L¡¯ann¨¦e 2014 marque le vingti¨¨me anniversaire de l¡¯entr¨¦e en vigueur de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (la ? Convention1 ?) qui a ¨¦t¨¦ ratifi¨¦e par un grand nombre d¡¯?tats parties. Le 16 novembre 2014, elle en comptait 166, dont l¡¯Union europ¨¦enne.

Durant la comm¨¦moration de cet anniversaire, le 9 juin 2014, lors ?de la vingt-quatri¨¨me r¨¦union des ?tats Parties, le Secr¨¦taire ?g¨¦n¨¦ral des Nations Unies a d¨¦crit la Convention comme l ¡¯un des instruments multilat¨¦raux les plus importants et les plus ?visionnaires du XXe si¨¨cle. Il a fait remarquer qu¡¯en tant que?? Constitution pour les oc¨¦ans ?, il ¨¦tait largement admis que la plupart de ses dispositions refl¨¦taient le droit international coutumier et qu¡¯elle avait montr¨¦ sa nature dynamique par sa capacit¨¦ ¨¤ relever les nouveaux d¨¦fis. Les d¨¦l¨¦gations ont soulign¨¦ qu¡¯elle ¨¦tablissait le cadre juridique r¨¦gissant toutes les activit¨¦s touchant les mers et les oc¨¦ans et ont mis en valeur sa nature universelle et unifi¨¦e. Elles ont ¨¦galement not¨¦ qu¡¯elle repr¨¦sentait l¡¯un des trait¨¦s internationaux les plus efficaces et ont rendu hommage ¨¤ ceux qui l¡¯avaient ¨¦labor¨¦e, en particulier ¨¤ l¡¯Ambassadeur de Malte Arvid Pardo2.

Les n¨¦gociations qui ont conduit ¨¤ son adoption en 1982 ont ¨¦t¨¦ complexes et longues, mais elles ont ¨¦t¨¦ exemplaires du point de vue de la diplomatie multilat¨¦rale. Elles ont d¨¦but¨¦ en 1967 sur l¡¯initiative de l¡¯Ambassadeur Pardo qui a demand¨¦ ¨¤ l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale d¡¯examiner ? la question de l¡¯affectation, ¨¤ des fins exclusivement pacifiques, du lit des mers et des oc¨¦ans ainsi que de leur sous-sol, en haute mer, au-del¨¤ des limites de la juridiction nationale actuelle, et de l¡¯exploitation de leurs ressources dans l¡¯int¨¦r¨ºt de l¡¯humanit¨¦ ?. Un comit¨¦ sp¨¦cial a ¨¦t¨¦ ¨¦tabli par l¡¯Assembl¨¦e cette m¨ºme ann¨¦e. Ce comit¨¦ est devenu un an plus tard le Comit¨¦ sp¨¦cial charg¨¦ d¡¯¨¦tudier les utilisations pacifiques du lit des mers et des oc¨¦ans au-del¨¤ des limites de la juridiction nationale (le ? Comit¨¦ des fonds marins ?).

En 1970, l ¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale a d¨¦clar¨¦ que les lits des mers, les fonds marins et leur sous-sol au-del¨¤ des limites de leur juridiction nationale, ainsi que les ressources de cette zone, ¨¦taient le patrimoine commun de l¡¯humanit¨¦3. La Comit¨¦ des fonds marins est ensuite devenu un Comit¨¦ pr¨¦paratoire pour la Troisi¨¨me Conf¨¦rence des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS III).

En convoquant cette Conf¨¦rence, l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale a reconnu que les probl¨¨mes de l¡¯espace oc¨¦anique ¨¦taient?¨¦troitement li¨¦s et devaient ¨ºtre consid¨¦r¨¦s dans leur ensemble. Lorsque l ¡¯UNCLOS III a d¨¦but¨¦ ses travaux en 1973, elle avait donc devant elle, en plus des propositions soumises ¨¦galement par la Conf¨¦rence, une longue liste de questions ainsi qu¡¯un grand nombre de propositions et leurs variantes4 pr¨¦par¨¦es par le Comit¨¦ des fonds marins.

