Agriculture : investissement impératif
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Agriculture : investissement impératif
Récolte de riz au Libéria. Le pays a signé un “accord CAADP” qui prévoit davantage d’investissements dans l’agriculture.
Dans les années 1990, lorsqu'on évoque la Sierra Leone il est plus souvent question de ses diamants et de la guerre civile qu'ils alimentent. Désormais cependant, les débats sur ce pays d'Afrique de l'Ouest qui a retrouvé la paix peuvent porter sur tout autre chose, sur son impressionante production agricole par exemple. En 2009, selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la Sierra Leone a produit 784 000 tonnes de riz, bien plus que les 550 000 tonnes nécessaires pour la consommation nationale et un tiers de plus que la moyenne des cinq années précédentes.
Pour Marie Kargbo, qui cultive du riz sur un domaine de six hectares dans le district de Kambia, dans le nord-ouest du pays, ses abondantes récoltes sont le résultat du soutien des pouvoirs publics. "Auparavant, la vie des exploitantes agricoles était très difficile," confiait-elle récemment à un reporter de l'agence de presse Inter Press Service. "Mais maintenant, la culture du riz est fructueuse. Nous avons reçu du gouvernement des semences, des motoculteurs, des engrais et des pesticides."
Certes le retour de la paix facilite la production. De même que les pluies, irrégulières mais suffisantes. Le facteur essentiel est peut-être cependant l'appui du gouvernement. En 2008, le Président Ernest Bai Koroma, élu l'année précédente, a déclaré que l'agriculture serait la seconde priorité de son administration en matière de développement (après l'énergie).
Le gouvernement a porté à 7,7 % la part de l'agriculture dans le budget de 2009 alors qu'elle était de 1,6 % en 2008. Le budget de 2010 l'a ensuite portée à 10 %, propulsant la Sierra Leone parmi les douze pays africains ayant atteint l'objectif continental fixé pour les dépenses agricoles. C'était en 2003, lors du sommet de Maputo au Mozambique. Ce sommet a également approuvé un plan détaillé pour l'agriculture africaine, connu sous le nom de Programme intégré pour le développement de l'agriculture en Afrique (CAADP). Ce dernier fait partie du Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), un programme de l'Union africaine (voir Afrique Renouveau, janvier 2004).
L'initiative agricole de la Sierra Leone a été directement inspirée par le CAADP. En septembre 2009, lorsque le gouvernement a signé un accord CAADP, le Président Koroma a déclaré: "C'est un important moment historique non seulement pour la Sierra Leone, mais pour l'ensemble de l'Afrique. Nous voyons dans le CAADP la pierre angulaire de nos efforts pour éliminer la pauvreté et la faim."
Éviter une crise alimentaire
Pour la Sierra Leone et le continent, l'heure est critique. Début février, la FAO indiquait que son indice des prix alimentaires avait augmenté pour le septième mois consécutif. Il avait atteint des niveaux jamais connus depuis son instauration en 1990 et avait dépassé les records établis au plus fort de la crise alimentaire mondiale de 2007–2008 (voir Afrique Renouveau, juillet 2008).
L'Afrique est particulièrement vulnérable à de telles augmentations de prix, note le Secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon dans un rapport paru en novembre 2010* sur les "aspects sociaux" du NEPAD. La plupart des pays africains ne produisant pas suffisamment pour nourrir leurs populations, le continent dépense environ 33 milliards de dollars chaque année en importations alimentaires, note le rapport.
Les pauvres, dont les dépenses alimentaires représentent une part disproportionnée de leur maigre revenu, sont les plus durement frappés. "La situation en matière de sécurité nutritionnelle et alimentaire demeure précaire sur une grande partie du continent africain", souligne M. Ban.
