La réforme des forces de sécurité africaines
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La réforme des forces de sécurité africaines
“Le Libéria est en train de constituer une armée nouvelle et nous sommes très stricts sur la question des principes”, déclare le Lieutenant Eric Dennis qui enseigne le droit humanitaire international aux nouvelles recrues. Dans un pays où les forces armées — celles du gouvernement comme celles des rebelles — ont commis par le passé de nombreuses atrocités, il espère aider à mettre sur pied une institution nouvelle qui “ne ternira jamais l’image de notre armée et de notre pays. Nous voulons une armée de soldats professionnels."
Le recrutement de la nouvelle armée a seulement commencé en 2006 et ses 2 000 soldats —dont 100 femmes — continuent de suivre un entraînement. Les Libériens expriment un optimisme prudent. Un sondage d’opinion de février 2008 indique que 55 % des Libériens interrogés ont confiance dans l’armée, un niveau de confiance plus faible que celui accordé au gouvernement et au système électoral, mais supérieur à celui dont bénéficient les banques et les tribunaux du pays.
A quelques milliers de kilomètres de là, en République démocratique du Congo (RDC), mettre sur pied une nouvelle armée se révèle une expérience plus difficile. Bien que les Casques bleus de l’ONU et des conseillers européens aient essayé de professionnaliser l’armée nationale, des cas de pillage, de viols et autres violences commises par ses troupes, continuent d’être signalés, particulièrement dans les provinces troublées de l’Est.
D’Afrique du Sud au Burundi et jusqu’en Côte d’Ivoire, d’autres pays d’Afrique tentent aussi de restructurer et de professionnaliser leur armée, leur police et leurs services de renseignement. Ce processus rencontre de nombreuses difficultés, mais est de plus en plus perçu comme un facteur vital pour assurer à long terme paix et stabilité sur le continent.
L’élan que connaît ce mouvement de réforme s’accélère à mesure que de nouveaux pays cherchent à consolider leur démocratie ou à se reconstruire après des guerres destructrices, note le Général de division Carl Coleman, un ancien officier supérieur des forces armées ghanéennes. Auparavant, les élites politiques utilisaient avant tout leur armée et leur police pour se maintenir au pouvoir, “sans aucune considération pour le peuple qu’ils gouvernaient”, a-t-il expliqué à Afrique Renouveau au cours d’un entretien accordé dans les bureaux d’Accra au Ghana de Dialogue et recherche en matière de sécurité africaine (ASDR) un laboratoire d’idées non gouvernemental panafricain où il travaille comme analyste principal.
Du problème à la solution
Pendant trop longtemps, l’armée, la police et les services de renseignement africains ont été des sources importantes de conflit et d’insécurité pour les citoyens africains. Souvent mal rémunérés, leurs membres se livraient au vol et à l’extorsion simplement pour pouvoir vivre. Chefs d’Etat et autres hommes politiques se servaient de leur armée pour réprimer les manifestations populaires et éliminer leurs rivaux, et il arrivait fréquemment que l’armée organise un coup d’Etat pour prendre les rênes du pouvoir.
En Afrique comme ailleurs, affirme le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, “lorsqu’elles sont mal formées, sous-équipées, mal gérées et irrégulièrement payées, les forces de sécurité contribuent à l’insécurité en se rendant coupables de graves violations des droits de l’homme."
Étant donné le faible contrôle exercé par les autorités civiles et le manque de mécanismes de responsabilisation, les militaires et les policiers auteurs d’abus de pouvoir et de violences échappaient régulièrement à toute sanction. Dans certains pays, note le Général de division à la retraite Ishola Williams, secrétaire du chapitre nigérian de l’organisation de lutte contre la corruption Transparency International, les organismes de sécurité baignaient dans une “culture de l’impunité et de la violence."
Dans un certain nombre de pays qui émergent de guerres civiles ou de longues périodes de dictature, les réformateurs essayent de rompre avec le passé.
“Réforme du système de sécurité” (RSS) est la formule la plus généralement utilisée pour décrire ces initiatives, bien qu’elle ne soit pas la seule. Quelle que soit la variante en usage, le concept de “sécurité” ne concerne pas simplement les institutions centrales que sont l’armée et la police, explique le Général Coleman. Les tribunaux, le système pénitentiaire et les organes de contrôle civil, comme les Ministères et les Parlements, doivent de préférence être englobés dans le processus de réforme. “Tout cela est lié. Vous ne pouvez pas faire l’un en négligeant l’autre.”
