Les mégapoles, ces villes d’au moins 10 millions d’habitants, prolifèrent partout en Afrique. Le Caire en Égypte, Kinshasa en République Démocratique du Congo et Lagos au Nigeria sont déjà des mégalopoles, tandis que Luanda en Angola, Dar es Salaam en Tanzanie et Johannesbourg en Afrique du Sud atteindront ce statut, d’ici 2030.
Abidjan en Côte d’Ivoire et Nairobi au Kenya dépasseront le seuil des 10 millions d’habitants d’ici 2040, puis d’ici 2050 ce sera le tourÌý de Ouagadougou au Burkina Faso, Addis-Abeba en Ethiopie, Bamako au Mali, Dakar au Sénégal et Ibadan et Kano au Nigeria, portant à 14 le nombre total de mégalopoles en Afrique dans une trentaine d’années.
Selon la Banque mondiale, le nombre de personnes dans les zones urbaines en Afrique doublera pour atteindre plus d’un milliard d’ici 2042.
Le Global Cities Institute de l’université de Toronto, qui surveille la croissance démographique et le développement socioéconomique des villes du monde entier, prévoit que Lagos sera la plus grande ville du monde d’ici 2100, avec 88 millions d’habitants, contre 21 millions actuellement.
Dans un document de 2016 intitulé African Urban Futures, publié par Institute for Security Studies, un organisme de recherche indépendant qui vise à renforcer la sécurité humaine sur le continent, les chercheuses Julia Bello-Schünemann et Ciara Aucoin ont écrit : « La vitesse actuelle de l’urbanisation de l’Afrique est sans précédent dans l’histoire. » Les villes africaines « façonneront de plus en plus la vie des personnes qui y vivent ».
La transition démographique provoquée par la « poussée de la jeunesse » âgée de 15 à 29 ans, continuera d’alimenter la migration vers les grandes villes car « les jeunes sont généralement plus enclins à migrer vers les zones urbaines » que les personnes âgées, selon Mme Bello-Schünemann et Mme Aucoin.
Alors que des millions d’Africains ruraux se déplacent vers ces métropoles en quête d’emplois bien rémunérés et d’une meilleure qualité de vie, les investisseurs étrangers et nationaux les voient comme une opportunité.
Le pouvoir de la population
Lagos est un excellent exemple de la puissance économique des mégalopoles. De son pôle technologique - le plus important d’Afrique - à son secteur bancaire en passant par son industrie cinématographique, les investisseurs en capital-risque y voient de nombreuses opportunités.
Selon un rapport de l’Association GSM, l’organisme professionnel de télécommunications, il existe 31 centres technologiques à Lagos, 29 au Cap et 25 à Nairobi. La valeur des espaces technologiques innovants pour les économies africaines est énorme, car les investisseurs injectent des capitaux dans les start-ups et contribuent ainsi au PIB des pays.
En 2017 le Gouverneur sortant de Lagos, Akinwunmi Ambode, a annoncé que le PIB de l’État avait atteint 136 milliards de dollars, soit environ le tiers du PIB du Nigeria (376 milliards de dollars) et plus que les PIB combinés du Ghana (47 milliards) et de la Tanzanie (52 milliards).
Steve Cashin, fondateur et PDG de la société de capital-investissement Pan African Capital Group, estime que les investisseurs se concentrent sur les mégalopoles africaines en raison de la taille du marché.
« Mon entreprise fait beaucoup d’affaires au Libéria, et l’un des principaux obstacles à la croissance des entreprises et à l’attraction des investissements est la taille et la densité de la population. Lorsque la population totale du pays est d’environ 4 millions d’habitants, et qu’il est probable que vous ne parviendrez qu’à atteindre une fraction de cette population, il est difficile de faire une analyse de rentabilisation crédible », affirme M. Cashin.
Un seul district de Lagos peut représenter un marché de la taille d’un pays comme le Botswana. La concentration de la population permet aux entreprises de bénéficier de coûts fixes moins élevés et d’une distribution plus facile. « L’économie est tout simplement plus attrayante », ajoute-t-il.
