Fonds de développement “vert” pour l’Afrique
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Fonds de développement “vert” pour l’Afrique
L’un des principaux problèmes qui se pose aux scientifiques et aux responsables politiques dans la lutte contre le réchauffement planétaire est lui-même de nature planétaire. A première vue, ça ne devrait pas être le cas. Le fait que la pollution produite aux Etats-Unis et en Europe modifie, parfois de manière désastreuse, les conditions climatiques de populations vivant à des milliers de kilomètres de là, en Afrique ou en Asie, devrait au contraire unir les habitants de la planète. Après tout, nous sommes tous logés à la même enseigne écologique.
Le problème est que tous les pays ne contribuent pas dans les mêmes proportions aux changements climatiques ou n’en pâtissent pas de la même manière. Les gaz industriels “à effet de serre” (GES) qui contribuent aux changements climatiques, notamment le dioxyde de carbone, proviennent surtout des pays riches industrialisés ou à croissance économique rapide, comme l’Inde ou la Chine. Les pays pauvres en développement qui ne disposent pas d’une infrastructure industrielle adéquate, comme ceux d’Afrique, contribuent peu au problème, mais en subissent les conséquences de plein fouet. Comme le fait remarquer Rajendra Pachauri, chef du Groupe d’experts intergouvernemental des Nations Unies sur l’évolution du climat, les populations pauvres en seront les principales victimes, leurs pays n’ayant ni les moyens financiers ni les moyens techniques de s’adapter à la situation.
La question des responsabilités a été débattue lors des négociations du Protocole de Kyoto de 1997, qui oblige les pays pollueurs à réduire considérablement leurs émissions de GES. Les pays pauvres ont estimé qu’ils n’avaient pas à être pénalisés. Ils ont appelé les négociateurs à inviter les pays riches à fournir aux pays pauvres une technologie moderne “verte” et à les aider à faire face aux effets des changements climatiques. Ils ont également insisté pour qu’un compromis soit trouvé entre les efforts destinés à réduire les émissions de GES et ceux visant à stimuler le développement économique.
Mécanisme de développement non-polluant
La notion de “responsabilité commune mais différenciée” a permis de dépasser cette opposition Nord-Sud : tous les pays doivent s’engager dans la lutte contre le réchauffement planétaire, mais selon leurs propres moyens. A Kyoto, la plupart des pays les plus développés ont accepté de ramener leurs émissions à un niveau inférieur de 5 % à celui des années 1990, tout en dispensant les pays en développement de réductions obligatoires. Ils ont également convenu d’adopter une mesure de financement innovante, le “Mécanisme pour un développement propre” (MDP), qui vise à atténuer les coûts inhérents à la réduction des émissions dans le Nord, tout en contribuant au financement de projets d’énergie non-polluante dans les pays en développement.
Le MDP est un mécanisme du secteur privé qui permet aux industries des pays développés de s’acquitter en partie de leurs obligations en finançant des projets de réduction des émissions dans les pays en développement, où les coûts sont souvent plus faibles. Pour une société européenne, par exemple, qui est tenue par son gouvernement de réduire les quantités de rejet de GES de 100 000 tonnes par an, il sera peut-être moins coûteux de moderniser une centrale à charbon polluante en Inde que de mettre à norme sa propre usine. Le Mécanisme autorise cette société à déduire de son objectif de réduction de 100 000 tonnes par an la quantité de pollution évitée en Inde.
Les projets accrédités par le MDP reçoivent une unité de crédit de “réduction certifiée des émissions” (URCE) par tonne de GES non émise. Ces crédits sont négociables sur les marchés internationaux de carbone, pouvant être revendus, par exemple, à une aciérie en Allemagne, une cimenterie en Suède ou une centrale électrique en Grande-Bretagne, afin d’aider ces pays à se conformer à leurs obligations de réduction des émissions.
