01 juin 2020

1er juin 2020 ¡ª Au moment o¨´ de nombreux pays font le choix de recourir ¨¤ la technologie num¨¦rique pour lutter contre la propagation du coronavirus, l¡¯ salue les efforts d¨¦ploy¨¦s pour assurer un suivi des contacts, tout en mettant en garde contre les risques inh¨¦rents ¨¤ l¡¯utilisation d¡¯applications de tra?age de proximit¨¦, notamment sur le plan ¨¦thique.

? La puissance des solutions num¨¦riques pour minimiser l'impact de la COVID-19 n'a jamais ¨¦t¨¦ aussi claire ? a reconnu Bernardo Mariano, Chef des syst¨¨mes d¡¯information de l¡¯OMS, lors d¡¯un organis¨¦ le 19 mai par la Healthcare Information and Management Systems Society (HIMSS).

T¨¦moin de cette tendance, l¡¯agence sanitaire des Nations Unies d¨¦veloppe sa propre application num¨¦rique, avec le concours d¡¯ing¨¦nieurs issus de Google et Microsoft. Destin¨¦ aux pays manquant de ressources, principalement en Afrique et en Am¨¦rique du Sud, l¡¯outil en pr¨¦paration vise pour l¡¯heure ¨¤ permettre aux utilisateurs de renseigner leurs sympt?mes et ¨¤ leur indiquer les d¨¦marches ¨¤ suivre pour se faire tester.

Cette application, con?ue pour ¨ºtre adaptable ¨¤ des contextes sp¨¦cifiques, pourrait inclure des fonctionnalit¨¦s comme l¡¯autodiagnostic. Mais, faute de garanties en termes de l¨¦galit¨¦ et de confidentialit¨¦, il n¡¯est pas encore question d¡¯y int¨¦grer la dimension de suivi des contacts par le biais du tra?age de proximit¨¦.

Selon M. Mariano, il est essentiel de veiller ¨¤ l¡¯encadrement des donn¨¦es, ? sang neuf ? du secteur de la sant¨¦, alors que les gouvernements cherchent ¨¤ utiliser la technologie dans le cadre de leurs strat¨¦gies de r¨¦ouverture ? Nous devons nous assurer que nous disposons des principes et des politiques pour g¨¦rer ces donn¨¦es et garantir l¡¯¨¦thique ?, a-t-il soulign¨¦ au cours du s¨¦minaire en ligne.

Distinguer recherche des contacts et tra?age de proximit¨¦

Pour bien comprendre la position de l¡¯OMS, il convient de distinguer la , qui est une m¨¦thode de sant¨¦ publique permettant d¡¯identifier, d¡¯¨¦valuer et de prendre en charge les personnes expos¨¦es ¨¤ une maladie afin d¡¯en pr¨¦venir la transmission, et le tra?age de proximit¨¦, nouvelle technique de suivi destin¨¦e ¨¤ faciliter la recherche des contacts.

Concr¨¨tement, le tra?age de proximit¨¦ s¡¯appuie sur l¡¯utilisation des donn¨¦es de localisation mobile pour identifier les individus potentiellement expos¨¦s ¨¤ la COVID-19. Ces donn¨¦es proviennent de trois sources : les antennes-relais de t¨¦l¨¦phonie mobile, les signaux GPS et les balises Bluetooth. C¡¯est cette derni¨¨re solution qui int¨¦resse le plus les gouvernements car, contrairement aux deux autres, elle trace les interactions.

Ce syst¨¨me mesure la force des signaux ¨¦mis et permet de savoir si deux t¨¦l¨¦phones mobiles ont ¨¦t¨¦ suffisamment proches pour permettre une transmission du virus entre leurs utilisateurs. Si l¡¯un d¡¯eux se d¨¦clare infect¨¦, les autres sont notifi¨¦s et peuvent prendre les mesures appropri¨¦es pour r¨¦duire les risques pour eux-m¨ºmes et leur entourage.

