Économie : au Ghana, retour vers le futur
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Économie : au Ghana, retour vers le futur
En mars 1957, lorsque les cloches des églises d'Accra annoncent la naissance du Ghana moderne, l'heure est à l'optimisme. Victor Adams vivait à l'époque à Shiashi, un faubourg de la capitale. Shiashi n'avait alors ni électricité, ni routes, ni canalisation. "Il n'y avait que huit maisons en terre cuite dans tout le village", se rappelle M. Adams.
"Cette partie du village était remplie de broussailles et nous cultivions cette terre", dit-il en pointant du doigt ce qui est désormais un des quartiers résidentiels les plus cossus d'Accra. Selon M. Adams, responsable de la propriété familiale, aujourd'hui, un terrain d'une surface de 100 mètres sur 80 peut rapporter l'équivalent de 65 000 dollars US. Les prix augmentent sans cesse, poussés par l'expansion exponentielle de la capitale du pays.
Depuis l'indépendance, Shiashi et ses environs ont été transformés. Mais les signes de sous-développement abondent : installations sanitaires insuffisantes, routes non goudronnées et habitations médiocres. D'une certaine façon, l'histoire de Shiashi reflète le développement économique et social irrégulier du Ghana à travers les années. Selon M. Adams, qui était élève au secondaire au temps de l'indépendance, "notre pays aurait pu faire mieux". Ce sentiment est partagé par de nombreux Ghanéens.
Les premières décennies
Au moment de l'indépendance, le Ghana était doté d'un système d'éducation relativement performant. Ses ressources en devises étrangères s'élevaient à environ 481 millions de dollars US et son produit intérieur brut (PIB) était à égalité avec celui de la Malaisie et de la Corée du Sud. Il pouvait se permettre d'offrir une aide à certains de ses voisins.
Mais comme dans d'autres pays africains après l'indépendance, les décennies suivantes ont été marquées par l'instabilité politique et une économie en ruine. D'après Ishac Diwan, le directeur de pays de la Banque mondiale au Ghana, la question du déclin du Ghana "est complexe".
Le premier Président du Ghana, Kwame Nkrumah, a poursuivi une stratégie de croissance économique dirigée par l'État. Beaucoup de ses grands projets ont échoué après la chute des prix du cacao, le revenu principal en devises étrangères. Certaines compagnies nationales ont apporté aux Ghanéens des avantages sociaux. Mais celles-ci ont été coûteuses du point de vue économique, remarque Joe Abbey, le chef d'un groupe de réflexion indépendant, le Center for Policy Analysis. "En réalité, beaucoup d'entre elles étaient déficitaires."
Plus tard, dans les années 80, une grande partie du secteur manufacturier du pays, y compris l'industrie de l'habillement, s'est effondrée à la suite de l'adoption par le Ghana des programmes d'ajustement structurel appuyés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.
Sur le front politique, le renversement de Nkrumah en 1966 a déclenché une série de coups d'Etat et l'instabilité politique. Aucun dirigeant élu n'est allé au bout de son mandat. Ceci n'a changé que lorsque le capitaine d'aviation Jerry Rawlings a transformé son gouvernement militaire pour devenir un président élu en 1992. Son transfert du pouvoir en 2000 à une opposition élue démocratiquement a marqué le début d'un changement de destin politique pour le Ghana. Selon M. Abbey, personne ne peut nier la contribution du Président Rawlings au retour à une gouvernance démocratique.
Tourner la page
Durant la dernière décennie, le Ghana a connu de forts taux de croissance économique, passant de 5,4% au début de la décennie à 6,3% en 2008. Si le taux de croissance est maintenu entre 6 et 8%, comme l'espèrent certains, le Ghana pourrait atteindre le statut de pays à revenu intermédiaire en 2015.
Selon un rapport récent de la Banque mondiale sur le Ghana, la croissance économique et l'élargissement de la fiscalité ont également permis des progrès substantiels par rapport aux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Le Ghana est sur la bonne voie pour atteindre les objectifs relatifs à la scolarisation et à l'accès à l'eau.
"Je pense que le Ghana est un bon exemple de ce qui peut être accompli dans la stabilité et l'ouverture, déclare M. Diwan. On voit une agriculture basée sur la production à petite échelle augmenter de 5% chaque année. On voit l'arrivée des services. Et on aperçoit un secteur financier plus compétitif."
L'énergie est cruciale
L'économie n'est pourtant que peu diversifiée. Pendant un siècle, le cacao en fut le support principal. Environ trois quarts des revenus des exportations reposent sur une agriculture manuelle, à petite échelle et alimentée par la pluie. Il y a de 30 à 35% de pertes après récolte. Le gouvernement s'est engagé dans une politique de cultures mécanisées à large échelle, spécialement dans la production du riz, mais ceci demande des investissements considérables.
L'industrie se débat contre le coût élevé des fournitures, les taux d'intérêt forts et les infrastructures inadéquates. Pourtant, le Ghana dépense environ 1,1 milliard de dollars, soit 10% de son PIB, en infrastructures, selon le rapport Africa Infrastructure Country Diagnostic Report, publié en mars 2010 par un consortium de donateurs et d'institutions africaines. D'après ce rapport, le défi le plus pressant est peut-être l'approvisionnement en énergie. Le Ghana doit compter sur son barrage hydroélectrique d'Akosombo, qui dépend des pluies pour ses besoins d'électricité, mais les autorités envisagent un développement de centrales électriques à gaz, compte tenu de l'émergence de son secteur de pétrole et de gaz.
La faiblesse des institutions de la zone de l'Afrique occidentale est aussi un obstacle, déclare M. Abbey. M. Diwan partage son avis. "L'ouverture des barrières dans la zone entière de l'Afrique occidentale est vitale pour l'émancipation des marchés locaux", dit-il.
Le pétrole à l'horizon
Des découvertes récentes de pétrole ont ravivé l'espoir d'une percée économique. Le pétrole, dit M. Abbey, pourrait briser "les chaines qui paralysent le Ghana et son industrie, et nous empêchent d'être compétitifs".
En même temps que ces signes d'opportunités, il y a aussi des risques. M. Abbey dénote le phénomène fréquent de la "malédiction des ressources" qui fait qu'une gestion défaillante du pétrole, des diamants ou autres ressources naturelles peut ruiner l'économie et favoriser la corruption. La production du pétrole, ajoute M. Diwan, "doit être abordée avec prudence," car son impact social peut être immense.
Le gouvernement se dit déterminé à réussir. Avec le soutien de donateurs, il révise les règlements qui codifient l'exploration et la production pétrolières, la participation locale et la gestion des revenus. En outre, ces dernières années ont vu l'émergence d'une société civile forte et dynamique qui demande la transparence et la responsabilité.
Il y a de bonnes raisons d'être optimiste. "Le mouvement vers le progrès est très fort," dit M. Diwan. "Nous pouvons compter sur une population bien formée, un secteur privé important et un gouvernement bien organisé." Dans la gestion de son pétrole, pense-t-il, le Ghana réussira là où d'autres pays africains ont échoué.