Réformer l’aide humanitaire
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Réformer l’aide humanitaire
Y a-t-il quelque chose qui ne va pas dans la façon dont la communauté internationale réagit aux famines, aux séismes et aux inondations? Demandez donc à Josephine Kachebe. Cette grand-mère de 83 ans de la communauté de Tiki Mwiinga, dans le sud de la Zambie, fait partie des quelque 12 millions d’habitants de l’Afrique australe qui ont désespérément besoin d’une aide alimentaire d’urgence, selon le Programme alimentaire mondial (PAM). En juin 2005, le PAM a lancé un appel pour que la région reçoive suffisamment de vivres jusqu’à la moisson d’avril 2006.
Mais cinq mois de famine plus tard, cet objectif n’a été que très partiellement atteint. En novembre, Mme Kabeche a raconté aux inspecteurs du PAM que son seul repas ce jour-là avait été composé de cosses de graines récupérées, de noix sauvages et de racines d’arbre qu’elle avait mélangées avec des cendres dans un gruau amer. La veille, elle n’avait rien mangé. Si jamais les secours arrivent,”ça sera trop tard pour moi. Je serai morte”, ajouta-t-elle.
Malheureusement, il faudra peut-être que Mme Kabeche et des milliers de ses amis et voisins meurent pour que la communauté internationale se décide à agir. Trop souvent, les donateurs ignorent les mises en garde jusqu’à ce que des images de famine soient diffusées sur les écrans de télévision, a affirmé en août James Morris, Directeur exécutif du PAM, devant un public américain. Ce n’est qu’à ce moment-là que les cordons de la bourse se délient et qu’une aide vitale est acheminée aux survivants.
“Nous ne pouvons pas attendre que nos postes de télévision projettent ces images effroyables dans nos salons pour réagir, a-t-il déclaré.
Réformer le dispositif international d’intervention humanitaire d’urgence est une obligation morale. C’est aussi une obligation morale. Alors même que le début et la fin de 2005 ont été marqués par deux des pires catastrophes naturelles des dernières années – le tsunami de l’Océan indien et l’effroyable séisme du Pakistan, tout effort visant à rendre le dispositif d’intervention plus rapide, pourrait sauver la vie de millions de victimes de catastrophes à venir.
Le plan de longue durée de l’Afrique, le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), affirme qu’il ne sera pas possible d’éliminer la famine et l’insécurité alimentaire généralisées du continent tant que la production agricole locale ne sera pas renforcée et les conditions de vie rurale améliorées. Mais dans l’immédiat, “des interventions humanitaires rapides suivies d’un programme de reconstruction sont indispensables avant toute relance du processus de développement”, peut-on lire dans le Programme intégré du NEPAD pour le développement de l’agriculture en Afrique.
Trop peu, trop tard
Bien qu’agents humanitaires, organisations non gouvernementales (ONG) et donateurs ne soient pas d’accord quant à la manière d’améliorer les services d’urgence, tout le monde s’accorde à reconnaître que le dispositif actuel ne facilite pas les interventions rapides et ne permet pas d’obtenir des ressources suffisantes. D’après une récente étude d’Oxfam International, l’aide d’urgence “ne satisfait toujours pas tous les besoins. Elle arrive souvent en retard et est tributaire du degré de médiatisation ou de considérations politiques plus que des besoins humanitaires”.
L’un des problèmes est l’argent. Bien que l’ONU ait établi en 1991 des réserves de liquidités de 50 millions de dollars destinées aux secours en cas de catastrophes — le Fonds central autorenouvelable d’urgence — le fait que des institutions comme le PAM ou le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) doivent faire en sorte, avant même de débloquer des fonds, que les donateurs s’engagent à rembourser ces fonds freine le recours à ce fonds. Dans ces conditions, il faut des mois pour que des pays victimes de la famine comme le Niger (voir Afrique Renouveau, octobre 2005) puissent trouver des donateurs.
Un autre dispositif, la Procédure d’appel global, a également été créé en 1991 pour prévenir les donateurs des situations d’urgence et mobiliser des ressources rapidement. Administré par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), ce mécanisme a pour mission de lancer des appels “éclairs” en cas de crises soudaines. Mais là aussi, la réaction des donateurs a été inégale. Dans un rapport du 20 octobre présenté à l’Assemblée générale, M. Annan a affirmé que les appels éclairs ne recueillaient en moyenne que 16% des montants sollicités.
