Combattre la pauvreté en Afrique

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Combattre la pauvreté en Afrique

Au Ghana, un projet innovateur se concentre sur les objectifs du Millénaire
Afrique Renouveau: 
Bonsaaso
Yasuyoshi Chiba
Nana Dapaah Siakwan, a village chief Nana Dapaah Siakwan, chef villageois : les structures communautaires et l’appui des chefs traditionnels contribueront pour beaucoup à la viabilité du projet lorsque les financements extérieurs diminueront.
Photo: Yasuyoshi Chiba

Debout au milieu d’un champ de maïs fraîchement ensemencé, Bright Osei Kwaku se rappelle que l’année dernière il a plus que doublé sa production grâce à l’utilisation de semences améliorées et d’engrais, et à des conseils techniques sur les méthodes de culture. En tout, son champ d’à peu près un hectare a donné environ 15 sacs de 100 kilogrammes, contre seulement six l’année précédente où il n’avait pas bénéficié d’un tel soutien.

Beaucoup de jeunes Ghanéens comme lui ont abandonné l’agriculture ou rêvent de le faire. Mais M. Kwaku, qui a aujourd’hui 25 ans, pense qu’il lui est possible de rester sur sa terre. “Je vais continuer à cultiver la terre, déclare-t-il à Afrique Renouveau. J’ai un revenu et de la nourriture. La ferme me donne assez pour vivre."

A l’heure où le prix des aliments augmente rapidement sur le marché mondial, c’est un moment opportun pour encourager une production agricole plus forte, explique Isaac Kankam-Boadu, l’animateur-formateur pour l’agriculture et l’environnement du projet Villages du Millénaire de Bonsaaso, un groupe de hameaux pauvres et isolés situé dans la région Ashanti du Ghana. “Le prix élevé des aliments est une excellente occasion pour les agriculteurs de gagner plus d’argent”, déclare-t-il.

M. Kankam-Boadu raconte que l’année dernière les cultivateurs de maïs de Bonsaaso ont réussi à quadrupler leurs rendements, passant d’une moyenne d’environ 1 tonne par hectare à 4 tonnes. Les agriculteurs n’ont pas seulement augmenté leurs revenus, ils ont aussi fourni environ un dixième de leurs récoltes au nouveau programme d’alimentation scolaire qui aide de nombreux enfants des écoles de leur région à mieux se nourrir.

Les Villages du Millénaire

Créer de tels liens est au cœur du projet Villages du Millénaire. La première de ces initiatives de développement intégré a été lancée en 2004 à Sauri, au Kenya. Le projet a rapidement été élargi et ces villages existent aujourd’hui en Ethiopie, au Malawi, au Mali, au Nigéria, au Rwanda, au Sénégal, en Tanzanie et en Ouganda. Les sites ont été sélectionnés en fonction des indicateurs de pauvreté ainsi que pour représenter les différentes zones écologiques et climatiques de l’Afrique. Plus de 400 000 personnes vivent aujourd’hui dans les villages choisis pour le projet.

Expanding access to clean water is one of the goals of the Millennium Villages Project Accroître l’accès à l’eau salubre est l’un des objectifs du Millénaire pour le développement.
Photo: 山Africa Renewal / Ernest Harsch

L’idée est née de recherches et de délibérations sur les politiques de développement menées à l’initiative de Jeffrey Sachs, Conseiller spécial auprès du Secrétaire général de l’ONU pour les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).

L’approche du projet Villages du Millénaire est fondée sur deux idées centrales : premièrement, des changements simples et peu coûteux dans les domaines de la nutrition, de la santé, de l’approvisionnement en eau, de l’assainissement, de l’éducation, de la position sociale des femmes, de l’agriculture, des communications, du réseau routier et du réseau de distribution d’électricité peuvent faire sortir les habitants des campagnes africaines de l’extrême pauvreté. Deuxièmement, associer la mobilisation des communautés locales, le soutien de l’Etat et l’aide au développement d’origine extérieure peut permettre de financer ces villages pour environ seulement 110 dollars par personne et par an. La plupart des projets Villages du Millénaire sont organisés sous l’égide du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

Parmi les premiers bailleurs de fonds de ce projet figure le Japon, qui a initialement versé plus de 9 millions de dollars, et le financier et philanthrope américain George Soros qui a fait don de 5 millions de dollars. Le 13 mars, le Gouvernement japonais a décidé d’augmenter sa contribution de 11,4 millions de dollars.

L’aide apportée à ce projet par le Japon s’inscrit dans le cadre du soutien que celui-ci apporte à la coopération afro-asiatique, relevant de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD). La quatrième de ces conférences s’est tenue à Yokohama (Japon) du 28 au 30 mai avec la participation du Président ghanéen John Kufuor et de quelque 40 autres chefs d’Etat et de gouvernement africains (voir page 6). La réalisation des OMD figurait en très bonne place à l’ordre du jour de la conférence, une question également centrale pour le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), le plan de développement adopté par l’Afrique elle-même pour assurer ses progrès économiques, sociaux et politiques.

De l’alimentation scolaire aux téléphones portables

Cette initiative du Millénaire est arrivée à Bonsaaso en mars 2006, d’abord dans 10 localités. A la fin de cette même année, le projet avait été élargi à 30 villages, couvrait quelque 400 kilomètres carrés et touchait plus de 30 000 personnes. La région a été sélectionnée en raison de la grande pauvreté de bon nombre de ses habitants, de la prévalence de la malnutrition, du manque de services sanitaires, du faible nombre d’enfants fréquentant l’école et du bas niveau de nombreux autres indicateurs de développement humain.

