Moisson de l’espoir pour les agriculteurs
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Moisson de l’espoir pour les agriculteurs
Dans un monde encore secoué par la flambée des prix alimentaires et les manifestations parfois violentes qui l’ont accompagnée (voir Afrique Renouveau, juillet 2008), comment accroître la production agricole en Afrique et dans d’autres régions qui souffrent régulièrement de la faim ? Tito Jestala, qui cultive une minuscule parcelle de terre à Chiseka (Malawi), pense détenir la solution.
En 2005, plus de 30 de ses voisins sont morts de malnutrition, à la suite d’une des sécheresses que connaît périodiquement l’Afrique australe. Même sur une bonne année, a-t-il déclaré au quotidien britannique The Independent, il ne tirait à grande peine que 250 kilos de maïs de sa terre épuisée. Mais au cours des deux dernières années, cette récolte a triplé, ce qui lui a donné largement de quoi nourrir sa famille, lui laissant même un surplus à vendre sur le marché local.
Selon M. Jestala, ce changement est dû aux engrais. Cet intrant élémentaire est resté pendant des années au-delà de ses moyens, comme pour des millions d’autres agriculteurs africains. Coûtant l’équivalent d’environ 50 dollars le sac, l’engrais était bien trop cher. L’acheter à crédit représentait un trop grand risque pour des agriculteurs à la merci de pluies incertaines et de semences de mauvaise qualité. Mais en 2005 le gouvernement du Président Bingu wa Mutharika a entrepris de subventionner l’approvisionnement des petits agriculteurs du Malawi en engrais et en semences à fort rendement. Ceci a permis de faire baisser le prix des engrais de 80 % et celui des semences hybrides de maïs de 600 à 30 kwacha le sac.
Les effets de cette mesure ont été spectaculaires. L’année suivante, la récolte de maïs du Malawi a plus que doublé pour atteindre 2,7 millions de tonnes. Elle a encore augmenté en 2007, passant à 3,4 millions de tonnes — suffisamment pour nourrir le pays, vendre 400 000 tonnes de ce maïs au Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies et des centaines de milliers de tonnes supplémentaires aux pays voisins, ce qui a rapporté 120 millions de dollars. Ce pays auparavant dépendant de l’aide au développement a même fait don de 10 000 tonnes de maïs au programme de nutrition du PAM destiné aux personnes séropositives.
Cette année, le gouvernement prévoit de dépenser 170 millions de dollars afin de faire bénéficier de ce programme un plus grand nombre d’agriculteurs et de profiter de la hausse des prix du maïs sur les marchés mondiaux.
‘Une décision très audacieuse’
Les experts de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) attribuent en fait ce retournement de situation à un ensemble de facteurs, dont le retour de pluies suffisamment abondantes, l’incitation que constituent des prix alimentaires mondiaux plus élevés et l’augmentation des investissements du gouvernement dans d’autres domaines de l’économie rurale du pays.
Il y a cependant peu de doutes que la décision de mettre des semences de haute qualité et des engrais à la portée de petits agriculteurs comme M. Jestala est une des clés du succès du Malawi. Ce programme de subventions est déjà considéré comme un modèle par un nombre croissant de gouvernements africains et par des organisations internationales spécialistes du développement et de l’agriculture.Ce programme a cependant du mal à être accepté par les bailleurs de fonds. En 1999, le gouvernement avait lancé un modeste programme de “nécessaires de démarrage” composés d’engrais et de semences pour aider les exploitations agricoles familiales à augmenter leur production ; les résultats en ont été remarquables mais ces subventions ont rencontré l’opposition de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). Suite à des pressions considérables de ces institutions de financement, le programme a été progressivement éliminé.
La plupart des agriculteurs du Malawi étant cependant trop pauvres pour obtenir engrais et semences aux prix du marché, les rendements ont brutalement chuté. Quand la sécheresse a frappé en 2001, ni les agriculteurs ni le gouvernement n’avaient de réserves suffisantes pour y faire face et on estime que plus de mille personnes en sont mortes. Quand ensuite l’insuffisance de la récolte de 2005 a mené 5 des 13 millions d’habitants du Malawi au bord de la famine, le gouvernement nouvellement élu du Président Mutharika a défié les donateurs et lancé un programme de subventions sur ses propres fonds.
Cette mesure s’est révélée décisive, a déclaré à Afrique Renouveau Kanayo Nwanze, vice-président du Fonds international de développement agricole des Nations Unies (FIDA). “Attribuer des subventions pour les semences et les engrais malgré les objections des partenaires de développement était une décision très audacieuse”, affirme-t-il, notant qu’au cours d’une réunion avec de hauts responsables du Malawi, un représentant d’un pays bailleur de fonds avait quitté la salle furieux. “Mais le gouvernement est resté sur ses positions."
