Bien que l'expression ? s¨¦curit¨¦ alimentaire ? ait ¨¦t¨¦ invent¨¦e il y a 16 ans seulement, l'humanit¨¦ lutte contre la famine et la faim depuis les anciens temps. L'accord du Sommet alimentaire mondial de 1996, fond¨¦ sur le concept que la s¨¦curit¨¦ alimentaire existe ? lorsque tous les ¨ºtres humains ont, ¨¤ tout moment, un acc¨¨s physique et ¨¦conomique ¨¤ une nourriture suffisante, saine et nutritive pour mener une vie saine et active ?, a donn¨¦ une nouvelle vision aux efforts men¨¦s pour combattre la faim et la malnutrition. Selon cette d¨¦finition, la s¨¦curit¨¦ alimentaire est multidimensionnelle et touche les populations aux niveaux mondial, r¨¦gional, national, sous-national ainsi que les m¨¦nages. Elle se pr¨¦sente sous diverses formes, pouvant ¨ºtre chronique, aigu? et passag¨¨re. En outre, les exigences varient selon qu'il s'agit d'enfants, de femmes et de personnes ?g¨¦es.
L'instauration d'un nouveau partenariat mondial pour r¨¦duire la pauvret¨¦ extr¨ºme et l'¨¦tablissement d'une s¨¦rie d'objectifs assortis de d¨¦lais avec une date-butoir fix¨¦e en 2015, appel¨¦s les Objectifs du Mill¨¦naire pour le d¨¦veloppement (OMD), devait donner une nouvelle impulsion ¨¤ la question de la s¨¦curit¨¦ alimentaire. Toutefois, 12 ans apr¨¨s, les progr¨¨s concernant la cible 1 du premier OMD - r¨¦duire de moiti¨¦, entre 1990 et 2015, la proportion de personnes qui souffrent de la faim - sont encore trop lents, et m¨ºme au point mort, dans la plupart des r¨¦gions. Le retard de croissance et l'¨¦maciation sont g¨¦n¨¦ralis¨¦s dans les pays en d¨¦veloppement o¨´ un enfant sur quatre souffre d'insuffisance pond¨¦rale.
Les causes de ce ph¨¦nom¨¨ne alarmant varient. Trois conditions pr¨¦alables d¨¦terminent si la s¨¦curit¨¦ alimentaire existe : la disponibilit¨¦ physique des aliments au moyen de la production, l'importation, l'aide, le transfert entre pays; l'acc¨¨s socio-¨¦conomique et culturel ¨¤ la nourriture; et l'assimilation alimentaire.
La disponibilit¨¦ physique des aliments ¨¤ la fois aux niveaux macro et micro peut ¨ºtre affect¨¦e par une production locale insuffisante, des catastrophes naturelles et caus¨¦es par l'homme, les variations saisonni¨¨res, la p¨¦nurie d'eau, des infrastructures en mauvais ¨¦tat, des capacit¨¦s de stockage insuffisantes, l'entassement ou m¨ºme des probl¨¨mes juridiques. L'acc¨¨s socio-¨¦conomique ¨¤ la nourriture peut, toutefois, ¨ºtre affect¨¦ par la pauvret¨¦, le manque de ressources, les changements climatiques, les catastrophes, l'instabilit¨¦ politique et l'impossibilit¨¦ d'assurer les moyens d'existence. En outre, l'irr¨¦gularit¨¦ de la distribution de produits alimentaires subventionn¨¦s en raison de ressources fiscales r¨¦duites, les taux d'alphab¨¦tisation faibles, les normes sociales, comme la discrimination entre les sexes, et le manque de sensibilisation aux avantages d'une alimentation ¨¦quilibr¨¦e peuvent avoir une influence n¨¦gative sur la distribution des ressources au sein de la famille.
En revanche, les facteurs qui emp¨ºchent l'assimilation alimentaire comprennent le manque d'eau potable, des ¨¦tablissements de sant¨¦ et des services d'assainissement inad¨¦quats, un taux d'alphab¨¦tisation faible et le manque de ressources fiscales que les gouvernements consacrent aux programmes de d¨¦veloppement du secteur public, qui pourraient permettre d'assurer la fourniture des services de base. D'autres facteurs concurrents contribuent ¨¦galement ¨¤ la crise alimentaire mondiale.