Energie moins polluante en Ouganda
Le MDP offre d’intéressantes perspectives sur un continent où la croissance démographique, les changements climatiques et le manque de capitaux ont donné lieu à une pénurie chronique d’énergie. Les habitants de la région rurale du Nil occidental de l’Ouganda considéraient jusqu’à récemment que produire l’énergie nécessaire pour cuisiner, s’éclairer et alimenter leurs activités commerciales était une entreprise coûteuse, polluante et parfois frustrante. La plupart des ménages se servaient de kérosène ou de bois pour leurs besoins quotidiens en énergie, alors que les entreprises locales et les habitants plus aisés achetaient des groupes électrogènes et du gazole pour produire leur propre électricité, cette région étant trop isolée et trop peu peuplée pour justifier un raccordement au réseau électrique national. Le kérosène et le gazole devaient être acheminés par camion à partir de lointains dépôts sur de mauvaises routes, ce qui majorait leur coût et rendait l’approvisionnement aléatoire.
Installer une petite centrale hydroélectrique sur la rivière Nyagak voisine semblait être la solution, mais il y avaient plusieurs obstacles. Les autorités locales ne disposaient pas des moyens techniques, administratifs ou financiers nécessaires pour mener à bien un tel projet. De surcroît, les faibles capacités de la centrale – elle ne devait desservir qu’à peine 4 000 foyers, ne suscitaient pas l’intérêt des investisseurs privés en l’absence de financements externes.
Mais comme ce projet permettait de réduire d’environ 36 000 tonnes par an les volumes d’émissions de GES, par rapport aux sources d’énergie existantes, il a été retenu par le MDP. Grâce au soutien technique du Gouvernement ougandais et à l’aide financière de la Finlande et des Pays-Bas, le projet a été finalement approuvé en 2005. Les crédits de réduction des émissions, plus simplement appelés “crédit carbone”, accumulés tous les ans sont revendus sur les marchés internationaux de carbone.
Ce type de financement est essentiel pour l’Afrique et les autres régions pauvres de la planète qui ont du mal à faire face aux changements climatiques. Les scientifiques affirment que le climat de la planète se détériore plus rapidement que prévu à cause du réchauffement mondial et que le manque de moyens de l’Afrique l’empêche de s’adapter à la situation.
Malheureusement, le succès du projet du MDP dans la région du Nil occidental fait figure d’exception. Les chercheurs de la Convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques, qui supervisent le MDP, indiquent en effet qu’à peine 3 % du millier de projets approuvés dans le cadre du MDP à travers le monde sont réalisés en Afrique. Une bonne moitié des projets africains se trouve en Afrique du Sud où l’infrastructure industrielle et financière développée se prête bien au processus d’accréditation complexe du MDP.
Contexte commercial défavorable
L’Afrique a du mal à attirer les projets du Mécanisme du fait des mêmes difficultés qui découragent les investissements à caractère purement commercial : manque d’infrastructure et de main-d’œuvre qualifiée, taux de pauvreté élevés, faibles ressources financières, insuffisance des compétences administratives et techniques nécessaires pour satisfaire aux normes du MDP, institutions précaires, corruption et instabilité politique. Toutes ces lacunes concourent à donner à l’Afrique l’image d’un continent où il est difficile de faire des affaires.
De nombreux gouvernements africains et spécialistes de l’environnement font remarquer que le MDP privilégie les projets de réduction de la pollution au détriment de projets véritablement destinés à aider l’Afrique à mieux lutter contre les changements climatiques, portant par exemple sur la construction de systèmes d’irrigation, la préservation des sols et la lutte contre les inondations. Ce type de projets relève du Fonds d’adaptation du Protocole de Kyoto, financé en partie par un prélèvement de 2 % sur les “crédits carbone”.
La lenteur de la procédure d’accréditation pose également problème. Un rapport de 2008 de la Banque mondiale affirme que si un millier de projets ont été approuvés depuis la création de ce mécanisme en 2005, 2 000 autres projets sont toujours en cours d’évaluation, provoquant des retards et décourageant les investisseurs.
Les responsables du Mécanisme ont indiqué à Afrique Renouveau que des mesures de simplification des procédures d’application et de réduction des délais d’accréditation étaient à l’étude. Ils ont cependant fait valoir que les procédures fastidieuses de vérification étaient le prix à payer pour que le MDP garde sa crédibilité.
