Combler l’écart de la pauvreté au Ghana
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Combler l’écart de la pauvreté au Ghana
Beaucoup des femmes qui participent à l’atelier de l’association de beurre de karité de Pagsung ont la quarantaine ou la cinquantaine. Auparavant, chacune ramassait et traitait de son côté des arachides de karité, mais gagnait à peine de quoi survivre. “Nous avons compris que si on s’associait on pourrait gagner plus et en vendre plus”, raconte Safiya Hassan, récente diplômée d’université qui aide les femmes.
L’association comprend désormais 13 groupes de productrices de karité, toutes femmes, dans la région septentrionale du Ghana. Elles sont capables de produire ensemble plus de 20 tonnes de beurre de karité par mois. La majorité de cette production, sous la forme de savonnettes de karité et de crèmes cosmétiques de qualité supérieure, est écoulée à une société japonaise. Dans le cadre du groupe, les femmes gagnent 10 cédis ghanéens de plus (11 dollars) pour 100 kilos que ce qu’elles gagnaient à titre individuel. Ce modeste supplément a déjà changé la vie de la plupart d’entre elles.
“Nous leur offrons un rêve, un grand rêve”, explique Adisa Yakubu, Directrice exécutive de l’organisation non gouvernementale Africa 2000 Network-Ghana et Coordinatrice du programme de beurre de karité. Le programme reçoit par ailleurs l’appui du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et du Japon, dans le cadre du programme de coopération de ce pays avec l’Afrique, connu comme la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (voir Afrique Renouveau, juillet 2008).
Le programme de karité n’a que quelques années et de nombreux obstacles à surmonter. Cela n’empêche pas ses membres d’offrir leur aide aux autres productrices de karité des régions du nord, ainsi qu’à celles des hautes régions de l’Ouest et de l’Est situées encore plus au nord. Ayant appris les techniques de production les plus avancées de femmes d’autres régions, ces femmes estiment qu’il leur appartient à présent de former des groupes de “formatrices supérieures” des trois régions septentrionales du pays. “L’un de nos plus grands succès réside dans la création de réseaux aussi importants”, affirme Mme Yakubu.
Le Nord exclu
La lutte contre la pauvreté est une mission particulièrement difficile dans le nord où le moindre changement peut avoir des effets considérables. La solidité de l’économie ghanéenne a largement contribué à l’amélioration des conditions de vie des habitants du pays, le pourcentage de Ghanéens vivant dans la pauvreté ayant baissé de 52 % dans les années 1991-1992 à 29 % en 2005-2006, d’après les données fournies par les services de statistiques ghanéens. Le Ghana est donc en voie d’atteindre l’objectif de réduction de la pauvreté qui figure parmi les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) adoptés par les dirigeants du monde en 2000.
programmes spéciaux pour venir à bout de la concentration élevée de pauvreté dans le Nord et triompher de la médiocrité du climat et du manque de possibilités économiques.
La partie nord du Ghana s’est trouvée pratiquement exclue de cette tendance générale. L’incidence de la pauvreté sur la région du Nord n’a que très légèrement baissé au cours de la même période, passant de 63 % à 52 %. Dans la Haute Région de l’Ouest, ce taux est resté stable à 88 %, alors qu’il a en fait augmenté dans la Haute Région de l’Est, où il est passé de 67 à 70 %.
Le Rapport 2007 sur le développement humain du Ghana du PNUD note que les trois régions du nord du Ghana abritent “les plus pauvres des pauvres”. Bien que ce pays compte d’importants succès dans la réalisation de certains OMD, contrairement à de nombreux pays de l’Afrique subsaharienne, les résultats ont été répartis de manière très inégale dans le pays. Certes, les populations d’autres régions du Ghana ont aussi été laissées à l’écart, notamment dans les grands centres urbains du sud, mais les plus mauvais indicateurs concernent le nord du pays.
Ce type d’inégalités géographiques n’est pas propre au Ghana. De nombreux pays d’Afrique et d’autres régions du monde connaissent des déséquilibres régionaux, un fait que l’on perd de vue dans les débats qui portent surtout sur les moyennes nationales.
