouvernements africains ont dû céder leur pouvoir de décision économique afin d’avoir droit aux prêts de la Banque mondiale et du FMI”, note Africa Action, une organisation non gouvernementale des Etats-Unis.
Les répercussions sociales de ces programmes ont provoqué un mécontentement croissant de l’opinion publique, car un grand nombre de travailleurs ont perdu leur emploi et beaucoup de personnes pauvres ne pouvaient plus faire face aux coûts de plus en plus élevés des soins de santé et de l’éducation. Face aux protestations et aux critiques, le FMI et la Banque mondiale ont changé de méthode. Ils demandent désormais aux gouvernements de préparer des programmes de lutte contre la pauvreté en consultation avec la société civile et d’autres parties prenantes avant d’obtenir de nouveaux prêts et un allégement de la dette. Le FMI a converti sa Facilité d’ajustement structurel en Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC).
Prêts à faible taux
L’une des principales motivations qui incitent les pays à adhérer à un ISPE est l’approbation du FMI, laquelle leur permet d’emprunter plus facilement sur les marchés financiers internationaux à des taux relativement faibles, une fois qu’ils ont rempli les conditions de la FRPC. Considéré comme un “pays en phase de stabilisation avancée”, le Ghana a décidé l’année dernière de ne pas renouveler son programme de FRPC et est actuellement en train de négocier les termes d’un ISPE avec le FMI. Ayant épuisé toutes les possibilités d’obtenir des subventions et des prêts à des taux préférentiels de la Banque mondiale et du FMI, ce pays estime qu’il a besoin d’emprunter 750 millions de dollars sur les marchés financiers pour des projets d’infrastructure. Ces investissements dans l’infrastructure, estime le FMI, permettront de faire passer le taux de croissance économique à 8,5 % par an et aideront le Ghana à passer dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire.
C’est pourquoi les responsables du Gouvernement ghanéen, estimant que les conditions des prêts antérieurs de la FRPC étaient contraignantes et excessives, ont décidé d’envisager de souscrire à un ISPE. Cette conditionnalité a été l’un des aspects les plus controversés des politiques de prêts du FMI et de la Banque mondiale. Souvent, affirment les détracteurs, ces institutions ne tiennent pas dûment compte des conséquences sociales des conditions imposées ou des effets contradictoires de multiples conditions. Un grand nombre de gouvernements ont le sentiment que ces conditions constituent une atteinte à leur souveraineté et qu’elles ne remédient pas aux problèmes structurels fondamentaux qui entravent leur développement économique.
Selon une étude effectuée par Eurodad, un réseau d’ONG européennes, les pays pauvres qui empruntent à la Banque mondiale se voient imposer en moyenne 67 conditions par prêt. Dans les cas les plus extrêmes, il peut y avoir jusqu’à 200 conditions, comme cela a été le cas en 2005, lorsque la Banque mondiale a accordé des subventions à l’Ouganda pour qu’il réduise la pauvreté.
Depuis les années 1990, le FMI assortit ses prêts de plus en plus de conditions, qui portent non plus seulement sur le domaine traditionnel des politiques monétaire et fiscale, mais également sur les échanges commerciaux, la fixation des prix, la commercialisation, la gestion du secteur public, les entreprises publiques, l’agriculture, l’énergie, et récemment même la gouvernance, domaine qu’il estimait auparavant ne pas relever de ses compétences. D’après Eurodad, les critiques formulées à l’encontre du FMI ont donc “surtout porté sur le fait que ces conditions manquent de cohérence, que les conditions structurelles sont trop nombreuses, qu’elles essaient de faire trop de choses à la fois, et qu’elles amènent le Fonds à exercer son influence en dehors de son domaine de compétence”.
Après que la Tanzanie a souscrit à un ISPE, l’East African, un journal régional, a fait remarquer que “même sans avoir reçu de fonds du FMI, le pays sera malgré tout soumis à ses conditionnalités”.
Le Gouvernement ghanéen espère que le nombre de conditions qu’il devra remplir dans le cadre d’un ISPE sera réduit, bien que cela ne soit pas encore certain. Le Ministre des finances, M. Kwadwo Baah-Wiredu, affirme que son “gouvernement estime qu’il s’agit là d’un moment crucial dans l’histoire économique du Ghana et qu’il prendra toutes les précautions nécessaires”.
Action Aid International, une association sud-africaine qui lutte contre la pauvreté, a fait une étude comparative des FRPC et des ISPE en Ouganda, au Cap-Vert, en Tanzanie et au Mozambique, et a constaté qu’il existait peu de différences entre ces deux mécanismes. En Ouganda, ces deux programmes avaient fixé des objectifs similaires en ce qui concerne l’inflation et les dépenses consacrées à la lutte contre la pauvreté. Au Cap-Vert, le Gouvernement doit, dans le cadre de l’ISPE, réduire l’inflation et ne pas contracter de nouveaux emprunts à court terme, et se conformer à des critères détaillés pour la réforme du secteur financier. Là où des comparaisons sont possibles, signale Action Aid International, l’ISPE semble appliquer les normes des FRPC, sauf que ses objectifs sont progressivement plus ambitieux. Au fond, déclare cette association, le FMI continue de jouer un rôle clé dans la gestion des économies de ces pays pauvres, ce qu’il ne tente pas de faire dans les nations plus riches.
Les conditionnalités ont été l’un des aspects les plus controversés des politiques de prêt du FMI et de la Banque mondiale.
