Lorsque la maison s'est mise ¨¤ trembler autour d'elle, Dessica, 10 ans, est sortie en courant et s'est r¨¦fugi¨¦e dans un terrain vague derri¨¨re la petite rue o¨´ elle habite. ? Tu ¨¦tais toute seule ? ?, ai-je demand¨¦. ? Oui ?, a-t-elle r¨¦pondu. ? Tu n'as pas attendu ta maman ni tes fr¨¨res et s?urs ? ? ? Non, je me suis simplement mise ¨¤ courir. ?

La m¨¨re de Dessica, Marilude, regarde sa fille et acquiesce d'un signe de la t¨ºte. ? ? ce moment-l¨¤, chacun tentait de sauver sa vie. ? Elle dit cela de mani¨¨re impassible, mais on sent en elle une grande solennit¨¦. Chacun sait qu'en Ha?ti, et en particulier dans des quartiers comme celui de Marilude, la mort a frapp¨¦ de fa?on arbitraire. Certains ont eu de la chance, d'autre pas.

Deux semaines apr¨¨s le tremblement de terre, Marilude a re?u sa premi¨¨re distribution d'aide alimentaire, un sac de riz de 25 kg, distribu¨¦ conjointement par le Programme alimentaire mondial des Nations Unies et WorldVision, qui lui a permis de nourrir pendant les semaines suivantes ses six enfants - les plus jeunes sont des jumeaux de cinq ans et le plus ?g¨¦ a 22 ans.?? Et j'attends un autre enfant ?, a-t-elle ajout¨¦.

Les Nations Unies ont organis¨¦ dans la capitale d'Ha?ti, Port-au-Prince, et ses environs, 16 points de distribution dans lesquels a ¨¦t¨¦ mis en place un vaste programme de distribution d'aide alimentaire visant ¨¤ toucher deux millions de personnes en deux semaines. L'ONU et ses partenaires ont fait face ¨¤ d'immenses difficult¨¦s ¨¤ mettre en ?uvre en toute s¨¦curit¨¦ et de mani¨¨re ad¨¦quate la strat¨¦gie alimentaire, mais ont combl¨¦ le retard en donnant la priorit¨¦ aux femmes enceintes, aux enfants mal nourris et aux orphelinats.

Avec la nourriture qui nourrira sa famille pendant des semaines, Marilude ¨¦prouve un sentiment de s¨¦curit¨¦ pour la premi¨¨re fois depuis que le s¨¦isme a frapp¨¦. Elle ¨¦tait alors ¨¤ la maison avec ses enfants. Bien que bless¨¦e ¨¤ la hanche par la chute de d¨¦bris, elle savait que son b¨¦b¨¦ ¨¦tait indemne mais admet avec honn¨ºtet¨¦ que le b¨¦b¨¦ n'est pas sa priorit¨¦.

Elle essaie d'expliquer ¨¤ ses enfants que leur p¨¨re est mort. Le 12 janvier 2010, son mari travaillait au march¨¦ o¨´ de nombreuses personnes ont perdu la vie, et son corps n'a toujours pas ¨¦t¨¦ retrouv¨¦. Le plus jeune des enfants ne comprend pas ou refuse d'admettre la disparition de son p¨¨re.

Leur maison ¨¦tant partiellement d¨¦truite, la famille est actuellement sans domicile et vit l¨¤ o¨´ Dessica s'¨¦tait r¨¦fugi¨¦e. Ce terrain vague est aujourd'hui recouvert de tentes de fortune fabriqu¨¦es avec des draps, avec des centaines de voisins et de familles pauvres cherchant d¨¦sesp¨¦r¨¦ment de l'eau et de la nourriture.

Lorsque Marilude quitte sa tente, elle couvre le pr¨¦cieux sac de riz avec des v¨ºtements et d'autres effets personnels pour le mettre ¨¤ l'abri des voleurs. Plus tard, en d¨¦posant le sac au milieu de la tente, son visage change soudain - elle est fi¨¨re d'avoir su s'occuper de sa famille, d'avoir rempli son r?le de m¨¨re. Au cours des deux derni¨¨res semaines, elle a pass¨¦ chaque jour dans les rues, faisant la queue devant les bureaux du gouvernement, plaidant en faveur de sa famille et essayant de s'inscrire sur une liste de distribution alimentaire. Elle est l'une des quelques personnes dans ce camp ¨¤ recevoir une aide et sait qu'une partie de son devoir dans cette communaut¨¦ est de la partager avec les autres m¨¨res qui l'ont aid¨¦e. Desssica dit qu'elle partage parfois ses repas avec Gerline qui a deux enfants et vit dans une tente voisine. Gerline, une m¨¨re seule aussi, achetait de la nourriture ¨¤ cr¨¦dit jusqu'¨¤ cette semaine o¨´ elle partagera son repas avec Marilude.

Pour l'heure, les deux femmes sont incertaines de leur avenir. Avant le s¨¦isme, elles ¨¦taient marchandes ambulantes. Mais ni l'une ni l'autre n'est retourn¨¦e travailler, pr¨¦f¨¦rant s'occuper de ses enfants. Alors qu'elle nourrit sa famille avec ce premier sac de riz et commence ¨¤ avoir la conviction qu'on s'occupera d'eux, Marilude se sentira peut-¨ºtre suffisamment en s¨¦curit¨¦ pour reprendre son travail.

Au cours des semaines et des mois ¨¤ venir, Marilude et les autres femmes du camp iront chacune ¨¤ leur tour aux points de distribution. Dessica aussi ira ¨¤ pied jusqu'aux points de distribution, derri¨¨re sa m¨¨re, la regardant crier, attendre, transporter sa ration et partager.

Dessica est encore trop jeune pour comprendre l'ampleur de la catastrophe qui a frapp¨¦ Port-au-Prince. Elle n'a que dix ans et voit le monde aux c?t¨¦s de sa m¨¨re ¨¤ travers ses yeux d'enfant, elle voit la lutte quotidienne pour la survie et l'effondrement de la ville, mais aussi des moments d'optimisme comme aujourd'hui, la distribution de riz.

Emily Troutman est auteur et photographe dont les travaux portent sur les questions humanitaires mondiales. En octobre, elle a ¨¦t¨¦ nomm¨¦e Ambassadrice de l'ONU. Vous pouvez suivre son voyage en Ha?ti sur Twitter ¨¤ .