L¡¯UNCLOS III avait donc pour t?che de cr¨¦er un processus de n¨¦gociation5 qui lui permet trait de traiter la complexit¨¦ des probl¨¨mes pos¨¦s, d¡¯¨¦laborer une convention, de parvenir ¨¤ un consensus entre un grand nombre d¡¯?tats aux int¨¦r¨ºts divergents et de mettre au point un texte pr¨¦paratoire. Les n¨¦gociateurs ¨¦taient ¨¦galement conscients de l¡¯incapacit¨¦ de l¡¯UNCLOS I et II, respectivement en 1958 et 1960, de se mettre d¡¯accord sur les limites ext¨¦rieures de la mer territoriale et de la zone de p¨ºche.

Sur le constat que les probl¨¨mes de l¡¯espace oc¨¦anique?¨¦taient ¨¦troitement li¨¦s et devaient ¨ºtre consid¨¦r¨¦s dans leur ensemble, un compromis g¨¦n¨¦ral6 a ¨¦t¨¦ trouv¨¦ qui a abouti ¨¤ la formulation d¡¯un r¨¨glement int¨¦rieur de la Conf¨¦rence et?¨¤ l¡¯accord de prendre des d¨¦cisions sur la base d¡¯un consensus. En raison des int¨¦r¨ºts divergents des ?tats sur des questions d¡¯une telle importance, la Conf¨¦rence a reconnu qu¡¯un vote ¨¤ la majorit¨¦ absolue ne permettrait pas d¡¯instaurer un cadre juridique durable. Le r¨¨glement int¨¦rieur adopt¨¦ par la Conf¨¦rence en 1974 s¡¯est donc ¨¦cart¨¦ du mod¨¨le g¨¦n¨¦ralement applicable aux conf¨¦rences des Nations Unies concernant la prise de d¨¦cisions7. Il a int¨¦gr¨¦ un ? Accord informel ?, approuv¨¦ par l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale en 1973, qui stipulait que la Conf¨¦rence ne devait m¨¦nager aucun effort pour parvenir ¨¤ un accord sur les questions de fond par voie de consensus et qu¡¯aucun vote n¡¯aurait lieu sur ces questions tant que tous les efforts en vue d¡¯aboutir ¨¤ un accord n¡¯auraient pas ¨¦t¨¦?¨¦puis¨¦s. Avant qu¡¯une question importante ne soit soumise?¨¤ un vote, une majorit¨¦ des deux tiers des repr¨¦sentants pr¨¦sents et votant, y compris une majorit¨¦ des ?tats participant ¨¤ cette session de la Conf¨¦rence, devaient s¡¯assurer que tous les efforts pour parvenir ¨¤ un consensus avaient ¨¦t¨¦ infructueux8.

Bien que l¡¯UNCLOS III n¡¯ait pas invent¨¦ le consensus comme r¨¨gle de la prise de d¨¦cision, pour la premi¨¨re fois une grande conf¨¦rence internationale adoptait et mettait en place un m¨¦canisme de consensus qui ¨¦tait, et est toujours, une contribution unique ¨¤ la prise de d¨¦cision mondiale9.

Une autre nouvelle proc¨¦dure, introduite lors de l¡¯UNCLOS III, qui s¡¯¨¦cartait des proc¨¦dures traditionnelles des conf¨¦rences intergouvernementales des Nations Unies charg¨¦es ¨¤ cette ¨¦poque de la codification, a ¨¦t¨¦ la convocation d¡¯une conf¨¦rence sans un projet de texte de n¨¦gociation.

Face aux nombreuses propositions et ¨¤ leurs variantes, les premi¨¨res initiatives prises par la Conf¨¦rence ont vis¨¦ ¨¤ r¨¦duire autant que possible le nombre de textes qui lui ¨¦taient pr¨¦sent¨¦s sur chaque sujet ou sur chaque question10. La conf¨¦rence a ¨¦tabli trois grandes commissions charg¨¦es d¡¯examiner les sujets couverts par le Comit¨¦ des fonds marins. En outre, de nombreux groupes internationaux compos¨¦s d¡¯?tats partageant les m¨ºmes points de vue sur des int¨¦r¨ºts purement g¨¦ographiques se sont constitu¨¦s pour traiter un certain nombre de questions11. Par exemple, les groupes des ?tats c?tiers et des ?tats sans littoral et celui des pays g¨¦ographiquement d¨¦favoris¨¦s ont ¨¦t¨¦ compos¨¦s d¡¯?tats d¨¦velopp¨¦s et d¡¯?tats en d¨¦veloppement, marquant le d¨¦but du processus de partenariat12. En plus des groupes d¡¯int¨¦r¨ºts et des groupes r¨¦gionaux traditionnels, des groupes de n¨¦gociation informels ont?¨¦t¨¦ ¨¦galement form¨¦s.