Face au succès manifeste, “l’année suivante les bailleurs de fonds ont apporté leur soutien”, note M. Nwanze. Il ajoute que cela se justifiait sur le plan économique puisque les économies réalisées grâce à la diminution des importations et à la hausse des exportations étaient trois à quatre fois plus importantes que le coût des subventions.
Un nombre croissant de pays, dont la Zambie, le Ghana, le Sénégal et le Kenya, ont annoncé des programmes de subventions similaires et d’autres gouvernements devraient s’engager dans cette voie.
La Banque africaine de développement (BAD), souvent opposée aux interventions de l’Etat dans le domaine économique, a annoncé en mai qu’elle mettait sur pied un fonds spécial pour mobiliser les ressources financières nécessaires à l’augmentation de la production et de l’utilisation d’engrais, y compris en subventionnant leur vente aux exploitations agricoles familiales. Cette mesure s’inscrit dans le cadre d’une augmentation d’un milliard de dollars du portefeuille de prêts agricoles de la BAD.
Échec de politiques
Le nouvel accent mis sur l’agriculture familiale et l’indépendance alimentaire marque une nette rupture avec les politiques appliquées dans le passé par les donateurs, les institutions financières internationales et les gouvernements africains. Depuis au moins les années 1980, ces gouvernements ont suivi les politiques d’ajustement structurel imposées par la Banque mondiale et le FMI ; elles privilégiaient entre autres les productions agricoles d’exportation et à forte valeur commerciale et le développement d’activités non agricoles pour les personnes perdant ainsi leurs activités. Les subventions et les programmes de commercialisation étatiques étaient jugés trop coûteux, contraires aux intérêts du secteur privé et sujets à la mauvaise gestion et à la corruption. Le retrait du gouvernement du secteur agricole, insistaient les bailleurs, permettrait au secteur privé d’y prendre sa juste place.
Mais comme le prouvent les données de la FAO et de la Banque mondiale, les investissements dans l’agriculture africaine ont au contraire connu un fort déclin qui s’est traduit par une chute de l’utilisation des engrais et des semences améliorées, par une raréfaction des services de commercialisation et de vulgarisation agricoles et par une baisse constante des rendements, de la fertilité des sols et des revenus des populations rurales.
Une analyse des prêts à l’agriculture africaine effectuée en 2007 par le Groupe d’évaluation indépendante de la Banque mondiale a confirmé que les pays avaient été poussés à privatiser leurs services de commercialisation et de vulgarisation agricoles et à mettre fin aux subventions afin de laisser place aux entrepreneurs et aux investisseurs du secteur privé ; mais, ajoutait cette analyse, trop souvent ces acteurs n’avaient pas pris la relève.
De plus, le Directeur général de la FAO, Jacques Diouf, a remarqué au cours du Sommet de Rome consacré à l’alimentation en juin 2008 que le pourcentage de l’aide publique au développement destinée à l’agriculture était tombé de 17 à 3 % entre 1980 et 2005.
Ce délaissement de l’agriculture, en particulier de la production vivrière des petits agriculteurs, n’était pas accidentel. Dans le cadre des politiques favorables aux marchés et à la libéralisation des échanges prônées par les institutions financières internationales et de nombreux bailleurs de fonds bilatéraux, il a été conseillé aux gouvernements de ne pas intervenir dans le secteur agricole.
Cette approche a été exprimée de manière succincte par John Block, à l’époque Secrétaire à l’agriculture des Etats-Unis, qui, selon le journaliste et militant Martin Khor, déclara à en 1986 une conférence sur le commerce international que “l’idée que les pays en développement devraient se nourrir eux-mêmes est un anachronisme datant d’une ère révolue. Ils pourraient mieux assurer leur sécurité alimentaire en comptant sur les produits de l’agriculture américaine, qui peuvent être obtenus dans la plupart des cas à des coûts moins élevés”.
D’après l’évaluation de la Banque mondiale, la diminution du soutien des bailleurs de fonds a également encouragé un certain désintérêt de la part des gouvernements nationaux.
‘Un désastre absolu’
Selon de nombreux agronomes et économistes du développement, les résultats ne peuvent être qualifiés que de désastreux. Après avoir été exportatrice nette de produits alimentaires dans les années 1970, l’Afrique dépend aujourd’hui fortement d’importations commerciales et de l’aide alimentaire internationale d’urgence, souligne la FAO. Quelque 42 pays d’Afrique dépendent d’importations même dans les années les plus favorables. C’est la seule région du monde où les rendements agricoles à l’hectare ont continué à stagner (voir graphique) et où jusqu’à une personne sur trois souffre de malnutrition chronique.