Bien qu’ils ne soient pas les seuls à être négociés, les crédits du Mécanisme sont très convoités pour leur qualité et se négocient à un prix plus élevé sur les marchés mondiaux. Avant de pouvoir prétendre à ces crédits, les projets doivent prouver qu’ils sont conformes aux plans de développement durable du pays d’accueil, qu’ils contribuent à des réductions d’émissions vérifiables et qu’ils ne se réaliseraient pas sans le financement provenant des crédits d’émissions, selon le principe de “l’additionnalité”. Ce n’est qu’à ces conditions que les crédits seront accordés, ce qui peut prendre jusqu’à deux ans.
D’après la Banque mondiale, les transactions de “crédits carbone” dans le cadre du MDP ont représenté en 2007 13 milliards de dollars, sur un marché international du carbone dont la valeur totale – 64 milliards de dollars – a doublé par rapport à l’année précédente. Le porte-parole du Mécanisme, David Abbass, a déclaré à Afrique Renouveau que les transactions sur les marchés du carbone devant, selon les prévisions, atteindre 100 milliards de dollars d’ici 2012, année de l’expiration du Protocole de Kyoto, il était indispensable que l’Afrique soit capable d’attirer la part des investissements qui lui revient.
“Le développement accéléré des marchés du carbone stimulé par l’accord sur les changements climatiques négocié à l’ONU représente une occasion unique pour l’Afrique en matière économique et de développement”, a affirmé Achim Steiner, chef du Programme des Nations Unies pour l’environnement, lors d’une réunion de banquiers africains en mai 2007.
Le cadre de Nairobi
A la fin de l’année 2006, une coalition d’organismes des Nations Unies et d’autres organisations de développement, notamment le Programme des Nations Unies pour l’environnement, le Programme des Nations Unies pour le développement, le secrétariat de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, ont lancé un projet qui vise à aider l’Afrique à mieux tirer parti du MDP. Connu sous le nom de “Plan-cadre de Nairobi” et inauguré par le Secrétaire général de l’époque, Kofi Annan, ce programme a pour principaux objectifs :
- développer les capacités locales et nationales de conception et de réalisation de projets relevant du MDP
- mieux sensibiliser les gouvernements africains et autres, ainsi que les dirigeants du secteur privé, aux possibilités qu’offre le MDP
- encourager une meilleure coopération entre gouvernements africains dans leurs actions entreprises pour attirer les “investissements verts”
- renforcer la coordination entre les divers acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux pour rationaliser les projets et les processus d’accréditation et raccourcir les délais.
Le Plan-cadre a lancé en 2007 sur Internet le “” destiné à mettre en contact les concepteurs de projets et les investisseurs, à permettre aux ingénieurs, sociétés de marketing et autres fournisseurs de service de se faire connaître et à promouvoir les possibilités de projet de MDP en Afrique et dans d’autres régions en développement. Le Plan-cadre organisera à la fin 2008 un forum panafricain du carbone au Sénégal afin de mieux faire ressortir le potentiel que présente l’Afrique pour les investisseurs dans les projets de “développement vert”.
Des efforts sont également en cours pour modifier les règles du MDP. A l’occasion d’une réunion sur les changements climatiques qui s’est déroulée en décembre 2007 à Bali, les gouvernements concernés se sont mis d’accord pour étudier les moyens d’étendre le MDP dans des domaines auparavant exclus, tels que la préservation des forêts, et pour simplifier les procédures liées aux demandes d’accréditation et à la satisfaction des conditions de ce programme. Pour sa part, la Banque mondiale intensifie son action pour promouvoir plus largement les projets du MDP.
Impatience croissante
Mais alors qu’il est prévu – objectif ambitieux – de se mettre d’accord d’ici à 2009 sur un traité qui succèdera au Pacte de Kyoto, d’aucuns craignent que les pays en développement rechignent à adopter des mesures plus strictes contre les changements climatiques s’ils estiment avoir été floués par le présent accord.
S’exprimant à la réunion sur les changements climatiques de Bali au nom des délégations africaines, le Gouvernement du Nigéria a noté que le financement devant aider l’Afrique à s’adapter aux changements climatiques était souvent assorti de conditions qu’il était difficile de satisfaire, et que les programmes de “renforcement de capacités” ne produisaient que de maigres résultats en raison du manque d’argent.