QUESTIONS HUMANITAIRES ET/OU QUESTIONS DE PRODUCTION
L'une des raisons des progr¨¨s lents pour r¨¦aliser l'objectif de r¨¦duire de moiti¨¦ la faim dans le monde est que la plupart des politiques et d¨¦cideurs consid¨¨rent la s¨¦curit¨¦ alimentaire comme une question humanitaire et/ou une question de production. Traiter l'ins¨¦curit¨¦ alimentaire comme une question humanitaire n¨¦cessite, cependant, de garantir la s¨¦curit¨¦ alimentaire au moyen d'appels de fonds d'urgence, de dons, de l'aide alimentaire, de secours alimentaires d'urgence et d'autres mesures semblables. Si toutes ces mesures peuvent ¨ºtre importantes dans certains cas, elles ne permettent pas de d¨¦velopper la s¨¦curit¨¦ alimentaire future ni ne peuvent assurer une s¨¦curit¨¦ alimentaire durable.
De m¨ºme, traiter l'ins¨¦curit¨¦ alimentaire seulement comme une question de production ne r¨¦pond qu'¨¤ un seul aspect du probl¨¨me - la disponibilit¨¦ physique. La faim, la malnutrition et l'ins¨¦curit¨¦ alimentaire ont augment¨¦ au cours des ann¨¦es dans les pays riches en produits alimentaires comme l'Inde, le Pakistan et de nombreux pays d'Am¨¦rique latine. Selon le Programme alimentaire mondial, en raison de la baisse du pouvoir d'achat des consommateurs en 2010 au Pakistan, la consommation de bl¨¦ a diminu¨¦ de 10 %, alors que cette c¨¦r¨¦ale est consid¨¦r¨¦e comme un produit alimentaire de base.
Tenter de r¨¦soudre la question de l'ins¨¦curit¨¦ alimentaire en augmentant simplement la production pose parfois la question de savoir si les aliments sont produits de mani¨¨re durable en utilisant les ressources disponibles. Le d¨¦bat contre les subventions agricoles dans le Nord ainsi que les effets n¨¦gatifs de la r¨¦volution verte dans l'environnement du Sud indiquent comment les principes de la durabilit¨¦ peuvent ¨ºtre compromis lorsque l'on cherche ¨¤ produire plus.
L'augmentation de la production n'est pas un probl¨¨me tant qu'elle est r¨¦alis¨¦e selon les principes de la durabilit¨¦. Ce qui est pr¨¦occupant, cependant, c'est que tr¨¨s peu d'efforts ont ¨¦t¨¦ faits pour assurer ¨¤ tous, ¨¤ tout moment, l'acc¨¨s socio-¨¦conomique ¨¤ la nourriture disponible. C'est l'aspect de la (l'in) s¨¦curit¨¦ alimentaire le plus n¨¦glig¨¦.
GOUVERNANCE ET PARTENARIATS INTERNATIONAUX
De nombreuses raisons expliquent le manque d'acc¨¨s ¨¦conomique ¨¤ la nourriture. Du c?t¨¦ de l'approvisionnement, la raison principale de la volatilit¨¦ des prix alimentaires est la gouvernance inefficace et les pratiques de distorsion des march¨¦s. Les march¨¦s inefficaces dans les pays qui ne sont pas gouvern¨¦s de mani¨¨re ad¨¦quate, l'augmentation des prix des intrants agricoles, celle du co?t des transports due ¨¤ l'inflation du prix du p¨¦trole, les d¨¦g?ts caus¨¦s ¨¤ l'infrastructure physique limitant l'approvisionnement des produits alimentaires, l'accaparement et la constitution d'entente, en particulier pour les produits de base, ainsi que l'introduction en contrebande de denr¨¦es c¨¦r¨¦ali¨¨res et d'animaux vivants dans les pays voisins sont quelques- uns des facteurs qui entra¨ªnent une inflation alimentaire. Toutes ces questions pourraient ¨ºtre trait¨¦es par une meilleure gouvernance au niveau local.
Dans la plupart des pays en d¨¦veloppement o¨´ l'incidence de la faim et de l'ins¨¦curit¨¦ alimentaire est aussi ¨¦lev¨¦e, les approvisionnements alimentaires restreints ou incertains engendrent des achats de panique. Ceux qui ont les moyens tentent d'acheter au-del¨¤ de leurs besoins imm¨¦diats, m¨ºme ¨¤ des prix ¨¦lev¨¦s. Cela encourage ceux qui stockent les produits ¨¤ les vendre ¨¤ des prix plus ¨¦lev¨¦s, et le cycle vicieux continue jusqu'¨¤ ce que l'approvisionnement se stabilise.
Selon les rapports sur les progr¨¨s dans la r¨¦alisation des OMD qui sont ¨¦tablis par les ?tats Membres, il est clair que si de nombreux efforts sont faits au niveau macro par les partenariats internationaux pour augmenter la production alimentaire, am¨¦liorer l'approvisionnement en eau potable (pas n¨¦cessairement une eau potable salubre pour la plupart des pays en d¨¦veloppement), contr?ler les maladies mortelles et am¨¦liorer l'assimilation alimentaire, aucun partenariat efficace n'a ¨¦t¨¦ instaur¨¦ pour am¨¦liorer l'acc¨¨s socio-¨¦conomique ¨¤ la nourriture.