Au lieu de se concentrer sur juste un ou deux secteurs de développement, les concepteurs du projet veulent prouver que le combat contre la pauvreté peut être mené sur un large front. Si elle donne des résultats ici et dans d’autres pays, l’initiative pourrait servir de “modèle” pour le continent, affirme Sam Asare Afram, le responsable du projet Villages du Millénaire de Bonsaaso.

Bien qu’organisés depuis seulement deux ans, ces villages donnent déjà des résultats probants. Rita Adjei, infirmière-en-chef du dispensaire de Watreso, explique que la distribution des nouvelles moustiquaires imprégnées se traduit par une réduction du nombre d’enfants touchés par le paludisme ; la diarrhée reste cependant un problème grave étant donné le manque d’eau potable et de mesures d’assainissement.

Nana Dapaah Siakwan, chef villageois d’Aboaboso, estime que les inscriptions à l’école primaire locale sont passées de 200 à 500, largement en raison du programme d’alimentation scolaire lancé en mars 2007. Un nouveau dispensaire a également été ouvert.

Mohammed Salifu, un planteur de cacao, a récolté neuf sacs de 64 kilos en 2007, contre seulement quatre l’année précédente, simplement en suivant les conseils de l’agent de vulgarisation agricole envoyé à Bonsaaso par le Ministère de l’alimentation et de l’agriculture. Grâce à de nouveaux plants de cacaotiers à plus haut rendement et à croissance plus rapide, il espère faire encore mieux cette année.

Cependant, des récoltes de cacao et de produits alimentaires plus abondantes poseront des problèmes nouveaux. L’état désastreux des routes de Bonsaaso et d’autres régions du Ghana rend difficile l’acheminement des récoltes aux marchés. Mais des entreprises de construction routière chinoises engagées par le gouvernement s’activent actuellement et le projet a fait l’acquisition de deux camions de 5 tonnes pour transporter la production agricole. Le développement des infrastructures physiques ne fait pas partie des objectifs du Millénaire, remarque Ernest Mensah un facilitateur de projet, “Mais si vous voulez éliminer la pauvreté, vous avez besoin d’infrastructures”, ajoute-t-il.

Eviter la dépendance

Les critiques des projets de développement soutenus par des bailleurs de fonds extérieurs font remarquer qu’ils aboutissent souvent à rendre les bénéficiaires dépendants de cette aide extérieure, et que les projets s’effondrent fréquemment si cette aide se raréfie. Le projet des Villages du Millénaire fait appel à des ressources extérieures importantes ; en moyenne 60 % du financement provient de bailleurs de fonds extérieurs, 30 % des autorités nationales et régionales et le reste est un apport de la communauté elle-même.

Le projet est en partie conçu pour convaincre les bailleurs de fonds de fournir plus de ressources à long terme en leur montrant concrètement que l’aide au développement peut être utilisée de manière efficace pour réduire la pauvreté. Chaque dollar dépensé à Bonsaaso et dans les autres Villages du Millénaire est soigneusement comptabilisé, non seulement pour éviter le gaspillage et l’inefficience, mais aussi pour montrer aux gouvernements donateurs que des interventions simples peuvent avoir un effet positif réel. “Ils ne savent pas à quel point les solutions sont de nature pratique, explique M. Sachs en parlant des organismes d’aide au développement, ils ne savent pas que pour un coût très bas – juste quelques dollars- on peut sauver des vies d’enfant."

En démontrant que l’aide extérieure peut véritablement être efficace en Afrique, M. Sachs et ses collègues espèrent convaincre les grands pays industrialisés de respecter leurs engagements.

Pour que les bénéficiaires ne comptent pas sur l’aide extérieure pour continuer à assurer le fonctionnement des projets de Villages du Millénaire, les concepteurs du projet soulignent que certaines formes d’aide seront progressivement réduites et que les autorités locales et les villageois auront à assumer une part plus importante des coûts. Actuellement, note M. Kankam-Boadu, les nouveaux plants de cacaotier à haut rendement fournis aux agriculteurs sont subventionnés ; mais comme ceux-ci verront les revenus de leurs ventes de cacao augmenter, les subventions commenceront à diminuer l’année prochaine.

De même, les soins de santé dans les nouveaux dispensaires de Bonsaaso sont pour l’instant gratuits afin d’encourager les villageois à utiliser ces services. Mais, explique M. Afram, la gratuité des soins n’est pas économiquement viable sur le long terme. Les animateurs de projet aident par conséquent les villageois à s’inscrire au régime national d’assurance maladie du Ghana.

Les organisateurs du projet encouragent de diverses manières les autorités nationales et locales à renforcer leur présence à Bonsaaso : en construisant des routes, en multipliant les branchements au réseau d’électricité, en envoyant sur place un plus grand nombre d’enseignants, d’agents de santé et de conseil­lers agricoles.

Le projet emploie plusieurs “animateurs-formateurs” qui ont pour rôle de renforcer les commissions scolaires, les associations de parents d’élèves, les commissions de gestion de l’approvisionnement en eau et autres instances locales, ainsi que d’obtenir la participation des chefs traditionnels qui jouent un rôle clé dans la mobilisation de la population. Stephen Antwi, le coordonnateur pour le développement communautaire associé au projet, déclare à Afrique Renouveau que les structures communautaires aideront Bonsaaso à poursuivre son développement même après la réduction des contributions extérieures à l’avenir. “Nous conserverons très probablement ces moyens pendant des années”, ajoute-t-il.