Au sortir de la guerre
La plupart des pays africains pourraient bénéficier d’une réforme de leur système de sécurité, soutient Kwesi Aning, Directeur du département de la prévention des conflits du Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix (KAIPTC) qui à Accra assure l’instruction de personnels militaires et policiers de tout le continent. Même au Ghana, a-t-il expliqué à Afrique Renouveau, l’armée et la police ne coordonnent pas très bien leurs interventions dans les affrontements locaux. “Même dans les sociétés non conflictuelles, il existe un besoin d’un meilleur contrôle des organismes de sécurité et de mécanismes de coordination et de consultation."
Cependant, le désir de réformes fondamentales a habituellement été le plus fort dans les pays qui viennent de sortir d’une guerre. En Sierra Leone, les efforts pour restructurer l’armée nationale ont commencé en 2000, avant même la fin de la guerre civile. Le programme, recevant une aide financière importante du Royaume-Uni et dirigé par des officiers et des conseillers techniques britanniques, a cherché à réorganiser les forces armées de la base au sommet.
L’armée était particulièrement faible au niveau du commandement, un grand nombre des officiers les plus professionnels étant morts ou en exil, “nous avons donc dû partir pratiquement de zéro,” rappelait plus tard le Général de division Jonathon Riley, l’officier britannique responsable. Pendant ce temps, la mission de maintien de la paix de l’ONU aidait à former la police.
La situation en Sierra Leone est restée relativement calme depuis, même pendant les élections vivement disputées de septembre 2007. Non seulement les forces de sécurité ne sont pas intervenues pour favoriser le parti au pouvoir, mais elles ont même soutenu le transfert pacifique du pouvoir à l’opposition qui a remporté les élections.
En Angola, après près de 25 ans de guerre civile, la paix a été finalement rétablie en 2002. Des dizaines de milliers de combattants des deux camps ont été désarmés et démobilisés. Un nombre important de combattants de l’ancien groupe rebelle a été incorporé dans l’armée nationale et une police nationale unifiée a été créée.
L’armée et la police nationales du Burundi ont été réorganisées par étapes, après la signature en 2003 d’un accord de paix initial entre les factions opposées dans la guerre civile. De nombreux combattants des forces gouvernementales et des groupes rebelles ont été démobilisés, mais un grand nombre d’insurgés ont été également incorporés dans les forces de sécurité régulières. Le projet de réduire les effectifs combinés de l’armée et de la police de 25 000 à 15 000 est cependant bloqué depuis avril 2008, car une dernière faction rebelle attend d’y être incorporée.
En Côte d’Ivoire, l’accord de paix de 2007 a établi un nouveau gouvernement de coalition et élaboré des plans pour réunifier le pays, créer une armée unifiée et organiser des élections nationales. Mais le désarmement et la démobilisation des combattants ont progressé lentement et des désaccords se sont exprimés sur la manière de restaurer une armée et une police nationales unifiées.
Des projets de réforme du système de sécurité ont aussi été discutés dans d’autres pays comme la République centrafricaine et la Guinée-Bissau. Mais la persistance de l’instabilité politique, dramatiquement illustrée par l’assassinat du président et du chef des forces armées de Guinée-Bissau début mars, ont empêché toute réorganisation sérieuse.
Dans les pays où certaines mesures de réforme du système de sécurité ont été prises, elles n’ont généralement pas été correctement coordonnées avec les autres mesures d’après-conflit comme les programmes de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR) pour les ex-combattants qui cherchent à retourner à la vie civile (voir Afrique Renouveau, octobre 2005 et octobre 2007). Au cours d’une conférence internationale sur les programmes DDR organisée en juin 2007 par le Bureau du Conseiller spécial pour l’Afrique de l’ONU, une session entière a été consacrée à promouvoir une meilleure coordination entre les opérations de DDR et les mesures de réforme du système de sécurité.