“Imaginez que la caserne de pompiers de votre localité soit obligée de demander de l’argent au maire chaque fois qu’elle a besoin d’eau pour éteindre un incendie, commentait au début de l’année 2005 Jan Egeland, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires. C’est la situation impossible dans laquelle se trouvent les humanitaires accablés qui tentent de sauver des vies mais n’ont pas les moyens de payer l’eau - ou les médicaments, les abris ou les vivres, indispensables pour éteindre l’incendie… Ces retards sont fatals.”
Réformer le dispositif international d’intervention humanitaire d’urgence et l’ancrer plus solidement aux objectifs de développement à long terme constitue un volet important du programme de réforme de l’ONU du Secrétaire général Kofi Annan. C’est aussi une obligation morale.
L’ampleur et la destination de l’aide humanitaire dépendent aussi dans une certaine mesure de considérations politiques. Comme le rappelle dans une étude de 2001 l’Overseas Development Institute, organisme britannique indépendant, pendant la guerre froide, l’aide humanitaire a été manipulée par les deux blocs pour former des alliances, récompenser des alliés et sanctionner des adversaires. La fin de la guerre froide a éliminé, pour les pays du Nord, l’importance stratégique de certains pays en développement, dont des pays africains. Ces pays ont alors perdu de leur influence auprès des donateurs.
“L’aide humanitaire constitue depuis toujours une activité éminemment politique, qui se répercute sur l’économie politique des pays bénéficiaires et est influencée par les considérations politiques des donateurs… Des disparités sensibles entre le volume et le type d’aide humanitaire accordée à différents pays en situation de crise indiquent que l’aide humanitaire n’a jamais été consentie uniquement en fonction des besoins”, concluent les auteurs de cette étude.
Les statistiques confirment cette triste vérité. En juin, James Morris du PAM a indiqué devant le Conseil de sécurité que les appels d’urgence lancés en faveur de pays africains en crise n’avaient suscité qu’une réponse mitigée. Seuls 17% des montants sollicités pour faire face aux inondations en République centrafricaine avaient été reçus, les appels pour la République démocratique du Congo (RDC) et la Côte d’Ivoire n’ayant suscité, pour leur part, que 35 et 30%, respectivement, des contributions demandées.
“Je pense parfois que le pire endroit où un enfant affamé d’Afrique puisse vivre est un pays en paix avec ses voisins et relativement stable, car l’aide s’accroît avec l’intensification de la violence et la couverture médiatique… A nos yeux, il y a peu d’actes aussi politiques dans la vie moderne que l’aide humanitaire”, a ajouté James Morris.
“Loterie” mortelle
Les reportages diffusés à la télévision et dans la presse sont parfois le seul moyen d’inciter les donateurs à agir, mais rien ne dit que les médias s’intéresseront à une crise donnée ou que la couverture médiatique se traduira par des contributions.
Jan Egeland a comparé cette situation à une “loterie” dans laquelle les victimes de catastrophes se disputent l’attention des médias, condition indispensable pour inciter des donateurs publics imprévisibles à fournir une assistance. “Vous avez 25 communautés dans la même situation désespérée qui participent toutes les semaines à cette loterie visant à attirer l’attention, a-t-il déclaré en juillet au Columbia Journalism Review. A ce jeu, il y a 24 perdants et un vainqueur.” En 2005, a-t-il précisé, les rescapés du tsunami de l’Océan indien et des crises humanitaires du Soudan occidental ont bénéficié d’une large couverture médiatique et d’une aide généreuse. En revanche, les victimes des conflits du nord de l’Ouganda et de l’est de la RDC “sont parmi les perdants à ce jeu. Je ne comprends pas très bien, car il s’agit de situations similaires, sur le plan des drames personnels, des besoins, des violences, des souffrances humaines et des effortshéroïques pour venir en aide”, a ajouté M. Egeland.
Réorganisation du Fonds
Remédier aux carences du dispositif d’intervention humanitaire d’urgence figure en bonne place dans le plan de réformes de l’ONU de M. Annan. Intitulé Dans une liberté plus grande, il a été rendu public en prévision du Sommet mondial qui s’est tenu du 14 au 16 septembre (voir Afrique Renouveau, octobre 2005). Les propositions détaillées du Secrétaire général dans ce domaine, présentées à l’Assemblée générale en octobre, visent à réformer de fond en comble le CERF. En voici quelques-unes:
- multiplication par 10 du budget du Fonds à hauteur de 500 millions de dollars, d’ici trois ans
- restructuration des crédits, lesquels à l’exception de 50 millions de dollars, seraient consentis sous forme de dons plutôt que de prêts renouvelables
- affectation de deux tiers des dons aux programmes d’intervention et d’action rapides
- capacité de débloquer des fonds dans un délai de 72 à 96 heures
- allocation à hauteur d’un tiers des décaissements annuels aux besoins d’urgence des opérations humanitaires dotées de fonds insuffisants.