C'est le maillon le plus faible de nos efforts pour ¨¦radiquer la faim, qui, ¨¤ son tour, a des cons¨¦quences dans la r¨¦alisation de la s¨¦curit¨¦. Les quatre niveaux de s¨¦curit¨¦ - individuelle, nationale, r¨¦gionale et mondiale - ne s'excluent pas mutuellement, mais sont li¨¦s les uns aux autres. Plus d'un milliard de personnes sur cette plan¨¨te n'ayant pas suffisamment de nourriture et dont la s¨¦curit¨¦ individuelle est quotidiennement menac¨¦e tendent ¨¤ adopter des comportements extr¨ºmes. Des ¨¦tudes r¨¦alis¨¦s par divers organismes des Nations Unies ont montr¨¦ comment les populations des pays en d¨¦veloppement ont r¨¦duit leurs portions de repas et ont recours ¨¤ une alimentation moins saine. Il suffit de lire les journaux de n'importe quel pays en d¨¦veloppement pour comprendre les comportements extr¨ºmes adopt¨¦s par ceux qui connaissent une ins¨¦curit¨¦ individuelle. Certains organisent des protestations pour r¨¦clamer des services de base comme un approvisionnement ininterrompu en ¨¦lectricit¨¦, en gaz et en eau et ont parfois recours ¨¤ des actions qui peuvent devenir violentes. Ils peuvent aussi ¨ºtre oblig¨¦s de vendre leurs reins ou m¨ºme leurs enfants, tandis que d'autres s'adonnent ¨¤ d'autres activit¨¦s anti-sociales comme le vol, le cambriolage et l'enl¨¨vement contre ran?on. Certains forcent leur femme ¨¤ se prostituer et leurs enfants ¨¤ travailler, d'autres se suicident et/ou tuent les membres de leur famille. Au Pakistan et en Afghanistan, certains deviennent aussi la proie des groupes militants et commettent des attentats-suicides. Ces comportements non seulement encouragent l'intol¨¦rance et la violence, mais conduisent aussi ¨¤ une instabilit¨¦ socio-politique. Cela affecte la croissance ¨¦conomique et la prosp¨¦rit¨¦ et constitue une menace ¨¤ la s¨¦curit¨¦ nationale, r¨¦gionale et mondiale ¨¤ laquelle les gouvernements r¨¦pondent en augmentant les d¨¦penses de d¨¦fense. ? ce stade, l'ins¨¦curit¨¦ alimentaire met en danger le d¨¦veloppement durable en mena?ant la paix, la justice sociale et le bien-¨ºtre ¨¦conomique.
Comment aller de l'avant ? Premi¨¨rement, la situation n¨¦cessite un changement de paradigme o¨´ la faim est per?ue comme une menace ¨¤ la s¨¦curit¨¦ nationale. Ce changement donnerait lieu ¨¤ une augmentation des ressources qui sont affect¨¦es afin d'am¨¦liorer la s¨¦curit¨¦ alimentaire. Il donnerait lieu ¨¤ la r¨¦affectation des d¨¦penses publiques, de sorte que le d¨¦veloppement social aurait la priorit¨¦ sur la d¨¦fense nationale et les avantages de ces d¨¦penses profiteraient aux personnes et non pas seulement ¨¤ l'?tat.
Deuxi¨¨mement, il faut veiller ¨¤ ce que des mesures durables soient prises pour pr¨¦server les ressources naturelles. Il faut maintenir un ¨¦quilibre entre la production alimentaire et la pr¨¦servation de l'environnement.
Troisi¨¨mement, les d¨¦cideurs nationaux doivent sortir du d¨¦ni et aborder la question de l'ins¨¦curit¨¦ alimentaire. Il leur faudra alors renforcer le syst¨¨me de protection sociale afin d'offrir un secours cibl¨¦, en particulier aux enfants, aux femmes enceintes et aux m¨¨res qui allaitent. Ils devront aussi cr¨¦er des programmes sp¨¦ciaux pour ceux qui n'ont pas acc¨¨s ¨¤ la nourriture soit sous la forme de programmes ? argent contre travail ? soit de programmes ? nourriture contre travail ?.
Enfin, la le?on ¨¤ tirer des pays riches en produits alimentaires est que tant que la gouvernance ne sera pas am¨¦lior¨¦e aux niveaux local et national, le partenariat international et les organes directeurs mondiaux ne seront pas d'un grand secours pour garantir la s¨¦curit¨¦ alimentaire.
?
La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?
