Comment faut-il intervenir ? Quand ? Ces deux questions fondamentales sont au coeur des secours humanitaires, mais aussi des interventions que le syst¨¨me des Nations Unies m¨¨ne pour pr¨¦venir les situations d'urgence et les crises, en att¨¦nuer les effets et aider les populations ¨¤ s'en remettre. Le principe fondamental de toutes les op¨¦rations de l'ONU est de sauver des vies, d'¨¦viter des morts inutiles et, dans le cas o¨´ des atrocit¨¦s massives ont ¨¦t¨¦ commises, de tenir les auteurs responsables de leurs actes. En ce d¨¦but de deuxi¨¨me d¨¦cennie, nous r¨¦alisons que le savoir passe par l'acc¨¨s aux technologies de l'information et de la communication (TIC) et ¨¤ leur exploitation, allant du Web ¨¤ Internet avec les ordinateurs personnels en passant par le Web mobile avec les smartphones et les services de messages courts (SMS). La condition humaine est, ¨¤ pr¨¦sent, ¨¦troitement li¨¦e ¨¤ la disponibilit¨¦ de l'information en ligne, que ce soit les services de base, les achats personnels, la banque, le commerce, l'¨¦ducation ou les soins de sant¨¦. Les nations dot¨¦es de meilleures infrastructures en TIC pr¨¦sentent invariablement de meilleurs indicateurs de d¨¦veloppement humain et une plus grande prosp¨¦rit¨¦ ¨¦conomique. Par ailleurs, les ¨¦meutes qui ont r¨¦cemment ¨¦clat¨¦ ¨¤ Londres (soutenues par l'utilisation des m¨¦dias sociaux bas¨¦s sur le Web et les TIC), les cas de cybercriminalit¨¦ de plus en plus fr¨¦quents, les discours de haine en ligne, le vol d'identit¨¦, la perte de donn¨¦es, la surveillance par les r¨¦gimes autoritaires et la propagande par les m¨¦dias num¨¦riques ne sont que quelques aspects du revers de la m¨¦daille.
Reconnaissant le potentiel d'une bonne ou d'une mauvaise appropriation de l'Internet, la Fondation ICT4Peace vise ¨¤ faciliter par une meilleure compr¨¦hension et une meilleure application des TIC, y compris des m¨¦dias, les communications entre les personnes, les communaut¨¦s et les parties engag¨¦es dans la pr¨¦vention des conflits ainsi que dans la m¨¦diation et la consolidation de la paix. Elle ¨¦tudie aussi le r?le des TIC dans la gestion des crises, qui est d¨¦fini aux fins de ce processus en tant qu'intervention civile et/ou militaire qui peut ¨ºtre violente ou non violente, afin de pr¨¦venir une escalade de la crise et de faciliter sa r¨¦solution. Cette d¨¦finition couvre la pr¨¦vention des conflits, la m¨¦diation de la paix, les activit¨¦s d'¨¦tablissement et de consolidation de la paix, la gestion des catastrophes naturelles, et les interventions face ¨¤ celles-ci, ainsi que les op¨¦rations humanitaires de la communaut¨¦ internationale. Cherchant ¨¤ r¨¦duire le foss¨¦ qui existe entre la population et les diverses organisations et activit¨¦s pendant les crises, la Fondation vise ¨¤ faciliter la mise en place d'un m¨¦canisme global, coh¨¦rent et conjoint conform¨¦ment au paragraphe 36 de la D¨¦claration de Tunis du Sommet mondial sur la soci¨¦t¨¦ de l'information (SMSI) en 2005 :
? 36. Nous appr¨¦cions le r?le que peuvent jouer les TIC pour promouvoir la paix et pr¨¦venir les conflits qui ont notamment des incidences n¨¦gatives sur la r¨¦alisation des objectifs de d¨¦veloppement. Les TIC peuvent ¨ºtre utilis¨¦es pour rep¨¦rer les situations de conflit gr?ce ¨¤ des syst¨¨mes d'alerte avanc¨¦e, pour pr¨¦venir les conflits, promouvoir leur r¨¨glement pacifique, appuyer les actions d'aide humanitaire, notamment en ce qui concerne la protection des civils dans les conflits arm¨¦s, faciliter les op¨¦rations de maintien de la paix et contribuer au r¨¦tablissement de la paix et ¨¤ la reconstruction apr¨¨s des conflits. ?