Plusieurs pays ont d¨¦j¨¤ mis en place des applications de tra?age de proximit¨¦. L¡¯Allemagne, l¡¯Italie et la Suisse, entre autres exemples, ont opt¨¦ pour un syst¨¨me d¨¦centralis¨¦, c¡¯est-¨¤-dire pr¨¦voyant un stockage des donn¨¦es sur le t¨¦l¨¦phone mobile lui-m¨ºme.  D¡¯autres pays comme l¡¯Australie et Singapour pr¨¦f¨¨rent centraliser ces donn¨¦es dans une base contr?l¨¦e par leur autorit¨¦ sanitaire nationale.

Pour sa part, la France lancera ¨¤ partir de mardi son outil de tra?age de proximit¨¦, StopCovid, qui s¡¯appuie sur cette approche centralis¨¦e. Comme l¡¯Australie, elle a d¨¦velopp¨¦ sa propre application sans recourir ¨¤ l¡¯interface de programmation (API) mise au point par Apple et Google, et adopt¨¦e jusqu¡¯¨¤ pr¨¦sent par 22 autres gouvernements ayant choisi un syst¨¨me d¨¦centralis¨¦.

Face ¨¤ la multiplication de ces applications, l¡¯OMS a publi¨¦, le 28 mai, une destin¨¦e ¨¤ ¨¦clairer les utilisateurs et ¨¤ permettre une mise en ?uvre ¨¦quitable des technologies de tra?age qui, toutes, posent des probl¨¨mes ¨¤ la fois techniques et ¨¦thiques.

Un syst¨¨me qui a ses limites

Au-del¨¤ des questions de stockage des donn¨¦es et d¡¯interop¨¦rabilit¨¦ entre les diff¨¦rents pays, ces applications de tra?age de proximit¨¦ ne peuvent pas saisir toutes les situations dans lesquelles un utilisateur risque de contracter la COVID-19. De plus, la proximit¨¦ n¡¯est pas un indicateur certain de risque d¡¯infection dans la mesure o¨´ deux personnes peuvent ¨ºtre proches tout en ¨¦tant physiquement s¨¦par¨¦es par une cloison.

Dans la pratique, souligne la note de l¡¯OMS, ces outils ? ne peuvent se substituer au suivi des contacts traditionnel ?, le plus souvent effectu¨¦ par des moyens humains, en rapport direct. De fait, ajoute-t-elle, les applications de tra?age de proximit¨¦ ne peuvent ¨ºtre efficaces, en termes de fourniture de donn¨¦es, que ? lorsqu¡¯elles sont pleinement int¨¦gr¨¦es ¨¤ un syst¨¨me de sant¨¦ existant et ¨¤ la r¨¦ponse nationale ¨¤ la pand¨¦mie ?, avec le personnel, les services de d¨¦pistage et les infrastructures aff¨¦rents.

L¡¯agence reconna?t toutefois qu¡¯en tenant compte de ces limites, les applications num¨¦riques de tra?age de proximit¨¦ peuvent ¨ºtre utiles aux autorit¨¦s sanitaires pour informer les personnes d¡¯un risque de contamination et les inciter ¨¤ se faire d¨¦pister et ¨¤ s¡¯auto-isoler avant m¨ºme l¡¯apparition de sympt?mes.

? Les actions pr¨¦coces de sant¨¦ publique peuvent faire une diff¨¦rence significative entre le contr?le et la r¨¦surgence de la COVID-19 ?, note-t-elle. Les donn¨¦es r¨¦colt¨¦es peuvent aussi servir ¨¤ la pr¨¦paration de futures flamb¨¦es ¨¦pid¨¦miques.

Reste que de la surveillance des maladies, il est ais¨¦ de passer ¨¤ une surveillance des populations, avertit l¡¯institution onusienne, en pr¨¦conisant la mise en place de ? lois, politiques et m¨¦canismes de contr?le pour l¡¯utilisation des donn¨¦es g¨¦n¨¦r¨¦es par de telles technologies ?, m¨ºme si elles sont anonymis¨¦es. Une pr¨¦caution d¡¯autant plus n¨¦cessaire que ces donn¨¦es sont susceptibles de tomber aux mains d¡¯entreprises priv¨¦es d¨¦veloppant ou partageant une application avec des gouvernements.

En outre, explique-t-elle, le risque existe que des entreprises priv¨¦es int¨¨grent de mani¨¨re permanente leurs produits et services commerciaux au sein des infrastructures de sant¨¦ publique.

