Bien que l¡¯expression ? citoyen du monde ? soit tr¨¨s ancienne, elle n¡¯a trouv¨¦ ¨¦cho que depuis ces derni¨¨res d¨¦cennies dans les cercles universitaires. C¡¯est un objectif de nombreuses d¨¦clarations de mission et ¨¦galement une mani¨¨re de vivre, une conscience de soi non pas comme personne isol¨¦e, mais comme personne li¨¦e ¨¦troitement aux autres. De crainte que l¡¯usage commun de cette expression ne devienne un clich¨¦, je pense qu¡¯il nous incombe en premier lieu de d¨¦finir, bien que de mani¨¨re g¨¦n¨¦rale, ce que nous entendons par citoyen du monde. Est-ce un sentiment partag¨¦ d¡¯une identit¨¦ mondiale, m¨ºme si les ¨ºtres humains ne se reconnaissent pas encore comme des membres d¡¯une communaut¨¦ mondiale ? Est-ce un engagement ¨¤ certaines valeurs universelles communes ? Ou est-ce une fa?on d¡¯aborder, d¡¯accepter et d¡¯essayer de r¨¦soudre les d¨¦fis mondiaux en s¡¯inscrivant dans une perspective plus large et plus inclusive que celle qui, jusqu¡¯¨¤ r¨¦cemment, pla?ait les ?tats souverains au c?ur du discours mondial ? En ce qui concerne les ¨¦tablissements d¡¯enseignement sup¨¦rieur et ce qu¡¯ils proposent, nous nous concentrerons sur la derni¨¨re d¨¦finition que nous avons appliqu¨¦e dans notre universit¨¦.
Si nous devions examiner les programmes d¡¯¨¦tudes en affaires internationales d¡¯il y a une trentaine d¡¯ann¨¦es dans les ¨¦tablissements d¡¯enseignement sup¨¦rieur, nous constaterions une sur¨¦valuation des ?tats souverains charg¨¦s d¡¯arbitrer pratiquement tout ce qui se passait dans le monde. M¨ºme l¡¯expression ? relations internationales ? laissait entendre un discours parmi les ?tats souverains qui excluait d¨¦lib¨¦r¨¦ment les autres parties qui n¡¯¨¦taient pas occidentales. Les organisations non gouvernementales (ONG) et celles de la soci¨¦t¨¦ civile jouaient un r?le mineur, si toutefois elles en avaient un, et n¡¯avaient gu¨¨re droit au chapitre. Mais avec les conf¨¦rences mondiales des Nations Unies, l¡¯accr¨¦ditation? des ONG, la repr¨¦sentation dans les organisations multilat¨¦rales et la participation du secteur priv¨¦ dans l¡¯¨¦laboration des politiques, les choses ont chang¨¦. Les ¨¦tudes r¨¦gionales ¨¦taient ¨¤ la mode alors qu¡¯aujourd¡¯hui, bien qu¡¯elles ne soient pas ignor¨¦es, elles jouent un r?le moins important, principalement parce qu¡¯on se rend de plus en compte que les r¨¦gions ne sont pas des entit¨¦s isol¨¦es. L¡¯¨¦nergie et l¡¯environnement figuraient rarement dans les programmes, alors qu¡¯aujourd¡¯hui,? ces questions sont indissociablement li¨¦es au d¨¦veloppement, ¨¤ la politique et ¨¤ la s¨¦curit¨¦ et influencent ces domaines, ¨¤ plus forte raison, l¡¯avenir de la plan¨¨te. Le droit international ¨¦tait un domaine ferm¨¦ dont le r?le ¨¦tait pratiquement limit¨¦ ¨¤ l¡¯application et ¨¤ l¡¯interpr¨¦tation des trait¨¦s, mais qui ne s¡¯¨¦tendait pas aussi largement aujourd¡¯hui au secteur priv¨¦, ¨¤ la soci¨¦t¨¦ civile et aux organisations des droits de l¡¯homme.
Le monde de 2013 est tr¨¨s diff¨¦rend et beaucoup plus complexe que celui qui a ¨¦merg¨¦ de la Deuxi¨¨me Guerre mondiale. D¨¦crits comme ? internationalis¨¦s ?, ? mondialis¨¦s, ? lib¨¦ralis¨¦s ?, selon l¡¯angle sous lequel on les consid¨¨re, la croissance des march¨¦s et la mondialisation de la production, le d¨¦veloppement des entr¨¦es et des sorties de fonds, les transactions financi¨¨res et les personnes combin¨¦s ¨¤ l¡¯effet transformateur des connaissances et des innovations dans les communications et le traitement des donn¨¦es ont profond¨¦ment transform¨¦ le paysage politique, ¨¦conomique, social et culturel que nous connaissions. En m¨ºme temps, les r¨¦glementations en mati¨¨re de gouvernance mondiale ont ¨¦t¨¦ progressivement mises en place, couvrant quasiment toutes les activit¨¦s humaines.