Les experts en développement ghanéens, les institutions d’aide internationales et les habitants du nord affirment qu’il reste beaucoup à faire pour réduire les disparités régionales. Charles Abugre, économiste ghanéen et responsable des politiques et de la mobilisation de l’organisation non gouvernementale Christian Aid, affirme que le Ghana n’atteindra pas tous les OMD tant que “les autorités ne prendront pas des mesures spécifiques” pour combler l’écart entre le nord et le sud.
John Nabila, chef suprême traditionnel du district de West Mamprusi dans le nord du pays, estime pour sa part que cette région a surtout besoin d’une action concertée et délibérée au niveau national visant à accroître les investissements dans l’éducation, la santé et le développement économique. “Nous attendons impatiemment le jour où l’écart entre les régions pourra être comblé”, dit-il à Afrique Renouveau.
Géographie et climat
M. Nabila, qui est également professeur de géographie à l’Université du Ghana et représentant de la région du Nord au Conseil d’Etat, organisme consultatif sur des questions de politique, fait remarquer que le nord du Ghana ne satisfait à pratiquement aucun indicateur et compte un retard considérable sur le sud depuis l’époque coloniale.
L’emplacement géographique constitue un obstacle. Les trois régions du nord sont éloignées des ports, des routes, des voies ferrées, des marchés, des centres industriels et des zones agricoles fertiles, autant de facteurs qui contribuent au développement économique et humain du sud du pays.
“Les routes sont mauvaises”, précise John Nabila. Les difficultés d’acheminement et les coûts élevés des transports entravent l’activité économique. C’est l’un des principaux problèmes auquel se heurtent les productrices de karité à Tamale, dont les exportations vers le Japon doivent être acheminées par camion jusqu’au port d’Accra sur la côte, avant d’être chargées sur les navires. Les frais de transport grèvent les bénéfices réalisés par les femmes.
L’économiste ghanéen Cletus Dordunoo, l’un des responsables du Rapport sur le développement humain du Ghana, affirme pour sa part que le sort des trois régions du nord rappelle par bien des côtés celui de pays enclavés au nord du Ghana, le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Le climat du nord du Ghana rappelle également celui du Sahel aride et balayé par les vents plus au nord. Les agriculteurs et les éleveurs dépendent des rares chutes de pluie imprévisibles. John Nabila fait remarquer que l’an dernier, la brève saison de pluies avait commencé en mai comme d’habitude, et les agriculteurs avaient cultivé leur terre comme d’habitude. “Ils prévoyaient des récoltes record et, d’un seul coup, la pluie a cessé. Les cultures ont été détruites. Peu après, le ciel s’est mis à déverser des trombes d’eau provoquant des inondations”, se souvient-il.
M. Dordunoo explique que de nombreux jeunes quittent le nord en raison de la pauvreté qui y règne et du peu de chances qu’il offre.
Changement de politique
Des gouvernements successifs ont lancé après l’accession à l’indépendance en 1957 plusieurs programmes de développement économique du nord, notamment des projets de riziculture irriguée.
“Puis la Banque mondiale est arrivée, raconte John Nabila. Les mesures de libéralisation économique préconisées par la Banque ont débouché sur l’élimination des subventions d’Etat pour les intrants agricoles, les projets d’irrigation et les services de vulgarisation agricole. De plus, les droits de douane sur l’importation du riz ont été levés, ce qui a conduit à une inondation du marché national par le riz moins cher d’Asie”.
Incapables de s’aligner sur ces prix, près d’un demi-million de riziculteurs, pour la plupart du nord du pays, ont été contraints à l’abandon, et la production nationale de riz a chuté. Aujourd’hui il n’y a plus que 100 000 riziculteurs. “Ce secteur d’activité s’est effondré, déplore M. Nabila. Les changements d’orientation ont infligé des souffrances à toute la population.”