Le modèle de transformation sud-africain
L’une des réorganisations les plus importantes et les plus réussies d’une armée du continent a eu lieu en Afrique du Sud. Elle a été si radicale et d’une telle portée que les Sud-africains préfèrent parler de “transformation,” plutôt que de réforme. Auparavant, l’armée sud-africaine, soutenue par plusieurs forces armées pro-gouvernementales à caractère ethnique se consacrait à la défense du système politique de l’apartheid qui assurait la domination blanche, contre les mouvements de libération de la majorité noire. Mais avec la fin de l’apartheid et les premières élections démocratiques de 1994, pratiquement toutes les institutions gouvernementales étaient destinées à être réformées.
Selon la stratégie de défense définie en 1995, le principe qui a guidé la nouvelle approche sud-africaine est d’assurer que l’armée, la police et les autres organes de sécurité mettent au rang de “préoccupation primordiale” la “sécurité de la population”, la protection de ses libertés, de sa sécurité et de l’ordre public.
En conséquence, une nouvelle Force de défense nationale sud-africaine (SANDF) a été créée à partir de 1994 par l’intégration de sept forces armées différentes : l’armée de guérilla du Congrès national africain (ANC) victorieux, un autre petit groupe de résistance, l’armée régulière de l’ancien régime et sept armées des “homelands”. Le processus a été accompagné de mesures visant à renforcer le contrôle des autorités civiles, dont celui exercé par le Parlement, et à “démilitariser” le ministère de la Défense. Les diverses forces de police du pays ainsi que l’appareil judiciaire ont également été unifiés.
La réorganisation et la formation poursuivies au cours des années suivantes ont fait de l’armée et de la police des forces hautement professionnelles qui consacrent leurs efforts à combattre la criminalité et les autres formes d’insécurité dans le pays tout en contribuant à des opérations de maintien de la paix internationales, en Afrique et ailleurs. Selon feu le Colonel Rocky Williams, un ancien commandant dans l’organisation armée de l’ANC, un certain nombre de facteurs ont contribué au succès relatif de cette transformation : un Etat fort, une économie solide et “le fait que les Sud-africains eux-mêmes ont géré la transition.”
Le Congo, une poudrière
Comme en Afrique du Sud, le conflit en RDC s’est terminé par un accord des belligérants qui ont accepté d’unifier leurs forces au sein d’une nouvelle armée nationale. Mais les résultats ont été jusqu’ici bien moins probants. Charles Mwando Nsimba, le Ministre de la défense congolais, reconnaissait en janvier que l’armée était toujours infestée par “l’indiscipline notoire à tous les niveaux, les associations des malfaiteurs, les violences faites aux femmes, le détournement de la paie destinée aux militaires."
La guerre a été particulièrement destructrice en RDC, elle a aussi revêtu un aspect très complexe, impliquant de nombreuses factions congolaises ainsi que les armées d’une demi-douzaine de pays voisins. En 2002, les principaux combattants ont signé un accord de paix qui établissait un gouvernement de transition assurant un partage du pouvoir et qui comprenait un engagement des différentes parties à démobiliser une partie de leurs troupes et à intégrer le reste dans une armée unifiée. Après quelques délais, les premières élections démocratiques ont eu lieu en 2006.
“Lorsqu’elles sont mal formées, sous-équipées, mal gérées et irrégulièrement payées, les forces de sécurité contribuent souvent à l’insécurité en se rendant coupables de graves violations des droits de l’homme.”
— M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’ONU
La nouvelle constitution précise que “les forces armées sont républicaines. Elles sont au service de la nation tout entière.” Selon le Professeur Mwayila Tshiyembe, un spécialiste congolais des affaires internationales et militaires, la notion que l’armée ne protège pas seulement le gouvernement, mais doit “défendre la démocratie” et “assurer la sécurité des personnes et des biens,” est l’idée la plus novatrice qui soit née des accords de paix.
Malheureusement, pendant la période de transition, les luttes entre factions ont mené celles-ci à exagérer le nombre de leurs troupes et à présenter des chiffres qui étaient souvent fictifs. Les contrôles effectués par des conseillers militaires sud-africains et européens ont par la suite éliminé 130 000 “soldats-fantômes” sur les 340 000 initialement portés aux tableaux d’effectifs. Quelque 75 000 soldats bien réels ont ensuite également été démobilisés.