Le chef de la Convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques, Yvo de Boer, chargé de mener à bien les négociations sur le traité qui succéderait au Pacte de Kyoto, a déclaré dans un entretien accordé début 2008 à US News and World Report, qu’un schisme Nord-Sud sur la question des changements climatiques compromettrait gravement les chances de succès des négociations. “On peut se demander, d’une part, si les pays riches sauront jouer le rôle mobilisateur indispensable pour entraîner les pays pauvres, et, d’autre part, s’il nous sera possible de réunir le financement et la technologie nécessaires pour mobiliser les pays pauvres”, a-t-il indiqué.
D’après M. de Boer, les pays en développement sont prêts à s’associer aux initiatives du monde industrialisé pour contenir les émissions, mais “pour qu’il en soit ainsi, les pays riches doivent fournir la technologie, les ressources financières et les moyens de renforcer les capacités locales”. Concilier les intérêts des riches et des pauvres, “requiert un délicat compromis”, a-t-il conclu.
Plan Marshall nécessaire
D’éminents experts africains et des responsables écologiques affirment qu’il reste beaucoup à faire pour concilier les besoins du continent avec les ressources qui y sont consacrées. Richard Muyungi, directeur adjoint pour l’environnement au cabinet du Vice-président tanzanien, a déclaré à Afrique Renouveau que les dégâts infligés par les changements climatiques avaient déjà coûté à ce pays de l’Afrique de l’Est, parmi les plus pauvres de la planète, plusieurs milliards de dollars et freinaient la croissance économique.
M. Muyungi a affirmé que la gravité de la sécheresse et la crainte que les changements climatiques se répercutent sur les prix alimentaires ont obligé les autorités à réorienter leurs dépenses. De ce fait, elles ont dû réviser leurs prévisions d’une croissance de 6 ou 7 % pour 2008. “Il nous est impossible de présenter un bilan global des pertes subies car nous n’en connaissons pas l’ampleur. Je sais qu’il n’est plus possible de cultiver le coton et le maïs dans certaines régions, mais l’ampleur du manque à gagner est plus difficile à calculer”, dit-il.
La Tanzanie coopère avec les institutions des Nations Unies et les donateurs bilatéraux à l’élaboration d’un plan d’action contre les changements climatiques et œuvre dans le cadre du Plan de Nairobi pour le faire financer par le Mécanisme, poursuit M. Muyungi. “Les démarches restent toutefois trop compliquées. L’Afrique est déjà à la traîne pour les investissements étrangers directs et se heurte aux mêmes problèmes dans le cadre du MDP”. Celui-ci devra adopter une approche bien plus globale et plus stratégique en Afrique pour aider véritablement le continent. “Ce dont on a vraiment besoin est un Plan Marshall”, dit-il.
Réformer le système
Ogunlade Davidson, co-président du groupe de travail sur les réductions des gaz à effet de serre du Groupe d’experts intergouvernemental de l’ONU sur l’évolution du climat et doyen d’études postuniversitaires à l’Université de Sierra Leone est encore plus direct. A son avis, le Mécanisme a été “détourné” par le secteur privé de sa mission initiale de réduction des gaz à effet de serre, et est devenu une entreprise à but lucratif.
Le Mécanisme autorise les investisseurs à réinjecter une partie des unités de “crédits carbone” dans des projets commerciaux de pays comme l’Inde ou la Chine qui attirent déjà d’importants capitaux étrangers.
Par ailleurs, M. Davidson note avec inquiétude que le MDP n’impose pas de mesures de réduction obligatoire d’émission de GES aux pays développés, pourtant les plus gros acheteurs de “crédits carbone”. “Il s’agit d’une lacune fondamentale. Les pays développés doivent réduire leurs émissions de 90 %. Il faut prendre des mesures plus restrictives. Les marchés ne peuvent pas à eux seuls assurer les réductions d’émission nécessaires. Ce sont justement eux qui ont créé ce problème”, dit-il.
