01 septembre 2007

Avec une proportion de plus en plus importante de leur population en d¨¦tention, en libert¨¦ conditionnelle ou ¨¤ risque, les communaut¨¦s autochtones du monde sont confront¨¦es ¨¤ un probl¨¨me s¨¦rieux. Les statistiques montrent que le pourcentage de populations autochtones en conflit avec la justice est tr¨¨s ¨¦lev¨¦ et que, dans certaines r¨¦gions, ce chiffre est en hausse.
Au Canada, cette question est examin¨¦e avec attention depuis quelques ann¨¦es. Selon le Centre canadien de la statistique juridique, les peuples autochtones repr¨¦sentent environ 19 % des d¨¦tenus f¨¦d¨¦raux, alors qu'ils comptent seulement 3 % de la population nationale. Entre 1997 et 2000, les cas d'homicide parmi la population autochtone ¨¦taient dix fois plus ¨¦l¨¦v¨¦s que parmi la population non-autochtone. Le nombre d'autochtones en prison au Canada a augment¨¦ de 22 % entre 1996 et 2004, alors que la population carc¨¦rale g¨¦n¨¦rale a baiss¨¦ de 12 %. Dans les soci¨¦t¨¦s similaires, ces ¨¦carts sont aussi tr¨¨s importants.
M¨ºme si ces chiffres en disent long, ils ne sont que la partie visible de l'iceberg. ? Nous sommes confront¨¦s aux effets de la colonisation sur des g¨¦n¨¦rations ?, a estim¨¦ Beverly Jacobs, pr¨¦sidente de l'Association canadienne des femmes autochtones. ? Chacun a ¨¦t¨¦ affect¨¦. ? Elle a constat¨¦ que la pauvret¨¦, la violence et la stigmatisation dont sont victimes les populations autochtones depuis des g¨¦n¨¦rations ont eu un effet important sur les communaut¨¦s autochtones, conduisant souvent au crime. C'est aussi l'avis d'Ed McIsaac, directeur ex¨¦cutif du Bureau canadien de l'enqu¨ºteur correctionnel. ? Nous avons une situation sociale et ¨¦conomique qui a des cons¨¦quences sur l'¨¦ducation, la sant¨¦ et l'emploi. Ce sont ces probl¨¨mes qui am¨¨nent les populations autochtones en contact avec la justice p¨¦nale ?, a-t-il indiqu¨¦.
Peu r¨¦futent le fait que dans des pays comme le Canada, la proportion d'autochtones impliqu¨¦s dans des activit¨¦s criminelles est proportionnellement plus ¨¦lev¨¦e que celle des communaut¨¦s non-autochtones. Certains estiment cependant qu'¨¤ part la stigmatisation profond¨¦ment ancr¨¦e et les maux sociaux, la discrimination par la police et les tribunaux existe. En fait, selon l'Enqu¨ºteur correctionnel qui agit comme un ombudsman pour les d¨¦tenus, certaines formes de discrimination existent au sein du syst¨¨me p¨¦nal, note Ed McIsaac. Ce qui complique la situation, c'est que la discrimination, telle qu'elle est d¨¦finie par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, peut ne pas ¨ºtre intentionnelle. Cela signifie que les id¨¦es pr¨¦con?ues sur les autochtones, aussi subtiles soient-elles, peuvent ¨ºtre discriminatoires quand elles influencent l'attitude des agents de police ou les d¨¦cisions des juges. Les autochtones accus¨¦s de crimes peuvent donc ¨ºtre victimes d'un profilage racial non intentionnel. Pour les d¨¦tenus, la discrimination se manifeste souvent par des mesures de s¨¦curit¨¦ plus strictes, une plus grande difficult¨¦ ¨¤ ¨ºtre plac¨¦s en libert¨¦ conditionnelle et les probl¨¨mes cr¨¦¨¦s par de longues p¨¦riodes pass¨¦es loin de chez eux. La question la plus ¨¦pineuse est comment adapter les politiques officielles ¨¤ la r¨¦alit¨¦ de la vie autochtone. ? [La discrimination] r¨¦sulte de politiques apparemment neutres ?, a expliqu¨¦ M. McIsaac.
Dans ses activit¨¦s sur les femmes autochtones, Mme Jacobs illustre ce probl¨¨me, disant que la vaste majorit¨¦ des femmes autochtones incarc¨¦r¨¦es, qui repr¨¦sentent 30 %, un pourcentage tr¨¨s important des d¨¦tenues au Canada, purgent des peines li¨¦es ¨¤ la d¨¦pendance aux drogues ou ¨¤ l'alcool, ou ¨¤ la violence conjugale. ?tant donn¨¦ l'incidence ¨¦lev¨¦e de la violence dans les m¨¦nages autochtones et la pr¨¦valence de la drogue et de l'alcool dans leurs communaut¨¦s, il est souvent difficile d'avoir une attitude inflexible envers ces crimes. Alors que les gouvernements commencent ¨¤ prendre des mesures pour soutenir les populations autochtones, beaucoup essaient de composer avec ce paradoxe. La t?che n'est pas ais¨¦e. Il faut trouver un juste ¨¦quilibre entre la n¨¦cessit¨¦ de prendre en compte l'histoire particuli¨¨re des autochtones et celle de faire r¨¦gner l'ordre dans toutes les communaut¨¦s, quelles qu'elles soient.
R¨¦cemment, une ¨¦tude r¨¦alis¨¦e par les Nations Unies en 2005 sur le respect des engagements du pays vis-¨¤-vis du Pacte international relatif aux droits civils et politiques a suscit¨¦ un d¨¦bat sur ce sujet au Canada. En octobre 2005, le Comit¨¦ des droits de l'homme a not¨¦ des ¨¦checs dans la mise en ?uvre du Trait¨¦ et a demand¨¦ au Canada d'¨¦tablir des proc¨¦dures pour mettre fin aux violations des droits de l'homme, en particulier ceux des populations autochtones. Il a demand¨¦ instamment au gouvernement d'examiner la violence et la discrimination envers les femmes autochtones et a exprim¨¦ son inqui¨¦tude sur la situation des d¨¦tenues dans le pays, en particulier des d¨¦tenues autochtones.
Dans son rapport annuel pr¨¦sent¨¦ ¨¤ l'Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale, le Comit¨¦ pour l'¨¦limination de la discrimination raciale (CERD) a pris en compte certaines de ces inqui¨¦tudes et a pr¨¦sent¨¦ une recommandation g¨¦n¨¦rale en 2005 sur la discrimination raciale et l'administration de la justice. Selon le rapport, les taux de criminalit¨¦ proportionnellement ¨¦lev¨¦s attribu¨¦s ¨¤ des groupes sp¨¦cifiques, en particulier la petite d¨¦linquance et les d¨¦lits li¨¦s ¨¤ la drogue et ¨¤ la prostitution, ¨¦taient souvent un signe d'exclusion sociale. Il a demand¨¦ aux ?tats d'¨¦liminer les lois qui avaient un impact en termes de discrimination raciale, d'¨¦laborer des programmes de sensibilisation et d'assurer une formation pour le personnel de la Cour p¨¦nale.
Les ?tats parties ¨¤ la Convention internationale sur l'¨¦limination de toutes les formes de discrimination raciale doivent respecter certaines normes internationales des droits de l'homme. En vertu du Trait¨¦, les groupes et les particuliers peuvent d¨¦poser une plainte devant le Comit¨¦. La Secr¨¦taire du CERD, Nathalie Prouvez, a indiqu¨¦ que cette clause est l'une des meilleures initiatives prises par le Comit¨¦ pour que les ?tats tiennent leurs engagements vis-¨¤-vis du Trait¨¦. Les groupes et les particuliers ? ont acc¨¨s ¨¤ une voie de recours au niveau international s'ils ne l'ont pas dans leur pays ?, a-t-elle indiqu¨¦. Mais cela ne s'applique que si un ?tat a ratifi¨¦ le trait¨¦, ce que beaucoup de pays, dont le Canada, n'ont pas encore fait.
Toutefois, le Canada a mis en place ses propres programmes en vue d'am¨¦liorer la situation des communaut¨¦s autochtones. Les efforts ont ¨¦t¨¦ centr¨¦s sur l'id¨¦e que les autochtones eux-m¨ºmes doivent r¨¦pondre aux besoins de leurs communaut¨¦s et assurer leur protection afin qu'elles ne soient pas victimes de discrimination l¨¦gale. Des programmes innovateurs de pr¨¦vention du crime, des initiatives aidant les autochtones ¨¤ exercer un plus grand contr?le sur les services de police et l'administration de la justice, ont ¨¦t¨¦ mises en place au Canada d¨¨s 1992, lors de la cr¨¦ation de la Politique sur la police des Premi¨¨res nations (PPPN). Dans ce cadre, le Gouvernement f¨¦d¨¦ral, le gouvernement local et la nation autochtone travaillent ensemble pour assurer l'ordre dans les terres tribales. Pour s'assurer que dans les communaut¨¦s autochtones, les services de police sont repr¨¦sentatifs de la population qu'ils servent, les agents de police ainsi que les conseils et les commissions de police sont compos¨¦s d'un certain nombre d'autochtones. ? part quelques exceptions, tous les agents de police doivent ¨ºtre d'origine autochtone.
? ce jour, huit provinces ont mis en place des programmes de la PPPN, avec 33 ententes cadres relatives au service de police communautaire pour la province de Saskatchewan seulement. Le Gouvernement canadien a ¨¦galement cr¨¦¨¦ la Commission royale nationale sur les peuples aborig¨¨nes et le Conseil national consultatif des Aborig¨¨nes et a lanc¨¦ l'Initiative sur le crime organis¨¦ dans les Premi¨¨res Nations. Selon M. McIsaac, les a¨ªn¨¦s des communaut¨¦s ont assist¨¦ aux auditions f¨¦d¨¦rales de demandes de libert¨¦ conditionnelle pour les hommes et les femmes autochtones et des ? cercles de gu¨¦rison ? sont souvent mis en place durant la p¨¦riode de probation. En outre, la Cour supr¨ºme canadienne ayant rejet¨¦ l'inculpation pour crime d'une femme autochtone au motif qu'elle avait agi en l¨¦gitime d¨¦fense (R. v. Gladue, 1999), les tribunaux canadiens prennent d¨¦sormais en compte les ? facteurs syst¨¦miques et sp¨¦cifiques ? li¨¦s aux communaut¨¦s autochtones lorsqu'ils instruisent les proc¨¨s et fixent les peines.
De nombreux experts sont pr¨¦occup¨¦s par le fait que les autochtones en libert¨¦ surveill¨¦e doivent quitter leur foyer pour obtenir les services sociaux dont ils ont besoin. Mme Jacob a remarqu¨¦ qu'obliger les femmes autochtones ¨¤ quitter leurs enfants pouvait aggraver le manque de soutien familial et favoriser le crime et la violence. Mais des changements importants ont eu lieu. En 2005, dans le cadre d'un accord, le gouvernement provincial de Manitoba a transf¨¦r¨¦ les services de mise en libert¨¦ surveill¨¦e et les services correctionnels communautaires aux organisations autochtones. Par cet accord, les autochtones en p¨¦riode de probation peuvent ¨ºtre contr?l¨¦s par les membres de leurs communaut¨¦s et rester pr¨¨s de leur famille.
La F¨¦d¨¦ration des Nations indiennes de la Saskatchewan (FSIN), une conf¨¦d¨¦ration de 74 Premi¨¨res nations, a pris la direction des programmes autochtones autog¨¦r¨¦s de la province. En 2007, son Projet pilote Approche de gu¨¦rison fond¨¦e sur la justice r¨¦paratrice pour les jeunes des Premi¨¨res nations a vis¨¦ les jeunes ¨¤ risque dans deux communaut¨¦s des Premi¨¨res Nations, leur proposant des activit¨¦s culturelles et traditionnelles et des ¨¦changes avec leurs pairs. Les activit¨¦s comprenaient le programme ? Adopter un a¨ªn¨¦ ?, o¨´ les jeunes ¨¦taient jumel¨¦s ¨¤ des a¨ªn¨¦s. La FSIN vient ¨¦galement de cr¨¦er un Conseil des jeunes (Youth Council for Just Relations) qui s'ajoutera ¨¤ ses comit¨¦s consultatifs.
Malgr¨¦ les efforts des groupes autochtones et des autorit¨¦s canadiennes, M. McIsaac a not¨¦ que l'¨¦cart statistique entre les autochtones et les non-autochtones incarc¨¦r¨¦s persistait. En fait, les ¨¦tudes montrent que cet ¨¦cart pourrait m¨ºme se creuser sous peu. La discrimination et le crime sont des probl¨¨mes ¨¤ long terme, a-t-il dit, ? et il n'existe pas de solutions toutes faites ?. Il estime ¨¦galement qu'il faut examiner les ¨¦carts dans les domaines de l'¨¦ducation, de l'emploi et des services sociaux avant que des changements soient possibles. De son c?t¨¦, Mme Jacobs estime que la situation stagne parce qu'un trop grand nombre de politiques de pr¨¦vention, de police et de politiques correctionnelles, m¨ºme celles mises en ?uvre en conjonction avec les communaut¨¦s autochtones, continuent ¨¤ ¨ºtre fond¨¦es sur des mod¨¨les gouvernementaux. L'organisation Premi¨¨res Nations ¨¦tant financ¨¦e par le gouvernement, elle ne peut pas encore abandonner compl¨¨tement ces mod¨¨les. ? Les communaut¨¦s cherchent ¨¤ ¨¦laborer leurs propres syst¨¨mes de justice ?, a-t-elle indiqu¨¦. En m¨ºme temps, l'¨¦ducation de base sur les autochtones dans les ¨¦coles canadiennes pourrait fortement contribuer ¨¤ ¨¦radiquer la discrimination. ? Le racisme, c'est simplement un manque d'¨¦ducation ?, estime-t-elle, ajoutant que la plupart des Canadiens ? n'ont aucune id¨¦e ? de l'histoire des communaut¨¦s autochtones voisines.
Ancr¨¦e dans les probl¨¨mes sociaux et ¨¦conomiques depuis des si¨¨cles, la discrimination l¨¦gale envers les communaut¨¦s autochtones est un probl¨¨me s¨¦rieux qui n¨¦cessite des solutions innovantes et un soutien international. Mais bien que le probl¨¨me soit complexe, de nombreux groupes autochtones ont prouv¨¦ qu'ils ¨¦taient pr¨ºts ¨¤ relever le d¨¦fi.

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