Instruction insuffisante, mauvaise santé
Le développement limité du nord se traduit par une pénurie de main d’œuvre locale capable d’assurer les services sociaux de base. Alors que près de 70 % de tous les enfants en âge scolaire sont inscrits dans l’enseignement primaire au niveau national, ce taux est d’à peine 50 % pour la région du Nord et de 51 et 56 % respectivement pour la Haute Région de l’Ouest et la Haute Région de l’Est. En outre, les taux d’inscription dans les établissements secondaires des trois régions du nord sont inférieurs de moitié à ceux qui sont enregistrés dans le reste du pays. Trois-quarts environ des adultes du nord sont analphabètes, alors que la moyenne nationale est de 43 %.
Comme partout ailleurs au Ghana, il y a eu des efforts de scolarisation notables au cours des dix dernières années. Les familles pauvres reçoivent des petites bourses lorsqu’elles inscrivent leurs enfants à l’école, et les programmes de repas scolaires constituent une incitation supplémentaire. Dans les régions où ce programme a été lancé, “le taux d’inscription scolaire a augmenté à un tel point que les infrastructures, les locaux et les installations s’avèrent insuffisants”, dit M. Dordunoo.
Les soins de santé ont aussi connu une légère amélioration. Entre 2003 et 2006, les taux de mortalité infantile ont diminué de plus de 50 % dans le Nord et la Haute Région de l’Est et de 25 % dans la Haute Région de l’Ouest.
Globalement, cependant, les soins de santé restent insuffisants. L’ensemble des trois régions du Nord ne compte en effet que moins de 9 % des hôpitaux du pays alors que sa population représente 17 % de la population totale. Le rapport du nombre de dispensaires à la population est juste en dessous de la moyenne nationale, mais comme la région du Nord est étendue, la plupart des habitants doivent parcourir de plus longues distances et les frais de déplacement supplémentaires s’avèrent parfois rédhibitoires pour les plus pauvres.
Les frais de santé varient parfois sensiblement dans la région même. Une étude citée par le Rapport du PNUD estime que le coût des soins dispensés pour traiter le paludisme ne représente que 1 % du revenu des foyers les plus aisés du Nord, contre 34 % des revenus des foyers les plus pauvres.
“Pratiques culturelles déshumanisantes”
La vaste majorité des indicateurs sociaux et économiques, depuis le taux d’inscription scolaire aux soins de santé en passant par l’accession à la propriété foncière, indiquent que les femmes et les jeunes filles du Nord sont bien plus mal loties que les hommes. Cela est vrai pour le Ghana (comme pour la plupart des pays du monde), mais le nord du pays souffre en particulier de ce que le Rapport sur le développement humain appelle la persistance des “pratiques culturelles déshumanisantes”.
Cletus Dordunoo explique que la participation des enfants aux travaux agricoles et domestiques entrave leur scolarisation, notamment pour les filles, l’attitude dominante étant qu’elles “ne doivent pas aller à l’école”. La pratique de l’excision est répandue, bien qu’elle soit en principe interdite.
D’autres pratiques sont toujours courantes. Il y a l’enlèvement des jeunes filles ou les mariages forcés à un âge précoce.
Les droits d’héritage des veuves sont limités, et c’est précisément pourquoi le projet de beurre de karité à Tamale est si important, explique Adisa Yakubu. Les femmes du nord ont pourtant enregistré des succès symboliques dans un certain nombre de domaines. A l’occasion des dernières élections parlementaires de 2004, quatre femmes ont été élues dans cette région.
De nombreux pays d’Afrique et d’autres régions du monde sont marqués par des inégalités régionales, un fait que l’on perd de vue dans les débats qui portent surtout sur les moyennes nationales.
In a few respects, women in the north have made some symbolic gains. During the last parliamentary election in 2004, four women were elected in the Northern Region. They accounted for about 15 per cent of the deputies in the region, marginally higher than the 11 per cent rate for Ghana as a whole.
