Les catastrophes naturelles brisent des vies. J¡¯en sais quelque chose. En 2004, le tsunami qui est survenu dans l¡¯oc¨¦an Indien a bris¨¦ la mienne.

Elles d¨¦truisent aussi les communaut¨¦s et, parfois m¨ºme, des pays entiers. Les catastrophes soudaines, comme les s¨¦ismes, les tsunamis, les ouragans et les inondations, causent des d¨¦g?ts. Les catastrophes ¨¤ ¨¦volution lente, comme les s¨¦cheresses, causent des d¨¦g?ts permanents ¨¤ long terme.

Au cours des derni¨¨res catastrophes, les pertes en vies humaines ont ¨¦t¨¦ ¨¦lev¨¦es. Lors du tsunami survenu en 2004, quelque 250 000 personnes ont perdu la vie dans plusieurs pays. On estime que le s¨¦isme de 2010 en Ha?ti a fait 140 000 morts. Au Myanmar, 120 000 ont p¨¦ri lorsque le cyclone Nargis a frapp¨¦ le pays en 2008. Le s¨¦isme qui a secou¨¦ le Cachemire (Pakistan) en 2005 et celui qui a frapp¨¦ le Sichuan (Chine) en 2008 ont fait chacun plus de 85 000 victimes. Le s¨¦isme et le tsunami qui ont frapp¨¦ le Japon en 2011 ont fait 18 000 morts. Entre 2010 et 2012, l¡¯extr¨ºme s¨¦cheresse a ¨¦t¨¦ l¡¯une des causes de la mort de 230 000 personnes en Somalie. Chacune de ces vies ¨¦tait pr¨¦cieuse ¨C individuelle, complexe, humaine. Parfois aveugl¨¦s par ces chiffres, nous l¡¯oublions trop souvent.

Ces catastrophes sont d¡¯une telle ampleur qu¡¯il est pratiquement impossible d¡¯y faire face ou de se r¨¦tablir. Les survivants et les communaut¨¦s peinent ¨¤ se remettre des pertes en vies humaines et de la disparation de leurs moyens de subsistance. Les nations et les gouvernements sont confront¨¦s ¨¤ une immense t?che, ¨¤ savoir restaurer et reconstruire les biens d¨¦truits, ¨¤ la fois ¨¦conomiques et sociaux.

Mais il nous faut imp¨¦rativement comprendre clairement les probl¨¨mes de d¨¦veloppement ¨¦conomique apr¨¨s une catastrophe. Globalement, nous serons de plus en plus expos¨¦s ¨¤ ce type d¡¯¨¦v¨¦nements. On pr¨¦voit que les changements climatiques intensifieront la gravit¨¦ des ph¨¦nom¨¨nes m¨¦t¨¦orologiques extr¨ºmes. En outre, le nombre de personnes vivant dans des r¨¦gions expos¨¦es au risque ne fera qu¡¯augmenter a lors que nous migrons vers des villes qui ne disposent pas de plans de protection suffisants contre les catastrophes ou vers des zones g¨¦ographiques (plaines inondables, coteaux ¨¤ forte d¨¦clivit¨¦) qui sont particuli¨¨rement vuln¨¦rables aux risques.

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LES PERTES ECONOMIQUES DUES AUX CATASTROPHES

Les effets destructeurs des catastrophes naturelles sont davantage ressentis dans les pays pauvres que dans les pays riches. Alors que tous ces pays sont expos¨¦s aux catastrophes naturelles, la plupart des 3,3 millions de personnes qui ont p¨¦ri dans des catastrophes au cours des 40 derni¨¨res ann¨¦es vivaient dans des pays pauvres. Par exemple, le s¨¦isme de magnitude 7 qui a frapp¨¦ Ha?ti en 2010 a fait environ 140 000 morts et provoqu¨¦ un d¨¦sastre ¨¦conomique, tandis que la m¨ºme ann¨¦e celui de magnitude 9,1 qui eu lieu au Chili a fait 500 victimes et a eu un impact relativement limit¨¦ sur l¡¯¨¦conomie nationale.

