Quel avenir pour les Villages du Millénaire ?
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Quel avenir pour les Villages du Millénaire ?
Haruni Odhiambo Nyariru agrandit sa maison. Martin Omondi Onyango a acheté une vache et une chèvre. Il paie les frais de scolarité de son jeune frère et construit une maison pour sa mère. Maintenant que ses récoltes s’améliorent (ses 0,8 hectares produisent 30 sacs de maïs de 90 kilos contre 12 auparavant), Wilfreda Ongonda Ochieng estime que sa famille se nourrit mieux et dispose même d’un surplus qu’elle vend. Pour tous les trois, si le quotidien a changé, pour le mieux, c’est grâce à la création du Village du Millénaire de Sauri, dans l’ouest du Kenya.
Les nouvelles variétés de semences et les engrais sont à l’origine de l’augmentation de leurs rendements et des revenus des trois agriculteurs. « J’utilisais déjà de l’engrais avant mais depuis le projet du Millénaire, les engrais nous ont donné un véritable coup de pouce », estime Wilfreda, une veuve de 45 ans à la tête d’une exploitation où travaillent 11 personnes, dont des membres de sa famille.
Lancé en 2004, le projet de Sauri est le premier d’une série de 14 Villages du Millénaire pour le développement (VMD) répartis dans 10 pays d’Afrique subsaharienne. Les VMD bénéficient du soutien d’une multitude de fondations et d’entreprises. Parmi elles, les sociétés Sumitomo, qui fournit des moustiquaires, et Ericsson, qui fait don de téléphones portables aux professionnels de la santé [voir Afrique Renouveau, juillet 2008].
Cette initiative est dirigée par un triumvirat constitué du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), de l’ONG Millennium Promise et du Earth Institute de l’Université de Columbia, basés tous deux à New York. Les villages sont des projets pilotes destinés à être mis en place à plus grande échelle et reproduits ailleurs dans le cadre de la réalisation, d’ici à 2015, des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Adoptés en 2000 par les dirigeants du monde, les OMD visent notamment la réduction de la pauvreté, un meilleur accès à la santé et l’émancipation des femmes.
Gains rapides
Les onze villages du groupe de VMD de Sauri comptent environ 75 000 habitants et s’étendent sur une superficie de 132 kilomètres carrés. Environ 98 % des foyers pratiquent l’agriculture sous une forme ou une autre.
La hausse soudaine des rendements du maïs de Wilfreda peut sembler exceptionnelle. Mais, elle correspond à la moyenne chez les participants au programme. La production a dans l’ensemble triplé dans les villages. 
D’où une réduction importante de la malnutrition infantile. « Les semences et l’engrais nous ont permis d’obtenir des résultats immédiats », note Jessica Massira, chef d’équipe 
du projet et responsable d’un des groupes de villages.
Avec des rendements à la hausse, le programme a pu mettre l’accent sur la diversification, en apportant aux agriculteurs de multiples sources de revenus à différentes périodes de l’année. Ce qui les protège des bas prix pratiqués après d’abondantes récoltes.
« Les agriculteurs ont besoin d’aliments mais ils ont aussi besoin d’argent, analyse Mme Massira. Grâce à l’horticulture, l’élevage et la pisciculture, ils peuvent rapidement gagner plus d’argent. Nous avons obtenu des résultats remarquables. » Et comme le souligne Willy Diru, un coordonnateur agricole, « Une fois la sécurité alimentaire assurée, nous avons collaboré avec diverses entreprises pour produire des oignons, des tomates, du chou et des piments. Il existe également une coopérative pour les produits frais. »
Repas et moustiquaires
Grâce à la diversification de la production et à l’amélioration des récoltes, les agriculteurs participent à un programme de restauration scolaire. Résultat : le taux de fréquentation scolaire a atteint 94%. Partout dans le monde, il arrive souvent que les enfants n’aiment pas aller à l’école mais pour les enfants des régions rurales africaines, « y aller pour déjeuner » est un compromis raisonnable.
Parallèlement à la hausse de la production agricole, les communautés ont préservé plus de 200 sources d’eau potable qui alimentent plus de 26 000 personnes. Elles ont construit des murs et installé des canalisations pour acheminer l’eau vers les robinets. Les villageois ont installé des clôtures pour tenir le bétail à l’écart. Le taux d’accès à un approvisionnement en eau de meilleure qualité est ainsi passé de moins de 40 % en 2006 à environ 90 % actuellement.
Des mesures sont également prises pour combattre certains problèmes de santé. La distribution de moustiquaires et le dépistage à domicile ont réduit la prévalence du paludisme. Celle-ci est passée de 45 % en 2005 à 7 % en 2008.
Critiques
Malgré ces chiffres, les Villages du Millénaire pour le développement font l’objet de nombreuses critiques, émanant principalement d’acteurs du développement, d’activistes, de militants écologistes et d’intellectuels.
