Ceux d'entre nous qui sommes concern¨¦s par la violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes et des filles r¨¦fugi¨¦es seront d'accord sur deux points : le premier c'est l'ampleur du probl¨¨me et le deuxi¨¨me c'est que, malgr¨¦ les nombreux efforts men¨¦s pour traiter cette question au cours des trois derni¨¨res d¨¦cennies, l'efficacit¨¦ des interventions reste ¨¤ ¨¦tablir.

Les femmes et les filles r¨¦fugi¨¦es sont expos¨¦es ¨¤ de multiples formes de violence. Le d¨¦placement qui r¨¦sulte des conflits arm¨¦s expose les femmes et les filles au meurtre, au viol, ¨¤ l'esclavage sexuel, ¨¤ la prostitution forc¨¦e, ¨¤ la traite, ¨¤ la pauvret¨¦ extr¨ºme et ¨¤ un risque de violence plus ¨¦lev¨¦ perp¨¦tr¨¦e par un partenaire, des proches ou des membres de la communaut¨¦. Un r¨¦cent rapport du Fonds de d¨¦veloppement des Nations Unies pour la femme, qui indique que 500 000 femmes ont ¨¦t¨¦ viol¨¦es au Rwanda pendant le g¨¦nocide de 1994, montre la gravit¨¦ du probl¨¨me1. Il r¨¦v¨¨le ¨¦galement que 60 000 cas de viols ont ¨¦t¨¦ signal¨¦s en Croatie et en Bosnie-Herz¨¦govine pendant le conflit en ex-Yougoslavie. Une autre publication r¨¦cente, s'appuyant sur une ¨¦tude r¨¦alis¨¦e en 2000, indique des chiffres aussi alarmants2 : 50 000 ¨¤ 64 000 femmes d¨¦plac¨¦es ¨¤ l'int¨¦rieur du pays ont ¨¦t¨¦ victimes d'abus sexuels pendant le conflit arm¨¦ en Sierra Leone. Selon la m¨ºme source, entre octobre 2004 et f¨¦vrier 2005, M¨¦decins sans fronti¨¨res a trait¨¦ 500 femmes qui avaient ¨¦t¨¦ viol¨¦es au Darfour. Au niveau international, des mesures importantes ont ¨¦t¨¦ prises pour combattre la violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes. En 1993, l'ONU a adopt¨¦ la D¨¦claration sur l'¨¦limination de la violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes. En 1998, le Statut de Rome de la Cour p¨¦nale internationale (CPI) avait ¨¦galement inclus le viol, l'esclavage sexuel, la prostitution forc¨¦e, la grossesse forc¨¦e et la st¨¦rilisation forc¨¦e sur la liste des crimes contre l'humanit¨¦. En effet, la moiti¨¦ des peines prononc¨¦es par la CPI concernaient des viols ou des violences sexuelles. C'¨¦tait aussi le cas des peines prononc¨¦es par le Tribunal p¨¦nal international pour l'ex-Yougoslavie, le Tribunal p¨¦nal international pour le Rwanda et le Tribunal sp¨¦cial pour la Sierra Leone3.

La Convention sur l'¨¦limination de toutes les formes de discrimination ¨¤ l'¨¦gard des femmes (CEDAW), adopt¨¦e en 1979 par l'Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale de l'ONU, est l'instrument international le plus complet qui traite des violations des droits des femmes. Bien que la CEDAW ne mentionne pas directement la violence, le comit¨¦ charg¨¦ d'interpr¨¦ter la convention et de superviser sa mise en ?uvre par les ?tats, incluait dans sa recommandation g¨¦n¨¦rale n° 19 (1992) l'engagement des ?tats parties ¨¤ prendre toutes les mesures appropri¨¦es pour ¨¦radiquer la violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes dans leurs pays.

Pour renforcer les droits des femmes et des filles r¨¦fugi¨¦es et combattre la violence dont elles sont victimes, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les r¨¦fugi¨¦s (HCR) a formul¨¦ une s¨¦rie de politiques. En 1991, il a publi¨¦ les ? Lignes directrices sur la protection des femmes r¨¦fugi¨¦es4 ?. Ce document a introduit des mesures visant ¨¤ cr¨¦er un programme ¨¤ l'intention du personnel et des partenaires d'ex¨¦cution afin de combler les lacunes en mati¨¨re de protection des femmes r¨¦fugi¨¦es. Ces mesures visaient ¨¤ revoir l'am¨¦nagement des camps de r¨¦fugi¨¦s exposant les femmes ¨¤ des risques ainsi que les m¨¦thodes de distribution de l'aide qui exposent les femmes aux risques d'exploitation et de s¨¦vices sexuels. Quatre ans plus tard, en 1995, le HCR a publi¨¦ les ? Principes directeurs sur la pr¨¦vention et la r¨¦ponse en mati¨¨re de violence sexuelle ¨¤ l'encontre des r¨¦fugi¨¦s ? afin de fournir un cadre d'action aux organisations de l'ONU, aux organisations gouvernementales et non gouvernementales travaillant avec les r¨¦fugi¨¦s. Mis ¨¤ jour en 2003, les principes directeurs concernent non seulement les r¨¦fugi¨¦s mais aussi les rapatri¨¦s et les personnes d¨¦plac¨¦es dans leur propre pays. Ce document du HCR souligne une nouvelle approche pr¨¦ventive face au probl¨¨me de la violence sexuelle et fond¨¦e sur le sexe.

