18 septembre 2013

La s¨¦curit¨¦ urbaine, comprise comme l¡¯absence d¡¯une menace s¨¦rieuse engendr¨¦e par la criminalit¨¦ et la perception subjective de la protection, d¨¦pend aujourd¡¯hui de plusieurs facteurs structuraux et locaux.

Plus de la moiti¨¦ de la population mondiale vivant actuellement dans des villes, l¡¯urbanisation est devenue l¡¯un des premiers aspects structuraux qui influence les villes et leur s¨¦curit¨¦. Comme cette tendance s¡¯accentuera, la criminalit¨¦ augmentera en milieu urbain et sera de plus en plus polymorphe, complexe et difficile ¨¤ g¨¦rer par le contr?le social spontan¨¦ qui caract¨¦rise les zones rurales et les petites villes.

De plus, les m¨¦galopoles abritant plus de 10 millions d¡¯habitants, ont une sph¨¨re d¡¯influence qui s¡¯¨¦tend ¨¤ plusieurs villes. La d¨¦linquance sera donc de plus en plus fr¨¦quente. Cela a un impact sur certaines formes de criminalit¨¦, comme le crime organis¨¦, les enl¨¨vements et le trafic des ¨ºtres humains. En cons¨¦quence, l¡¯urbanisation cro?t, les villes sont de plus en plus mondialis¨¦es et la criminalit¨¦ est de plus en plus complexe. Face ¨¤ cette ¨¦volution, nous devons r¨¦inventer la coproduction de la s¨¦curit¨¦ dans les nouveaux contextes, avec la participation ¨¤ la fois des ?tats et des partenaires locaux comme la soci¨¦t¨¦ civile.

Le type de croissance urbaine qui a lieu, en particulier dans les pays en d¨¦veloppement, implique une expansion incontr?lable qui donne lieu ¨¤ des villes fragment¨¦es avec des niveaux bas de coh¨¦sion sociale, un acc¨¨s r¨¦duit aux services sociaux et urbains, des valeurs et des processus de socialisation h¨¦t¨¦rog¨¨nes parmi les jeunes. En outre, le processus migratoire implique la coexistence de cultures diff¨¦rentes au sein des villes et souligne la difficult¨¦ de g¨¦rer ces diff¨¦rences et les conflits qu¡¯ils provoquent. En cons¨¦quence, les types de crime varient selon les zones urbaines, pouvant m¨ºme, dans certains cas, atteindre les quartiers illicites.

La sp¨¦culation fonci¨¨re a aussi consid¨¦rablement augment¨¦ au cours de la derni¨¨re d¨¦cennie, comme l¡¯a montr¨¦ la crise de 2008 durant laquelle la s¨¦gr¨¦gation urbaine et l¡¯exclusion sociale se sont intensifi¨¦es. Elle est devenue un facteur essentiel de la crise nationale et mondiale. Le contr?le du march¨¦ de l¡¯immobilier sera donc un d¨¦fi pour la gestion urbaine qui veut ¨¦viter une crise ¨¦conomique et sociale, r¨¦duire les in¨¦galit¨¦s et pr¨¦venir le blanchiment d¡¯argent.

Un deuxi¨¨me aspect pertinent pour la s¨¦curit¨¦ urbaine vient de l¡¯¨¦volution de la criminalit¨¦ qui s¡¯est produite entre les ann¨¦es 1960 et 1990, qui montre une augmentation exponentielle de la criminalit¨¦ dans le monde1. Comme l¡¯a mentionn¨¦ Sergio Adorno, ? en l¡¯espace de 30 ans, on est pass¨¦ de la chronique du crime comme exception ¨¤ celle au quotidien et [¡­] les images d¡¯innocence sont remplac¨¦es par un danger permanent et imminent2? ?. Vers 1995, le niveau de criminalit¨¦ s¡¯est stabilis¨¦ dans les pays d¨¦velopp¨¦s et a m¨ºme baiss¨¦ au cours de la derni¨¨re d¨¦cennie. Toutefois, dans la majorit¨¦ des pays en d¨¦veloppement, la d¨¦linquance a continu¨¦ d¡¯augmenter ou s¡¯est stabilis¨¦e, mais avec un niveau de violence plus ¨¦lev¨¦.

