Changement climatique : lueur d'espoir à Cancun
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Changement climatique : lueur d'espoir à Cancun
Les milliers de ministres, scientifiques et militants qui ont convergé début décembre vers la station balnéaire de Cancun, au Mexique, pour un nouveau cycle de négociations sur les changements climatiques nourrissaient peu d'illusions. En 2009 à Copenhague, pays développés et en développement n'avaient pas surmonté leurs divergences. Et tout semblait indiquer qu'ils ne feraient pas mieux à Cancun. À la surprise générale pourtant, certains accords ont été conclus.
De plus, à l'opposé de ce qui s'était passé à Copenhague, le phénomène du réchauffement planétaire n'a plus fait l'objet de contestations à Cancun. Il est vrai que l'actualité récente s'était chargée de mettre tout le monde d'accord. De la canicule et des feux de forêts en Russie à la sécheresse en Australie, en passant par les inondations au Pakistan et les chutes de neige dans le sud des États-Unis, l'ampleur des changements climatiques était irréfutable.
Les délégués africains, quant à eux, sont arrivés au Mexique avec des positions communes sur certaines questions clés. Ils demandaient, entre autres:
- Que les pays développés réduisent de 45%, par rapport aux niveaux de 1990, leurs taux de pollution industrielle;
- Que soit constitué un fonds d'aide de plusieurs milliards de dollars permettant aux pays pauvres de s'adapter aux changements climatiques;
- Que l'accès aux nouvelles technologies et autres formes d'assistance susceptibles d'accélérer la croissance écologique de l'économie soit facilité, et;
- Que soit réaffirmé le principe de la poursuite des négociations climatiques mondiales sous l'égide des Nations Unies au-delà de l'expiration en 2012 du traité actuel (Protocole de Kyoto) sur la réduction d'émissions de gaz à effet de serre.
"Une question de vie ou de mort"
Pour Monyane Moleleki, ministre des ressources naturelles du Lesotho, la lutte contre les changements climatiques demeure "une question de vie ou de mort "pour les pays pauvres. S'adressant à la conférence au nom des 48 pays les moins avancés (PMA), dont 33 africains, il a évoqué ce que les changements climatiques signifient pour ces pays : montée des niveaux des mers, accélération de la dégradation des terres, réduction de la fertilité des sols, sécheresse et perte de la biodiversité… Les plus pauvres sont "les plus vulnérables, leurs capacités d'adaptation étant les moins développées".
M. Moleleki a demandé que les pourparlers climatiques accordent la même importance à la question de l'adaptation qu'à celle des réductions d'émissions, et que les pays industrialisés honorent les engagements pris en 2009 de financer les programmes de changements climatiques dans les pays en développement. Cette demande est vite devenue le leitmotiv des négociateurs africains à Cancun.
Résumant l'état d'esprit général, le patron de l'ONU Ban Ki-moon a regretté "les attentes non satisfaites" à Copenhague, ajoutant que "des progrès tangibles sont réalisables ici à Cancun".
Succès étonnant
Le 11 décembre, à la fin des débats, les négociateurs africains et les représentants de la société civile ne cachaient pas leur surprise face au consensus atteint sur certains points essentiels. Pour la Commission économique de l'ONU pour l'Afrique, qui a apporté un soutien décisif aux négociateurs du continent à Cancun, le résultat le plus marquant a été l'accord sur la constitution d'un Fonds pour le climat chargé de financer l'adaptation et le développement écologique des pays pauvres. Les pays africains notamment proposaient depuis longtemps la création d'un tel mécanisme, censé disposer de 100 milliards de dollars par an d'ici à 2020. L'argent proviendrait de prélèvements sur les émissions de carbone et les voyages en avion, ainsi que de sources "prévisibles et fiables" de financement en provenance du Nord industrialisé. Les délégués africains ont par ailleurs accueilli avec satisfaction un accord de principe sur l'allocation de subventions destinées à encourager les pays à sauvegarder leurs forêts.
La conférence de Cancun a écarté la proposition de certains pays (dont le Japon, les États-Unis et la Russie) visant à passer à un système de réduction volontaire des émissions après l'expiration du Protocole de Kyoto.
Les négociateurs sont même parvenus à sortir d'une d'impasse, en acceptant d'inclure les émissions de gaz des pays en développement dans les accords à venir sur les réductions d'émissions.
