Afrique sans visas : encore d’obstacles
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Afrique sans visas : encore d’obstacles
Une Afrique où les Africains n’auraient pas besoin de visa pour voyager stimulerait-elle le commerce intracontinental ?
C'est la conviction de l’Union africaine (UA) et de bien d'autres organisations qui souhaitent que cette idée devienne réalité d’ici 2020. Le concept est déjà appliqué notamment par l’Union européenne, et nombre d’experts saluent la position de l’UA.
L’idée d’un passeport africain remonte à un quart de siècle. Ses partisans n’ont pas réussi à se faire entendre des pays qui redoutent une augmentation de la contrebande, de l’immigration illégale, du terrorisme et de la propagation des maladies. Certaines de ces craintes semblent fondées : les migrations, légales ou illégales, ont déjà été incriminées lors des récentes manifestations de xénophobie en Afrique du Sud.
L’exemption de visa pourrait devenir un cauchemar logistique, sachant que certains citoyens n’ont pas de documents de voyage tandis que d’autres mènent une vie nomade. Certains pays pourraient être forcés à légiférer pour adopter un passeport africain, car peu de pays africains utilisent les données biométriques.
L’année dernière, l’UA a lancé son passeport africain, projet emblématique de l’ex-présidente de l’UA, Nkosazana Dlamini-Zuma. Mais il n’est pour l’instant disponible que pour les diplomates et les hauts fonctionnaires des 55 ?tats membres de l’UA.
Parmi les ?tats membres, seules les Seychelles offrent un accès sans visa à tous les pays africains. ? Les économies à croissance rapide ne font pas de même, car le régime des visas a généré une certaine culture de la bureaucratie ?, note Daniel Silke, directeur de Political Futures Consultancy, basé en Afrique du Sud.
? Les vieilles habitudes sont difficiles à changer, même si la sécurité qu'offre les visas peut justifier de telles hésitations ?.
Pour Daniel Silke, ces pays s’inquiètent également de l’impact des mouvements de population sur le marchés de l'emploi et sur la croissance urbaine. Parmi ces économies émergentes, on trouve la C?te d’Ivoire, l’?thiopie, la Guinée, le Sénégal ou la Tanzanie. En désespoir de cause, les immigrants affluent par milliers en Afrique du Sud pour trouver du travail.
? Avec l’acccélération de l’urbanisation, les institutions gouvernementales sont très sollicitées et les villes, qui offrent des opportunités commerciales, sanitaires, un marché du travail en plein essor ainsi que des infrastructures, seront à l’avenir soumises à une pression de plus en plus forte ?.
M. Silke suggère de mettre l’accent sur des processus de délivrance de visas à la fois efficaces et abordables, et conseille aux communautés régionales d’adopter et de mettre en ?uvre des politiques qui facilitent la liberté de mouvement entre les ?tats.
En novembre 2017, après 15 ans de négociations, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), qui comprend le Cameroun, la République centrafricaine, le Tchad, la Guinée équatoriale, le Gabon et la République du Congo, a ratifié un accord de libre circulation pour ses citoyens. Les Etats signataires adopteront la technologie biométrique, s’assureront d’une coordination de leurs polices et des services de sécurité, et respecteront les différentes réglementations du travail.
L'autre solution consiste à délivrer un visa à l’arrivée, avec une autorisation de séjour jusqu’à 90 jours. Après avoir adopté ce protocole en 2013, le Rwanda a vu le nombre de visiteurs et d’investisseurs africains augmenter selon Anaclet Kalibata, directeur général de l’immigration et de l’émigration du Rwanda.
M. Kalibata a déclaré qu’entre 2013 et 2016, le nombre d’Africains ayant re?u des visas à leur arrivée au Rwanda avait augmenté de plus de 100%. ? Nous avons aussi accueilli beaucoup plus de conférences suite à la suppression des restrictions de voyage ?, dit-il.
Les taux de criminalité dans le pays n’auraient pas augmenté du fait de ces mesures, contrairement aux craintes initialement exprimées.
? La plupart des gens qui entrent le font pour de bonnes raisons ?, a déclaré M. Kalibata, soulignant que le Rwanda a ? des lois régissant la criminalité compatibles avec la circulation des personnes. Nous croyons aussi à la concurrence quand il s’agit des compétences... L’ouverture des frontières a donc attiré de nouveaux talents et investissements ?.