La Fondation ICT4Peace a donc ¨¦t¨¦ cr¨¦¨¦e au printemps de 2006 pour promouvoir les engagements de Tunis et leur r¨¦alisation concr¨¨te ¨¤ toutes les ¨¦tapes de la gestion des crises. Elle a compris tr¨¨s t?t les limites de la communaut¨¦ internationale ¨¤ r¨¦pondre aux besoins en cas de catastrophes soudaines et de flamb¨¦es de violence dans les situations d'urgence politique, longues et complexes. Beaucoup a ¨¦t¨¦ dit sur ces d¨¦faillances, comme le manque de collaboration et de coordination, la difficult¨¦ d'acc¨¨s aux donn¨¦es n¨¦cessaires pour donner l'alerte ¨¤ temps et intervenir - donn¨¦es qui sont souvent bloqu¨¦es dans les centres de donn¨¦es d'entreprises priv¨¦es, entra¨ªnant les probl¨¨mes connexes relatifs aux co?ts de partage et d'utilisation.
En 2007, le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (BCAH) a appel¨¦ ¨¤ une meilleure gestion de l'information au Colloque mondial +5 ? L'information au service de l'action humanitaire ?. L'objectif principal du Colloque ¨¦tait de r¨¦unir un ensemble de pratiques concernant les informations sur la situation humanitaire et les connaissances partag¨¦es. Le rapport final1 indique :
? Face ¨¤ la mutation du paysage humanitaire, les d¨¦fis et les opportunit¨¦s continuent de caract¨¦riser la capacit¨¦ de la communaut¨¦ humanitaire ¨¤ partager, ¨¤ g¨¦rer et ¨¤ ¨¦changer les informations. Alors que les informations ponctuelles, pertinentes et fiables sont essentielles ¨¤ la coordination humanitaire et aux interventions, les utilisateurs demandent de plus en plus que l'information soutienne les op¨¦rations de plaidoyer fond¨¦es sur des faits, la prise de d¨¦cision et l'allocation des ressources. Face ¨¤ ces attentes, les professionnels de l'in formation reconnaissent qu'ils doivent travailler ensemble pour produire des informations adapt¨¦es afin de r¨¦pondre aux diff¨¦rents besoins des pays touch¨¦s sur la base de normes communes et de m¨¦thodes analytiques saines. La technologie actuelle offre de nombreuses solutions, mais de r¨¦els progress ne seront possibles que par la volont¨¦ des personnes et de leurs organisations ¨¤ collaborer au partage, ¨¤ la gestion et ¨¤ la communication de l'information, en tant que communaut¨¦. ?
Participant au Colloque du BACH et soutenant les recommandations, la Fondation ICT4Peace a ¨¦t¨¦ invit¨¦e par le Directeur g¨¦n¨¦ral de l'informatique des Nations Unies ¨¤ formuler un ensemble de politiques coh¨¦rentes, ¨¤ l'¨¦chelle du syst¨¨me, ¨¦volutives et interop¨¦rables ainsi que des pratiques, des plates-formes et des normes qui renforcent la gestion de l'information de crise. La Strat¨¦gie de gestion de l'information des crises de l'ONU (CiMS) repose sur la reconnaissance que les Gouvernements, l'ONU, les institutions financi¨¨res internationales, les organisations non gouvernementales (ONG), les entreprises et les m¨¦dias ont une exp¨¦rience significative en mati¨¨re de r¨¦action aux crises. Toutefois, aucun organisme, aucun d¨¦partement ou aucun acteur n'a la capacit¨¦ de r¨¦pondre ¨¤ ces crises. Il est donc essentiel que tous ceux qui participent ¨¤ la pr¨¦vention des catastrophes et aux interventions cons¨¦cutives harmonisent les outils et les syst¨¨mes utilis¨¦s pour produire, diffuser et archiver l'information de fa?on ¨¤ y acc¨¦der rapidement et ¨¤ l'utiliser quel que soit le type decrise. Cette Strat¨¦gie aidera tous les acteurs, y compris les ?tats membres et les organismes des Nations Unie, ¨¤ mieux faire face aux diff¨¦rentes ¨¦tapes d'une crise. En tant que membre du conseil de l'ICT4Peace, l'ancien Pr¨¦sident et laur¨¦at du prix Nobel de la paix Martti Ahtisaari s'est exprim¨¦ en ces termes lors de la premi¨¨re r¨¦union en 2007 :
? Une d¨¦faillance majeure dans l'approche de la com munaut¨¦ internationale a ¨¦t¨¦ de laisser les TIC et les questions soulev¨¦es plus haut au soin des d¨¦partements informatiques sans leur donner une indication pr¨¦cise du but recherch¨¦. Les dirigeants et les victimes sont ceux qui devraient d¨¦cider des donn¨¦es et des informations dont ils ont besoin. Les sp¨¦cialistes en informatique doivent faciliter la circulation de l'information et des connaissances au lieu de les filtrer. Je r¨¦p¨¨te que le probl¨¨me n'est pas la technologie en soi, mais l'organisation, le leadership et les ressources. ?