Pas d’argent pour des enseignants
Il est fréquent que le FMI insiste auprès des gouvernements pour qu’ils se fixent comme objectif de contrôler l’inflation. Au Mozambique, pays qui a souscrit à un ISPE, le taux d’inflation fixé est inférieur à ce qu’il était lors de la dernière FRPC. En théorie, contrôler l’inflation est une bonne chose, mais si les dépenses du Gouvernement sont exagérément restreintes afin que cet objectif soit atteint, cela peut créer d’autres problèmes.
Au Mozambique, note Action Aid International, cela signifie que le Gouvernement ne pourra pas embaucher de nouveaux enseignants en vue de réduire la surpopulation dans les écoles. Le ratio actuel élève-enseignant est de 72 pour 1, alors que l’initiative du Gouvernement ‘Une éducation pour tous’ recommande de le ramener à 40 pour 1. Si le Gouvernement n’augmente pas considérablement ses dépenses pour recruter de nouveaux enseignants, il ne parviendra, d’ici 2015, qu’à un taux de 50 pour 1.
Le Mozambique a également des difficultés à atteindre l’objectif d’un enseignement primaire universel fixé dans le cadre des OMD, note Action Aid International dans un rapport publié en 2007, The IMF’s Policy Support Instrument: Expanded Fiscal Space or Continued Belt-Tightening ?
En 2004, le Gouvernement et le FMI ont convenu dans le cadre de la FRPC de limiter la masse salariale de la fonction publique à 6,5 % du produit intérieur brut (PIB). Les enseignants constituent 35 % des fonctionnaires, et l’année suivante, le Mozambique n’a pu embaucher que 4 700 enseignants, au lieu des 11 500 dont il avait besoin. Le FMI a accepté alors de remonter le plafond à 7,5 % du PIB en 2006, ce qui a permis de recruter 9 000 enseignants. Toutefois, peut-on lire dans l’étude d’Action Aid International, le FMI et le Ministère des finances ont encore réduit le taux d’inflation à atteindre dans le cadre du FRPC et ont convenu de réduire davantage les emprunts contractés par le Gouvernement. “On trouve également ce type de politiques dans le nouvel ISPE”, fait observer Action Aid International. “Lorsque des politiques macroéconomiques sont par trop prudentes, cela réduit la possibilité d’augmenter le plafond fixé pour la masse salariale alors que les écoles ont besoin d’un plus grand nombre d’enseignants."
L’ISPE permet d’accorder une part importante du budget national à des secteurs prioritaires tels que l’éducation et la santé, reconnaît Action Aid International, mais pas suffisamment pour “financer les efforts à grande échelle nécessaires à la réalisation des OMD et de l’initiative ‘Une éducation pour tous’. En conséquence, le Mozambique n’atteindra pas l’objectif qu’il s’était fixé d’assurer un enseignement primaire de qualité à tous les enfants d’ici à 2015”.
Le FMI reste-t-il pertinent ?
L’ISPE est accessible à tous les pays qui ont mis en oeuvre avec succès les programmes de lutte contre la pauvreté du FMI ou de la Banque mondiale ou qui satisfont aux conditions requises pour la FRPC. Toutefois, déclare Mme Alonso-Gamo du FMI, le nouveau plan a été conçu tout particulièrement à l’intention des “pays en phase de stabilisation avancée” — des pays qui ont atteint régulièrement des taux de croissance satisfaisants et de faibles niveaux d’inflation, qui possèdent des réserves financières internationales suffisantes et qui ont des niveaux d’endettement gérables. Certains de ces pays n’ont plus besoin de l’assistance financière du FMI et ont demandé à “sortir” de la FRPC, tout en continuant à maintenir des liens avec le Fonds, explique-t-elle.
Action Aid International considère cependant qu’en mettant en place l’ISPE, le FMI a surtout tenté de prouver sa pertinence dans un environnement monétaire international en mutation. L’ISPE a été inauguré alors que l’on se posait de plus en plus de questions sur le rôle du FMI dans l’économie mondiale. En 2005, au moment où l’ISPE a été lancé, le Groupe des Huit pays industrialisés a annoncé la création de l’Initiative d’allégement de la dette multilatérale, initiative qui, pour la première fois, prévoyait d’annuler 100 % des dettes dues au FMI par certains de ses clients les plus pauvres. L’élimination des obligations de remboursement de ces pays a laissé entrevoir la possibilité que certains d’entre eux envisagent de renoncer à toute nouvelle participation du FMI.
“L’ISPE a été apparemment conçu pour inciter les pays qui n’ont plus de dette et seraient tentés de choisir leur propre mode de développement à ne pas sortir du giron du FMI”, note Action Aid International. Cet Instrument a également été mis en place à un moment où, du fait des remboursements anticipés de la part des principaux débiteurs du FMI, comme l’Argentine par exemple, l’on se demandait si les pays à revenu intermédiaire allaient cesser de coopérer avec le FMI, ce qui aurait pu entraîner une insuffisance de fonds pour ce dernier.
C’est pourquoi, ajoute Action Aid International, le Fonds cherche peut-être à modifier son image de façon à ne plus passer pour “un prêteur rigoureux et autoritaire mais plutôt pour un conseiller collégial. Mais alors même que le FMI tente d’adopter une image plus positive, les politiques prônées par l’ISPE restent conformes aux programmes d’austérité types du Fonds qui ont été très controversés ces 25 dernières années”.