Des millions de militants d’un jour
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Des millions de militants d’un jour
En octobre, plus de 23 millions de personnes, dont 3,6 millions d’Africains, ont établi un record mondial en se levant, symboliquement, pour attirer l’attention sur la persistance de la pauvreté dans le monde et inciter les dirigeants de la planète à tenir leurs promesses en vue d’éliminer ce fléau. Le message de la campagne Debout contre la pauvreté, coordonnée par la Campagne du Millénaire de l’ONU à New York, a été relayé par plus de 11 000 manifestations organisées dans 80 pays. Cette campagne mondiale coïncidait avec d’autres activités organisées à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté.
“Ensemble, nous disons haut et fort à nos dirigeants politiques que nous allons continuer à faire pression pour qu’ils tiennent leurs promesses en matière d’aide, d’annulation de la dette et de justice dans le commerce et qu’ils assurent une gouvernance adéquate et responsable”, a déclaré M. Kumi Naidoo de la coalition Action mondiale contre la pauvreté (GCAP). Réunissant des organisations locales, des groupes confessionnels, des syndicats et des militants d’une centaine de pays, cette coalition est l’une des organisations qui a soutenu la campagne Debout contre la pauvreté.
Cette campagne a permis de rappeler aux 189 dirigeants politiques qui s’étaient réunis à l’ONU à New York à l’occasion du Sommet du Millénaire de 2000 qu’ils arrivaient presque à mi-parcours de l’échéance de 2015, date à laquelle ils s’étaient engagés à atteindre un certain nombre d’objectifs dans la lutte contre la pauvreté. Ces objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) consistent notamment à réduire la mortalité infantile, à dispenser un enseignement primaire à tous les enfants et à progresser dans la lutte contre le VIH/sida. La campagne Debout contre la pauvreté a également exigé l’annulation de la dette des pays pauvres, une aide plus importante et de meilleure qualité, la responsabilisation des gouvernements du Nord et du Sud et des réglementations commerciales “équitables” permettant aux pays en développement de tirer meilleur parti des échanges commerciaux mondiaux.
“Nul besoin d’être héroïque pour contribuer à sauver la vie des habitants des pays pauvres qui meurent à cause de la pauvreté et pour aider à promouvoir le développement économique”, a déclaré Jeffrey Sachs, Conseiller spécial de l’ONU pour les OMD et directeur de la Campagne du Millénaire de l’ONU. “Il suffit d’ouvrir les yeux et de faire attention. Il faudrait un changement dans notre pays [les Etats-Unis]: passer de l’inaction à l’action, car pour l’instant c’est comme si nous ne faisions rien."
La campagne a donc demandé à des citoyens ordinaires de se lever et de lire une déclaration demandant aux dirigeants des pays industrialisés et pays en développement de tenir leurs promesses. Mais des participants interviewés par Afrique Renouveau à New York ont déclaré ne pas comprendre en quoi cet effort contribuerait à réduire la pauvreté dans les pays pauvres.
Une campagne plus générale
En demandant aux particuliers de faire quelque chose de simple, la campagne Debout contre la pauvreté a permis à des citoyens ordinaires de devenir militants, explique Mme Sylvia Michuli, coordinatrice de la communication au bureau africain de la Campagne du Millénaire de l’ONU à Nairobi (Kenya). L’idée, dit-elle, était de faire de cette campagne un geste symbolique qui attire l’attention du monde entier sur la pauvreté et les OMD.
Plus de cinq ans après le Sommet du Millénaire, ces objectifs et ces enjeux sont non seulement tenus à l’écart des programmes électoraux de nombreux pays, mais la plupart des habitants n’en ont même jamais entendu parler. En 2005, il est ressorti d’un sondage de l’EuroBaromètre, réalisé par la Commission européenne, que seuls 12 % des habitants de cette région avaient entendu parler des OMD. Une autre étude menée au Canada a fait apparaître que 62 % des personnes qui avaient entendu parler des OMD ne pouvaient dire de quoi il s’agissait.
La campagne a été un bon moyen d’informer les citoyens car “c’était très facile pour des gens ordinaires d’y prendre part”, a expliqué Mme Michuli à Afrique Renouveau. “Nous avons réussi à y faire participer plus de 3,6 millions de personnes en Afrique, ce qui est une première.” En outre, ajoute-t-elle, ce n’était pas un événement isolé, mais cela faisait partie d’une campagne plus générale menée par une coalition de groupes luttant contre la pauvreté “en vue de faire pression durablement auprès des gouvernements pour qu’ils tiennent leurs promesses”.