Le point culminant des ann¨¦es 1960-1990 a ¨¦t¨¦ caract¨¦ris¨¦ par une phase d¡¯expansion ¨¦conomique dans les pays industrialis¨¦s, ce qui s¡¯oppose ¨¤ la th¨¦orie selon laquelle la pauvret¨¦ est la principale cause de la criminalit¨¦. Il n¡¯y a pas de corr¨¦lation entre la criminalit¨¦ et la pauvret¨¦. Le ph¨¦nom¨¨ne de la criminalit¨¦ urbaine a de multiples causes et provient de diff¨¦rentes variables selon le contexte urbain. Le tissu social et la dimension institutionnelle et historique de chaque ville sont en effet les facteurs qui expliquent la variation des taux de criminalit¨¦ dans une p¨¦riode d¨¦termin¨¦e. Il est toutefois important de reconna?tre qu¡¯il existe plusieurs causes diff¨¦rentes ¨¤ la criminalit¨¦. Par exemple, les causes de la violence sexiste, du vol, de la criminalit¨¦ en col blanc, du trafic de drogues ou de la violence due ¨¤ des bandes organis¨¦es ne sont pas identiques.

Un troisi¨¨me aspect li¨¦ ¨¤ la s¨¦curit¨¦ urbaine est l¡¯¨¦volution des institutions en mati¨¨re de socialisation, comme la famille, l¡¯¨¦cole et le quartier. Par exemple, de multiples structures familiales coexistent, chacune avec leur propre culture. Le protagonisme des jeunes nous force ¨¤ repenser la relation entre les diff¨¦rentes g¨¦n¨¦rations. L¡¯¨¦ducation formelle, qui est n¨¦cessaire quoique insuffisante pour la mobilit¨¦ sociale, transforme parfois l¡¯¨¦cole en un facteur d¡¯exclusion et un lieu o¨´ l¡¯on apprend la violence, et certains quartiers sensibles sont des terreaux propices au crime organis¨¦. Souvent, les parents, les enseignants et les responsables locaux ne se sentent pas pr¨¦par¨¦s ¨¤ faire face ¨¤ des sc¨¦narios qui changent. La d¨¦gradation des valeurs sociales, l¡¯absence de r¨¦f¨¦rences communes et l¡¯¨¦chec institutionnel augmentent de m¨ºme que la vuln¨¦rabilit¨¦ des populations d¨¦savantag¨¦es. De plus, l¡¯¨¦volution technologique cr¨¦e de nouvelles formes de communication qui creusent le foss¨¦ entre les g¨¦n¨¦rations. Bien qu¡¯elle offre des possibilit¨¦s plus importantes pour la pr¨¦vention, elle g¨¦n¨¨re de nouveaux types de d¨¦linquance comme la cybercriminalit¨¦ et la pornographie.

De son c?t¨¦, le march¨¦ de l¡¯emploi exclut de nombreux jeunes ainsi que les travailleurs peu qualifi¨¦s. Ainsi, plus de 20 % de jeunes (?g¨¦s de 15 ¨¤ 20 ans) ne travaillent ni n¡¯¨¦tudient en Am¨¦rique latine3. Il est important de mentionner l¡¯absence des jeunes dans le processus d¨¦cisionnel des politiques qui les concernent4. Confront¨¦es ¨¤ cette nouvelle r¨¦alit¨¦, les villes deviennent des territoires de conflit et de criminalit¨¦. Il incombe donc aux autorit¨¦s d¡¯assumer leur responsabilit¨¦ et d¡¯assurer la s¨¦curit¨¦ urbaine dans le cadre d¡¯une gestion strat¨¦gique locale. Cette ¨¦volution nous oblige ¨¤ ¨¦laborer des politiques de pr¨¦vention innovantes prenant en compte le contexte local, en particulier la post-modernit¨¦ avec ses injustices, ses probl¨¨mes et ses changements sociaux. Par exemple, les politiques de pr¨¦vention doivent prendre en compte la pluralit¨¦ des mod¨¨les familiaux, la recherche de mod¨¨le de r?le chez les jeunes, le caract¨¨re exclusif, ¨¦prouvant et parfois violent des ¨¦coles, la pr¨¦sence des quartiers illicites et, dans certaines villes, la pr¨¦sence destructrice du crime organis¨¦ et de la sp¨¦culation urbaine.