En 2000, le Haut-Commissaire a annonc¨¦ l'adoption de Cinq engagements en faveur des femmes r¨¦fugi¨¦es. L'un de ces engagements concerne la mise en place de strat¨¦gies nationales pour combattre la violence sexuelle et fond¨¦e sur le sexe ¨¤ l'encontre des femmes et les filles r¨¦fugi¨¦es, les autres couvrent l'enregistrement, la distribution de vivres et les processus d¨¦cisionnels dans la gestion des camps de r¨¦fugi¨¦s.

En 2000, le HCR a ¨¦galement adopt¨¦ un autre document important, le ? Guide des proc¨¦dures et des crit¨¨res ¨¤ appliquer pour d¨¦terminer le statut des r¨¦fugi¨¦s ?. Ce document, bien que n'¨¦tant pas juridiquement contraignant dans la d¨¦termination du statut de r¨¦fugi¨¦s, met en avant l'appartenance ¨¤ un sexe comme motif de la pers¨¦cution dans le traitement des demandes de statut de r¨¦fugi¨¦s. C'est un pas important dans la bonne direction vers des mesures de protection tenant davantage compte des sexosp¨¦cificit¨¦s, mais il est encore insuffisant pour traiter l'¨¦chec des instruments internationaux, comme la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des r¨¦fugi¨¦s et son Protocole de 1967 ainsi que la Convention de l'Organisation de l'Unit¨¦ africaine relative aux r¨¦fugi¨¦s de 1969, ainsi qu'¨¤ identifier et ¨¤ reconna¨ªtre les pers¨¦cutions sexistes comme motif valable pour accorder le statut de r¨¦fugi¨¦s. Certains pays ont fourni des efforts dans ce sens comme le Canada, les ?tats-Unis et l'Australie, qui ont ¨¦tabli des m¨¦canismes nationaux pour reconna¨ªtre la pers¨¦cution fond¨¦e sur le sexe comme motif d'octroi de l'asile5.

De plus, les organisations non gouvernementales ainsi qu'un nombre croissant d'organisations dirig¨¦es par des r¨¦fugi¨¦es dans diff¨¦rents pays jouent un r?le direct et important dans l'aide aux r¨¦fugi¨¦es victimes de violence en leur offrant des services de soutien pour les accompagner dans leur r¨¦habilitation et leur autonomisation6.

Il est encourageant de constater que des acteurs comme les organisations de l'ONU et certains ?tats sont concern¨¦s et am¨¦liorent la compr¨¦hension globale de la violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes r¨¦fugi¨¦es. Par exemple, certains documents de la politique du HCR mentionn¨¦s plus haut soulignent non seulement la multiplicit¨¦ mais aussi l'interaction des diff¨¦rentes formes de violence ¨¤ leur ¨¦gard. Non seulement les viols et les violences sexuelles pratiqu¨¦s ¨¤ grande ¨¦chelle, mais aussi la pauvret¨¦ extr¨ºme et les conditions de logement d¨¦plorables, sont des formes de violence distinctes - la premi¨¨re ¨¦tant de nature sexuelle et la deuxi¨¨me de nature structurelle. Mais ces deux sortes de violence sont ¨¦galement li¨¦es entre elles en ce sens qu'elles sont souvent fond¨¦es sur le sexe et r¨¦sultent de structures socio-¨¦conomiques et de relations in¨¦gales et discriminatoires. Nous devons identifier les liens qui existent entre ces diverses formes de violence et mettre l'accent sur l'importance de ces interactions. Mais cela n'a pas encore ¨¦t¨¦ fait de mani¨¨re appropri¨¦e.

Dans les discours publics et le travail des acteurs concern¨¦s, la violence structurelle ¨¤ l'¨¦gard des femmes et des filles n'est pas encore prise en compte, m¨ºme pas consid¨¦r¨¦e comme une forme de violence sexuelle choquante et humiliante. C'est peut-¨ºtre d? au manque de conscience g¨¦n¨¦rale du lien entre les diff¨¦rentes formes de violence ¨¤ l'¨¦gard de ces femmes et de ces filles. Cela explique aussi en partie l'absence de volont¨¦ et de mesures juridiques, politiques et ¨¦conomiques satisfaisantes de la part de nombreux pays h?tes d'examiner les besoins des r¨¦fugi¨¦s en mati¨¨re de protection dans les situations de d¨¦placement prolong¨¦. Les femmes r¨¦fugi¨¦es en subissent directement les cons¨¦quences, ce qui se traduit par une exposition quotidienne ¨¤ la violence structurelle. Elles doivent confronter des difficult¨¦s ¨¦conomiques avec peu de moyens de subsistance, lorsqu'elles en ont; elles n'ont pas acc¨¨s aux services sanitaires et ¨¦ducatifs; elles vivent dans des logements surpeupl¨¦s et insalubres, o¨´ elles sont victimes, ou risquent de l'¨ºtre, de violences sexuelles; elles n'ont ni le choix ni les ressources, ou des choix et des ressources tr¨¨s limit¨¦s, pour prendre des d¨¦cisions importantes concernant leur vie sexuelle et reproductive; et, surtout, elles vivent dans une situation d'ins¨¦curit¨¦ et d'instabilit¨¦.