La réorganisation du Fonds central, qui aura désormais pour nom “Fonds central pour les urgences humanitaires”, aura pour conséquence de libérer les organismes humanitaires de leur dépendance vis-à-vis des donateurs, et de réduire ainsi à quelques jours les délais d’intervention après une catastrophe naturelle. Les travailleurs humanitaires estiment que cette capacité d’intervention rapide contribuera à sauver des vies, mais aussi à économiser de l’argent. Les retards de plusieurs mois observés dans l’acheminement de l’aide humanitaire aux populations nigériennes affamées ont entraîné une demande accrue de services onéreux de soins intensifs et contraint le PAM à recourir aux avions pour l’acheminement des vivres.
Le Fonds permettra également de répondre à des besoins importants qui ne sont pas pris en charge par des contributions spéciales, comme les campagnes de pulvérisation contre les moustiques en période de reproduction, ou l’achat de semences et d’engrais pendant la saison des plantations. Le rapport de M. Annan note que dans de nombreuses situations d’urgence où les fonds ne sont pas suffisants, les donateurs ont tendance à ne financer que certains programmes, au détriment d’autres tout aussi importants, comme l’approvisionnement en eau salubre, les soins de santé ou la création d’abris.
Le Niger fournit un autre exemple saisissant de la manière dont les imperfections du dispositif peuvent aggraver une situation d’urgence. L’une des causes principales de la malnutrition dans ce pays a été la destruction des pâturages par les criquets pèlerins en 2004. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) n’ayant pas réussi à trouver des donateurs pour financer un projet d’éradication des criquets pèlerins, ces insectes se sont propagés et ont plongé certaines régions du pays dans la crise.
“Vous avez 25 communautés dans la même situation désespérée qui se disputent toutes les semaines l’attention de la communauté internationale. A ce jeu, il y a 24 perdants et un vainqueur””
— Jan Egeland, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires
Les propositions de réforme du Secrétaire général ont suscité la vive approbation des donateurs publics, des ONG et des organismes de secours, ainsi que des annonces de contributions de l’ordre de 200 millions de dollars à la fin de l’année 2005. Annonçant en novembre une contribution de son pays de plus de 29 millions de dollars, l’Ambassadrice norvégienne, Mona Jull, a réaffirmé à l’Assemblée générale la volonté de son gouvernement de renforcer le CERF, car cela permettrait à l’ONU “d’intervenir rapidement, voire même d’empêcher, des crises”.
Les Etats-Unis, de loin le principal pourvoyeur d’aide humanitaire, ont également approuvé le renforcement du CERF. Sichan Siv, représentant adjoint des Etats-Unis auprès des Nations Unies, a salué l’initiative en novembre, soulignant qu’une “source centralisée de fonds rapidement disponibles pourrait contribuer effectivement à répondre aux besoins urgents. Bien que les Etats-Unis n’aient pas encore contribué au Fonds, le porte-parole de la Mission américaine, Benjamin Chang, a expliqué à Afrique Renouveau que “cela tient simplement à notre processus budgétaire, et non à de quelconques réserves”.
Le Fonds devrait commencer à fonctionner au début de 2006.
Argent ou maïs ?
Il existe d’autres propositions de réorganisation des opérations d’acheminement de l’aide d’urgence. Une étude réalisée en 2005 par l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) recommande en effet que les subventions se fassent en espèces plutôt qu’en produits de base (blé, maïs, huile alimentaire). Aux Etats-Unis, par exemple, principal fournisseur d’aide alimentaire, la législation exige que les produits de base proviennent de ce pays et soient transportés par des navires ou avions américains, pratique qualifiée “d’aide liée” (voir Afrique Renouveau, janvier 2004).
Selon l’OCDE, cette pratique rend ces articles jusqu’à 50% plus chers que ceux achetés sur place, dissuade les agriculteurs locaux d’augmenter leur production, rallonge les délais d’acheminement et risque de détruire les économies rurales en inondant les pays bénéficiaires de produits alimentaires gratuits.
Cette question préoccupe même l’Organisation mondiale du commerce (OMC), où les pays européens en particulier ont qualifié l’aide alimentaire liée des Etats-Unis de subventions agricoles et commerciales déguisées.