Plus sérieux, il y a eu très peu de filtrage de ces nouvelles troupes. Elles comprenaient des chefs de factions soupçonnés de crimes de guerre dont les comportements antérieurs ont fait leur réapparition dans la nouvelle armée.
Une ‘intégration’ vacillante
La création de structures unifiées pour la nouvelle armée s’est révélée particulièrement difficile. En théorie, elle devait se composer de 18 nouvelles brigades “intégrées” dans lesquelles les troupes de différentes factions devaient être regroupées, recevoir un nouvel entraînement pour être ensuite déployées dans des zones éloignées de leurs régions d’origine. Ce processus, baptisé “brassage”, était destiné à rompre les anciennes hiérarchies de commandement et à inspirer la loyauté envers la nouvelle armée nationale.
Le Général Gabriel Amisi, Commandant-en-chef de l’armée de terre, a déclaré à ses troupes rassemblées en août 2008 qu’elles devaient accepter leur affectation à l’extérieur de leurs régions d’origine, “Il n’existe pas des soldats du Katanga ni de soldats du Kivu. Vous êtes tous des militaires des l’armée nationale”, a-t-il ajouté.
Mais certains ne partageaient pas ce point de vue, surtout dans l’est du pays. Le Général Laurent Nkunda, un protagoniste de la guerre civile, a d’abord intégré ses troupes dans l’armée nationale, mais a résisté à leur intégration totale ou à leur déploiement dans d’autres régions. Il a proclamé qu’elles devaient rester dans le Nord et le Sud Kivu afin de protéger son groupe ethnique. Les tensions se ravivant, les troupes loyales au Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) du Général Nkunda ont déserté leur brigade “intégrée” en 2006 et ont repris la lutte armée, y compris contre les forces gouvernementales.
Ayant ces incidents à l’esprit, le Général d’armée Babacar Gaye, Commandant des forces de la Mission de l’ONU en RDC (MONUC) expliquait en 2007 à Afrique Renouveau que la décision prise lors des pourparlers de paix de regrouper les différents groupes dans une armée unique “était vraiment une bonne idée ” pour mettre fin au conflit, “mais malheureusement cela n’a pas donné une bonne armée."
En octobre 2008, les heurts entre l’armée nationale et les troupes du CNDP du Général Nkunda ont dégénéré en graves confrontations. Certaines unités de l’armée congolaise se sont rapidement effritées, et seul un déploiement rapide des Casques bleus de la MONUC a empêché les combattants du Général Nkunda de prendre Goma, la capitale du Nord Kivu.
Le Général Nkunda a été arrêté à la fin janvier au Rwanda, arrestation qui a ouvert la voie à un cessez-le-feu. Le gouvernement a entrepris des négociations avec les forces restantes du CNDP afin de les intégrer dans l’armée. Le père Apollinaire Malumalu, un médiateur congolais bien connu, s’est félicité de cette intégration qui représente potentiellement un pas vers la paix, mais il a aussi souligné l’importance d’accorder la priorité à la protection des civils."
Le Secrétaire général de l’ONU en visite dans l’est du Congo début mars a aussi appelé à la vigilance. Il a averti que ceux qui sont accusés de viols ou de violences sexuelles dans les groupes armés ou dans les forces de sécurité “ne devraient pas être intégrés dans l’armée nationale ou dans la police nationale."
Pendant ce temps, les instructeurs de la MONUC et d’autres spécialistes ont accéléré la professionnalisation des brigades intégrées de l’armée et amélioré la discipline dans les rangs de la police nationale. Des centaines d’officiers ont été formés aux relations entre civils et militaires et à la lutte contre la violence sexuelle. Pour améliorer quelque peu l’image de l’armée, des centaines de soldats du génie ont été mobilisés sur des chantiers de reconstruction pour réparer des routes, des ponts et d’autres infrastructures essentielles.
Les violences exercées par les troupes gouvernementales pendant les combats au Kivu ont aussi été rapidement sanctionnées. Un certain nombre de soldats et d’officiers ont été jugés et condamnés par des cours martiales, quelques-uns à la prison à vie. Le procureur militaire de Goma a annoncé en décembre 2008 qu’environ 400 hommes étaient détenus et en instance de jugement. D’autres poursuites ont été engagées dans d’autres régions du pays, entre autres contre des officiers accusés de détournement de fonds.