Les d¨¦g?ts ¨¦conomiques caus¨¦s par les catastrophes varient. Les biens immobilis¨¦s et l¡¯infrastructure, comme les habitations, les ¨¦coles, les usines et les ¨¦quipements, les routes, les barrages et les ponts, sont d¨¦truits. Le capital humain est r¨¦duit ¨¤ cause des pertes en vies humaines, de la perte de travailleurs qualifi¨¦s et de la destruction des infrastructures ¨¦ducatives qui perturbe la scolarit¨¦. Les ressources naturelles d¡¯un pays peuvent aussi ¨ºtre affect¨¦es ¨C les ouragans d¨¦truisent les for¨ºts, et les ouragans et les s¨¦cheresses diminuent la fertilit¨¦ des sols. Les catastrophes naturelles cycliques peuvent induire un changement de comportement chez les personnes et chez les communaut¨¦s, ce qui entra?ne des pertes ¨¦conomiques. Dans les zones expos¨¦es ¨¤ la s¨¦cheresse, les agriculteurs investissent moins pour accro?tre la productivit¨¦ de leurs terres de crainte de perdre leur investissement.

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LES PAUVRES SONT TOUCHES DE MANIERE DISPROPORTIONNEE

Les pauvres sont les plus touch¨¦s par les catastrophes naturelles. Les taux de mortalit¨¦ sont g¨¦n¨¦ralement plus ¨¦lev¨¦s parmi les populations dont les revenus sont les plus faibles. Elles ont plus de chance de vivre dans des zones expos¨¦es au risque ou dans des habitations fragiles. Lorsque le cyclone Nargis a frapp¨¦ le delta d¡¯Irrawaddy (Myanmar) en 2008, les habitations d¡¯une famille sur deux ont ¨¦t¨¦ compl¨¨tement d¨¦truites par le vent et les inondations. En Ha?ti, la mortalit¨¦ due au s¨¦isme de 2010 a ¨¦t¨¦ la plus ¨¦lev¨¦e parmi les pauvres de Port-au-Prince qui vivaient dans des habitations mal construites et surpeupl¨¦es.

Les pauvres souffrent aussi de mani¨¨re disproportionn¨¦e de la perte des biens ¨¦conomiques. Les catastrophes naturelles d¨¦truisent les fermes, le b¨¦tail, les ateliers et les ¨¦quipements. Les familles sont parfois forc¨¦es de vendre leurs biens pour survenir ¨¤ leurs besoins de base ¨C dans les r¨¦gions expos¨¦es ¨¤ la s¨¦cheresse, les familles rurales vendent souvent leur b¨¦tail pour acheter de la nourriture. ?tant moins en mesure de remplacer ces sources de revenus, les pauvres risquent de s¡¯enfoncer dans le ? pi¨¨ge de la pauvret¨¦ ? ¨¤ long terme duquel ils seront incapables de sortir. Partout dans le monde, des Philippines ¨¤ l¡¯?thiopie, en passant par la Colombie, on constate que les taux de pauvret¨¦ sont souvent plus ¨¦lev¨¦s parmi les communaut¨¦s touch¨¦es par des catastrophes.

Ces chocs ¨¦conomiques subis par les pauvres ont souvent des effets n¨¦fastes qui se r¨¦percutent sur des g¨¦n¨¦rations. Le nombre d¡¯enfants scolaris¨¦s diminue, car les parents retirent leurs enfants de l¡¯¨¦cole et les font travailler pour qu¡¯ils apportent des revenus ¨¤ la famille. M¨ºme s¡¯il s¡¯agit d¡¯une mesure qui est cens¨¦e ¨ºtre temporaire, cette situation peut devenir permanente, comme pendant les p¨¦riodes de s¨¦cheresse qui ont s¨¦vi dans le centre du Mexique ¨¤ la fin des ann¨¦es 1990. Lorsque les enfants sont atteints de malnutrition ¨¤ cause de la s¨¦cheresse et du manque de nourriture, leurs capacit¨¦s cognitives et leur productivit¨¦ en sont alt¨¦r¨¦es par la suite. En Tanzanie et au Zimbabwe, les enfants mal nourris pendant la s¨¦cheresse ont des revenus inf¨¦rieurs tout au long de leur vie.

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COMMENT FAIRE FACE ?