Depuis 2007, la Strat¨¦gie CiMS, sous l'¨¦gide du Directeur g¨¦n¨¦ral de l'informatique de l'ONU, apporte une contribution strat¨¦gique ¨¤ la collaboration du syst¨¨me de l'ONU avec les services de cartographie de crise en plein essor afin d'int¨¦grer, avec des proc¨¦dures de validation appropri¨¦es et opportunes, des donn¨¦es externalis¨¦es ouvertes dans ses d¨¦cisions et des processus d'¨¦laboration des politiques, en particulier en mati¨¨re d'interventions en cas de crise.
? cet ¨¦gard, Ha?ti a ¨¦t¨¦ un tournant d¨¦cisif. Quelques semaines seulement avant le s¨¦isme d¨¦vastateur survenu en 2010, une mission du D¨¦partement des op¨¦rations du maintien de la paix des Nations Unies en Ha?ti, ¨¤ laquelle le bureau du Directeur g¨¦n¨¦ral de l'informatique et la Fondation ICT4Peace ont ¨¦t¨¦ ¨¦galement invit¨¦s, a mis en ¨¦vidence l'importance de la Strat¨¦gie CiMS. Toutefois, les ¨¦v¨¦nements ont d¨¦pass¨¦ les moyens dont la mission disposait pour y r¨¦pondre. ? bien des ¨¦gards, la technologie utilis¨¦e apr¨¨s la catastrophe pour aider la population sur le terrain a ¨¦t¨¦ in¨¦gal¨¦e et a constitu¨¦ un tournant d¨¦cisif dans l'utilisation des TIC dans les domaines des secours et de l'aide. Une grande partie de ce travail est maintenant bien ¨¦tablie et connue. Toutefois, comme l'a fait remarquer la Fondation deux mois apr¨¨s le s¨¦isme2 :
? Il reste beaucoup ¨¤ faire pour renforcer la pr¨¦paration en pr¨¦vision des catastrophes et la gestion de l'information des crises. Nous n'avons plus d'excuses pour justifier le manque de pr¨¦paration ou le d¨¦ploiement d¨¦sordonn¨¦ de l'aide. Nous savons ce qui doit ¨ºtre fait et nous savons aussi que des fonds et la volont¨¦ politique du syst¨¨me de l'ONU et de la communaut¨¦ internationale sont n¨¦cessaires pour allerde l'avant. ? cet ¨¦gard, il est important :
d'acc¨¦l¨¦rer le d¨¦veloppement d'ensembles de donn¨¦es facilement accessibles comportant des informations essentielles partag¨¦es dans l'ensemble du syst¨¨me de l'ONU et les autres organisations d'aide afin d'identifier les catastrophes, de s'y pr¨¦parer et d'en att¨¦nuer les effets.
de d¨¦velopper des TIC qui fonctionnent mieux dans les environnements difficiles et qui sont capables de r¨¦sister.
d'am¨¦liorer significativement l'interop¨¦rabilit¨¦ dans l'ensemble des syst¨¨mes entre les organisations de l'ONU et d'autres plates-formes, comme Ãå±±½ûµØOneResponse, Ushahidi et le Service d'information pour les urgences sanitaires d'InSTEDD.
d'utiliser les technologies endog¨¨nes, d'aider les communaut¨¦s ¨¤ d¨¦velopper leurs propres capacit¨¦s en mati¨¨re d'alerte rapide en cas de catastrophe, de pr¨¦vention et d'adaptation.
de renforcer la coop¨¦ration entre les gouvernements et les ONG, fond¨¦e sur des proc¨¦dures d'exploitation standard r¨¦gissant le partage d'information afin d'aider le travail de l'aide humanitaire.
Comme nous l'avons vu en Ha?ti, les entreprises mondiales et locales ont ¨¦galement un r?le essentiel ¨¤ jouer pour g¨¦n¨¦rer et maintenir les flux financiers destin¨¦s ¨¤ l'aide.
de cr¨¦er une bo¨ªte ¨¤ outils de pr¨¦paration et d'¨¦valuation dans la gestion de l'information pendant les crises, y compris des m¨¦canismes d'¨¦valuation, en particulier dans les r¨¦gions et les pays sujets aux catastrophes. ?
