Conférence mondiale sur les océans : notre meilleure et dernière chance
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Conférence mondiale sur les océans : notre meilleure et dernière chance
Pourriez-vous nous dire pourquoi l’ONU organise une conférence aussi prestigieuse sur les océans et quels sont ses objectifs ?
La Conférence mondiale sur les Océans soutient l’ [ODD] 14, qui, dans le cadre de l’Agenda 2030 pour le développement durable vise une conservation et une gestion durable des ressources océaniques. Cette conférence représente peut-être la meilleure et dernière opportunité d’inverser le cycle de destruction que subissent les océans. Originaire d’un pays insulaire, je connais la gravité des problèmes rencontrés par les océans. Les données scientifiques sont irréfutables. La pollution marine a atteint des sommets et d’ici 2050, il y aura plus de déchets plastiques que de poissons. Il suffit juste d’observer les effets du changement climatique sur les océans pour comprendre leur sort. Regardez autour de vous et vous verrez l’impact des égouts et des eaux usées provenant de l’agriculture et des industries sur les écosystèmes côtiers. La Conférence mondiale sur les Océans arrive à point nommé. Des scientifiques, des représentants de la société civile et du secteur privé y participeront. Elle ne concerne pas que les États ; les êtres humains doivent prendre la mesure de leurs actions sur les océans et rectifier le tir.
Vous avez récemment déclaré que les problèmes causés par les hommes nécessitent des solutions humaines. Qu’entendez-vous par là?
L’Accord de Paris sur le climat est une solution humaine à un problème humain. Notre devoir est de respecter les termes de cet accord. Étudiez l’acidification océanique et vous obtiendrez des solutions. Je ne prétends pas les avoir clairement identifiées, mais j’ai échangé avec des experts ; il faut analyser le problème pour trouver des solutions. Nous devons arrêter les subventions des pays industrialisés aux flottes de pêche. Nous devons identifier les espèces menacées et nous accorder à ne pas excéder le quota de pêche voire cesser de pêcher ces espèces. Il s’agit là de solutions humaines. Nous déversons l’équivalent d’un camion de déchets plastiques dans l’océan à chaque instant de la journée. Nous devons concevoir de meilleurs systèmes de collecte de déchets et suivre l’exemple du Rwanda: interdire l’utilisation des sacs plastiques. N’utilisez pas des sacs plastiques, même si votre gouvernement n’en interdit pas l’utilisation.
Vous avez abordé la question de l’effet du changement climatique sur les poissons. Comment inverser la tendance et soutenir les régions les plus touchées ?
Le problème majeur c’est le changement climatique—qui entraîne le réchauffement et la désertification océaniques. C’est le plus grand des fléaux concernant la quantité de poissons. Nous devons respecter les termes de l’Accord de Paris. Mais nous devrions également créer des aires marines protégées afin de gérer durablement les quantités de poissons. Nous devons arrêter la pêche illégale et les pratiques néfastes telles que la pêche intégrale de certaines espèces. Nous devons arrêter ces ridicules subventions accordées aux flottes de pêche et utiliser cet argent pour restaurer les écosystèmes côtiers.
Comme vous l’avez indiqué, certaines parties de l’océan sont extrêmement polluées. Quels sont les principaux polluants en dehors des déchets plastiques ?
Les composants microplastiques, qui sont d’infimes quantités de matière plastique introduits dans des produits tels que la pâte dentifrice, les crèmes et autres produits cosmétiques, posent le plus grand problème. Nos industries doivent cesser d’utiliser des composants microplastiques puisqu’ils sont absorbés par la biosphère. Les conséquences sont multidimensionnelles. Lors de mon dernier séjour en Indonésie, j’ai échangé avec un Ministre qui a déclaré avoir constaté que l’absence de régulation des déchets, essentiellement plastiques, déversés dans l’océan, représentait un frein pour l’emploi car les touristes sont moins nombreux lorsque ces déchets se déportent sur la plage. Prosaïquement, ce Ministre affirmait que si les décideurs souhaitent voir le tourisme se développer, ils doivent protéger leurs plages et leurs mers contre la pollution des déchets plastiques.
Puisque, comme vous l’avez si bien dit, les plastiques sont les principaux polluants, et compte tenu de la dépendance de l’économie mondiale aux produits plastiques, le monde peut-il survivre sans plastiques?
Absolument ! L’ingéniosité humaine ne connaît pas de limites et je suis sûr que nous allons résoudre ce problème. Ces problèmes liés au plastique ont vu le jour au cours de notre époque, et c’est à l’époque de nos enfants qu’ils doivent être résolus. J’espère que cela se produira de notre vivant, mais j’en doute. On s’intéresse beaucoup à une économie plus circulaire consistant à réutiliser les plastiques afin qu’ils ne soient pas jetés. Si vous devez avoir un briquet en plastique, pourquoi ne peut-il pas être rechargeable ? Il en est de même avec des pailles en plastique, ce sont là l’un des grands déchets qui finissent sur les plages. Pourquoi ne pas le remplacer par des pailles en papier ?
Vous avez parlé des subventions accordées aux flottes de pêche. Les pays qui accordent ces subventions sont-ils prêts à les arrêter ? Quelle est la solution ?