La conception et la mise en ?uvre de politiques et de mesures de relance ¨¦conomique ¨¤ la suite d¡¯une catastrophe naturelle sont compliqu¨¦es. Il faut reconstruire et remplacer les biens d¨¦truits, r¨¦tablir les moyens de subsistance ou en cr¨¦er de nouveaux, mettre en place des mesures rapides et efficaces, ¨¤ la fois pour soutenir la croissance ¨¦conomique et le bien-¨ºtre g¨¦n¨¦ral dans les pays frapp¨¦s par une catastrophe et att¨¦nuer les souffrances des communaut¨¦s directement touch¨¦es.

Il n¡¯existe pas de plan universel pour le rel¨¨vement et la reconstruction des communaut¨¦s et des nations. Le processus de reconstruction ¨¦conomique est unique ¨¤ chaque pays touch¨¦ par une catastrophe naturelle. Certaines difficult¨¦s et certains d¨¦fis sont cependant communs ¨¤ la plupart de ces pays et il est important de les comprendre si nous voulons que les politiques et les actions r¨¦duisent les souffrances humaines lorsqu¡¯une catastrophe survient.

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LES DEFIS

La rapidit¨¦ du rel¨¨vement est importante. C¡¯est particuli¨¨rement vrai dans les pays en d¨¦veloppement o¨´ les moyens de subsistance sont pr¨¦caires m¨ºme s¡¯il n¡¯y a pas de catastrophe. Lorsque la reconstruction apr¨¨s des catastrophes est lente, les familles et les communaut¨¦s font face ¨¤ des difficult¨¦s ¨¦conomiques et ¨¤ de grandes privations de longue dur¨¦e. Des ¨¦tudes r¨¦alis¨¦es cinq ans apr¨¨s le cyclone Nargis, qui est survenu au Myanmar, ont r¨¦v¨¦l¨¦ que plus de la moiti¨¦ des familles qui avaient surv¨¦cu n¡¯avaient toujours pas remplac¨¦ leurs bateaux de p¨ºche et leur b¨¦tail d¨¦truits par la temp¨ºte.

La qualit¨¦ du rel¨¨vement ¨¦conomique est ¨¦galement importante. Les catastrophes naturelles sont souvent per?ues comme une occasion de ? reconstruire en mieux ? habitations, routes, ¨¦coles et h?pitaux. Il est toutefois important de pr¨¦ciser ce que nous entendons par ? mieux ?. Il est essentiel que les habitations et l¡¯infrastructure publique soient reconstruites dans le respect de normes de s¨¦curit¨¦ plus strictes afin d¡¯att¨¦nuer le risque de catastrophe. Ces mesures permettent de r¨¦duire les pertes humaines et ¨¦conomiques lors des catastrophes suivantes et d¡¯att¨¦nuer les peurs et le traumatisme des survivants lorsqu¡¯ils sont r¨¦int¨¦gr¨¦s dans la vie sociale et ¨¦conomique. Lors du s¨¦isme sur venu en 2008 dans la province de Sichuan, en Chine, le nombre de victimes tragiquement ¨¦lev¨¦ parmi les enfants qui se trouvaient ¨¤ l ¡¯¨¦cole a ¨¦t¨¦ en grande partie d? au manque de conformit¨¦ des codes de construction. Le respect des normes de s¨¦curit¨¦ a ¨¦t¨¦ au centre des activit¨¦s de rel¨¨vement.

? Reconstruire en mieux ? est parfois per?u par les pays touch¨¦s comme une occasion de faire un pas en avant dans le d¨¦veloppement en cr¨¦ant, par exemple, des infrastructures complexes qui, autrement, n¡¯auraient pas exist¨¦. Mais pour que cela? r¨¦ussisse, les mesures doivent ¨ºtre adapt¨¦es aux capacit¨¦s locales disponibles. ??Reconstruire en mieux, de mani¨¨re appropri¨¦e?? pourrait donc ¨ºtre ce dont les ¨¦conomies d¨¦vast¨¦es ont le plus besoin, bien que cela soit tr¨¨s difficile ¨¤ r¨¦aliser pour les pays pauvres qui font face ¨¤ des probl¨¨mes de ressources humaines. Apr¨¨s le s¨¦isme sur venu en Ha?ti en 2010, le pays a perdu les comp¨¦tences et la cr¨¦ativit¨¦ n¨¦cessaires pour accompagner la reconstruction.

