15 mai 2011

Que se passe-t-il donc avec nous, les femmes et les filles ? Pourquoi sommes-nous toujours rel¨¦gu¨¦es au second plan ? Pourquoi ne pouvons-nous pas choisir ce ¨¤ quoi nous voulons faire partie ? Pourquoi devons-nous toujours ¨ºtre en premi¨¨re ligne alors que nous pr¨¦f¨¦rerions qu'on nous laisse tranquilles lorsque nous ne voulons pas participer ? Est-ce parce qu'en tant que femmes, nous sommes fortes, puissantes et la base de notre soci¨¦t¨¦ ?

Lorsqu'on a commenc¨¦ ¨¤ entendre parler du VIH au Nigeria, mon pays natal, il s'agissait d'hommes qui mouraient dans les mines ou de chauffeurs routiers longue distance qui rentraient chez eux pour mourir. Mais avant de remercier Dieu que les femmes n'aient pas contract¨¦ l'horrible virus, le bon sens vous rappelait que, quoi qu'il arrive, ce qu'un homme a acquis, de bon ou de mauvais, il le ram¨¨nera toujours chez lui.

Il y a dix ans, lorsque je suis arriv¨¦e sur la sc¨¨ne du sida, la plupart des personnes engag¨¦es en premi¨¨re ligne ¨¦taient des hommes. J'¨¦tais jeune et incertaine de vouloir en faire partie. Les hommes luttaient sur tous les fronts. Ils ?uvraient sans rel?che, donnaient du fil ¨¤ retordre ¨¤ la puissante Pharma (le lobby pharmaceutique) afin d'assurer l'acc¨¨s aux m¨¦dicaments antir¨¦troviraux qui sauvent la vie, se battaient pour introduire des changements et revendiquaient une place dans la soci¨¦t¨¦ pour les personnes vivant avec le VIH. Les quelques femmes que j'ai vues sur la sc¨¨ne mondiale ¨¦taient des amazones et je m'¨¦tais demand¨¦e ¨¤ quelle race elles appartenaient. Elles osaient s'aventurer l¨¤ o¨´ les anges craignent de poser les pieds; elles ¨¦taient combatives et puissantes; elles aussi revendiquaient cet espace dans la soci¨¦t¨¦ pour les personnes vivant avec le sida.

Aujourd'hui, les femmes sont sur tous les fronts. Elles s'occupent non seulement de leurs maris, amants, p¨¨res, enfants, amies, s?urs et petits-enfants malades, mais s'engagent aussi dans d'autres combats, dans la rue, dans les parlements et sur la sc¨¨ne. Avec l'acc¨¨s aux m¨¦dicaments qui sauvent la vie, nous avons arr¨ºt¨¦ l'h¨¦morragie et trouv¨¦ une nouvelle joie, une nouvelle passion de vivre, permettant ¨¤ nos a?eux de se reposer et de nous passer le flambeau. Ensemble, nous autres femmes et filles avons march¨¦ comme des soldats infatigables, alors que nous avons assum¨¦ le r?le de chef de famille, portant le fardeau physique, financier et ¨¦motionnel de nos m¨¦nages qui sont maintenant dirig¨¦s par les femmes.

En tant que m¨¨res, grand-m¨¨res, filles et s?urs engag¨¦es dans la lutte contre le sida, nous avons commenc¨¦ ¨¤ ¨¦duquer la population, cr¨¦¨¦ des centres communautaires et des groupes de soutien, ne demandant rien en ¨¦change, mais ne sachant pas non plus ce qui nous attendait. Nous avons port¨¦ le fardeau de cette ¨¦pid¨¦mie ¨¤ bras le corps alors que nous travaillions - et dans de nombreux cas continuons de travailler - comme volontaires non r¨¦mun¨¦r¨¦es dans des dispensaires et ¨¤ domicile, voyageant dans le monde entier pour pr¨¦senter notre spectacle exotique intitul¨¦ ? La f¨¦minisation du VIH ?. Nous avons chant¨¦ et dans¨¦ devant des pr¨¦sidents en visite et des imb¨¦ciles qui niaient l'¨¦pid¨¦mie ainsi que devant des tribunaux lorsque l'acc¨¨s aux m¨¦dicaments ¨¦tait menac¨¦. Celles d'entre nous qui ¨¦taient s¨¦ropositives ont pris leurs m¨¦dicaments et nous avons r¨¦alis¨¦ des progr¨¨s tandis que nos beaux corps se transformaient. Les m¨¦dicaments qui sauvent la vie ont vol¨¦ nos belles formes f¨¦minines. Nos visages, nos jambes et nos bras se sont d¨¦charn¨¦s, tandis que notre d¨¦termination et notre courage grandissaient. Mais cela importait peu; nous ¨¦tions en vie et il valait mieux avoir un corps d¨¦charn¨¦ que d'¨ºtre enterr¨¦es six pieds sous terre entre quatre planches. C'¨¦tait le pass¨¦, maintenant place au pr¨¦sent.

Le slogan actuel ? parvenir ¨¤ z¨¦ro infection : z¨¦ro nouvelle infection, z¨¦ro d¨¦c¨¨s li¨¦ au sida et z¨¦ro discrimination ? est un d¨¦fi admirable, mais difficile ¨¤ relever. L'expression ? de la m¨¨re ¨¤ l'enfant ? me laisse un go?t amer dans la bouche, elle tend ¨¤ affaiblir notre force. Je suis heureuse de voir que l'ONUSIDA ne parle plus de transmission de la m¨¨re ¨¤ l'enfant, mais de nombreuses organisations continuent de nous tenir responsables de l'infection que nous transmettons ¨¤ nos b¨¦b¨¦s. J'insiste donc pour qu'on utilise l'expression ? transmission des parents ¨¤ l'enfant ? car il faut deux parents pour mettre en ?uvre les quatre volets de la Pr¨¦vention de la transmission de la m¨¨re ¨¤ l'enfant (PMTCT) :

VOLET 1 Les femmes et les filles en ?ge de procr¨¦er ne seront pas infect¨¦es par le VIH si nos partenaires nous accordent une plus grande attention.