La Conf¨¦rence s¡¯est ¨¦galement vu confier une grande responsabilit¨¦ dans le ? Coll¨¨ge ?, ¨¤ savoir le Pr¨¦sident de la Conf¨¦rence, les pr¨¦sidents des trois grandes commissions, le Pr¨¦sident du Comit¨¦ de r¨¦daction et le Rapporteur g¨¦n¨¦ral.

En 1975, ¨¤ la demande de la Conf¨¦rence, chacun des pr¨¦sidents des trois grandes commissions a ¨¦tabli un texte unique de n¨¦gociation portant sur les questions dont ¨¦tait charg¨¦e leur commission respective, l¡¯ensemble de ces textes constituant le texte unique de n¨¦gociation officieux. Par la suite, le Pr¨¦sident de la Conf¨¦rence a soumis un texte sur la question du r¨¨glement des diff¨¦rends. Bien qu¡¯agissant ¨¤ la demande de la Conf¨¦rence, le Pr¨¦sident et les pr¨¦sidents des commissions n¡¯avaient re?u aucune instruction concernant le contenu des textes et ¨¦taient libres de choisir parmi les diff¨¦rentes propositions ou de r¨¦diger leur propre texte13.

Les textes uniques de n¨¦gociation r¨¦vis¨¦s suivants ont?¨¦t¨¦ pr¨¦par¨¦s par le Pr¨¦sident et les pr¨¦sidents des commissions et refl¨¦taient les tendances de la Conf¨¦rence. Le pouvoir qui leur ¨¦tait conf¨¦r¨¦ ¨¦tait consid¨¦rable, car ensuite il n¡¯¨¦tait pas facile pour les d¨¦l¨¦gations de modifier le texte et la d¨¦cision de le r¨¦viser ¨¦tait en grande partie laiss¨¦e au Pr¨¦sident et aux pr¨¦sidents des commissions ¨C une pratique sans pr¨¦c¨¦dent aux Nations Unies14.

En 1977, apr¨¨s que le Coll¨¨ge eut ¨¦tabli un texte de n¨¦gociation composite officieux, qui consolidait en un seul document tous les projets d¡¯articles, sept groupes de n¨¦gociations sp¨¦cifiques ont ¨¦t¨¦ constitu¨¦s pour r¨¦soudre les questions essentielles en suspens. Il a ¨¦t¨¦ convenu que le Coll¨¨ge n¡¯apporterait aucun changement au texte ¨¤ moins que le changement propos¨¦ n¡¯ait recueilli un large soutien. La Conf¨¦rence a donc pu veiller ¨¤ la coh¨¦sion de l¡¯ensemble jusqu¡¯¨¤ ce que tous les ¨¦l¨¦ments soient en place15.

En avril 1982, la Conf¨¦rence a ¨¦tabli que tous les efforts en vue de parvenir ¨¤ un consensus avaient ¨¦t¨¦ ¨¦puis¨¦s. ? la fin de cette session, un vote enregistr¨¦ sur le projet de convention et les r¨¦solutions a eu lieu ¨¤ la demande des ?tats-Unis d¡¯Am¨¦rique. Le projet de convention a ¨¦t¨¦ adopt¨¦ le 30 avril 1982 par 130 voix contre 4 et 17 abstentions. La Convention a ensuite ¨¦t¨¦ ouverte ¨¤ la signature le 10 d¨¦cembre 1982 et a recueilli 117 signatures. On n¡¯avait jamais vu un tel soutien le premier jour de l¡¯ouverture ¨¤ la signature d¡¯un trait¨¦16. Il ¨¦tait m¨ºme remarquable qu¡¯aucune r¨¦serve ni exception n¡¯ait ¨¦t¨¦ faite ¨¤ la Convention ¨¤ moins qu¡¯elle n¡¯ait ¨¦t¨¦ express¨¦ment autoris¨¦e par d¡¯autres articles de la Convention.