Un grand nombre d¡¯acteurs infra-¨¦tatiques et supra-¨¦tatiques publics et priv¨¦s, nationaux et internationaux ont donc apparu sur la sc¨¨ne politique de ce syst¨¨me hybride de gouvernance ? post-souverainet¨¦ ? encore ¨¤ ses d¨¦buts. Parmi eux et entre eux, les ONG, les associations, les groupes de victimes; les coalitions et les r¨¦seaux de sensibilisation transnationaux d¨¦fendant les droits des femmes, les droits de enfants, les droits environnementaux; les groupes communautaires repr¨¦sentant les populations autochtones ou les minorit¨¦s; les associations confessionnelles comme les ¨¦glises et les groupes religieux; les syndicats et les associations professionnelles; les mouvements sociaux (mouvements pour la paix, mouvements des ¨¦tudiants, mouvements pour la d¨¦mocratie); et les professionnels contribuant directement ¨¤ la jouissance des droits de l¡¯homme (travailleurs humanitaires , avocats, m¨¦decins et travailleurs m¨¦dicaux) riva lisent pour atteindre une visibilit¨¦ et une influence politiques. Les communaut¨¦s mondiales non territoriales, fond¨¦es, entre autres, sur la classe, le sexe, l¡¯ethnicit¨¦, la religion et les contacts interculturels, ont supplant¨¦ les communaut¨¦s nationales. On estime que plus de 200 millions de personnes vivent dans des pays autres que leur pays d¡¯origine. Selon le Haut-Commissariat pour les r¨¦fugi¨¦s des Nations Unies, il y avait, ¨¤ la fin de 2012, 15 millions de r¨¦fugi¨¦s dans le monde et deux fois plus de personnes d¨¦plac¨¦es dans leur pays.
Les questions et les d¨¦fis transfrontaliers, comme le changement climatique, la d¨¦forestation, la mont¨¦e du niveau de la mer, la diminution des ressources en eau et la d¨¦sertification ainsi que les interd¨¦pendances et les interconnexions qu¡¯elles ont cr¨¦¨¦es, ont gagn¨¦ une nouvelle importance sur l¡¯ordre du jour politique international. Cette compr¨¦hension du monde per?u comme un seul espace, nouvelle mais plus large, a aussi permis de prendre conscience de la n¨¦cessit¨¦ d¡¯¨¦largir les paradigmes de s¨¦curit¨¦ traditionnels centr¨¦s sur l¡¯?tat, ses fronti¨¨res, ses citoyens et ses institutions. Une notion plus g¨¦n¨¦rale et plus convaincante de la s¨¦curit¨¦ centr¨¦e sur les personnes, qui traite de la protection et du bien-¨ºtre de celles-ci et prot¨¨ge les nations, commence ¨¤ se d¨¦velopper.
Le monde, tel que nous le connaissons aujourd¡¯hui, n¡¯est en aucune mani¨¨re, un ? monde non ¨¦tatique ?, mais est plut?t un m¨¦lange complexe d¡¯ancien et de nouveau, d¡¯insularit¨¦ et d¡¯ouverture, de continuit¨¦, de changement et de contradictions. De m¨ºme, nos institutions internationales de gouvernance sont une mosa?que de vieilles structures ¨¤ plusieurs niveaux et d¡¯arrangements de plus en plus fragment¨¦s et d¨¦centralis¨¦s faisant intervenir des processus bilat¨¦raux, r¨¦gionaux et mondiaux. M¨ºme si elles vivent dans des? lieux sp¨¦cifiques, les personnes sont de plus en plus conscientes des r¨¦seaux mondiaux plus vastes et des formes collectives d¡¯identit¨¦ et de solidarit¨¦ locales, nationales et mondiales ainsi que du fait d¡¯en faire partie. Une illustration frappante de? ces transformations inachev¨¦es figure dans le Trait¨¦ de Maastricht qui a introduit le concept de citoyennet¨¦ de l¡¯Union europ¨¦enne (UE), mais ne remplace pas la citoyennet¨¦ nationale. Un citoyen de l¡¯UE jouit donc du droit g¨¦n¨¦ral ¨¤ la non-discrimination, au droit limit¨¦ de libert¨¦ de circulation et de r¨¦sidence dans les ?tats membres de l¡¯UE ainsi qu¡¯un certain nombre de droits politiques. En m¨ºme temps, l¡¯acc¨¨s au droit ¨¤ la citoyennet¨¦ et les privil¨¨ges accord¨¦s aux non-membres comme aux membres ont aliment¨¦ le d¨¦bat politique au sein de nombreux pays de l¡¯UE.