Des infrastructures saturées
Les villes très peuplées ont à la fois des aspects positifs et négatifs. L’urbanisation rapide soumet à rude épreuve des infrastructures déjà saturées.
Par exemple, la population de Kinshasa devrait augmenter de 61 personnes par heure jusqu’en 2030.
Mme Bello-Schünemann et Mme Aucoin expliquent : « La plupart des citadins vivent dans des quartiers informels ou des bidonvilles, n’ont pas accès aux services de base, sont confrontés à des conditions d’emploi précaires et sont exposés à diverses formes de violence urbaine. »
« Les changements climatiques et environnementaux mondiaux, ainsi que les pressions exercées par les insécurités hydrique, alimentaire et énergétique, aggravent les défis du développement humain et les complexités de la gouvernance urbaine contemporaine, » ajoutent-elles.
Environ 75 % des logements de Kinshasa se trouvent dans des bidonvilles, et Lagos en compte des dizaines : des endroits comme Somolu, Bariga et le bidonville flottant de Makoko. Si la croissance de l’infrastructure ne parvient pas à suivre le rythme de la croissance démographique, d’autres bidonvilles se développeront, préviennent les experts.
Pour surmonter ces problèmes, les villes à ont besoin d’un développement global des infrastructures, conseille M. Cashin. « L’importance d’une planification urbaine réfléchie ne peut être sous-estimée, non seulement pour l’efficacité et la productivité de ces villes, mais aussi pour la sécurité de leurs habitants. »
Il ajoute qu’une « bonne planification urbaine exige un investissement initial important » et que « les collectivités locales doivent exploiter le potentiel de ces villes en pleine croissance en développant l’économie formelle. »
ɳ¦´Ç²Ô´Ç³¾¾±±ðs informelles
Les activités économiques informelles - non réglementées et non taxées - représentent jusqu’à 41 % du PIB et fournissent 85,5 % de l’emploi total, rapporte l’Organisation Internationale du Travail.
Sans perception d’impôts suffisants, les autorités municipales ne peuvent pas financer les infrastructures essentielles telles que les routes, les hôpitaux et l’électricité.
Certaines administrations locales dépendent des investissements directs étrangers (IDE) ou optent pour le système BOT - construction, exploitation, transfert - dans lequel les investisseurs financent un projet et se rémunèrent par son exploitation, par exemple en percevant des péages.
L’État des villes africaines 2018, un rapport de l’ONU, indique que Johannesbourg, Lagos et Nairobi sont les principales attractions de l’IDE en Afrique subsaharienne.
Les investisseurs accompagnent souvent le financement d’un savoir-faire technologique. Par exemple, les projets de villes intelligentes en Afrique du Sud, comme Melrose Arch à Johannesbourg, exigent une rare diversité de talents. Les investisseurs étrangers ayant une expertise dans ce domaine peuvent s’appuyer sur leur propre expérience et leurs contacts pour constituer une équipe.
« Pour planifier efficacement nos villes et attirer les investisseurs, il faut tenir compte de la future croissance démographique » , note Jonathan Hall, professeur adjoint au Département d’économie de l’université de Toronto et à la Munk School of Global Affairs and Public Policy. Il ajoute que « les gens continueront à se déplacer vers les mégalopoles jusqu’à ce que les infrastructures soient tellement saturées et le chômage tellement élevé, que leur qualité de vie sera la même qu’en zone rurale. »
Les autorités locales qui gèrent les mégalopoles ont du pain sur la planche car leur incompétence est également un frein pour les investisseurs.
« Les villes ont besoin d’autorités fortes, compétentes et démocratiques [qui peuvent] inclure les populations à faible revenu, plutôt que de les repousser » déclare David Satterthwaite, chercheur principal au Human Settlements Group à l’l’Institut international pour l’environnement et le développement.Ìý Ìý