Le recours à l’engrais importé engendrerait une dépendance à ces intrants, estiment certains. D’autres ajoutent que l’agriculture intensive affaiblirait l’approvisionnement en eau et les sols, avec à la clé des effets secondaires négatifs similaires à ceux observés en Inde après la Révolution verte. D’autres encore jugent que les obstacles au développement extérieurs aux villages, notamment la corruption, ne sont pas pris en considération. Et que rares sont les études qui comparent les VMD aux villages ne bénéficiant pas d’une telle aide, ce qui rend l’efficacité du programme difficile à évaluer. Enfin, trop de temps, d’argent et d’attention seraient consacrés à un trop petit nombre de personnes.
Stratégie de sortie ?
Ces accusations varient selon l’orientation idéologique ou politique des détracteurs mais ont souvent en commun un même thème : la dépendance aux aides extérieures. Les VMD sont peut-être le seul programme de développement à grande échelle dont les partisans aspirent réellement à établir une stratégie de sortie. Mais donnera-t-elle les résultats escomptés ?
Il est plus facile d’envisager une 
véritable réduction de la dépendance aux aides lorsque des sources de revenus autonomes sont créées. À titre d’exemple : plutôt que d’offrir de l’engrais subventionné aux agriculteurs, on pourrait leur en vendre en leur octroyant des prêts qu’ils rembourseraient après les récoltes. La relation entre agriculteurs et gestionnaires de projets serait alors commerciale et le risque de dépendance moindre. De même, les écoles recueilleraient des fonds en faisant payer ceux qui souhaitent imprimer des documents après les heures de cours.
Reste qu’une visite dans un projet similaire à celui de Sauri, l’Initiative des Villes du Millénaire (IVM) de Kisumu, le chef-lieu de la province, illustre la difficulté de l’autosuffisance dans le secteur de la santé. Selon un agent hospitalier, le projet du Millénaire complète les fournitures — par exemple des gants médicaux jetables — que le gouvernement devrait fournir, mais il ne le fait ni en nombre suffisant ni en temps voulu. L’entretien des ambulances qui traversent le territoire est assuré par des étrangers et le gouvernement israélien a envoyé le matériel nécessaire et une équipe pour construire la salle des urgences de l’hôpital. « Les Israéliens ont tout amené et achevé les travaux en 17 jours », affirme Belinda Opiyo-Omolo, spécialiste de santé publique à l’IVM. « Je regrette de le dire, mais ça aurait pris six mois aux Kényans. Ceci dit, les populations locales ont pu voir qu’en y mettant toute sa volonté, on pouvait y arriver. Tant mieux !»
« Le défi, c’est la viabilité », reconnaît Mme Massira, à propos du secteur de la santé. « Nous comprenons qu’il faut d’abord faire une démonstration et ensuite passer la main au gouvernement et à la population. Si la population s’habitue aux services, elle les exigera du gouvernement. »
Bart Knols, président du conseil consultatif de la Dutch Malaria Foundation, a une vaste expérience de l’Afrique et a déjà visité Sauri. Il qualifie l’initiative anti-paludisme de « tout à fait louable, en ce sens que l’offre d’un ensemble complet de services (médicaments, vaccination, santé et éducation) peut porter ses fruits ». Mais lui aussi s’inquiète pour la suite. « Là où je suis plus sceptique, c’est en ce qui concerne la viabilité de cette approche, lorsqu’il faudra passer la main et que le gouvernement kenyan devra fournir ces services. »
Reprendre l'initiative
Au-delà de la capacité des gouvernements, il s’agit aussi de savoir si la population assurera la relève. Il y a lieu de penser que c’est déjà en partie le cas. Par exemple, des agriculteurs souhaitant s’essayer à l’apiculture s’organisent en groupes de dix. Les groupes choisissent un membre qui recevra une formation supplémentaire. Il sera ensuite le guide. Le frère de Martin, Jared Omondi Onyango, a appris à construire et à entretenir des serres dans le cadre du projet Sauri. Il en construit désormais pour les autres.
Plus intéressant encore, le groupe de travailleurs Manyatta B qui approvisionne en eau courante 8 000 foyers de Kisumu et dont l’IVM a fait un partenaire. Après une subvention initiale du gouvernement français, la communauté s’est organisée pour construire et gérer le système. Ils fixent des prix beaucoup plus abordables que ceux pratiqués par les exploitants de camions-citernes privés. Les recettes leur permettent d’entretenir le système et il leur reste assez d’argent pour la formation d'opérateurs et de travailleurs locaux.
Même si le débat se poursuit au plan international sur les Villages du Millénaire pour le développement, les populations locales semblent enthousiastes. « Je pense qu’ils réussiront car le programme a été conçu pour durer », remarque Stephen Onduu, responsable des achats à l’hôpital de Kisumu. « Ils y arriveront s’ils réunissent les habitants pour discuter d’une 
stratégie de sortie. »