L¡¯enseignement sup¨¦rieur demeure une initiative conduite au niveau national, mais ses ¨¦tablissements n¡¯ont pas ¨¦t¨¦ ¨¦pargn¨¦s par cette ? interconnectivit¨¦ transnationale ?. La ? massification ? est un mot ¨¤ la mode. Les tendances d¨¦mographiques ont chang¨¦ et continuent de changer la structure, la composition et l¡¯origine sociale de la population ¨¦tudiante mondiale. Au niveau mondial, le nombre d¡¯¨¦tudiants inscrits dans les ¨¦tablissements d¡¯enseignement sup¨¦rieur devrait doubler pour atteindre 262 millions en 2025. La majorit¨¦ de cette ¨¦volution aura lieu dans le Sud, l¡¯Inde et la Chine repr¨¦sentant la moiti¨¦. Les universit¨¦s sont aussi transform¨¦es par une augmentation consid¨¦rable du nombre d¡¯¨¦tudiants internationaux. Aujourd¡¯hui, plus de 4 millions d¡¯¨¦tudiants partent ¨¦tudier ¨¤ l¡¯¨¦tranger. Ce chiffre devrait atteindre 8 millions d¡¯ici ¨¤ 2025, de nombreux ¨¦tudiants ¨¦tant attir¨¦s par les ¨¦tablissements europ¨¦ens qui offrent des programmes li¨¦s ¨¤ la gestion des affaires. La mobilit¨¦ ¨¦tudiante s¡¯est accompagn¨¦e d¡¯une prolif¨¦ration de campus qui, selon certains, pourrait inverser le mouvement des ¨¦tudiants qui se faisait jusqu¡¯ici de l¡¯Est vers l¡¯Ouest, les pays traditionnels sources au Moyen-Orient et en Asie ayant commenc¨¦ ¨¤ d¨¦velopper leurs propres capacit¨¦s d¡¯enseignement sup¨¦rieur. L¡¯augmentation des co?ts, les contraintes financi¨¨res et le pouvoir de la ? sagesse conventionnelle ? qui pr¨¦vaut actuellement ont conduit au ? d¨¦veloppement drastique de l¡¯enseignement sup¨¦rieur priv¨¦ et ¨¤ la privatisation de l¡¯universit¨¦ publique ?.
L¡¯Internet et les technologies de l¡¯information r¨¦volutionnent aussi les m¨¦thodes d¡¯enseignement et rendent l¡¯enseignement sup¨¦rieur accessible comme en t¨¦moignent les Cours en ligne ouverts ¨¤ tous. En effet, dans un syst¨¨me mondial fond¨¦ sur les connaissances et l¡¯information, les universit¨¦s sont non seulement per?ues comme un tremplin pour la r¨¦ussite individuelle, mais sont aussi cens¨¦es contribuer et fonctionner comme moteurs de la croissance ¨¦conomique mondiale.
