26 f¨¦vrier 2010

Comment les femmes ont-elles fait face aux violences sexistes?

Quels processus, strat¨¦gies et actions ont-elles ¨¦labor¨¦s pour d¨¦fendre leur int¨¦grit¨¦ physique et forger des coalitions et des alliances pour instaurer la justice et promouvoir l'¨¦galit¨¦ des sexes?

Les violences ¨¤ l'¨¦gard des femmes et des filles sont une forme virulente d'abus et de discrimination qui transcende la race, les classes et l'identit¨¦ nationale. Elles rev¨ºtent de nombreuses formes et peuvent ¨ºtre physiques, sexuelles, psychologiques et ¨¦conomiques, mais elles sont g¨¦n¨¦ralement li¨¦es entre elles car elles ont des r¨¦percussions complexes dans de nombreux domaines. D'autres types particuliers de violence, comme la traite des femmes et des filles, ont lieu au-del¨¤ du territoire national. On estime que chaque ann¨¦e 2 millions de personnes, dont beaucoup viennent des quelque 150 pays constituant le ?monde du Sud?, sont victimes de la traite ¨¤ des fins de prostitution, de travail forc¨¦, d'esclavage et d'asservissement. En mena?ant la s¨¦curit¨¦, la libert¨¦ et l'autonomie des femmes et des filles, les violences sexistes constituent une violation des droits des femmes et les emp¨ºchent de participer pleinement ¨¤ la soci¨¦t¨¦ et de d¨¦velopper pleinement leur potentiel en tant qu'¨ºtres humains.

UNE FEMME SUR TROIS Alors que les statistiques mondiales sur la violence sexiste varient, les estimations montrent qu'une femme sur trois a ¨¦t¨¦ battue, a ¨¦t¨¦ forc¨¦e ¨¤ avoir des rapports sexuels ou a subi des violences durant sa vie; entre 30 et 60 % des femmes ayant eu un partenaire ont subi des violences physiques ou sexuelles au sein du couple et entre 7 et 48 % des fillettes et des jeunes femmes ?g¨¦es de 10 ¨¤ 24 ans ont d¨¦clar¨¦ avoir ¨¦t¨¦ forc¨¦es lors de leur premier rapport sexuel, avec les risques que cela comporte de contracter des maladies transmises sexuellement, dont le VIH/sida. Les co?ts de la violence sont extr¨ºmement ¨¦lev¨¦s. Ils comprennent les d¨¦penses directes pour traiter et prendre en charge les femmes victimes et leurs enfants et pour traduire les auteurs en justice, ainsi que les co?ts incalculables qui sont inflig¨¦s aux familles et aux communaut¨¦s pendant des g¨¦n¨¦rations, renfor?ant d'autres formes de violence pr¨¦valente dans la soci¨¦t¨¦.

Les femmes n'ont, cependant, pas accept¨¦ les violations de leur int¨¦grit¨¦ physique et mentale et ont confront¨¦ quotidiennement la violence sexiste en menant des actions de grande et de petite envergure, avec ou sans le soutien des ?tats et des organisations internationales. Au moyen d'actions socialement accept¨¦es, comme la d¨¦nonciation et la honte, de chansons et d'autres performances, avec l'aide de r¨¦seaux religieux ou de nouvelles formes transnationales d'organisations, les femmes ont conclu des alliances, fait pression sur les ?tats et les gouvernements municipaux et eu recours au droit international relatif aux droits de l'homme pour attirer l'attention et demander r¨¦paration des pr¨¦judices caus¨¦s par les relations et les pratiques sociales oppressives.

LE MONDE DU SUD Les ¨¦tudes que nous avons r¨¦alis¨¦es sur les femmes des pays du Sud indiquent que les violences sont souvent perp¨¦tr¨¦es par leur partenaire ou par des membres de la famille par des pratiques comme le viol, la d¨¦floration, les mutilations g¨¦nitales f¨¦minines dans certaines parties d'Afrique ainsi qu'au Proche et au Moyen-Orient, les assassinats li¨¦s ¨¤ la dote en Asie du Sud et l'infanticide des filles, la s¨¦lection du sexe avant la naissance et le d¨¦laissement syst¨¦matique des fillettes, en particulier en Asie du Sud et de l'Est, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Mais la violence sexiste peut aussi impliquer des personnes de confiance, comme les membres des forces internationales du maintien de la paix ou les agents de la police nationale, en particulier dans les zones de conflit, qui commettent des viols et se livrent au harc¨¨lement sexuel et ¨¤ l'exploitation sexuelle, souvent comme strat¨¦gie visant ¨¤ humilier les parties adverses, ¨¤ terroriser les personnes et ¨¤ d¨¦truire les soci¨¦t¨¦s, comme cela s'est produit r¨¦cemment en R¨¦publique d¨¦mocratique du Congo ou en Guin¨¦e.