Le Ghana offre également un accès libre à son territoire pour un tiers des ?tats membres de l’UA et des visas à l’arrivée aux deux tiers restants. Les progrès vers une Afrique sans visa ont été les plus importants dans ce pays, comme le souligne le Rapport 2017 sur l’ouverture des visa en Afrique de la Banque africaine de développement (BAD).
Pour relancer son secteur touristique, le Sénégal autorise un accès libre aux ressortissants de 42 pays africains.
Lors de sa prestation de serment comme président du Kenya en novembre dernier, Uhuru Kenyatta a annoncé que tous les Africains recevraient désormais un visa à leur arrivée dans le pays.
L’alternative à un accès sans visa ou l’attribution de visas à l’arrivée est de conclure des accords de réciprocité avec d’autres pays. C'est la voie sur laquelle se dirige les autorités namibiennes : les ressortissants des pays donnant aux Namibiens des visas à l’arrivée bénéficieront du même traitement en Namibie.
Bien qu’il délivre déjà un visa à l’arrivée, le Rwanda est aussi ouvert aux accords de réciprocité, explique M. Kali b?ta. ? Nous avons fait la preuve de l’efficacité des mesures de levée des restrictions pour les déplacements au niveau régional, gr?ce à la délivrance d’une carte d’identité nationale unifiée et d’un laissez-passer frontalier pour les citoyens de l’Ouganda, du Kenya et du Rwanda. Un autre accord sur les mouvements transfrontaliers entre le Rwanda, la RDC, le Burundi, la Tanzanie et l’Ouganda a favorisé la cohésion sociale régionale, et le commerce transfrontalier entre nos pays contribue désormais à hauteur de 42% du PIB ?.
L’expérience du Rwanda ne suffit pas à lever les doutes. Jean-Guy Afrika, expert politique de la BAD, a contribué au Rapport 2017 sur l’ouverture des visas en Afrique. Il note que ? l’analyse faite en 2016 des régimes africains de visas a montré qu’en moyenne, 54% des pays africains (55% en 2015) imposaient d'obtenir un visa avant le départ ; 24% (contre 25% en 2015) offraient la possibilité d'obtenir un visa à l'arrivée; et 22% n'imposaient pas d'obligation de visa.
Les raisons pour lesquelles les pays africains restent fermés, explique M. Afrika, varient considérablement. ? Les principales raisons avancées par les décideurs sont les craintes liées à l'emploi et à la sécurité. Mais il peut aussi y avoir des problèmes de culture et de confiance. La réponse réside probablement quelque part dans les liens entre politique, culture, histoire et économie ?.
M. Afrika confirme qu’au niveau régional, l’Afrique de l’Est et de l’Ouest sont en tête en matière d’ouverture. ? Dans les classements 2017 de l’indice d’ouverture, 75% des pays qui figurent dans le top 20 sont issus de ces deux régions, contre un seul en Afrique du Nord et aucun en Afrique centrale ?.
La BAD, l’UA et le Global Agenda Council on Africa du Forum économique mondial, ont collaboré au deuxième Rapport 2017 sur le même thème. Les chercheurs ont recueilli des données auprès de l’Association du transport aérien international et des réponses à des questionnaires proposés dans plusieurs points de contact nationaux.
? La tendance est globalement positive. Il y a à peine quatre ans, seuls cinq pays offraient un régime de visa libéral avec des visas à l’arrivée ou une exemption de visa. Aujourd’hui, ce chiffre est passé à 14, mais nous souhaitons qu’il continue d’augmenter ?, affirme M. Afrika.
La libéralisation du régime des visas n’est pas une solution miracle, même elle favorise l’intégration africaine. D'autres réformes et des investissements importants en matière de connectivité pour accompagner cette libéralisation, sont nécessaires. Le Rwanda est un exemple: le pays coordonne investissements et réformes politiques, y compris dans les infrastructures économiques et le transport aérien.
? L’ouverture est très importante, conclut M. Afrika, mais elle n’est qu’un morceau du puzzle pour les Etats africains interconnectés ?.