Le Protocole de Kyoto prévoit en effet que seuls les pays industrialisés réduisent leurs émissions; bien que la Chine, l'Inde et autres pays en développement soient eux aussi d'importantes sources d'émissions de carbone. Les pays en développement avaient résisté dans le passé à l'imposition de réductions de leurs émissions. La mise au point d'une formule acceptable pour tous dans ce domaine devra toutefois faire l'objet de prochaines négociations.
Scepticisme sur le financement
Le Fonds vert promis verra-t-il le jour ? Certains observateurs ont souligné l'absence de modalités de financement et les annonces de contributions faites à l'occasion des conférences internationales médiatisées ne sont pas toujours suivies d'effet. À la veille de la conférence, le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi, porte-parole en chef de l'Union africaine (UA) sur les changements climatiques, rappelait aux dirigeants des pays développés que le financement des mesures climatiques "n'est pas une aide … ni un acte d'assistance … C'est le prix qu'ils doivent payer pour leurs … émissions, dont nous, en Afrique, subissons les conséquences depuis trop longtemps".
S'exprimant devant des journalistes, Tosi Mpanu-Mpanu, chef des négociateurs africains à Cancun, estimait qu'après la décision de certains donateurs, au lendemain de la conférence de Copenhague, de considérer le financement des mesures d'adaptation climatiques comme faisant partie de l'aide au développement, "il nous reste maintenant à régler les aspects relatifs à la transparence sur les annonces de contributions".
Certains pays africains ont également exprimé leurs réserves sur les modalités de prise de décisions, faisant remarquer que le Conseil d'administration du Fonds serait composé d'un nombre égal de représentants des pays développés et en développement et présidé par la Banque mondiale, où l'Afrique n'a qu'une influence limitée.
Mi-décembre, Edward Kofi Omane Boamah, ministre adjoint de l'environnement du Ghana, annonçait que l'UA constituerait son propre Fonds africain pour le climat. "Nous souhaitons que la contribution financière de l'Afrique [au Fonds pour le climat, ndlr] passe par cet intermédiaire", a-t-il dit, affirmant que l'Afrique entend exercer une meilleure maîtrise des ressources consacrées aux changements climatiques. Puisque l'Afrique produit moins de 4% des gaz polluants, a-t-il ajouté, "nous souhaitons que 60% au moins des fonds soient alloués au financement des mesures d'adaptation", afin d'aider l'Afrique à faire face aux inondations, aux sécheresses et autres conséquences des changements climatiques.
La conférence de Durban sera décisive
Un accord sur les réductions d'émissions de gaz polluants n'a pu être finalisé à Cancun. Les pays africains, qui risquent d'être les plus touchés par les changements climatiques, ont demandé les réductions les plus drastiques afin d'en atténuer les conséquences. De nombreux pays industrialisés s'y sont opposés, rétorquant que des réductions trop importantes et trop rapides coûtent trop cher et compromettent le développement économique de la planète.
D'autres experts estiment que la croissance des pays en développement accompagnée de taux de pollution gérables est conditionnée par la volonté des pays développés de procéder à des réductions d'émissions encore plus importantes que celles envisagées à l'heure actuelle. La question est cependant de savoir de combien il faudrait réduire, à quel prix et qui doit le faire. Depuis des années, cette question freine la lutte contre les changements climatiques. Les débats sur cette question épineuse et le détail des accords de Cancun constitueront l'ordre du jour de la prochaine grande réunion de Durban en Afrique du Sud, à la fin de 2011.
Rien ne dit que ces divergences seront aplanies en dépit de leur caractère urgent, d'autant que la plupart des pays du Nord traversent une grave crise économique. Pour sa part, le Secrétaire général de l'ONU maintient qu'il est possible et nécessaire d'en faire plus. "Je suis profondément préoccupé par le fait que les efforts déployés à ce jour n'ont pas été suffisants, a-t-il déclaré aux délégués. Malgré toutes les preuves fournies et les nombreuses années de négociations, nous ne sommes toujours pas à la hauteur ... Il nous faut obtenir des résultats pour pouvoir contenir les émissions … dans le monde, renforcer nos capacités d'adaptation et édifier un avenir plus prospère à long terme … Plus nous tergiversons, plus le prix à payer sera élevé, sur le plan économique, écologique et humain". "Il y a du pain sur la planche," conclut Alf Wills, le principal négociateur sud-africain.