“La fin des subventions gouvernementales aux agriculteurs africains liée aux programmes d’ajustement structurel a été un désastre absolu”, affirme Akin Adesina, vice-président de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), une initiative de développement rural non gouvernementale présidée par l’ancien Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, à la tête des efforts de revitalisation de l’agriculture africaine.
“Les agriculteurs africains sont aujourd’hui à peu près les seuls au monde qui ne reçoivent absolument aucune aide de quelque sorte que ce soit de la part de leurs gouvernements”, a-t-il déclaré à Afrique Renouveau, notant que les gouvernements des pays riches versent annuellement plus de 300 milliards de dollars à leurs agriculteurs. Les producteurs agricoles africains “sont abandonnés à leur sort, survivre ou disparaître, et comme on l’a bien vu, ils disparaissent”.
“Ce que dit l’AGRA”, poursuit M. Adesina, “est qu’il faut reconnaître que le gouvernement a un rôle à jouer en subventionnant les agriculteurs. En ce qui concerne les subventions, il s’agit d’en faire bénéficier les plus pauvres et en même temps de développer le marché."
M. Nwanze de l’IFAD est d’accord. Auparavant, explique-t-il, en raison du niveau de pauvreté dans les communautés agricoles africaines, l’achat d’outils, de semences améliorées, d’engrais et d’autres intrants nécessaires était hors de portée de la plupart des agriculteurs africains. “Je ne peux absolument pas comprendre pourquoi [les subventions] ont été bloquées dans les pays en développement. Nous parlons ici d’un environnement où la majorité des agriculteurs n’a aucun accès au crédit ou aux intrants et on dit aux gouvernements qu’ils ne peuvent pas subventionner la production agricole."
M. Nwanze note que le FIDA collabore depuis trois décennies avec les gouvernements pour donner aux exploitations agricoles familiales accès au crédit, leur faciliter l’obtention des intrants et les introduire sur les marchés locaux et régionaux. “Nous avons constaté à de nombreuses reprises que cela marchait. Pour moi, la petite agriculture est la solution dans ces pays.”
Un succès contesté
Mais le choc de la flambée mondiale des prix alimentaires, la reconnaissance de l’importance économique de l’agriculture africaine et le succès de la politique du Malawi signent-ils la fin des politiques de la “survie ou de la disparition” ? Apporte-t-on maintenant une aide généreuse aux propriétaires africains d’exploitations agricoles familiales, dont la plupart sont des femmes ? Pas tout à fait.
Les agronomes, les économistes et les responsables des gouvernements et des organisations intergouvernementales reconnaissent d’un commun accord que ni les subventions ni les engrais ne constituent par eux-mêmes la solution aux problèmes complexes de l’agriculture africaine. L’agriculture africaine ne pourra être rentable, durable et productive sans une réforme foncière, l’élargissement des pouvoirs politiques des communautés rurales, l’accès aux marchés locaux, nationaux et internationaux ainsi que des investissements à long terme en faveur de l’irrigation, d’un usage des engrais et d’une gestion des sols durables, de la santé et de l’éducation, de la technologie agricole moderne, des services de vulgarisation agricole et des réseaux de transport et de communication. Ces investissements stratégiques figurent dans le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine défini dans le cadre du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD).
Des doutes existent également quant aux engagements politiques nationaux et internationaux. Seuls six des 53 pays que compte l’Afrique ont donné suite à leur engagement de 2003 de consacrer 10 % de leur budget national à l’agriculture.
À l’échelle internationale, l’échec des négociations à l’Organisation mondiale du commerce, en partie causé par le problème des exportations subventionnées du Nord vers les pays pauvres, semble indiquer que les puissants groupements agricoles des pays riches convoitent toujours un accès privilégié aux marchés des pays en développement aux dépens des producteurs locaux. Le système européen de préférences commerciales en faveur des importations en provenance de l’Afrique et d’autres pays en développement, dénommé par les ministres européens chargés des échanges internationaux l’initiative “Tout sauf les armes”, comporte tellement d’obstacles aux importations agricoles qu’il a été surnommé par ses détracteurs “Tout sauf les fermes”.
Tout le monde n’est pas non plus convaincu, en dépit de son succès, par le modèle du programme de subventions du Malawi. Michael Morris, économiste de la Banque mondiale et spécialiste des subventions agricoles, confirme que les idées de la Banque concernant la petite agriculture et les subventions gouvernementales ont évolué. Mais il affirme que le soutien des gouvernements à l’agriculture familiale devrait être moins important.