Le patchwork ethnique du Nord complique la situation sociale. Il y a une quinzaine d’ethnies rien que dans cette région, avec des origines, coutumes et traditions différentes. Le plus souvent, dit Cletus Dordunoo, tout ce monde vit en paix, mais, parfois des conflits éclatent, certains groupes s’estimant lésés dans l’accès aux ressources ou l’attribution de positions d’influence.
Des heurts ethniques se sont produits fin juin à Bawku, dans la Haute Région de l’Est, qui ont fait plus d’une douzaine de victimes. Faisant le rapprochement entre de tels actes de violence et la persistance de la pauvreté, des centaines de femmes et d’enfants ont manifesté dans la ville exigeant le retour à la paix. “La discorde tue”, pouvait-on lire sur certaines banderoles, alors que d’autres décrétaient “Pas de paix, pas de développement “.
Fonds de développement
L’idée qu’un effort exceptionnel est indispensable au niveau national pour combler l’écart qui sépare le nord du sud est plus ancienne que le Ghana lui-même. En 1953 déjà, des représentants des provinces du nord avaient recommandé à une assemblée constitutionnelle la constitution d’un organisme séparé chargé d’encourager les investissements vers le nord, en vue de « rattraper le retard sur le sud”.
John Nabila rappelle que le premier gouvernement après l’indépendance, celui de Kwame Nkrumah, a constitué un fonds de bourses pour les étudiants du nord, et la plupart des gouvernements suivants ont pris d’autres mesures. “Il n’y a pas un seul gouvernement que l’on peut accuser d’avoir négligé le nord”, dit-il. Mais l’instabilité politique, les nombreux autres besoins urgents du pays et des mauvaises décisions économiques ont affaibli ces efforts.
Au cours des dernières années, des parlementaires, des cadres, des hommes d’affaires et autres notables du nord ont renouvelé leurs appels pour la constitution d’un fonds de développement du Nord. Cette proposition a reçu le soutien de la plupart des principaux partis politiques et la majorité des candidats aux élections parlementaires de décembre 2008 se sont engagés durant la campagne électorale à financer généreusement une telle initiative. A l’occasion d’une manifestation électorale organisée à la fin juillet à Tamale, le candidat présidentiel du Nouveau Parti patriotique actuellement au pouvoir a promis d’alimenter le fonds avec 1 milliard de dollars s’il était élu. Les candidats du parti d’opposition, le Congrès national démocrate, ont fait des promesses analogues.
M. Nabila est optimiste sur les chances de constitution d’un fonds destiné aux besoins du Nord. “Cette idée a reçu le feu vert des autorités, de la société civile, des mouvements de jeunesse du nord, des membres du Parlement et du Conseil d’Etat. Il s’agit donc d’une véritable action concertée à tous les niveaux”, dit-il.
De l’avis de Cletus Dordunoo, accorder la priorité à un seul domaine d’activité n’est pas la solution. Les infrastructures, notamment les routes et les technologies modernes de communication, seront indispensables pour briser l’isolement de cette région du pays. Mais compte tenu du fait que la plupart des habitants du Nord s’adonnent aux activités agricoles et d’élevage, il est tout aussi important à son avis de lancer un programme de développement agricole “très agressif”, offrant aux petits agriculteurs des engrais, des semences et des systèmes d’irrigation. Par ailleurs, dit-il, “ je n’échangerais l’éducation et la santé pour rien au monde”.
M. Nabila se réfère à une étude géologique réalisée dans West Mamprusi, son district d’origine, pour souligner le potentiel des industries extractives. “Il y a pas mal de minerais dans cette région”, dit-il, tout en estimant que le développement des secteurs du beurre de karité, du coton, des arachides et des industries manufacturières était tout aussi important.
Le flux de migrants vers le sud pourrait être enrayé pour peu que les jeunes du nord se voient accorder une nouvelle chance. “Le lancement d’un programme de développement solide dans le nord permettrait de créer une économie capable d’absorber cette main d’œuvre oisive et d’offrir une meilleure éducation à tous. S’il y a des emplois, les jeunes resteront ici”, prédit John Nabila.