L’amélioration du MDP devrait passer à son avis par la modification des procédures, l’adoption de mesures plus strictes de réduction d’émission de GES au niveau national et la diversification du type de projets pouvant être accrédités. De plus, dit-il, il faudrait doter le MDP de nouveaux instruments, tel qu’un protocole prévoyant l’apport aux pays en développement de techniques de pointe à des taux préférentiels, des mesures gouvernementales visant à accroître le coût des émissions de GES pour inciter à la réduction de la production et l’augmentation des contributions au Fonds d’adaptation.
M. Davidson note aussi que même si la totalité des transactions annuelles de “crédits carbone” s’élevait à 100 milliards de dollars par an, un prélèvement de 2 % sur ce montant ne dégagerait que deux milliards de dollars par an, ce qui est nettement insuffisant pour obtenir des résultats.
Par ailleurs, affirme-t-il, les programmes de renforcement des capacités comme ceux proposés par le Plan de Nairobi restent utiles, à condition qu’ils soient incorporés dans les programmes de formation scientifique, technologique et de gestion des institutions africaines.
NEPAD : l’intégration du développement “vert”
L’intégration des programmes de lutte contre les changements climatiques et des projets de protection de l’environnement dans les stratégies de développement de l’Afrique constitue un élément-clé du plan d’action pour l’environnement du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), adopté en 2001. Le programme pour l’environnement, lancé en 2003, fixe trois objectifs prioritaires aux gouvernements africains et à leurs partenaires de développement :
- Identification des régions et des populations les plus vulnérables aux chocs climatiques et mise en place de systèmes de surveillance et d’alerte rapide
- Elaboration de plans d’intervention détaillés aux niveaux national et régional, notamment des mesures d’urgence en cas de catastrophes, lancement de programmes de développement souples et mise en place de stratégies de gestion à long terme
- Acquisition d’expérience pratique dans le cadre de projets de démonstration et projets pilotes visant à “montrer l’exemple” en appuyant le développement économique tout en s’adaptant aux chocs climatiques.
A ce jour, deux douzaines de pays africains ont formulé des plans d’action nationaux contre les changements climatiques, et les programmes soutenus par le NEPAD destinés à lutter contre la propagation du désert saharien et à protéger les forêts de l’Afrique centrale et de l’Ouest commencent à porter leurs fruits. De nombreuses autres propositions du NEPAD, notamment la construction d’un réseau électrique continental, contribueraient par ailleurs à “verdir” le développement africain et à réduire la pauvreté.
Pour l’instant, toutefois, de nombreux projets du NEPAD ne relèvent pas du domaine de l’environnement financé par le MDP, et les promesses des pays du Nord d’augmenter leur aide au développement à l’Afrique n’ont pas été suivies d’effet. Tant qu’il n’y aura pas de financement, la majorité des programmes de développement “vert” du NEPAD resteront lettre morte et la capacité de l’Afrique à affronter les changements climatiques sera limitée.
“Permis de polluer” ?
L’Afrique n’est pas le seul continent à contester les avantages économiques et écologiques des transactions sur le carbone dans la lutte contre les changements climatiques. De nombreux militants écologiques et des économistes sont hostiles par principe à ce type d’opérations. A leur avis, autoriser les industries polluantes des pays développés à décompter les crédits d’émission de leurs quotas de réduction obligatoire revient à créer un marché de “permis de polluer” et affaiblit la détermination du Nord industriel de procéder aux réductions d’émission indispensables pour arrêter le réchauffement planétaire.
Les marchés de carbone sont par ailleurs perturbés par l’incertitude qui pèse sur l’accord de l’après-Kyoto. Certains analystes prévoient un ralentissement des achats de crédits tant qu’on n’y verra pas plus clair. Cette incertitude risque de faire baisser les prix des “crédits carbone” au moment où de nombreux scientifiques estiment que ces prix sont déjà trop faibles pour offrir aux pays développés les incitations financières nécessaires pour réduire leurs émissions de GES.
