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Fin de parcours pour le Tribunal spécial pour la Sierra Léone

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Fin de parcours pour le Tribunal spécial pour la Sierra Léone

Lansana Gberie
Afrique Renouveau: 
Photo: TSSL (Tribunal Spécial pour la Sierra Leone)
Tribunal spécial pour la Sierra Leone.  Photo: TSSL (Tribunal Spécial pour la Sierra Leone)

Le 26 septembre 2013, le Tribunal spécial pour la Sierre Leone a pris sa dernière décision majeure. Sa chambre d’appel a confirmé la peine de 50 ans de prison infligée à l’ex-président libérien Charles Taylor. En avril 2012, le tribunal avait retenu cinq chefs d’accusation de crimes contre l’humanité contre Charles Taylor, cinq chefs d’accusation de crimes de guerre et un chef d’accusation d’autres violations graves du droit humanitaire international perpétrés par le Front révolutionnaire uni (RUF) de Sierra Leone.

Jugé à la Haye, il a été condamné pour son rôle joué dans les massacres, viols et actes de terrorisme commis sur les civils en Sierra Leone durant la guerre civile (1991-2002). Il a également été reconnu coupable de l’enrôlement d’enfants soldats. Selon le jugement de 2 493 pages, Charles Taylor était le principal bailleur de fonds du RUF et était informé des atrocités perpétrées par les rebelles.

L’ancien président a été transféré dans une prison anglaise pour y purger sa peine. Charles. Âgé de 65 ans, il devrait passer 43 années en prison et ne peut bénéficier d’une mise en liberté conditionnelle qu’après avoir purgé les deux tiers de sa peine.

Après l’amiral allemand Karl Doenitz (condamné par le tribunal de Nuremberg après la Seconde Guerre Mondiale), M. Taylor est le premier chef d’État condamné par un tribunal international pour crimes de guerre et contre l’humanité.

Parmi les autres réalisations importantes du tribunal, on peut citer les toutes premières condamnations pour des attaques contre les soldats de maintien de la paix de l’ONU et celles pour mariage forcé en tant que crime contre l’humanité, ainsi que pour l’enrôlement d’enfants dans les groupes armés. Ces décisions témoignent de la détermination des procureurs et des juges du tribunal, mais également de la nature multiforme du mandat de la Cour. Au départ, certains fondateurs du tribunal craignaient l’imprécision des compétences de la juridiction. Tous ont été mécontents qu’il ait duré trois fois plus de temps et coûté plus élevé qu’initialement prévu.

En décembre, le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a salué le l’héritage impressionnant du tribunal et le rôle qu’il à joué dans la quête universelle de justice. Toutefois, bon nombre de Sierra Leonais considèrent le tribunal comme la conséquence, et non la cause de la paix et de la stabilité du pays.

Argent et contrôle

Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone a vu le jour suite à un accord entre les Nations Unies et le gouvernement sierra leonais le 16 janvier 2002. Doté d’un budget initial de 75 millions de dollars et prévu pour durer seulement trois ans, le tribunal a finalement fermé ses portes en décembre 2013 après avoir dépensé 300 millions de dollars.

Pour Ahmad T. Kabbah, ancien président de la Sierra Leone, le tribunal aura été un symbole de la primauté du droit international, en particulier à une époque où certains acteurs étatiques et non étatiques manifestent de plus en plus de mépris pour les principes de celui-ci, même s’il avoue dans ses mémoires avoir été « surpris et bouleversé » par certaines pratiques de l’institution.

Avec la nomination de David Crane, un avocat dynamique venu du département de la Défense américain, au poste de procureur, toute rumeur qui attribuait à Ahmed T. Kabbah le moindre contrôle sur le tribunal disparut. Selon David Scheffer, ambassadeur américain pour les crimes de guerre du président Bill Clinton, les États-Unis et la Grande-Bretagne étaient les principaux soutiens de la Cour. M. Scheffer, avait décidé que le tribunal serait sui generis, c’est-à-dire très différent des autres. Il devait être exclusivement limité au contexte sierra leonais. Le tribunal ne devait donc pas prétendre à d’autres ambitions.

Des efforts particuliers ont été mis en œuvre pour présenter le Tribunal spécial comme une institution soutenue par l’ONU afin de la distinguer de la Cour pénale internationale (CPI) et des tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. Il n’a pas reçu le statut de l’article 7 du Statut de Rome portant création de la CPI qui aurait rendu son financement et le respect de ses décisions obligatoires en tant qu’instrument du Conseil de sécurité des Nations Unies. Son financement devait provenir des apports volontaires des États membres, ce qui signifie que les pays ayant le plus d’intérêts géopolitiques dans la sous-région, les États-Unis et la Grande-Bretagne, en seraient les principaux bailleurs de fonds. Le tribunal devait être assujetti à un comité de gestion composé de ces pays ainsi que du Nigeria, principal pourvoyeur de soldats pour le maintien de la paix en Sierra Leone, qui y détenait d’importants intérêts. Les statuts de la Cour écartaient toutes possibilités de poursuites contre les troupes de maintien de la paix, au grand soulagement du Nigeria.