VOLET 2 Nous pouvons mettre fin aux grossesses non d¨¦sir¨¦es chez les femmes vivant avec le VIH si l'on donne aux hommes un r?le ¨¤ jouer.

VOLET 3 Il est imp¨¦ratif que les interventions de la PMTCT soient soutenues par les deux parents qui doivent accepter de partager la responsabilit¨¦. Pourquoi le nom des programmes continuent-ils d'engager la responsabilit¨¦ des femmes et, une fois de plus, de leur faire porter le fardeau ? Parler de ? transmission de la m¨¨re ¨¤ l'enfant ? sous-entend que la m¨¨re est ¨¤ bl?mer parce qu'elle a infect¨¦ un enfant innocent. Il n'y a rien de surprenant ¨¤ ce que les m¨¨res se sentent coupables, responsables et sont incapables de se pardonner lorsque leur b¨¦b¨¦ est s¨¦ropositif.

VOLET 4 De toute ¨¦vidence, le soutien ¨¤ la m¨¨re, aux b¨¦b¨¦s et ¨¤ la famille n¨¦cessitent l'aide et la responsabilisation des deux parents.

Alors que la communaut¨¦ internationale se mobilise pour parvenir ¨¤ z¨¦ro infection, les priorit¨¦s ont chang¨¦ tandis que l'¨¦pid¨¦mie est toujours l¨¤. Nous devons donc faire appel ¨¤ la m¨¦moire et d¨¦fier l'amn¨¦sie. Nous devons nous rappeler les innombrables femmes qui ne peuvent pas n¨¦gocier des rapports sexuels sans risques ou se prot¨¦ger contre la transmission sexuelle du VIH et d'autres maladies sexuellement transmissibles. Nous devons hurler notre col¨¨re lorsque le viol des femmes et des filles est une arme de guerre acceptable et nous rappeler la violence physique et sexuelle qu'un trop grand nombre de nos s?urs subissent parce qu'elles ont os¨¦ dire non. Nous devons nous rappeler les femmes qui sont enferm¨¦es et priv¨¦es de leurs droits, simplement parce qu'elles sont des travailleuses du sexe qui ont os¨¦ utiliser leur corps pour gagner leur vie. Dans notre course ¨¤ z¨¦ro infection, nous devons nous assurer que nos camarades r¨¦habilit¨¦es qui se voient refuser des seringues propres ou un traitement de substitution ne sont pas oubli¨¦es.

Dans un monde o¨´ les priorit¨¦s changent, pouvons-nous accorder quelque attention aux m¨¦thodes de pr¨¦vention ¨¤ l'initiative des femmes, comme les microbicides et les pr¨¦servatifs f¨¦minins, afin de soutenir les femmes s¨¦ropositives, pas seulement les femmes s¨¦ron¨¦gatives ? Avons-nous le courage de regarder les lois et les politiques nationales qui rel¨¨guent les femmes au second plan ? Pouvons-nous concevoir - sans jeu de mot - que les droits des femmes comprennent les droits en mati¨¨re de sexualit¨¦ et de procr¨¦ation ainsi que les droits d'h¨¦ritage et de propri¨¦t¨¦ ?

R¨¦cemment, les responsables de l'ONUSIDA, d'ONU-femmes et du Fond des Nations Unies pour la population ont annonc¨¦ dans une d¨¦claration commune que les droits en mati¨¨re de sexualit¨¦ et de procr¨¦ation des femmes vivant avec le VIH n'¨¦taient pas n¨¦gociables. C'est donc clair. Ils ne le seront pas, parce que non seulement nous le m¨¦ritons, mais parce que nous le demandons.

? Nous demandons des lois pour nous prot¨¦ger de la violence, des mauvais traitements et de la discrimination.

? Nous m¨¦ritons que notre dur travail soit correctement compens¨¦.

? Nous voulons avoir notre mot ¨¤ dire et participer ¨¤ la prise de d¨¦cisions qui changent notre vie.

? Nous devons allouer davantage de fonds aux initiatives men¨¦es par les femmes qui vivent avec le VIH.

? Nous devons cr¨¦er des programmes qui nous donnent les moyens de prendre en charge notre vie et notre sant¨¦ et pas seulement aider les autres ¨¤ atteindre leurs objectifs personnels.

? Nous demandons l'acc¨¨s aux programmes formels d'¨¦ducation et de formation afin d'obtenir des dipl?mes et des certificats qui nous garantissent l'acc¨¨s au travail r¨¦mun¨¦r¨¦.

? Nous demandons des lois pour prot¨¦ger notre droit d'h¨¦riter des biens et de poss¨¦der des terres.

? Nous m¨¦ritons une aide financi¨¨re et demandons la garde de nos enfants lorsque nous nous s¨¦parons de notre conjoint.

? Nous estimons que nous avons le droit de choisir si nous voulons avoir un enfant et de choisir quand, comment et avec qui l'avoir.

? Nous demandons que les programmes destin¨¦s aux jeunes soient con?us pour r¨¦pondre aux besoins de nos adolescentes et des jeunes femmes vivant avec le VIH.
Je termine en rendant hommage ¨¤ mes s?urs qui sont si courageuses : Temitayo Oyedemi, Yinka Jegede, Vuyiseka Dubula, Beatrice Were, Alice Welbourn, Kate Thomson, Shaun Mellors et Gregg Gonsalves.

?

La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?