En Octobre 2010, lors d'une conférence des ministres africains de l'agriculture à Lilongwe, le Président Bingu wa Mutharika du Malawi, alors président en exercice de l'Union africaine, attirait l'attention sur les nombreuses implications de l'insécurité alimentaire. "Sans nourriture," a-t-il déclaré, "les enfants ne peuvent pas étudier convenablement. Sans nourriture, les travailleurs ne peuvent être productifs. Sans nourriture, il est impossible de maintenir en état les forces de police et de défense nationale…"
L'épine dorsale de l'économie
L'Afrique peut combattre l'insécurité alimentaire. Une augmentation des investissements, de meilleures politiques agricoles et des aides aux cultivateurs africains peuvent mener le continent vers une révolution agricole déclare Ibrahim Assane Mayaki, Administrateur général de l'Agence de planification et de coordination du NEPAD. "L'Afrique a le potentiel pour devenir un important producteur et pour assurer sa sécurité alimentaire."
Pour le CAADP, développer la production agricole est essentiel pour combattre la faim en Afrique. C'est également un choix avisé sur le plan économique. Dans presque tous les pays africains (y compris les pays producteurs de pétrole) l'agriculture est le principal secteur économique. Le volume des récoltes est souvent le moteur principal de la croissance économique. Le CAADP recommande que le secteur agricole enregistre une hausse de productivité annuelle d'au moins 6 %.
Pourtant, des décennies durant, l'agriculture africaine a été délibérément négligée. De nombreux gouvernements n'ont consacré à l'agriculture qu'un minuscule pourcentage de leur budget, pendant que les donateurs consacraient l'essentiel de leurs financements à d'autres secteurs.
Ces dernières années, les donateurs ont promis d'accroître leur financement. Lors du sommet du G8 (le Groupe des huit pays les plus industrialisés) de L'Aquila en Italie, leurs dirigeants se sont engagés à verser environ 22 milliards de dollars à titre d'aide internationale à l'agriculture, dont une bonne partie pour l'Afrique, dans les trois années à venir. Mais à cause de la crise financière de 2008, cette promesse demeure pour l'instant lettre morte, ou presque.
C'est pourquoi il est encore plus important que les gouvernements africains fassent leur part, soutient M. Mayaki. "Nous devons tous trouver le financement nécessaire. Il nous faut accroître le niveau de nos investissements dans l'agriculture en Afrique."
Un champ irrigué dans la région de Kilimandjaro en Tanzanie. Irrigation et infrastructures rurales sont deux clés de l'augmentation de la production et d'une gestion durable des terres.
"Pactes" agricoles
En 2007, les défenseurs du CAADP ont lancé une campagne visant à encourager les pays africains à adopter les objectifs fixés à Maputo. Depuis lors, selon une enquête de l'Union africaine et du NEPAD, huit pays africains (Comores, Ethiopie, Madagascar, Malawi, Mali, Niger, Sénégal et Zimbabwe) ont consacré au moins 10 % de leur budget à l'agriculture. Cette année là, le Rwanda est devenu le premier pays à signer un Pacte CAADP.
Au titre de ce pacte, les ministres des finances et de l'agriculture ont promis de porter de 4 % à plus de 10 % en l'espace de cinq ans la part des dépenses gouvernementales consacrées au développement agricole (cette part avait atteint 7 % en 2010). Les ministres, ainsi que les signataires du secteur privé et de la société civile, se sont aussi engagés à se laisser guider dans leurs activités par les quatre "piliers" thématiques du CAADP (augmenter la superficie des terres et les systèmes de distribution de l'eau bénéficiant d'une gestion viable à long terme, accroître l'offre alimentaire, améliorer l'infrastructure rurale et l'accès aux marchés, et promouvoir la recherche agricole).
Progressivement, d'autres pays africains ont aussi signé des pactes. La campagne s'est intensifiée en 2009, avec 12 signatures. Fin 2010, le nombre de signataires avait atteint 22, six autres devraient s'y ajouter d'ici avril 2011. En novembre 2009 la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest a signé le premier pacte régional.
Signer les pactes ne représente qu'une première étape. La majorité des gouvernements tiennent ensuite des consultations avec les organisations d'exploitants agricoles, les experts techniques, les chercheurs, les représentants des donateurs et des milieux d'affaires notamment pour élaborer des plans d'investissement détaillés.