La violence peut ¨¦galement ¨ºtre perp¨¦tr¨¦e au niveau de l'?tat par des actes et des omissions ou par des actions militaires associ¨¦es effectu¨¦es par un appareil de r¨¦pression, tandis que les politiques ¨¦conomiques et sociales gouvernementales peuvent contraindre de vastes proportions de la population, en particulier les pauvres, les femmes et les personnes vivant dans les zones rurales, ¨¤ vivre dans la pauvret¨¦, avec privation et humiliation, des conditions qui sont aussi consid¨¦r¨¦es comme des formes de violence. Les pressions ¨¦conomiques augmentent la gravit¨¦ des contraintes existantes en particulier sur les femmes pauvres, beaucoup, par exemple, continuent de vivre dans une relation abusive ou adoptent, pour survivre, des comportements ¨¤ risque comme le commerce du sexe. M¨ºme lorsque les femmes travaillent dur pour se sortir de la pauvret¨¦ extr¨ºme, il leur arrive d'¨ºtre agress¨¦es physiquement pour avoir r¨¦alis¨¦ leur ind¨¦pendance ¨¦conomique, tandis que d'autres sont accus¨¦es de sorcellerie ou de se livrer ¨¤ des actes immoraux. Certaines femmes ont aussi subi des violences lorsqu'elles tentaient de participer ¨¤ des ¨¦lections locales ou nationales, comme cela s'est produit au Kenya en 2007 ou, au Mexique, lorsque des femmes mari¨¦es ont d? renoncer ¨¤ participer aux projets de d¨¦veloppement parce que leurs maris ressentaient leur pouvoir comme une menace ¨¤ leur autorit¨¦ patriarcale et les battaient pour les dissuader de continuer.

PROCESSUS ET STRAT?GIES ?LABOR?S PAR LES FEMMES Ce sont, en grande partie, les mouvements de d¨¦fense locaux des femmes et les organisations f¨¦minines qui ont permis d'attirer l'attention sur la violence sexiste et de la faire inscrire ¨¤ l'ordre du jour mondial. Des groupes de femmes ont cr¨¦¨¦ des r¨¦seaux nationaux, r¨¦goniaux et mondiaux, ont jou¨¦ un r?le de premier plan pour faire conna¨ªtre ce probl¨¨me et changer progressivement les comportements et les pratiques communautaires li¨¦s ¨¤ la violence sexiste. Ces r¨¦seaux ont donn¨¦ lieu ¨¤ de nombreuses campagnes qui ont permis de r¨¦former les lois et les politiques et de changer les pratiques. Dans des pays aussi ¨¦loign¨¦s l'un de l'autre que la Colombie et la R¨¦publique du Congo, des femmes confront¨¦es ¨¤ un conflit ont ¨¦galement jou¨¦ un r?le d¨¦terminant.

Les femmes ont formul¨¦ des demandes aupr¨¨s de leur gouvernement afin de rendre les lois locales conformes au droit international relatif aux droits de l'homme. Dans de nombreux pays du Sud, des lois ont ¨¦t¨¦ promulgu¨¦es condamnant la violence et le harc¨¨lement sexuel ¨¤ l'¨¦gard des femmes, des mesures ont ¨¦t¨¦ prises concernant l'¨¦galit¨¦ des sexes et des efforts nationaux ont ¨¦t¨¦ coordonn¨¦s pour assurer l'application int¨¦grale et efficace des lois.

Mais les lois qui ont ¨¦t¨¦ vot¨¦es n'ont pas ¨¦t¨¦ r¨¦ellement appliqu¨¦es et, dans de nombreux cas, ne sont pas accessibles ¨¤ celles qui en ont besoin ¨¤ cause des co?ts ¨¦lev¨¦s pour demander justice. En outre, de nombreux efforts nationaux manquent de fonds et sont tr¨¨s dispers¨¦s, avec une pr¨¦sence disproportionn¨¦e dans les communaut¨¦s urbaines affluentes au d¨¦triment des communaut¨¦s rurales et pauvres. Un d¨¦fi majeur faisant obstacle ¨¤ la mise en ?uvre efficace des lois et des politiques est le manque de volont¨¦ politique et d'action en faveur de l'¨¦galit¨¦ des sexes.
Les femmes ont fermement soutenu le remaniement du syst¨¨me de justice p¨¦nale pour qu'il soit mieux adapt¨¦ ¨¤ leurs besoins. Cela comprend la formation de magistrats et de fonctionnaires de police afin de traiter les victimes avec respect et d'appliquer le droit international et r¨¦gional des droits de l'homme dans les cas de violence sexiste ¨¤ l'¨¦gard des femmes; la cr¨¦ation de tribunaux sp¨¦ciaux ou de postes r¨¦serv¨¦s aux femmes au sein de la police; et la cr¨¦ation de proc¨¦dures d'enqu¨ºtes et d'institutions dirig¨¦es par des personnes dont les attitudes refl¨¨tent celles de la soci¨¦t¨¦ dans laquelle elles sont pr¨¦sentes.