Compte tenu de ces consid¨¦rations, que pouvons-nous attendre des ¨¦tablissements d¡¯enseignement sup¨¦rieur ? Les universit¨¦s doivent transmettre des connaissances et d¨¦velopper des comp¨¦tences qui permettront aux ¨¦tudiants de fonctionner efficacement dans notre soci¨¦t¨¦ et dans notre monde en ¨¦volution rapide. Il faut donc sensibiliser les ¨¦tudiants et d¨¦velopper leur aptitude ¨¤ comprendre le monde dans toute sa complexit¨¦ de relations d¡¯interd¨¦pendance, en les aidant ¨¤ se familiariser avec les questions fondamentales transnationales et en leur donnant les moyens de poursuivre des carri¨¨res strat¨¦giques et de prendre des d¨¦cisions professionnelles au niveau mondial. La formation de professionnels comp¨¦tents et la pr¨¦paration des ¨¦tudiants ¨¤ penser mondialement n¨¦cessitent aussi de cultiver l¡¯humanit¨¦, c¡¯est-¨¤-dire stimuler les modes de pens¨¦e qui encouragent l¡¯innovation et la curiosit¨¦, le dialogue et le d¨¦bat, le discours critique et la tol¨¦rance culturelle, une attention soutenue aux questions ethniques, un sentiment de responsabilit¨¦ personnelle et sociale ainsi qu¡¯un engagement public. Au moyen de bourses d¡¯¨¦tudes rigoureuses ¨C fondamentales ou appliqu¨¦es ¨C, les universit¨¦s sont particuli¨¨rement bien plac¨¦es pour contribuer ¨¤ la recherche d ¡¯une gestion plus efficace et de solutions aux probl¨¨mes transnationaux comme la cybers¨¦curit¨¦ et le terrorisme, le changement climatique et la migration transfrontali¨¨re, pour n¡¯en citer que quelques-uns. Les ¨¦tablissements d¡¯enseignement sup¨¦rieur jouent un r?le essentiel dans l¡¯identification des moyens de r¨¦aliser, selon les termes du dernier num¨¦ro du Rapport sur le d¨¦veloppement humain de l¡¯ONU, ? un pluralisme coh¨¦rent ? et une ? souverainet¨¦ responsable ?.
C¡¯est ce que nous essayons de faire dans nos ¨¦tablissements depuis ces 30 derni¨¨res ann¨¦es. La mission fondamentale que nous avons assign¨¦e ¨¤ notre programme en affaires mondiales est de pr¨¦parer des citoyens du monde aptes ¨¤ identifier et ¨¤ mettre en ?uvre des solutions aux d¨¦fis mondiaux urgents auxquels nous sommes confront¨¦s et qui impliquent non seulement les gouvernements, mais aussi les acteurs non ¨¦tatiques. Nous nous effor?ons de lier une formation universitaire rigoureuse et des applications pratiques dans des domaines interdisciplinaires interd¨¦pendants centr¨¦s sur la s¨¦curit¨¦ transnationale, le d¨¦veloppement international et l¡¯aide humanitaire, le maintien de la paix, le droit international et les droits de l¡¯homme, l¡¯¨¦nergie et l¡¯environnement ainsi que le r?le des gouvernements et du secteur priv¨¦ ¨¤ cet ¨¦gard. Les cours sont enseign¨¦s par des experts universitaires et des professionnels qui encouragent les projets de groupe et les approches participatives et collaboratives au r¨¨gle- ment des probl¨¨mes. Ces outils sont compl¨¦t¨¦s par des voyages d¡¯¨¦tudes de courte dur¨¦e, des visites sur place et des conf¨¦rences faites par des professionnels en activit¨¦. Il est essentiel de r¨¦duire le foss¨¦ qui existe entre la salle de classe et le monde r¨¦el.
Il va sans dire que ces t?ches ne peuvent pas ¨ºtre accomplies par les universit¨¦s seules dans le contexte des syst¨¨mes ¨¦ducatifs plus larges o¨´ elles sont int¨¦gr¨¦es. Tous les niveaux d¡¯¨¦ducation font partie de cette vaste entreprise. Favoriser la citoyennet¨¦ mondiale est, naturellement, l ¡¯un des trois objectifs principaux de l¡¯Initiative mondiale pour l¡¯¨¦ducation qui a ¨¦t¨¦ cr¨¦¨¦e par le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral et d¨¦velopp¨¦e et lanc¨¦e en 2012 en ¨¦troite coop¨¦ration avec l¡¯Organisation des Nations Unies pour l¡¯¨¦ducation, la science et la culture. ?largir l¡¯acc¨¨s ¨¤ l¡¯¨¦ducation et am¨¦liorer la qualit¨¦ de l¡¯enseignement sont les deux autres objectifs assign¨¦s ¨¤ cette Initiative. Comme l¡¯a d¨¦clar¨¦ r¨¦cemment le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral (ce qui va dans les sens de cet article) : ? Il ne suffit pas ¨¤ l¡¯¨¦ducation de produire des individus qui sachent lire, ¨¦crire et compter. Il faut qu¡¯elle soit transformative et apporte ¨¤ la vie des valeurs partag¨¦es. Elle doit cultiver un souci actif du monde et de ceux avec lesquels nous le partageons¡ Elle doit donner aux individus les comp¨¦tences et les valeurs dont ils ont besoin pour participer ¨¤ la r¨¦ponse aux d¨¦fis interconnect¨¦s du XXIe? si¨¨cle. ?
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La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?