La polémique de “l’aide en espèces contre l’aide en nature” a suscité l’attention de la presse internationale, plutôt favorable à l’octroi d’une aide alimentaire sans conditions.
En mai, James Morris a fait état des préoccupations du PAM dans ce domaine “Fournir une aide alimentaire à temps est une tâche compliquée, surtout dans les pays en développement, a-t-il expliqué. Les achats massifs effectués par les organismes de secours sur les marchés céréaliers locaux poussent très souvent les prix des produits alimentaires à la hausse, hors de la portée des pauvres, ce qui aggrave la famine. De plus, étant donné le piètre état des routes et des voies ferrées dans ces pays, les frais de transport et d’entreposage des céréales achetées localementsont parfois très coûteux”, contrairement aux économies considérables annoncées par les adversaires de l’aide liée.
“Malgré notre préférence pour les dons en espèces, force est de reconnaître que les dons en nature contribuent à maintenir un certain appui dans les pays donateurs, ce qui est absolument indispensable pour nos bénéficiaires”, a ajouté M. Morris. “Délier” l’aide alimentaire risquerait, de l’avis de nombreuses agences et ONG humanitaires, de déstabiliser ce qu’on appelle parfois “le triangle de fer” des puissants groupes d’intérêts nationaux – agriculteurs, compagnies de transport et organismes d’assistance, qui offrent une protection politique aux budgets de l’aide. Une aide “non liée” risquerait également de rendre le principe de l’aide d’urgence moins intéressant pour les agriculteurs et les affréteurs de navires du Nord, qui en profiteraient moins.
Certains organismes d’assistance estiment pour les mêmes raisons que l’aide alimentaire ne devrait pas être soumise aux règles de l’OMC. Dans une lettre adressée en septembre à Pascal Lamy, Directeur général de l’OMC, James Morris signale que l’interdiction des dons en nature “aurait pour conséquence de réduire le volume total de l’aide et d’en diminuer la souplesse… Lorsque l’un de nos principaux donateurs s’est converti au principe des dons en espèces, le volume total, en tonnes, de son aide alimentaire a chuté de plus de 50%”, a-t-il mis en garde. De plus, une part croissante des dons alimentaires du PAM provient des pays en développement à revenu moyen, qui sont capables d’offrir des produits de base mais non des dons en espèces. Selon James Morris, la diversification des donateurs représente désormais un objectif primordial pour les acteurs de l’aide d’urgence. “Une politique de l’OMC véritablement en faveur des populations démunies devrait veiller à ne pas s’immiscer dans le financement et l’acheminement de l’aide alimentaire du PAM”, a-t-il ajouté.
De nombreuses ONG partagent cette position. Will Lynch, conseiller principal d’une importante association humanitaire américaine, Catholic Relief Services (CRS), a précisé à Afrique Renouveau que l’aide alimentaire mondiale ne représentait que 0,03% du volume total des échanges commerciaux agricoles dans le monde; “pourtant, dit-il, la controverse porte sur les interventions d’urgence et le commerce. Ce n’est pas le propos.
L’Afrique affamée
Les associations humanitaires ont toutefois salué les efforts de développement et de réorganisation du CERF. Le Directeur des communications du PAM, Neil Gallagher, a confié en novembre à Afrique Renouveau qu’”il serait merveilleux d’avoir ce type de fonds”. A son avis, la capacité à intervenir dès les premiers signes de danger permettrait d’épargner des vies, d’atténuer des souffrances et d’accélérer les efforts de reconstruction et de relance.
Toutefois, a-t-il indiqué, les programmes d’urgence les mieux financés et les mieux administrés ne sauraient jamais remplacer les initiatives de développement accéléré des secteurs agricole et économique. De meilleures conditions de vie et des récoltes plus abondantes rendent les couches pauvres de la population moins vulnérables aux aléas climatiques et aux fluctuations des cours. L’apport de capitaux supplémentaires à la création d’une infrastructure agricole et rurale – projets d’irrigation, construction de routes, accès aux engrais et aux semences de meilleure qualité – pourrait alléger considérablement les effets des sécheresses et autres catastrophes naturelles.
Malheureusement, constate M. Gallagher, l’assistance des donateurs aux projets de développement agricole a diminué sensiblement, passant de 12% du montant total de l’aide il y a une dizaine d’années à 4% seulement en 2004. “On est ballottés d’une crise à l’autre et on espère que les équipes de télé en captureront les images, déplore-t-il. Pendant ce temps, le nombre de personnes qui souffrent constamment de la faim augmente, surtout en Afrique, tandis que le volume de l’aide alimentaire accordée par les donateurs baisse."