Ha?ti a mis en ¨¦vidence la n¨¦cessit¨¦ pour le syst¨¨me de l'ONU d'¨ºtre davantage en rapport avec les services de cartographie de crise et connect¨¦ aux donn¨¦es externalis¨¦es ouvertes. ? cet ¨¦gard, la Fondation a publi¨¦ deux documents essentiels, Ãå±±½ûµØCommon Operational Datasets plus crowsourced information map et Crisismapping and the United Nations3.
En 2011, le domaine a encore ¨¦volu¨¦. Il est d¨¦sormais acquis que les TIC jouent un r?le primordial dans les op¨¦rations de secours, quelle que soit la nature de la catastrophe et le lieu o¨´ elle est survenue. Toutefois, plusieurs d¨¦fis importants demeurent comme, entre autres, la durabilit¨¦, les rapports clairs entre les Nations Unies et les Gouvernements, le r?le de la cartographie de crise dans les situations d'urgence politique complexes, l'appropriation et l'utilisation des donn¨¦es, l'architecture des donn¨¦es et la gestion des parties prenantes. Les diff¨¦rences dans la r¨¦ponse - certaines catastrophes semblent ¨ºtre davantage couvertes par les m¨¦dias que d'autres - sont un autre probl¨¨me. Actuellement, par exemple, la famine qui s¨¦vit dans la Corne de l'Afrique et les crises associ¨¦es qui touchent des millions de personnes n'a pas suscit¨¦ la m¨ºme mobilisation de la part des cartographes de crise et de leurs plates-formes en ligne que celle qui a eu lieu apr¨¨s le s¨¦isme en Ha?ti ou, plus r¨¦cemment, suite au s¨¦isme au Japon en 2011. Malheureusement, il existe encore des ? catastrophes silencieuses ? pour lesquelles les TIC pourraient ¨ºtre utilis¨¦es, mais qui, souvent, ne le sont pas.
Aujourd'hui, le processus CiMS est reconnu au sein du syst¨¨me de l'ONU et est pass¨¦ de l'utilisation des TIC dans les op¨¦rations de secours ¨¤ la promotion d'un cadre plus solide pour leur adoption et leur utilisation. Dans de nombreux organismes, les hauts dirigeants ont adopt¨¦ les r¨¦seaux sociaux et les outils bas¨¦s sur le Web, mais n'ont pas de ligne directrice ni de v¨¦ritable plan d'organisation. L'interop¨¦rabilit¨¦ pose aussi un probl¨¨me - les donn¨¦es cr¨¦¨¦es dans certaines plates-formes, aussi efficaces qu'elles soient, restent difficiles ¨¤ exporter et ¨¤ utiliser dans d'autres syst¨¨mes. Les ressources financi¨¨res ainsi que les comp¨¦tences pour former le personnel charg¨¦ de la gestion de l'information, en particulier sur le terrain, demeurent limit¨¦es. L'engagement de la Fondation au fil des ans aupr¨¨s des organisations de l'ONU dans la mise en oeuvre du processus CIMS sugg¨¨re que le partage entre la communaut¨¦ de cartographie de crise, qui est fragment¨¦e, et les organisations des Nations Unies est une question qui n'est toujours pas r¨¦gl¨¦e.
Les TIC ¨¦voluant constamment, le syst¨¨me de l'ONU doit ¨ºtre souple et conscient de la mani¨¨re dont ces technologies peuvent permettre de pr¨¦venir les crises, d'en att¨¦nuer les effets et d'y r¨¦pondre. C'est lui qui est pr¨¦sent dans les zones de catastrophes bien apr¨¨s que l'attention m¨¦diatique mondiale et les nombreuses ONG ont disparu. Il est donc essentiel de soutenir le processus CiMS comme moyen par lequel le syst¨¨me de l'ONU peut, ¨¤ l'avenir, r¨¦pondre plus efficacement ¨¤ la pl¨¦thore de d¨¦fis auxquels nous sommes confront¨¦s. .
Notes
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La?Chronique de l¡¯ONU?ne constitue pas un document officiel. Elle a le privil¨¨ge d¡¯accueillir des hauts fonctionnaires des Nations Unies ainsi que des contributeurs distingu¨¦s ne faisant pas partie du syst¨¨me des Nations Unies dont les points de vue ne refl¨¨tent pas n¨¦cessairement ceux de l¡¯Organisation. De m¨ºme, les fronti¨¨res et les noms indiqu¨¦s ainsi que les d¨¦signations employ¨¦es sur les cartes ou dans les articles n¡¯impliquent pas n¨¦cessairement la reconnaissance ni l¡¯acceptation officielle de l¡¯Organisation des Nations Unies.?