Je ne nie pas le fait que, dans ces situations, les hommes et les gar?ons r¨¦fugi¨¦s sont aussi vuln¨¦rables ou victimes de violations, ce qui peut ¨ºtre semblable ¨¤ la violence structurelle. Mais il existe des moyens distincts par lesquels la violence structurelle vise et marginalise les femmes r¨¦fugi¨¦es. Par exemple, les femmes r¨¦fugi¨¦es continuent de s'occuper des membres de leur famille et de leurs enfants tout en se livrant ¨¤ des activit¨¦s r¨¦mun¨¦ratrices, comme le travail domestique ou la prostitution o¨´ elles sont exploit¨¦es et victimes de la violence physique et sexuelle. Les aspects sexistes de la violence structurelle ¨¤ l'¨¦gard des femmes et des filles, en particulier le d¨¦placement prolong¨¦, doivent ¨ºtre soulign¨¦s et pris en compte dans l'¨¦laboration des politiques et des activit¨¦s de soutien.

Enfin, la question de l'¨¦tiquette est intrins¨¨que aux activit¨¦s men¨¦es par le HCR et les partenaires d'ex¨¦cution pour assurer la protection et les services aux r¨¦fugi¨¦s. Toutefois, ce processus nuit parfois ¨¤ l'objet de leurs travaux car face ¨¤ l'insuffisance des fonds et des services, le HCR et ses partenaires d'ex¨¦cution sont amen¨¦s ¨¤ s¨¦lectionner les femmes r¨¦fugi¨¦es qui m¨¦ritent de recevoir l'aide humanitaire. Cela peut ¨ºtre particuli¨¨rement pr¨¦judiciable pour les femmes qui subissent la violence de mani¨¨re diffuse et ? difficile ¨¤ cat¨¦goriser ?. Prenons, par exemple, une r¨¦fugi¨¦e, la trentaine, en situation de d¨¦placement prolong¨¦, vivant dans un environnement urbain dans un pays du Sud. Elle a ¨¦t¨¦ abandonn¨¦e par son mari, s'occupe de leurs deux enfants et conna¨ªt des probl¨¨mes de sant¨¦ caus¨¦s par de nombreuses ann¨¦es de travail domestique; elle doit se d¨¦fendre contre les avances sexuelles que lui font tous les jours des hommes du quartier. Quelles sont ses exp¨¦riences et ses besoins en mati¨¨re de protection par rapport ¨¤ une jeune fille r¨¦fugi¨¦e de quinze ans qui a ¨¦t¨¦ viol¨¦e par un homme avec qui elle partageait sa maison ou par rapport ¨¤ une jeune femme r¨¦fugi¨¦e de 21 ans qui a ¨¦t¨¦ viol¨¦e alors qu'elle fuyait son pays et qui, depuis, souffre de troubles physiques et psychologiques ? Et comment traduire ces diff¨¦rentes exp¨¦riences de la violence en un langage clair et des mesures politiques appropri¨¦es qui r¨¦pondent aux besoins de ces femmes et prot¨¨gent leurs droits7 ? ?tant donn¨¦ la nature h¨¦t¨¦rog¨¨ne, complexe et dynamique des r¨¦alit¨¦s auxquelles de nombreuses femmes et filles r¨¦fugi¨¦es sont confront¨¦es en situation de d¨¦placement, il nous faut comprendre la nature multidimensionnelle de ces exp¨¦riences et mettre en place des politiques qui en tiennent compte. C'est une t?che n¨¦cessaire, mais certes pas ais¨¦e.

Notes

1 UNIFEM. La violence contre les femmes -- Faits et chiffres, 2007.

2 IRIN/OCHA. Corps meurtris, r¨ºves bris¨¦s. La violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes mise ¨¤ jour. Novembre 2005

3 UNIFEM. Ibid.

4 Ce document de politique a ¨¦t¨¦ mis ¨¤ jour et remplac¨¦ en 2008 par le Manuel du HCR pour la protection des femmes et des filles.

5 Le Canada a cr¨¦¨¦ ses Lignes directrices concernant les femmes r¨¦fugi¨¦es demandeurs d'asile au motif de pers¨¦cutions sexistes en 1993. Ce fut le tour aux ?tats-Unis en 1995, puis de l'Australie en 1996.

6 Pour une liste de ces organisations, voir le HCR. Consultations annuelles avec les organisations non gouvernementales partenaires, Gen¨¨ve, Suisse, 2009.

7 Ce sont les exp¨¦riences v¨¦cues par des femmes r¨¦fugi¨¦es qui ont particip¨¦ ¨¤ des ¨¦tudes que j'ai r¨¦alis¨¦es sur les r¨¦fugi¨¦s somaliens en ?gypte.?