 

? La collecte et l'utilisation de ces donn¨¦es par les autorit¨¦s sanitaires peuvent ainsi ¨ºtre limit¨¦es ¨¤ ce qui est strictement n¨¦cessaire au fonctionnement d'un syst¨¨me de suivi de proximit¨¦ num¨¦rique ?.

 

D¡¯une mani¨¨re g¨¦n¨¦rale, ajoute l¡¯OMS, ? les ?tats Membres peuvent atteindre leurs objectifs de sant¨¦ publique tout en prot¨¦geant les droit fondamentaux, tels que la vie priv¨¦e ?. De surcro?t, indique-t-elle, ? les instruments des droits de l¡¯homme pr¨¦voient que l¡¯utilisation des donn¨¦es ¨¤ caract¨¨re personnel doit se faire dans l¡¯int¨¦r¨ºt public et en emp¨ºchant les intrusions inutiles et l¡¯exploitation commerciale ?.

Une menace potentielle pour les droits et les libert¨¦s fondamentales

Compte tenu des restrictions en termes de droits humains qu¡¯imposent les mesures de surveillance sanitaire, l¡¯OMS appelle les gouvernements ¨¤ int¨¦grer ces dans la conception de toute nouvelle technologie ? afin que ses sp¨¦cifications techniques pr¨¦servent et promeuvent certaines valeurs, telles que la transparence et la confidentialit¨¦ ?.

Le droit international relatif aux droits de l¡¯homme reconna?t que, dans le contexte des situations d'urgence publique officiellement proclam¨¦es, y compris en mati¨¨re de sant¨¦ publique, des restrictions aux droits de la personne peuvent ¨ºtre justifi¨¦es. En vertu du , ces restrictions doivent cependant ¨ºtre conformes ¨¤ la loi, n¨¦cessaires et proportionn¨¦es ¨¤ la r¨¦alisation de l¡¯objectif.

De plus, comme l¡¯a r¨¦cemment Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l¡¯homme, les mesures exceptionnelles prises en situation d¡¯urgence sanitaire doivent ¨ºtre ? proportionn¨¦es, non discriminatoires et limit¨¦es dans le temps ?.

Cet ensemble de r¨¨gles s¡¯applique aux dispositifs mis en place pour g¨¦rer la propagation de la COVID-19 gr?ce aux donn¨¦es de localisation. La collecte et le traitement de ces donn¨¦es pourraient en effet r¨¦v¨¦ler l¡¯identit¨¦, les mouvements et les relations des utilisateurs d¡¯une mani¨¨re qui porte atteinte au droit ¨¤ la vie priv¨¦e.

? cet ¨¦gard, l¡¯article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui se fonde sur l¡¯article 12 de la D¨¦claration universelle des droits de l¡¯homme, ¨¦tablit un droit ¨¤ ? la protection de la loi ? contre toute ? immixtion arbitraire ou ill¨¦gale ? dans la vie priv¨¦e d¡¯un individu, mais aussi ? sa famille, son domicile ou sa correspondance ?.

Ces principes ont ¨¦t¨¦ °ù²¹±è±è±ð±ô¨¦s, d¨¦but avril, par une centaine d¡¯organisations de d¨¦fense des droits humains qui, dans une conjointe, ont exhort¨¦ les gouvernements ¨¤ ne pas prendre pr¨¦texte des efforts visant ¨¤ contenir le virus pour ? entrer dans une nouvelle ¨¨re de syst¨¨mes g¨¦n¨¦ralis¨¦s de surveillance num¨¦rique invasive ?.

Les recommandations de l¡¯OMS

? cette heure, ? il n¡¯existe aucune m¨¦thode d'¨¦valuation de l'efficacit¨¦ du tra?age de proximit¨¦ num¨¦rique ?, pr¨¦cise l¡¯OMS dans sa note d¡¯orientation.  En outre, plusieurs ¨¦tudes r¨¦centes font appara?tre qu¡¯un taux d¡¯adoption de l¡¯application par 60 % ¨¤ 75 % de la population d¡¯un pays semble n¨¦cessaire pour assurer son efficacit¨¦, ce qui pose la question de la confiance dans l¡¯outil et du parc suffisant de t¨¦l¨¦phones mobiles.