Au cours d’un séminaire sur la réforme de la police et de l’armée tenu en janvier, le Ministre de la justice Luzolo Bambi Lessa a insisté sur la nécessité de renforcer la hiérarchie de commandement ainsi que les tribunaux militaires pour pouvoir “éradiquer rapidement les tares de la corruption, du détournement des fonds de l’Etat, des violences sexuelles et des violences exercées sur les populations civiles vulnérables.” La police nationale congolaise a adopté une déclaration d’intention qui l’engage à protéger les droits de l’homme et à sanctionner tout membre de la police coupable d’abus de pouvoir ou de violence.
Le Libéria : une armée réduite et professionnelle
Comme la RDC, le Libéria a souffert des années de dévastation dans une guerre qui a opposé entre elles de nombreuses factions armées. Comme au Congo, des négociations entre les parties au conflit ont abouti en 2003 à la mise en place d’un gouvernement de transition dans lequel la plupart des principaux groupes armés étaient représentés.
Mais une différence fondamentale existe : les accords de paix ne demandaient pas la fusion des groupes existants dans une armée nationale unique, mais plutôt la création de forces armées entièrement nouvelles. Les Etats-Unis ont été sollicités pour “jouer le rôle principal” dans la formation de la nouvelle armée, les Casques bleus de la Mission de l’ONU au Libéria (MINUL) se chargeant de la réorganisation et de la réforme de la police nationale.
La création de la nouvelle armée n’a commencé en réalité qu’en 2006, à la suite des élections démocratiques qui ont remplacé le gouvernement de transition et de coalition par celui dirigé par la Présidente Ellen Johnson-Sirleaf. A cette date, plus de 100 000 combattants des anciennes factions avaient été désarmés et démobilisés dans le cadre du programme dirigé par la MINUL. On prévoyait la démobilisation de plus de 14 000 autres militaires de l’ancienne armée nationale et du Ministère de la défense.
Les accords de paix stipulaient que les soldats de la nouvelle armée libérienne “pouvaient être sélectionnés parmi” les anciens groupes armés, mais sur une base individuelle et uniquement s’ils étaient qualifiés. Quand le recrutement a commencé en janvier 2006, plus de 12 000 Libériens se sont présentés — pour constituer une force limitée à juste 2 000 soldats.
Les critères de sélection ont été très rigoureux. Pour être retenus, les candidats ne devaient pas seulement être en bonne forme physique mais aussi avoir au moins 12 années de scolarité. Des commissions de sélection ont passé au crible toutes les candidatures, éliminant tous ceux qui avaient été impliqués dans des violations des droits de l’homme. Les recruteurs se sont déplacés jusqu’aux villages d’origine des candidats pour vérifier leurs informations et encourager la population à les renseigner sur leur passé. Finalement, trois quarts des candidats ont été refusés. D’autres n’ont pas dépassé le stade de l’entraînement de base.
Les recruteurs ont aussi cherché à obtenir un certain équilibre ethnique et géographique, par contraste avec les anciennes forces armées qui favorisaient souvent un groupe ou l’autre. Le gouvernement espérait que 20 % des nouvelles recrues seraient des femmes, mais n’a pas pu obtenir assez de candidates — le pourcentage de femmes est actuellement d’environ 5 %.
Transparence et contrôle local
Bien que de nombreux Libériens applaudissent l’idée de construire une armée professionnelle qui ne s’attaque pas à la population civile, certains aspects de l’initiative ont provoqué une controverse. Certains analystes en sécurité ont émis des doutes sur la décision de mettre sur pied une armée limitée à 2 000 soldats. Cela peut suffire à court terme pendant que la MINUL continue à assurer une sécurité minimale, mais qu’arrivera-t-il quand les Casques bleus partiront ? Cette force sera-t-elle à même de faire face à une nouvelle insurrection et suffira-t-elle à contrôler les frontières du Libéria, dans une région qui a connu de nombreuses guerres et de multiples conflits ?