? Reconstruire en mieux ? doit ¨¦galement ¨ºtre adapt¨¦ ¨¤ la culture du pays. Les cas sont nombreux o¨´ les habitations r¨¦sistantes au risque restent inoccup¨¦es parce qu¡¯elles ont ¨¦t¨¦ mal con?ues ou mal adapt¨¦es. Au Sri Lanka, des habitations nouvellement construites ont servi d¡¯entrep?ts de riz parce que les communaut¨¦s locales trouvaient que ces habitations de forme circulaire, con?ues pour r¨¦sister au tsunami, paraissaient trop ¨¦tranges pour y vivre.

Quels sont les gagnants et les perdants du rel¨¨vement ¨¦conomique apr¨¨s des catastrophes ? C¡¯est une question importante parce que les b¨¦n¨¦ficiaires ne sont pas toujours ceux qui ont subi les plus lourdes pertes ¨¦conomiques. Au lendemain d¡¯une catastrophe, les gouvernements et les donateurs ¨¦valuent les d¨¦g?ts et les pertes et font des propositions techniques pour la reconstruction. Les r¨¦sultats de ces plans peuvent toutefois souvent diverger des intentions initiales. De nombreux autres facteurs peuvent entrer en jeu, comme la disponibilit¨¦ des fonds et des comp¨¦tences, la qualit¨¦ des institutions charg¨¦es de la mise en ?uvre, les int¨¦r¨ºts en place et les relations de pouvoir. Parfois, les groupes vuln¨¦rables sans droits fonciers ¨¦tablis (les femmes, les m¨¦tayers et les squatters dans les zones urbaines) souffrent beaucoup de la perte de vies humaines et de revenus pendant une catastrophe et sont encore plus p¨¦nalis¨¦s par la non-reconnaissance de leurs droits de propri¨¦t¨¦ coutumiers dans les programmes de r¨¦installation ou par l¡¯influence de puissants groupes ¨¦conomiques qui accaparent les terres. De nouvelles in¨¦galit¨¦s sociales et ¨¦conomiques peuvent donc appara?tre m¨ºme pendant une relance ¨¦conomique plus importante au niveau national.

M¨ºme apr¨¨s la reconstruction, les anciennes formes de vuln¨¦rabilit¨¦ et de d¨¦nuement peuvent persister, m¨ºme dans des pays riches. Dix ans apr¨¨s que l¡¯ouragan Katrina a frapp¨¦ la Nouvelle-Orl¨¦ans, aux ?tats-Unis, les taux de pauvret¨¦ infantile dans l¡¯?tat de la Louisiane demeuraient tr¨¨s ¨¦lev¨¦s. Ces exemples soulignent la n¨¦cessit¨¦ de repenser le concept du ? reconstruire en mieux ?; il doit comprendre non seulement les infrastructures, mais aussi une trajectoire de d¨¦veloppement ¨¦conomique plus ¨¦quitable.

Apr¨¨s une catastrophe, on ne peut jamais restaurer tout ce qui a ¨¦t¨¦ perdu sur le plan ¨¦conomique et il est rare que les communaut¨¦s puissent reprendre une vie normale. Il s¡¯agit souvent d¡¯une ? nouvelle situation normale ?, car les soci¨¦t¨¦s et les ¨¦conomies sont ¨¤ jamais transform¨¦es. Une reconstruction ¨¦conomique efficace dans ce nouveau contexte peut att¨¦nuer les souffrances endur¨¦es par les personnes et les communaut¨¦s, relancer la croissance ¨¦conomique et promouvoir le bien-¨ºtre futur. Mais nous devons rester vigilants pour d¨¦tecter les difficult¨¦s et les ¨¦cueils potentiels. Les politiques et l¡¯action men¨¦es par les pays et par les donateurs ne devraient pas exacerber le traumatisme ni les trag¨¦dies caus¨¦es par les catastrophes naturelles.

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EN CONCLUSION

Alors que je r¨¦dige cet article, j¡¯apprends que le s¨¦isme en ?quateur a fait des centaines de victimes, laissant un champ de ruines dans les provinces qui bordent la c?te Pacifique. Ma famille a p¨¦ri dans le tsunami qui est survenu en 2004 au Sri Lanka. Je comprends la stupeur et la douleur auxquelles feront face les survivants de ce s¨¦isme. En tant qu¡¯individus, communaut¨¦s et nations, nous commen?ons tant bien que mal ¨¤ comprendre comment survivre lorsque nous sommes si impitoyablement frapp¨¦s par des catastrophes naturelles.