La participation de la Sierra Leone se limitait à une disposition des statuts du tribunal qui donnait au gouvernement le droit de nommer un vice-procureur et deux des six juges de la Cour. Cependant, ces statuts accordaient au Tribunal spécial « la primauté sur les tribunaux nationaux. »

Les critiques n’ont pas tardé pour remarquer qu’un juge du tribunal —payé 240 000 dollars non imposables par an en plus d’indemnités énormes— touchait un salaire bien supérieur à celui du président de la Sierra Leone. Le budget annuel du bureau du procureur, avec ses plus de 4 millions de dollars, est au-dessus de celui de la Cour suprême du pays. Avec un personnel permanent composé de 422 personnes, dont de nombreux expatriés, près de 70 % du budget total était consacré aux salaires et aux primes.

S’exprimant sur ce déséquilibre embarrassant, Stephen Rapp, ancien procureur en chef du tribunal, a déclaré lors d’un entretien accordé au magasine Time en 2009, peu de temps après son départ de la juridiction pour intégrer l’administration du président américain Barack Obama, qu’ils « menaient des plaidoiries dans une salle d’audience confortable avec des procès longs et des avocats bien payés. Chaque prisonnier avait sa cellule, pourtant ils avaient commis les pires crimes . Dans la prison locale non loin de là, on manquait presque de tout. [Si je devais] recommencer, je mettrais en place un tribunal intégré dans le système judiciaire national... et non pas un tribunal de 30 millions de dollars par an. »

« Principaux responsables »

Ralph Zacklin, l’avocat des Nations Unies qui a négocié la création du tribunal avec le gouvernement de la Sierra Leone, a élaboré la notion de « principaux responsables » des crimes de guerre pour en faire l’objectif des efforts de poursuites du tribunal. Ces « principaux responsables » étaient les
« dirigeants politiques ou militaires » et « autres personnes impliquées dans la chaîne de commandement... en tenant compte de la gravité ou de l’échelle de leurs crimes. »

Certes la guerre en Sierra Leone a débuté en 1991, mais le tribunal a décidé que les poursuites ne concerneraient que les crimes commis après la signature du premier accord de paix (non respecté), l’Accord d’Abidjan de novembre 1996. Le 7 mars 2003, David Crane a annoncé la première vague de mises en accusation, adressées contre des membres du RUF, de l’armée sierra leonaise et des Forces de défense civile (CDF). Ces dernières combattaient les rebelles du RUF. Au total, le tribunal a inculpé quatorze personnes, dont deux —le leader du RUF Foday Sankoh et son ancien commandant Sam Bockarie— décédés avant le début de leur procès. Un troisième, Hinga Norman, chef putatif du CDF et ministre du gouvernement du président Ahmed T. Kabbah, est mort pendant son procès.

L’inculpation d’individus issus de tous les groupes armés visait à susciter un sentiment d’équité. Mais cela a surpris de nombreux Sierra léonais qui considéraient les CDF comme une milice civile héroïque qui s’est battue pour protéger les civils et contribuer au rétablissement du régime de A. T. Kabbah renversé en 1997.

Les procédures du tribunal ainsi que ses jugements ont permis de mettre à l’essai un nouveau concept juridique : l’« entreprise criminelle commune » ou ECC. Utilisé pour la première fois par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (1991-1999), il considère que chaque membre d’un groupe organisé est individuellement responsable des crimes commis par celui-ci dans le cadre d’un « plan ou objectif commun ». C’est un moyen ingénieux d’ôter toute légitimité aux chefs de groupes violents, mais les critiques pensent qu’il peut facilement se traduire en culpabilité par association. En fin de compte, le tribunal a réussi à juger coupables toutes les personnes poursuivies- unaccomplissement tout à
fait remarquable !

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Lors de la cérémonie officielle de fermeture du tribunal, Miguel de Serpa Soares, Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques et Conseiller juridique de l’ONU, a salué ce travail extraordinaire le qualifiant « d’avancée majeure, non seulement pour le Tribunal spécial, mais également pour le droit pénal international en général. » Toutefois, malgré l’importance de la condamnation de Charles Taylor et des autres accusés, on ignore encore l’impact qu’elle aura sur les autres puissants hommes politiques dans la région.

L’ex-président libérien a été jugé pour une guerre à l’étranger, et non pour des crimes commis dans son propre pays. La guerre civile au Libéria a fait bien plus de morts (environ 200 000) que celle de la Sierra Leone (75 000), mais personne n’a été poursuivi pour les atrocités perpétrées au Libéria dont les détails sont consignés dans un rapport de la Commission vérité et réconciliation de 2009. Mais un argument de poids milite en faveur du Tribunal spécial : personne n’est au-dessus de la loi. 

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