Selon Thomas Jaye, chercheur principal à KAIPTC qui a préparé un document d’évaluation pour la Commission de réforme de la gouvernance du Libéria, “la décision de former 2 000 soldats pour l’armée a été influencée par l’aspect financier et non par une quelconque évaluation des menaces potentielles.” A l’ASDR, le Général Colman, parlant plus généralement des initiatives de réforme des systèmes de sécurité inspirées par les bailleurs de fonds, affirme : “Ils veulent la sécurité, mais seulement à bon marché."
La décision du gouvernement des Etats-Unis de sous-traiter la formation de la nouvelle armée à deux entreprises de sécurité américaines privées a aussi provoqué des critiques, en partie parce que les détails de ces contrats restent confidentiels. La Présidente Johnson-Sirleaf a déclaré devant des chercheurs de l’International Crisis Group, un laboratoire d’idées non gouvernemental de Bruxelles : “beaucoup d’argent a été dépensé. Nous ne savons pas sur quoi. Il n’y a tout simplement pas assez de transparence dans la manière dont cet argent est dépensé."
Certains dénoncent aussi l’absence de consultations publiques qui aideraient à connaître l’opinion des Libériens sur le type d’organes de sécurité qu’ils souhaiteraient. La Commission de réforme de la gouvernance qui conseille le gouvernement sur les grandes initiatives de réforme a exprimé des inquiétudes concernant “l’absence de participation de la société civile et de la législature nationale dans le processus de réforme du système de sécurité."
Amos Sawyer, l’ancien président par intérim qui dirige la commission, note que la formation technique, quelle que soit son efficacité, ne fera pas naître à elle seule le genre d’armée dont le Libéria a besoin. Il rappelle que “tous les groupes armés qui ont pillé le Libéria au cours des 25 dernières années” disposaient de troupes formées par des conseillers américains. Le vrai problème était politique. Pour assurer que la nouvelle armée et les autres institutions sont effectivement contrôlées par les autorités politiques et sont au service des intérêts de la nation, sa commission exige que les efforts de RSS aient un caractère plus national.
Elargir le débat
C’est une question qui se pose bien au-delà des frontières du Libéria. Les promoteurs de la réforme partagent généralement l’avis que de larges consultations nationales devraient contribuer à orienter celle-ci et à obtenir le soutien de la population pour ces programmes. Mais dans les conditions difficiles qui règnent habituellement après un conflit armé, quand les nouveaux gouvernements s’efforcent de reprendre les choses en main et de faire face aux nombreux défis économiques et sociaux de la reconstruction, les débats publics sur la réforme de l’armée et de la police ont été rares.
Les avocats de la RSS affirment que les responsables politiques et les militaires africains devraient accepter que le public ait un droit de regard sur les dispositifs de sécurité. Le Général Coleman de l’ASDR conseille également aux organisations de la société civile africaine de s’engager activement, “ la société civile a un rôle essentiel à jouer”, dit-il. Mais il ajoute que pour éviter de provoquer des ressentiments, ils doivent agir avec un peu de tact “sans se montrer trop exigeants envers le gouvernement et sans apparaître comme l’instrument d’une agence [de bailleurs de fonds] extérieure."
L’ONU, qui travaille à mieux coordonner son propre soutien aux efforts de RSS en Afrique et dans d’autres régions du monde, cherche à favoriser les consultations les plus larges. “Les modèles de RSS sont trop souvent imposés par des acteurs extérieurs”, explique le Secrétaire général adjoint Dmitry Titov, qui dirige le département des opérations de maintien de la paix au sein du Bureau de l’Etat de droit et des institutions chargées de la sécurité. “Ne devrions-nous pas nous concentrer sur les bénéficiaires ultimes de la RSS, c’est-à-dire la population, les sociétés et les gouvernements menacés par l’insécurité ? Est-ce que ça ne devrait pas être leurs ambitions et leur vision qui guident les efforts de RSS ?"
L’Afrique doit elle-même prendre l’initiative de manière plus audacieuse, insiste le Général Martin Agwai, un officier nigérian qui a servi comme Commandant-adjoint de la mission de maintien de la paix de l’ONU en Sierra Leone. “Les pays africains doivent s’imposer et accepter de saisir la torche de la responsabilité pour transformer leurs propres secteurs de la sécurité, soutenait-il en 2003. Les Africains doivent relancer ce processus eux-mêmes et l’aide du reste de la communauté internationale suivra.”