LE R?LE DES VILLES

La s¨¦curit¨¦ est la responsabilit¨¦ essentielle des autorit¨¦s locales. Les enseignements du pass¨¦ ont mis en ¨¦vidence qu¡¯une politique orient¨¦e exclusivement vers la r¨¦pression ou la dissuasion donne de mauvais r¨¦sultats5? et ont montr¨¦ que les villes ainsi que les ?tats sont des acteurs importants dans la formulation et l¡¯application des politiques de s¨¦curit¨¦. Elles ont aussi prouv¨¦ que les villes sont essentielles en mati¨¨re de pr¨¦vention sociale, situationnelle et d¨¦veloppementale. Enfin, nous avons vu que la gestion urbaine, plus que la taille de villes ou le risque auquel ces villes font face, comme le crime organis¨¦, explique le niveau d¡¯ins¨¦curit¨¦.

Peu de villes se sont dot¨¦es d¡¯une politique de la ville, ce qui limite leurs actions en mati¨¨re de contr?le et de coordination des activit¨¦s de pr¨¦vention. En ce qui concerne la pr¨¦vention, toutefois, les villes ont une responsabilit¨¦ unique du fait de la proximit¨¦ de la population et connaissent donc les besoins et les caract¨¦ristiques du territoire. Le besoin de d¨¦centralisation est li¨¦ ¨¤ la nature de la pr¨¦vention, ce qui requiert des acteurs de proximit¨¦ pour la mettre en ?uvre. Par d¨¦finition, un gouvernement central est ¨¦loign¨¦ de la r¨¦alit¨¦ des villes et de leurs quartiers, ne conna?t pas leur territoire et ne peut donc pas fixer le cadre d¡¯une alliance avec les partenaires locaux qui est n¨¦cessaire pour les politiques de pr¨¦vention. Il incombe ¨¤ l¡¯autorit¨¦ locale d¡¯encourager, de diriger, de mettre en ?uvre et d¡¯¨¦valuer les politiques de pr¨¦vention. ? Les gouvernements locaux sont pr¨¨s des besoins de citoyens [¡­]. Le responsable local est suppos¨¦ conna?tre sa municipalit¨¦ et, m¨ºme plus important, est pr¨¦par¨¦ ¨¤ mieux la comprendre et ¨¤ savoir ce qui s¡¯y passe. La proximit¨¦ est non seulement politique, mais cognitive6? ?.

CONDITIONS DE LA R?USSITE

Une politique de pr¨¦vention au niveau local n¨¦cessite une m¨¦thodologie rigoureuse7 qui comprend un diagnostic participatif pour comprendre la r¨¦alit¨¦ et les causes de la criminalit¨¦. Elle peut aussi g¨¦n¨¦rer un consensus parmi les partenaires locaux, d¨¦finir les priorit¨¦s ainsi que formuler et mettre en ?uvre des strat¨¦gies par le biais de projets de pr¨¦vention. Elle inclut ¨¦galement le suivi et l¡¯¨¦valuation de ces processus ainsi que des politiques de soutien comme la formation d¡¯¨¦quipes techniques et des politiques de communication. Il est important de se concentrer sur les approches techniques, mais la rigueur m¨¦thodologique est ¨¦galement appropri¨¦e. Sans la formulation d¡¯un plan global pour la ville, comme c¡¯est le cas de nombreuses villes dans le monde, on risque d¡¯appliquer des mesures pr¨¦ventives qui sont dispers¨¦es et fragmentaires et qui ont peu ou pas d¡¯impacts ¨¤ moyen et ¨¤ long terme.