Examinons d’abord le problème. Il existe un très grand nombre de flottes de bateaux de pêche industrialisés qui épuisent essentiellement les stocks de poissons. Tirons les choses au clair : de mon point de vue, les subventions aux flottes de pêche constituent une cible facile. Dans quel cadre comptez-vous aborder la question ? À l’Organisation mondiale du Commerce [OMC], qui est le meilleur forum permettant de résoudre la question des subventions. Cependant, cela devrait également se faire au sein des populations locales des pays concernés. Elles devraient se demander : « Pourquoi dépensons-nous notre argent pour ces flottes qui ne sont plus économiquement viables ? «. Des mesures internationales doivent également être prises au niveau de l’OMC. La Conférence mondiale sur les Océans constituera une plateforme appropriée pour l’application de ces mesures.
Évidemment, ce ne sera pas facile compte tenu de l’expérience des discussions à l’OMC.
Certaines des réalités doivent commencer à être prises au sérieux. J’étais récemment en Afrique de l’Ouest où j’ai vu l’immense infrastructure de pêche artisanale. Des milliers de bateaux s’alignent sur la plage. Puisque les stocks de poissons sont épuisés par ces grandes flottes industrialisées, que peuvent-ils faire de ces bateaux qui constituent essentiellement leur seul héritage familial? Les gens se tourneront vers des activités comme le trafic d’êtres humains s’il n’y a plus de poissons dans les mers. Et les pirogues que j’ai vues sont largement capables de partir pour l’Europe. Telle est la conséquence d’une pêche industrielle irresponsable. Si vous comptez écarter les moyens de subsistance des pêcheurs artisanaux, attendez-vous à des conséquences néfastes. Il s’agit également d’un moteur de migration si les gens perdent leurs moyens traditionnels de subsistance.
Vous avez mentionné l’impact sur les petits États insulaires en développement (PEID) à l’évolution des conditions météorologiques, en particulier l’élévation du niveau de la mer. Que faisons-nous à ce sujet ?
Les PEID sont particulièrement vulnérables à ces changements océaniques. C’est l’une des raisons pour lesquelles les PEID étaient à l’avant-garde de l’élaboration de l’ODD 14, de l’appel à la Conférence mondiale sur l’océan et de l’appel à une action d’ici à 2030. Nous sommes tenus de réussir. En fait, certains des objectifs contenus dans l’ODD 14 doivent être atteints plus tôt. Pour les PEID, le réchauffement des océans est l’une des menaces les plus importantes et représente environ 40% des causes de l’augmentation du niveau de la mer. Pour certains pays, cela signifie disparaître totalement.
Comment répondez-vous aux observateurs qui disent : « L’ONU excelle dans les discours et l’organisation de conférences, mais nous ne voyons pas beaucoup d’actions sur le terrain »?
L’ONU n’est pas une solution miracle. Nous œuvrons essentiellement à rassembler les peuples mais nous ne venons pas d’une autre planète. Ce que nous essayons de dire au travers de cette Conférence mondiale sur l’océan est : « Nous avons causé ce problème. Comment allons-nous le résoudre ? » C’est une conférence qui ne concerne pas uniquement les États. Elle s’adresse à la société civile, au secteur privé et aux ONG. Nous espérons recueillir des centaines, peut-être, des milliers d’engagements volontaires grâce à une inscription en ligne—c’est un programme d’action sur lequel nous pouvons travailler au cours des prochaines années.
Quel est le degré d’implication des pays africains dans cette conférence ?
L’Afrique est dotée d’une large zone côtière. J’encourage toujours les pays africains à s’impliquer dans la conférence à haut niveau car les activités maritimes sont essentielles pour beaucoup d’entre eux. Lorsque j’étais en Éthiopie, ils ont demandé « ODD 14 ? Content d’apprendre que vous travaillez là-dessus, mais nous n’avons pas de zones côtières. » Je leur ai dit : « Écoutez, 50% de l’air que vous respirez provient de l’océan. Si l’état de l’océan est altéré, vous serez affecté. Pensez plutôt à atteindre l’ODD 14, même si vous vivez dans un pays enclavé. »
Les pays africains coopèrent-ils suffisamment ?
J’étais au Sénégal et les Sénégalais sont très enthousiastes à cette idée. Ils co-présideront les dialogues de partenariat, c’est pourquoi je les ai encouragés à s’adresser au reste de la communauté ouest-africaine. Les Kenyans sont très impliqués et je les ai encouragés à s’adresser aux autres pays de l’Afrique de l’Est. Telle est l’approche que j’ai adoptée. Lors de mon passage en Égypte, j’ai dit aux Égyptiens « Veillez à ce que votre pays ne soit pas un pays d’Afrique laissé pour compte. Vous avez la Mer rouge. Vous avez la Mer Méditerranée—toutes deux confrontées à d’énormes difficultés. Venez [à la conférence]. » Donc, l’Afrique a un très grand rôle à jouer et j’espère que de nombreux leaders africains seront au rendez-vous.
Etes-vous optimiste concernant la mise en œuvre des résolutions de cette conférence ?
Nous avons travaillez ardemment pendant deux ans pour préparer cette conférence. Lors de la réunion préparatoire il y a environ un mois, j’ai eu la certitude que le niveau de sensibilisation était pleinement atteint. Je suis convaincu, après avoir échangé avec les représentants d’importantes organisations de la société civile et les grands États membres, qu’ils sont tous conscients qu’il s’agit de la dernière et meilleure opportunité d’inverser la tendance actuelle, et je l’espère. J’ai des petits-fils et je leur souhaite de pouvoir vivre dans un monde avec des récifs de corail et des poissons dans l’océan. En tant que plongeur, j’ai visité des coins du globe où vous n’apercevez plus rien dans l’eau. C’est beau et l’eau est limpide mais il n’y a pas de vie, pas de poissons. Ce n’est pas le sort que nous souhaitons pour
nos océans.