En tout ¨¦tat de cause, l¡¯agence onusienne estime que l¡¯utilisation de cette technologie doit ¨ºtre limit¨¦e dans le temps, proportionnelles aux objectifs de sant¨¦ publique recherch¨¦s et ¨¦valu¨¦e r¨¦guli¨¨rement par un organisme ind¨¦pendant.  La collecte, la conservation et le traitement des donn¨¦es doivent ¨¦galement ¨ºtre r¨¦duites au strict n¨¦cessaire et toute commercialisation ou diffusion est ¨¤ proscrire.

Pour l¡¯OMS, les gouvernements ne devraient pas rendre obligatoire l¡¯utilisation d¡¯une telle application. Il appartient d¨¨s lors ¨¤ l¡¯utilisateur potentiel de la t¨¦l¨¦charger ou de la d¨¦sactiver sur une base volontaire. La personne doit pour cela ¨ºtre pleinement inform¨¦e, dans un langage clair, sur le but de la collecte et les conditions de stockage et de partage des donn¨¦es.

? Les individus devraient ¨¦galement recevoir des informations significatives sur l'existence d'une prise de d¨¦cision automatis¨¦e et sur la mani¨¨re dont les pr¨¦visions de risque sont faites, y compris la fa?on dont le mod¨¨le algorithmique a ¨¦t¨¦ d¨¦velopp¨¦ et les donn¨¦es utilis¨¦es pour former son mod¨¨le ?, souligne l¡¯institution.

S¡¯agissant du stockage des donn¨¦es, elle observe qu¡¯un consensus se d¨¦gage pour consid¨¦rer les approches d¨¦centralis¨¦es plus fiables en termes de confidentialit¨¦ et de consentement. ? La collecte et l'utilisation de ces donn¨¦es par les autorit¨¦s sanitaires peuvent ainsi ¨ºtre limit¨¦es ¨¤ ce qui est strictement n¨¦cessaire au fonctionnement d'un syst¨¨me de suivi de proximit¨¦ num¨¦rique ?, note-t-elle, en invitant au respect de la vie priv¨¦e, quel que soit le syst¨¨me choisi.

L¡¯OMS insiste ¨¦galement sur l¡¯importance de la s¨¦curit¨¦ des applications de tra?age, qui doivent imp¨¦rativement pr¨¦voir le cryptage de toutes les donn¨¦es personnelles et ¨ºtre soumises ¨¤ des audits par des tiers. De m¨ºme, la conservation des donn¨¦es ne peut exc¨¦der la p¨¦riode de r¨¦ponse ¨¤ la pand¨¦mie, sauf ¨¤ des fins de recherche ou de planification.

Pour ce qui est de l¡¯auto-signalement d¡¯un test positif ¨¤ la COVID-19 par le biais de l¡¯application, il doit ¨ºtre confirm¨¦ par un professionnel de sant¨¦. Le cas ¨¦ch¨¦ant, indique l¡¯agence, celui-ci pourra notifier l¡¯application de tra?age s¡¯il a le consentement de la personne.  Quant ¨¤ la notification des personnes susceptibles d¡¯avoir ¨¦t¨¦ en contact avec la personne infect¨¦e, elle doit pr¨¦server l¡¯anonymat de cette derni¨¨re et fournir des informations claires et accessibles sur les mesures ¨¤ prendre.

Outre la n¨¦cessit¨¦ d¡¯un contr?le r¨¦gulier des mod¨¨les algorithmiques et d¡¯une surveillance ind¨¦pendante des questions relatives aux droits humains, l¡¯OMS demande que des recours soient pr¨¦vus en cas d¡¯abus dans l¡¯utilisation des donn¨¦es ou de surveillance injustifi¨¦e. Elle consid¨¨re, enfin, que la participation de la soci¨¦t¨¦ civile doit ¨ºtre incluse dans ce type de r¨¦ponse, ne serait-ce que pour encourager l¡¯adh¨¦sion du public et garantir la redevabilit¨¦ des gouvernements et des entreprises responsables du d¨¦ploiement des technologies de tra?age de proximit¨¦.