Intrants et récoltes en abondance
Au-delà des enjeux budgétaires, le problème est de savoir si les fonds parviennent aux exploitants sur le terrain. Dans divers pays, l'expérience a montré que les intrants essentiels — engrais, semences à haut rendement et irrigation — peuvent contribuer de manière décisive à l'augmentation des récoltes. Les subventions gouvernementales rendent ces intrants accessibles aux exploitants pauvres, comme c'est le cas au Malawi (voir Գé).
En 2009, le Mozambique a distribué 7 300 boeufs dans le cadre d'un programme visant à étendre l'utilisation de la traction animale, mesure qui devrait permettre aux familles de cultiver au moins cinq hectares chacune, au lieu de la moyenne actuelle d'un hectare.
Lors de cette même année, l'Ouganda a connu sa meilleure récolte de maïs. "Nous avons distribué d'énormes quantités de semences de bonne qualité et à haut rendement", explique Opolot Okasai, Commissaire du gouvernement, responsable des intrants agricoles. En 2010, la distribution de semences s'est poursuivie et la récolte de maïs a été près de deux fois supérieure aux besoins nationaux. L'excédent a été exporté au Sud-Soudan et dans l'est de la République démocratique du Congo.
En Tanzanie, les semences hybrides et les engrais ont permis d'obtenir une récolte de riz excédentaire en 2010. La même année, les riziculteurs sénégalais, qui produisent en général autour de 150 000 tonnes par an, ont réussi à produire 350 000 tonnes, soit environ la moitié de la consommation nationale. En plus des semences et des engrais, un programme d'irrigation agricole bien financé s'est avéré décisif.
Il faut veiller en particulier à ce que cette assistance atteigne les exploitantes, soulignent les experts. Si les services agricoles ont pour rôle de fournir des semences de qualité, des engrais à des prix abordables, une assistance à la commercialisation ou un accès facilité au crédit, ils "doivent apporter l'appui nécessaire aux exploitantes, qui produisent la majeure partie des vivres en Afrique", déclare Namanga Ngongi, président de l'Alliance pour une révolution verte en Afrique, initiative non gouvernementale de développement rural lancée par l'ancien Secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan.
Plus généralement, les groupes d'exploitants doivent être mieux impliqués dans l'élaboration des politiques et programmes agricoles, précisait M. Mayaki, directeur du NEPAD, lors du premier Forum panafricain des exploitants agricoles, qui s'est tenu au Malawi en octobre 2010. Parmi les participants, on comptait des représentants de syndicats nationaux d'exploitants et de cinq organisations régionales d'exploitants. "Les exploitants", a déclaré M. Mayaki, "ont un important rôle à jouer dans la une bonne application des principes fondamentaux du NEPAD : transparence, responsabilisation et prise en main au niveau local."
Au Malawi, un exemple de succès
La plupart des exploitants africains n'ont pas les moyens d'acheter les intrants agricoles essentiels. Au Malawi, depuis 2005, des subventions gouvernementales leur permettent d'acquérir engrais et semences de maïs à haut rendement à des prix réduits (voir Afrique Renouveau, octobre 2008).
Face au scepticisme de la Banque mondiale et d'autres donateurs, le Président Mutharika a persisté. Les récoltes de maïs se sont prodigieusement accrues. Le Malawi, autrefois victime de pénuries alimentaires produit désormais bien plus de maïs qu'il n'en consomme. Il fournit même une aide alimentaire à d'autres pays africains.
Ce changement a fait grimper les revenus des population rurales. En 2009, le Ministère malawite des finances estimait qu'au cours des quatre dernières années la proportion de personnes vivant au dessous du seuil de pauvreté était tombée de 52 % à 40 %.
D'autres pays africains ont suivi l'exemple du Malawi et subventionné à leur tour les intrants destinés aux petits exploitants. Devenu président de l'Union Africain en 2010, le Président Mutharika a exhorté les gouvernements africains à augmenter leurs budgets agricoles et à fournir davantage d'intrants agricoles. Une réunion des ministres africains des finances, de la planification économique et du développement, tenue en mars 2010 à Lilongwe (Malawi), a recommandé que les gouvernements subventionnent les petits exploitants et stabilisent les marchés pour ceux qui produisent des excédents.