Selon les r¨¦sultats des initiatives men¨¦es pour rendre les ? villes plus s?res ?, le d¨¦veloppement d¡¯une politique de pr¨¦vention dans une ville se fait en trois phases. La premi¨¨re phase est l¡¯apprentissage collectif d¡¯outils et du renforcement des alliances, qui dure environ 3 ¨¤ 4 ans. Dans cette phase, la continuit¨¦, une d¨¦marche rigoureuse, le pouvoir mobilisateur et les ¨¦quipes techniques sont essentiels. La deuxi¨¨me phase est la consolidation qui est exprim¨¦e en termes de coh¨¦sion sociale, de culture de la pr¨¦vention, de qualit¨¦ de vie et de r¨¦duction des taux de criminalit¨¦. La troisi¨¨me phase est l¡¯adaptation d¡¯un processus efficace par d¡¯autres villes, comme c¡¯est le cas aujourd¡¯hui en C?te d¡¯Ivoire et en Tanzanie. Cette phase permet la cr¨¦ation d¡¯une politique nationale de s¨¦curit¨¦ urbaine fond¨¦e sur les exp¨¦riences pratiques des villes.

D¡¯un autre c?t¨¦, la coh¨¦rence entre les politiques de pr¨¦vention et les politiques sociales est fondamentale, ¨¦tant donn¨¦ que les causes de la criminalit¨¦ trouvent leur origine dans le tissu social de la ville. Id¨¦alement, les politiques de pr¨¦vention se concentrent sur les groupes vuln¨¦rables tout en modifiant les facteurs structurels qui g¨¦n¨¨rent les vuln¨¦rabilit¨¦s. La pr¨¦vention de la criminalit¨¦ devrait s¡¯attacher ¨¤ b?tir une ville ¨¦quitable qui offre des opportunit¨¦s aux plus vuln¨¦rables par le biais d¡¯approches de pr¨¦vention efficaces et int¨¦gr¨¦es articul¨¦es avec les politiques sociales et urbaines.

En mati¨¨re de politiques de pr¨¦vention, les probl¨¨mes les plus fr¨¦quents sont l¡¯absence d¡¯un cadre institutionnel appropri¨¦, le manque de ressources financi¨¨res et l¡¯absence d¡¯une ¨¦valuation rigoureuse.

Les domaines qui rel¨¨vent des politiques de pr¨¦vention urbaine comprennent principalement la sph¨¨re des espaces publics, la question des quartiers sensibles et vuln¨¦rables, la vuln¨¦rabilit¨¦ des secteurs de la jeunesse et la violence sexiste.

Le d¨¦fi actuel consiste ¨¤ s¡¯attaquer ¨¤ ces questions dans le cadre d¡¯un processus de coproduction de la s¨¦curit¨¦ avec la coalition des partenaires locaux, en collaboration avec la police et en association avec les gouvernements centraux. C¡¯est, en effet, ce qui a ¨¦t¨¦ propos¨¦ par le R¨¦seau mondial pour des villes plus s?res en 2012 par ONU-HABITAT.

Notes

1???M. Findlay, The Globalization of Crime, (Cambridge, Cambridge University Press, 1999).

2?? S. Adorno,? ? La criminalidad violenta urbana en Brasil. Tendencias y caracter¨ªsticas ?, present¨¦ au Seminar El desaf¨ªo de la violencia criminal urbana, BID, (R¨ªo de Janeiro, 2-4 mars 1997).

3?? Sen et Kliksberg, Primero la gente, Edic. Deusto, (Barcelone, Espagne, 2007).

4?? CEPAL/OIJ, ? Juventud y cohesi¨®n social en Am¨¦rica Latina: Un modelo para armar ?. CEPAL, Santiago, Chili, 2008).

5???Voir Sen et Kliksberg.

6?? Mockus A, Papel y retos de los gobiernos locales en la gesti¨®n y coordinaci¨®n de la seguridad ciudadana. En Ciudades seguras para convivir, (PNUD, San Salvador 2007), pp.117-168.

7???ONU-HABITAT et Universidad A. Hurtado, Gu¨ªa para la prevenci¨®n local, (Santiago, Chili, 2009).

?

La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?