Les avantages du processus de n¨¦gociation utilis¨¦ pendant l¡¯UNCLOS III se font encore sentir aujourd¡¯hui. G¨¦n¨¦ralement, les ?tats jugent la conduite de chaque ?tat en faisant r¨¦f¨¦rence aux dispositions de la Convention, m¨ºme si un ?tat n¡¯est pas partie ¨¤ la cette derni¨¨re17. De plus, si la m¨¦thode de consensus ¨¤ l¡¯UNCLOS III impliquait que chaque ?tat devait faire des compromis, les ?tats n¡¯avaient pas officiellement propos¨¦ la reprise de l¡¯examen des dispositions sp¨¦cifiques de la Convention. Par ailleurs, cette m¨¦thode de consensus a continu¨¦ d¡¯¨ºtre appliqu¨¦e dans les n¨¦gociations sur les questions li¨¦es aux oc¨¦ans et au droit de la mer lors de la R¨¦union des ?tats parties ¨¤ la Convention et de l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale des Nations Unies. L¡¯Accord aux fins d¡¯application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 d¨¦cembre 1982 relatives ¨¤ la conservation et ¨¤ la gestion des stocks de poissons chevauchants et de grands migrateurs en est un exemple. Il a ¨¦t¨¦ adopt¨¦ par consensus par l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale en 199518.

Notes

1? Nations Unies, Recueil des trait¨¦s, vol. 1833, n¡ã 31363.

2? Rapport de la Vingt-quatri¨¨me R¨¦union des ?tats Parties, New York, 9-13 juin 2014 (SPLOS /277), p. 4/21. Voir aussi Nations Unies, Les trente ans de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer : r¨¦flexions (New York, Nations Unies, 2013).

3? R¨¦solution 2749 (XXV) de l¡¯Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale.

4? Document A/CONF.62/29 dans La Troisi¨¨me Conf¨¦rence des Nations Unies sur le droit de la mer, documents officiels, vol. III (New York Nations Unies 1975), p. 59-61

5? Il existe de nombreux articles sur le processus de n¨¦gociation pendant l¡¯UNCLOS III. Pour une pr¨¦sentation compl¨¨te du processus de n¨¦gociation de la Conf¨¦rence, voir Tommy T.B. Koh et Shanmugam Jayakumar, ? The Negotiating Process of the Third United Nations Conference on the Law of the Sea ? dans la Convention des Nations Unies sur le droit ¨¤ la mer 1982 : un commentaire, vol. 1, Myron H. Nordquist, dir. (Dordrecht, Martinus Nijhoff Publishers), p.29-134 (54).

6? Alan Beesley, ? The Negotiating Strategy of UNCLOS III : Developing and Developed countries as Partners¨CA Pattern for Future Multilateral International Conferences? ?, Law and Contemporary Problems, vol. 46, n¡ã 2 (printemps 1983), p. 183-194 (185).

7? Koh and Jayakumar, p. 99. Voir aussi note 5 ci-dessus.

8? A/CONF.62/30/R¨¦v .3.

9? Albert W. Koers, ? The Third United Nations Conference on the Law of the Sea¨Csome remarks on the contribution towards the making of international law ? dans International Law and Its Sources: Liber Amicorum Maarten Bos, P. Heere, dir. (La Haye, Pays-Bas, T.M.C. Asser Institute 1989), p. 28.

10 Constantin A. Stavropoulos, ? Statement by C.A. Stavropoulos, Procedural Problems of the Third Conference on the Law of the Sea ?, dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer 1982 : un commentaire, p. lxiii.

11 Pour une liste compl¨¨te des groupes, voir Koh et Jayakumar, p. 55.

12 Beesley, p. 186.

13 Koers, p. 29.

14 Koh et Jayakumar, p. 56.

15 Bernardo Zuleta, ? Introduction ?, dans Le droit de la mer. Convention des Nations Unies sur le droit de la mer avec annexes et Acte final de la Troisi¨¨me Conf¨¦rence des Nations Unies sur le droit de la mer (New York, St. Martin¡¯s Press, publi¨¦ en coop¨¦ration avec les Nations Unies (num¨¦ro de vente n¡ã E.83.V.5, 1983), p. xxiv.

16 Id.

17 Koers, p. 43.

18 Nations Unies, Recueil des trait¨¦s, vol. 2167, n¡ã 37924.