L'id¨¦e que les femmes comprennent mieux les exp¨¦riences des autres femmes, communiquent de mani¨¨re plus efficace avec les femmes locales et servent de mod¨¨les ¨¤ l'autonomisation des femmes s'est exprim¨¦e dans les postes de police compos¨¦s uniquement de femmes au Br¨¦sil ou parmi les casques bleus de certaines missions de maintien de la paix des Nations Unies compos¨¦es de femmes. Les services d'assistance offerts aux victimes de violence ont ¨¦t¨¦ cruciaux dans les efforts de mobilisation des femmes, comme les centres d'h¨¦bergement, les centres d'accueil et l'accompagnement psychosocial, car les services existants ne sont pas con?us pour r¨¦pondre aux besoins sp¨¦cifiques des femmes et les services dont les femmes ont besoin n'existent pas. Les femmes ont choisi de prendre les choses en main parce que souvent les politiques nationales ne sont pas adapt¨¦es ¨¤ leurs besoins.

Les organisations f¨¦minines de la soci¨¦t¨¦ civile dans le monde entier ont attir¨¦ l'attention sur la lutte contre la violence sexiste ¨¤ l'¨¦gard des femmes qui est ¨¦galement li¨¦e au succ¨¨s de la campagne lanc¨¦e par le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral ? Tous unis pour mettre fin ¨¤ la violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes ? et au Plan d'action pour s'attaquer ¨¤ la violence sexiste. Ces initiatives examinent, entre autres, les probl¨¨mes suivants :

  • L'impunit¨¦ : Ne pas tol¨¦rer l'impunit¨¦ existante, s'y attaquer et y mettre fin.
  • La pr¨¦vention et le r?le des hommes et des gar?ons : Les travaux de la majorit¨¦ des organisations sont aujourd'hui consacr¨¦s ¨¤ la pr¨¦vention, en travaillant en particulier avec les gar?ons et les hommes. Mais il est acquis que cela se doit se faire sans leur laisser ? dominer la question ? et en d¨¦finissant le r?le de chacun, y compris celui des hommes et des gar?ons pour mettre fin ¨¤ la violence sexiste tout en respectant la prise de d¨¦cision des femmes et leurs opinions concernant la d¨¦finition de cette question.
  • Confronter les cultures de la violence : La violence sexiste continue d'¨ºtre soutenue par la dynamique au sein des soci¨¦t¨¦s; et les attitudes traditionnelles, contemporaines et communautaires en sont un aspect essentiel. Il est toutefois important de r¨¦examiner la mani¨¨re dont on aborde le d¨¦bat sur la culture et la violence sexiste et d'examiner ¨¤ la fois les ? pratiques culturelles traditionnelles ? et d'autres formes de violence qui sont renforc¨¦es par les attitudes et les pratiques existantes.
  • Les donn¨¦es : Nous devons recueillir des donn¨¦es pr¨¦cises sur la pr¨¦valence et l'incidence des diverses formes de violence sexiste ainsi que sur les approches et les strat¨¦gies les plus r¨¦ussies afin de r¨¦duire cette violence dans diff¨¦rentes situations. Il faut allouer des ressources pour documenter les travaux et contribuer ¨¤ compiler un corpus de connaissances dans ce domaine.
  • Les ressources : Des ressources appropri¨¦es doivent ¨ºtre d¨¦gag¨¦es pour soutenir les travaux de lutte contre la violence sexiste, ¨¤ la fois aux niveaux gouvernemental et de la soci¨¦t¨¦ civile ainsi que dans tous les domaines - fourniture de services, possibilit¨¦ pour les victimes d'acc¨¦der au syst¨¨me de justice, strat¨¦gies d'¨¦ducation et de pr¨¦vention - en particulier pour les personnes qui travaillent sur le terrain, ¨¦tant donn¨¦ que c'est l¨¤ que le premier effet doit se faire sentir.

La r¨¦duction de la violence ¨¤ l'¨¦gard des femmes devrait ¨ºtre consid¨¦r¨¦e comme un indicateur de r¨¦alisation du d¨¦veloppement en g¨¦n¨¦ral et, en particulier, de l'Objectif du Mill¨¦naire pour le d¨¦veloppement relatif ¨¤ l'¨¦galit¨¦ des sexes. Les d¨¦cideurs doivent pr¨ºter une plus grande attention et un plus grand soutien aux approches adopt¨¦es par les femmes pour faire face au fl¨¦au persistant qu'est la violence sexiste, en particulier dans le monde du Sud.

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