Banque mondiale : les fonds pour le climat contestés
La Banque mondiale est activement engagée sur le marché mondial florissant des crédits de pollution, qui visent à favoriser la réduction des quantités de gaz industriels à effet de serre, communément appelés émissions de carbone, qui contribuent au réchauffement de la planète. Depuis le lancement en 1999 du Fonds prototype pour le carbone, un projet pilote de la Banque, l’institution s’occupe des opérations et de la gestion de 10 fonds d’échanges de carbone, dont, notamment :
- Le Fonds de développement communautaire pour le carbone destiné à financer des petits projets d’énergie non-polluante
- Le Fonds pour le bio-carbone destiné à investir dans des projets forestiers et agricoles qui absorbent et retiennent les GES
- Le Fonds-cadre pour le carbone, qui réunit le financement nécessaire à l’achat de crédits aux grands programmes de réduction d’émissions
- Le Fonds carbone pour l’Europe, une entreprise commune avec la Banque européenne d’investissements
- Les fonds nationaux pour le carbone de l’Espagne, de l’Italie et du Danemark, et deux fonds pour les Pays-Bas.
La Banque mondiale s’est également proposée de gérer deux autres fonds alimentés en grande partie par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Japon. L’un financerait les transferts de technologie non-polluante, l’autre les projets d’adaptation aux changements climatiques dans les pays en développement. Ces fonds disposeraient d’avoirs de l’ordre de cinq à 11 milliards de dollars. Cette initiative a été présentée à la réunion du “Groupe des 20” plus grandes puissances économiques qui s’est déroulée en mars dans la banlieue de Tokyo.
Résistance farouche
Ces propositions se sont heurtées à la résistance farouche des pays en développement et des organisations écologiques non gouvernementales, qui ont affirmé que ces fonds ne tiendraient pas compte des initiatives de l’ONU dans ce domaine.
Bernaditas Muller, fonctionnaire du Gouvernement philippin et représentante du “Groupe des 77” pays en développement, a fait remarquer que ces fonds fonctionneraient “en marge” de la convention sur les changements climatiques négociée aux Nations Unies. Elle a insisté pour que les dons soient acheminés par les organismes des Nations Unies chargés des questions de l’environnement.
Le Ministre de l’environnement de l’Afrique du Sud, Marthinus van Schalkwyk, a déploré que les pays en développement n’aient reçu aucune information sur la constitution des fonds. “Mon pays ne voit aucune raison à la constitution de nouveaux mécanismes de financement parallèle improvisés en dehors de l’ONU”, a-t-il déclaré, se prononçant contre une prolifération de financements provenant d’autres institutions multilatérales. Le Ministre a demandé que les contributions des donateurs représentent des ressources additionnelles au lieu d’être prélevées sur des budgets existants de l’aide au développement.
“Risque de nuire”
Le Gouvernement indien a estimé que ces fonds “risquaient de nuire” à la lutte contre les changements climatiques. Les institutions financières multilatérales ont des “structures de gouvernance asymétriques” à l’intérieur desquelles l’influence des donateurs est prédominante, a-t-il dit. Dans ces conditions, a-t-il observé, “la constitution de filières de financement parallèles ne ferait qu’affaiblir la volonté des pays en développement de s’engager dans la lutte contre les changements climatiques”.
Depuis lors, le porte-parole de la Banque mondiale, Roger Morier, a affirmé à Afrique Renouveau que la Banque avait considérablement modifié ses propositions initiales, réduisant notamment l’influence des donateurs sur les conseils des directeurs des fonds, en accordant le même nombre de sièges aux représentants des pays développés et en développement. Cette décision a été saluée par certains critiques de la Banque mondiale, dont l’ONG Oxfam International.
Pourtant l’annonce récente selon laquelle certaines contributions britanniques aux fonds s’effectueraient sous forme de prêts plutôt que de dons, alourdissant vraisemblablement les fardeaux futurs de la dette, et les inquiétudes persistantes au sujet de la constitution de filières de financement en dehors du cadre défini par l’ONU dans le domaine de l’environnement risquent de faire durer la polémique. Début juin, une coalition de 121 groupes écologiques et organisations de développement non gouvernementales ont jugé “largement insuffisants” les prêts consentis aux programmes de lutte contre les changements climatiques des pays pauvres. Ils ont affirmé que “les pays riches sont principalement responsables des changements climatiques” et qu’il leur appartient d’en assumer le coût. Une décision définitive au sujet des fonds est prévue dans le courant de l’année 2008.