Walter, un pr¨¦nom qui vient de l¡¯allemand, signifie ? chef de l¡¯arm¨¦e ? (). Pourtant, le jeune Walter que j¡¯ai eu l¡¯honneur de rencontrer et avec qui je me suis li¨¦e, comme une m¨¨re et son fils, est un jeune homme chaleureux, ¨¤ la voix douce, toujours souriant et ne montrant aucune trace visible laissant penser qu¡¯il a ¨¦t¨¦ victime de brutalit¨¦s. Au contraire, il est pos¨¦, chaleureux, amical et reconnaissant pour ce que lui offre la vie. Bien qu¡¯ayant ¨¦t¨¦ priv¨¦ des besoins de base auxquels chaque enfant a droit et ayant d? affronter les affres de la vie, il d¨¦borde de gentillesse et de bont¨¦. C¡¯est parce qu¡¯il a r¨¦alis¨¦ que s¡¯il avait ¨¦t¨¦ propuls¨¦ si cruellement dans la vall¨¦e de la mort alors qu¡¯il ¨¦tait enfant, seul, d¨¦sorient¨¦, souffrant de la faim et de la soif et perdu dans une foule de gens qui fuyaient pour ¨¦chapper ¨¤ la mort, sans ressources et sans d¨¦fense, il ¨¦tait en vie pour une raison. Ils n¡¯avaient que le ciel comme toit et devaient compter les uns sur les autres pour survivre ¨C ¨¦trangers par le sang, mais fr¨¨res dans l¡¯adversit¨¦. Il reste optimiste et esp¨¨re trouver de la bont¨¦ dans le monde.

Walter Nsengiyumva est n¨¦ ¨¤ Karengera, Cyangugu (Rwanda), le 22 d¨¦cembre 1984 de Leon Mbarushimana et Nukarubana Beatrice. Son p¨¨re ¨¦tait tailleur et sa m¨¨re institutrice. Il se souvient que le conflit a d¨¦but¨¦ dans son pays en 1990, quand il avait 6 ans. Il ¨¦tait ¨¤ l¡¯¨¦cole primaire. L¡¯histoire entrelac¨¦e de la monarchie rwandaise, l¡¯h¨¦g¨¦monie tutsie et la r¨¦sistance, la proclamation de la r¨¦publique et l¡¯ascension des Hutus ont conduit ¨¤ la guerre. