Par Fekri Hassan, l'Institut d'arch¨¦ologie, University College London


Un jour, j'ai vu un tract qui appelait ¨¤ un rassemblement pour arr¨ºter le changement climatique. Beaucoup ne semblent pas savoir que le climat change tout le temps et qu'on ne peut arr¨ºter les changements climatiques. Ces changements, toutefois, varient quant ¨¤ leur fr¨¦quence et leur intensit¨¦ et r¨¦sultent de nombreux facteurs, comme la distance entre le soleil et l'¨¦quateur, qui contribue au bilan thermique de la Terre, et la diff¨¦rence de temp¨¦rature entre l'¨¦quateur et les p?les plus froids caus¨¦e par la d¨¦viation de l'orbite de la Terre ou les variations du rayonnement solaire.

Les variations de temp¨¦rature cr¨¦ent un mouvement de masses d'air qui, ¨¤ leur tour, entra¨ªnent des pr¨¦cipitations. Pendant des dizaines de milliers d'ann¨¦es, la Terre a connu de nombreuses p¨¦riodes de refroidissement alternant avec des p¨¦riodes de r¨¦chauffement. Apr¨¨s la derni¨¨re grande glaciation, qui a d¨¦but¨¦ il y a 110 000 ans, on constate, de 16 000 ¨¤ 11 500, une ¨¦volution vers des conditions climatiques plus chaudes caract¨¦ris¨¦e par de fr¨¦quentes variations climatiques. Des groupes de chasseurs-cueilleurs vivant dans des habitats soumis aux al¨¦as climatiques, comme les r¨¦gions semi-d¨¦sertiques en Asie de l'Ouest du Sud, en Afrique du Nord et en Chine, se sont adapt¨¦s en adoptant une vari¨¦t¨¦ de technologies sociales et agricoles, comme l'utilisation des herbages naturels et la gestion du cheptel, la fabrication et l'utilisation de meules, l'usage de pi¨¨ges, l'emploi d'arcs et de fl¨¨ches, ainsi que la conservation des denr¨¦es alimentaires. Certains ont continu¨¦ de perfectionner leurs techniques de chasse, d'autres se sont fix¨¦s pour exploiter les ressources v¨¦g¨¦tales. Les groupes les plus performants se trouvaient en M¨¦diterran¨¦e orientale o¨´ le bl¨¦ sauvage et l'orge ¨¦taient abondants.
L'INVENTION DE L'AGRICULTURE
De 11 600 ¨¤ 8 200, le climat s'est r¨¦chauff¨¦ et est devenu plus humide dans le bassin oriental de la M¨¦diterran¨¦e. C'est pendant cette p¨¦riode que des g¨¦n¨¦rations successives de chasseurs-cueilleurs, qui ont tir¨¦ avantage des habitats abondamment arros¨¦s, ont adopt¨¦ l'agriculture comme principal mode de production, marquant l'accomplissement le plus r¨¦volutionnaire de l'humanit¨¦ - l'invention de l'agriculture.

Ce fut une transformation radicale du mode de vie. Les villages se sont group¨¦s pour former des communaut¨¦s dirig¨¦es par des conseils ou des chefs. Plus tard, les conglom¨¦rats de communaut¨¦s agricoles ont fusionn¨¦ pour cr¨¦er des royaumes, tandis que les communaut¨¦s qui ¨¦levaient du b¨¦tail, des moutons et des ch¨¨vres, ont recherch¨¦ les terres irrigu¨¦es pr¨¨s des cours d'eau.

Avec la mise en place de ce nouveau syst¨¨me agraire dot¨¦ d'une organisation plus complexe, l'effet des changements climatiques sur la vie humaine a pris un nouveau tournant. Cela a ¨¦t¨¦ principalement d? ¨¤ la nature de l'¨¦cologie agraire et au potentiel de croissance ¨¦conomique. La production agricole variait chaque ann¨¦e, en partie en raison de la variabilit¨¦ inter¬annuelle des pr¨¦cipitations mais, plus important, en fonction des changements des conditions climatiques amorc¨¦s depuis des d¨¦cennies et des si¨¨cles qui avaient un impact sur le d¨¦bit des fleuves et sur les pr¨¦cipitations. Pour rem¨¦dier ¨¤ ces probl¨¨mes, des canaux d'irrigation ont ¨¦t¨¦ construits dans les terres dess¨¦ch¨¦es, des canaux de drainage sont ¨¦t¨¦ am¨¦nag¨¦s pour lib¨¦rer la quantit¨¦ d'eau exc¨¦dentaire et des digues ont ¨¦t¨¦ construites pour prot¨¦ger les champs et les villages des d¨¦g?ts caus¨¦s par les inondations.

DE GRANDES CIVILISATIONS
L'expansion des communaut¨¦s agraires a donn¨¦ lieu au d¨¦veloppement d'?tats politiques complexes pourvus d'une structure de gestion hi¨¦rarchique. Les fonctionnaires, les clercs et les pr¨ºtres qui d¨¦ployaient rituels et mythes pour promouvoir et renforcer les politiques de l'?tat ont suscit¨¦ une augmentation de la demande alimentaire. Pour faire face ¨¤ cette soudaine demande, un tribut a ¨¦t¨¦ pr¨¦lev¨¦ sur les fermiers qui ont ¨¦t¨¦ contraints de travailler plus et d'agrandir leurs champs.

Vers 5000 av. J.-C, les premiers ?tats agraires ont donn¨¦ naissance aux premi¨¨res grandes civilisations mondiales en ?gypte, en M¨¦sopotamie et en Inde. Mais vers 4200 av. J.-C., le climat a brusquement chang¨¦ entra¨ªnant des changements dramatiques dans le monde entier. Sur les berges du Nil, les ?gyptiens avaient ¨¦tabli un ?tat centralis¨¦. Des dynasties successives avaient construit des pyramides imposantes pendant 400 ans, de 4600 ¨¤ 4200 av. J.-C., avant que des baisses r¨¦p¨¦t¨¦es du niveau du Nil n'entra¨ªnent une catastrophe. Le gouvernement s'est effondr¨¦. Les famines ont ravag¨¦ la population rurale, la violence a ¨¦clat¨¦ et le pays entier a ¨¦t¨¦ en proie au chaos.
En M¨¦sopotamie, les premi¨¨res soci¨¦t¨¦s ¨¦tatiques qui ont vu le jour au d¨¦but du cinqui¨¨me mill¨¦naire avant J.-C. d¨¦pendaient beaucoup de l'irrigation pour faire face aux s¨¦cheresses et aux inondations r¨¦currentes du Tigre et de l'Euphrate. Pour tirer l'eau, elles ont invent¨¦ un syst¨¨me ¨¤ bascule, le chadouf, et ont utilis¨¦ les canaux, les canaux de drainage, les barrages, les digues et les r¨¦servoirs. Contrairement ¨¤ l'?gypte, les sols des plaines d'inondation avaient tendance ¨¤ se saliniser, ce qui r¨¦duisait la productivit¨¦. Les dirigeants avaient recours aux guerres, il a 4500 ans. C'est ainsi que fut ¨¦tabli l'Empire militaire d'Akkad 200 ans plus tard. Les Akkadiens ¨¦tendirent leur pouvoir sur les r¨¦gions irrigu¨¦es afin d'augmenter leur revenu g¨¦n¨¦r¨¦ par les tributs. Toutefois, les d¨¦penses ¨¦lev¨¦es de l'empire militaire, la perte de productivit¨¦ caus¨¦e par la surproduction des terres et la surexploitation des fermiers, ainsi que par une d¨¦pendance grandissante vis-¨¤-vis des produits venant de terres irrigu¨¦es marginales, ont rendu l'empire d'Akkad vuln¨¦rable aux r¨¦voltes internes et aux attaques ext¨¦rieures au risque de provoquer sa chute. Un si¨¨cle ¨¤ peine apr¨¨s sa cr¨¦ation, l'empire s'est effondr¨¦ suite ¨¤ un ¨¦v¨¦nement climatique mondial, survenu il y a 4 200 ans, qui a eu trois cons¨¦quences.

Premi¨¨rement, le d¨¦bit du Tigre et de l'Euphrate a consid¨¦rablement diminu¨¦, nuisant ¨¤ la productivit¨¦ des terres situ¨¦es dans les vall¨¦es. Deuxi¨¨mement, les inondations ont r¨¦duit le rendement des cultures irrigu¨¦es par les eaux fluviales. Troisi¨¨mement, les tribus nomades guties qui vivaient dans les monts Zagros et qui ¨¦taient fragilis¨¦es par les s¨¦cheresses, ont profit¨¦ de l'affaiblissement de l'empire d'Akkad et de ses tensions internes : ils ont rendu les transports dangereux, perturb¨¦ l'¨¦conomie et emp¨ºch¨¦ la collecte des tributs, privant l'empire de ses ressources vitales.

Plus ¨¤ l'Est, en Chine, la culture du riz et du millet est devenue depuis 11 660 ans le principal mode d'alimentation gr?ce aux moussons. Toutefois, les s¨¦cheresses qui sont survenues il y a 4200 ans ont contraint les villageois qui occupaient la moyenne vall¨¦e du fleuve Yangstze d'abandonner leurs villages alors que l'eau manquait. Le Fleuve Jaune, sa grande boucle, ainsi que l'¨¦rosion des sols caus¨¦e par des variations climatiques et l'agriculture, ont contribu¨¦ ¨¤ l'apparition de soci¨¦t¨¦s hi¨¦rarchiques complexes avant d'¨ºtre menac¨¦es par un refroidissement climatique qui a non seulement caus¨¦ des s¨¦cheresses, mais aussi diminu¨¦ le nombre de jours sans gel, ce qui a entra¨ªn¨¦ une r¨¦duction des rendements agricoles. Cela est indiqu¨¦ par le d¨¦clin, vers 4000 ans avant J.-C. en date calibr¨¦e, de la culture de Longshan dans la vall¨¦e du Fleuve Jaune et des soci¨¦t¨¦s agraires de la r¨¦gion centrale de Chine. Il semble aussi que les s¨¦cheresses aient encourag¨¦ l'int¨¦gration et la coop¨¦ration politiques, l'¨¦mergence de la premi¨¨re dynastie d¨¦crite dans les sources historiques, la dynastie chinoise Xia (il y a environ 4100 ¨¤ 3600 ans) dans la r¨¦gion occidentale de la province du Henan et la province du Shanxi.

Depuis 4200, de nombreux royaumes et empires ont vu le jour et ont disparu, principalement ¨¤ cause des guerres men¨¦es pour acqu¨¦rir de nouvelles terres et capturer de la main-d'?uvre afin d'augmenter la production. Le plus souvent, les rivalit¨¦s internes, les co?ts caus¨¦s par le contr?le de vastes territoires habit¨¦s par des paysans ¨¦cras¨¦s par les imp?ts, ainsi que le co?t des guerres, ont eu raison des dynasties.

Au premier si¨¨cle apr¨¨s J.-C, bon nombre des royaumes et des empires pr¨¦c¨¦dents ont ¨¦t¨¦ renvers¨¦s par l'Empire romain. Mais il ne fallut pas longtemps pour que le vaste empire, d'une port¨¦e pratiquement mondiale, connaisse les m¨ºmes probl¨¨mes qui avaient pr¨¦cipit¨¦ la chute de ces empires. Les changements climatiques qui sont survenus aux IIIe et au V?e si¨¨cle ont port¨¦ le dernier coup. Dans ce cas encore, comme dans le cas des Gutis et des Akkadiens, des s¨¦cheresses successives ont conduit les Huns, cavaliers munis d'arcs, ¨¤ attaquer les tribus germaniques qui, ¨¤ leur tour, ont attaqu¨¦ les Romains. Les effets des changements climatiques sur les p?turages des r¨¦gions d¨¦sertiques et semi-d¨¦sertiques ont, une fois de plus, favoris¨¦ au XIIe si¨¨cle, la recrudescence des attaques par les Mongols dont les descendants vivent aujourd'hui en Mongolie, en Chine, (Mongolie int¨¦rieure), en Russie ainsi que dans d'autres pays d'Asie centrale. Non seulement l'instabilit¨¦ climatique a encourag¨¦ les nomades mongols ¨¤ attaquer les communaut¨¦s s¨¦dentaires, mais elle a ¨¦galement affaibli les royaumes et les empires, les rendant vuln¨¦rables.

Les ¨¦v¨¦nements climatiques qui ont contribu¨¦ ¨¤ l'expansion des Mongols ont ¨¦t¨¦ des ph¨¦nom¨¨nes mondiaux - une p¨¦riode que l'on nomme ? anomalie climatique m¨¦di¨¦vale ?. Ils ont eu des cons¨¦quences majeures en Europe pendant la p¨¦riode m¨¦di¨¦vale et perturb¨¦ de nombreuses autres r¨¦gions du monde, y compris l'Am¨¦rique du Nord. En ?gypte, les s¨¦cheresses qui ont eu lieu du IXe au d¨¦but du XIIIe si¨¨cle ont engendr¨¦ des famines et des bouleversements politiques.

On pense aujourd'hui que le d¨¦clin de l'Empire de la dynastie chinoise Tang, en 907, a ¨¦t¨¦ pr¨¦cipit¨¦ par un changement climatique. Une perturbation du syst¨¨me des moussons en Chine a provoqu¨¦ le d¨¦clin final de cette dynastie : une s¨¦cheresse prolong¨¦e et un ¨¦t¨¦ sec ont suscit¨¦ des ¨¦meutes paysannes qui ont marqu¨¦ la fin de la dynastie. Des arch¨¦ologues ont d¨¦couvert que, de 700 ¨¤ 900, les vents plus violents durant la mousson d'hiver ont provoqu¨¦ des migrations dans la zone de convergence intertropicale. Un ¨¦v¨¦nement climatique similaire a contribu¨¦ ¨¤ l'effondrement des Mayas en Am¨¦rique centrale.

Il est important de souligner que le changement climatique n'est qu'une cause, parmi de nombreuses autres, de la fin des civilisations et que la mani¨¨re dont les soci¨¦t¨¦s ¨¦taient dirig¨¦es sont peut-¨ºtre des facteurs plus importants. Le changement climatique aurait-il eu moins d'impact sur l'Empire Tang si le vieil empereur Xuanzong n'avait pas ¨¦t¨¦ si laxiste et indiff¨¦rent vis-¨¤-vis des affaires de l'?tat, ou s'il n'avait pas nomm¨¦ des chanceliers pernicieux qui ont corrompu l'ordre politique et a ¨¦t¨¦ incapable, en 755, d'emp¨ºcher les troupes ennemies de menacer l'empire ? Un syst¨¨me imp¨¦rial militaire n'est-il pas vuln¨¦rable au changement climatique ?Un r¨¦gime sans puissance militaire oppressive aurait-il pu emp¨ºcher la mont¨¦e des forces s¨¦paratistes au VIIIe et au IXe si¨¨cle ? Enfin, si l'empereur Tang avait men¨¦ une politique plus ¨¦quitable et charitable ¨¤ l'¨¦gard des paysans, cela aurait-il emp¨ºch¨¦ le soul¨¨vement de masse en 859 ?

Il faut ¨¦viter de percevoir le changement climatique comme cause unique de l'apog¨¦e ou de la chute des civilisations. ? cette ¨¦poque et actuellement, le changement climatique peut ¨ºtre g¨¦r¨¦ par des syst¨¨mes qui assurent la protection de l'habitat naturel et veillent ¨¤ ce que les dirigeants ne surexploitent pas les masses au profit d'une minorit¨¦ et ne recourent pas ¨¤ la force militaire pour coloniser ou piller les ressources et les peuples d'autres nations.

Comme ces syst¨¨mes, notre syst¨¨me est extr¨ºmement vuln¨¦rable. La situation est, de fait, pire parce que les ¨¦conomies des nations sont ¨¦troitement li¨¦es et que l'effet cumulatif des ¨¦missions qui polluent la plan¨¨te depuis 200 ans menace aujourd'hui de bouleverser le climat mondial. La plan¨¨te est aussi surpeupl¨¦e et tr¨¨s urbanis¨¦e. Au cours des 50 derni¨¨res ann¨¦es, la demande en eau, pour ne citer qu'une de nos ressources vitales, a augment¨¦, privant plus d'un milliard de personnes de l'acc¨¨s ¨¤ l'eau potable. Je pense que qu'aucune solution ¨¤ la crise mondiale ne sera possible tant que nous n'abandonnerons pas les politiques nationalistes et les entreprises financi¨¨res ¨¤ court terme et ne cr¨¦erons pas une institution charg¨¦e de la gestion mondiale. Cette institution unifierait et coordonnerait le savoir-faire, les ressources financi¨¨res et humaines de toutes les nations pour r¨¦habiliter nos environnements menac¨¦s ainsi que pour promouvoir et diffuser de nouvelles technologies pour r¨¦duire la faim et la pauvret¨¦. Le r¨¦chauffement climatique - auquel les pays industriels ont d¨¦j¨¤ grandement contribu¨¦ - est un signal d'alarme qui nous alerte non seulement sur les menaces que pose le changement climatique mais, plus important, sur les d¨¦faillances actuelles de nos institutions politiques et sociales et de leurs valeurs.