D’après le PAM, la faim et la malnutrition chroniques ont été à l’origine de 92% des 10 millions de décès liés à la famine dans le monde en 2004, 8% étant dus aux crises humanitaires. Malgré l’engagement de la communauté internationale de réduire de moitié la faim dans le monde d’ici à 2015, le nombre de personnes souffrant de malnutrition a augmenté considérablement ces 10 dernières années, passant de 790 millions au début des années 1990 à environ 852 millions en 2005, dont plus de 300 millions en Afrique. Malgré les besoins croissants dans ce domaine, la quantité de dons alimentaires a chuté, passant de plus de 15 millions de tonnes en 1999 à seulement 7,5 millions en 2004.
Les défenseurs de l’aide alimentaire dénoncent par ailleurs certaines décisions des donateurs qui ont eu pour conséquence, à leur avis, de nuire aux programmes nationaux d’assistance d’urgence. C’est ainsi qu’au Malawi, de nombreuses associations humanitaires, des représentants de donateurs et certains responsables locaux estiment que les pressions exercées par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont forcé les dirigeants du pays à mettre en vente la plus grande partie des réserves céréalières stratégiques du Malawi. Sur ce est arrivée la famine de 2001-2002 qui a fait des milliers de victimes.
Le FMI rejette formellement cette accusation. Pourtant, une étude réalisée en 2005 par l’Agency for International Development des Etats-Unis confirme qu’une fois que les réserves céréalières du Malawi avaient atteint 180 000 tonnes, “le FMI a estimé que, pour différentes raisons, le maintien des réserves à ce niveau n’avait plus de sens … le FMI a donc recommandé … un niveau de réserves bien plus faible”.
Lorsque la famine a frappé, il a été constaté que l’intégralité des réserves avait été vendue discrètement, ce qui a déclenché une enquête officielle et contraint les autorités et les organismes d’assistance à consacrer de l’argent et du temps à l’importation d’urgence de vivres.
Réparer les filets de sécurité
De l’avis de M. Gallagher, les programmes d’alimentation suivis et durables, comme la distribution de repas à midi dans les écoles et les projets de nutrition des mères et des nourrissons, constituent une solution à la faim bien moins onéreuse et plus efficace que les opérations de secours d’urgence. Les enfants notamment souffrent de séquelles durables de la malnutrition, qui peuvent être évitées seulement grâce à un apport nutritionnel fiable, durable et ciblé.
Il y a 20 ans, a-t-il rappelé, 80% des envois alimentaires du PAM étaient destinés aux programmes continus, appelés aussi “filets de sécurité sociale”, et 20% aux situations de crise. En 2004, en revanche, 557 500 seulement des quelque 5,1 millions de tonnes de vivres acheminées par le PAM sont destinées aux “filets de sécurité”.
“Les donateurs ne trouvent pas [ce type de programme] exaltant, explique M. Gallagher. Ce n’est pas assez grisant, ce n’est pas comme se trouver au milieu d’une situation de crise aiguë. Ils disent que l’aide alimentaire distribuée à ce type de programme n’est pas une solution à long terme. C’est pourtant une solution à long terme pour l’enfant qui consomme au moins un repas valable par jour. Si vous ne nourrissez pas les gamins dès leur plus jeune âge et les femmes lorsqu’elles sont enceintes, vous créez des êtres humains incapables d’autonomie par la suite, du point de vue physique et psychologique.” L’idée que l’aide alimentaire n’est destinée qu’aux situations d’urgence “mène à plus de famine. Cela n’a pas de sens… Nous n’arriverons pas à éliminer la faim tant que les donateurs n’admettront pas que “tout le monde a droit à une nutrition élémentaire que nous allons assurer”, affirme M. Gallagher.
M. Lynch du CRS note pour sa part que le refus des donateurs de soutenir les projets nutritionnels de longue durée signifie que les associations caritatives ne sont plus en mesure d’administrer les programmes alimentaires destinés à 800 000 personnes, dont des orphelins du sida, des mères enceintes, des écoliers et des habitants pauvres des zones rurales de l’Angola, du Bénin, du Kenya, du Niger et du Rwanda. Il y a peu de chances que les autorités de ces pays puissent prendre le relais de ces programmes, et aucune autre source de financement n’a été trouvée à ce jour.
“C’est un aspect du problème, conclut M. Lynch. Les bénéficiaires de ces programmes appartiennent aux couches les plus démunies de la planète. Ils n’existent pour personne.”