‘Une invitation aux citoyens’
En 2005, la GCAP a organisé une série d’activités similaires. Elle a demandé à des citoyens ordinaires du monde entier de porter des bracelets blancs et d’exiger de leur gouvernement qu’il prenne des mesures contre la pauvreté, explique M. Henry Malumo, coordinateur de la coalition de la GCAP en Zambie. “Les citoyens étaient ainsi invités à prendre la place qui leur revient et à exiger une bonne gouvernance”, a-t-il déclaré à Afrique Renouveau. Il a ajouté que les Africains étaient depuis trop longtemps les bénéficiaires passifs de politiques inadaptées mises au point par leur gouvernement et les partenaires internationaux.
La première des campagnes de la GCAP, intitulée Abolissons la pauvreté, a été organisée avant le sommet du Groupe des huit pays industrialisés (G-8) tenu à Gleneagles (Ecosse) en juillet 2005. Deux autres campagnes ont eu lieu cette même année, avant le Sommet mondial de l’ONU et la réunion ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce à Hong Kong en décembre.
Ces campagnes obtiennent-elles les résultats escomptés ? C’est ce que s’efforce de déterminer une étude portant sur la façon dont est perçue la pauvreté dans l’opinion publique, financée par le Département du développement international du Gouvernement britannique. D’après cette étude, la proportion de la population britannique se déclarant “très concernée” par la pauvreté dans les pays défavorisés a fortement augmenté en juillet 2005, à la suite des activités de la campagne Abolissons la pauvreté. Elle a cependant diminué au second semestre de l’année, pour revenir à des niveaux d’avant 2005. Il faut donc peut-être mener des campagnes plus durables pour que la population ne perde pas de vue ces questions, notent les auteurs de l’étude.
De même, immédiatement après la campagne Abolissons la pauvreté, la majorité des personnes interviewées dans le cadre de cette étude ont déclaré connaître le G-8, alors que ce n’était auparavant le cas que d’une petite minorité. Sans cette connaissance du G-8, notent les auteurs de l’étude, il aurait été difficile de mener un dialogue sur les causes internationales du sous-développement et de souligner le rôle des donateurs dans la lutte contre la pauvreté.
Au sommet de Gleneagles, le Royaume-Uni, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon et les Etats-Unis ont décidé d’annuler la dette des pays les plus pauvres du monde et de doubler le montant de l’aide d’ici à 2010. Bien que la campagne n’en soit pas la cause première, elle a, d’après l’étude, contribué à intensifier les pressions exercées auprès du G-8.
Questions complexes
Cependant, ces campagnes ne peuvent informer la population que jusqu’à un certain point sur les questions complexes que sont la dette, le commerce, l’aide et le développement. Même après la campagne Abolissons la pauvreté, la compréhension des questions de la pauvreté et du développement n’était que sommaire parmi la population, d’après l’étude. L’aide au développement étant perçue comme un simple don caritatif, les budgets correspondants sont souvent les premiers à être sacrifiés en période de difficultés économiques.
Si les dirigeants politiques des pays donateurs fortunés sont véritablement résolus à réduire la pauvreté et à assurer un développement durable, ils doivent “pouvoir compter sur une opinion publique mieux sensibilisée et plus critique à l’égard de l’aide, au lieu du soutien passif et quelque peu aveugle qu’elle apporte jusqu’à présent”, estime l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), groupement de 30 pays riches, dans une étude de la perception de la pauvreté par la population. À l’heure actuelle, débattre publiquement du développement et en informer la population ne font pas partie des priorités des pays de l’OCDE, et cela doit changer, peut-on lire dans le rapport intitulé Les OMD, le contribuable et l’efficacité de l’aide. Les pays de l’OCDE consacrent actuellement environ 0,26% de leur budget d’aide à informer le public des questions relatives à l’aide au développement, soit bien moins que le taux de 3 % qu’ils ont jugé nécessaire à cette fin.
Les auteurs de l’étude de l’OCDE, Ida McDonnell et Henri-Bernard Solignac Lecomte, recommandent aux pays du Nord de s’assurer le soutien de la population en la faisant participer à un débat plus approfondi sur le développement, qui pourrait se poursuivre même après l’éclatement de la “bulle” des allégements de dette.