Avec son programme de subventions, “le gouvernement du Malawi fait de nombreuses choses correctement”, déclare-t-il à Afrique Renouveau. Cependant, “c’est un fait que nous avons des désaccords au niveau tactique”. Ces désaccords concernent selon lui les coûts, la question de savoir si les subventions créent une dépendance ou ouvrent la voie à des transactions commerciales durables et si les subventions parviennent bien aux bénéficiaires prévus.
“On nous accuse constamment en disant que la Banque a une position idéologique et dogmatique sur les subventions parce que la théorie économique nous dit que les subventions sont une mauvaise chose, note M. Morris. En fait, quand vous avez des subventions pour les engrais, cela attire des gens politiquement et économiquement puissants qui sont intéressés par les engrais. Je pense que cela explique l’ambivalence de la Banque au sujet des subventions. Ce qui a changé est la reconnaissance que tout simplement sur le terrain les choses ne bougeaient pas. Le secteur privé ne jouait pas son rôle."
Dans ces circonstances, concède-t-il, les gouvernements peuvent définir des subventions ciblées et adaptées au marché qui “jettent les bases d’un système de distribution durable des intrants, piloté par le secteur privé et capable de fonctionner par lui-même”. Même ainsi, prévient-il, “les conditions d’utilisation de ces subventions sont plutôt rigoureuses. On veut réellement les cibler non seulement en direction de l’utilisateur final mais aussi aux différentes étapes de toute la chaîne de distribution… Il existe de nombreuses possibilités d’utiliser ces subventions pour diminuer les coûts à ces différentes étapes”, y compris en finançant et en formant les importateurs et les distributeurs et en stimulant la demande par l’éducation des agriculteurs et la distribution de petits nécessaires de démonstration.
Les gouvernements et les bailleurs de fonds doivent aussi évaluer le coût des subventions aux engrais par comparaison avec d’autres besoins. M. Morris estime que ces subventions aux engrais absorbent aujourd’hui 60 % du budget de l’agriculture du Malawi. “C’est énorme. Il y a beaucoup d’autres choses — services de vulgarisation, irrigation, recherche — qui sont négligées en conséquence.” Il conclut qu’à moins que les gouvernements africains disposent d’une “stratégie de sortie” de leurs programmes de subventions, “on consacre des sommes de plus en plus importantes à quelque chose qui ne sera jamais rentable. Il nous faut réfléchir à d’autres possibilités et à d’autres options. Nous devons choisir nos points d’intervention."
Néanmoins, jusqu’à présent, le programme de subventions du Malawi est plus que rentré dans ses frais. Et le gouvernement a sanctionné les premiers signes d’abus, renvoyant un ministre important coupable d’avoir vendu des coupons de subvention à de riches agriculteurs et durcissant les conditions d’admissibilité au programme ainsi que les procédures de contrôle.
Dans une communication vidéo à une réunion spéciale du Conseil économique et social de l’ONU tenue en mai, le Président Mutharika a demandé à la communauté internationale d’aider l’Afrique à soutenir ses agriculteurs. “Les parties concernées comme la Banque mondiale… ne devraient pas continuer à penser qu’elles possèdent toutes les solutions à Washington. Elles devraient écouter les responsables locaux et en tirer des enseignements."
La leçon du Malawi est que les semences de la sécurité alimentaire ont besoin pour germer de seulement un peu d’engrais mais de beaucoup de volonté politique au plus haut niveau.
AGRA: Pour une révolution verte en Afrique
S’adressant aux participants à une conférence internationale sur l’alimentation mondiale à l’Université de Wageningen (Pays-Bas), le président de l’ONG Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), l’ex-Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, a déclaré : “Pour que l’Afrique se nourrisse à nouveau elle-même et qu’elle rejoigne les rangs des régions agricoles exportatrices, il nous faut une révolution verte africaine”, afin d’augmenter la productivité et la rentabilité des exploitations agricoles familiales du continent.
Depuis son lancement en 2006 grâce à un financement des fondations Rockefeller et Bill and Melinda Gates, l’AGRA s’est placée à l’avant-garde de l’action menée en vue d’accroître la production alimentaire en Afrique. Elle préconise une plus grande utilisation de meilleures semences et d’engrais, de meilleurs services de vulgarisation et méthodes agricoles ainsi qu’un accès au crédit plus facile pour les petits agriculteurs. Elle demande aussi des investissements plus importants dans les infrastructures rurales comme les routes, les systèmes d’irrigation et les technologies de l’information. En juin, l’AGRA a signé un accord avec la FAO pour développer les “greniers” de l’Afrique et en faire de grandes zones de production alimentaire. L’AGRA a également conclu un accord avec un organisme public de développement américain, la Millennium Challenge Corporation, afin de renforcer ses programmes de sécurité alimentaire.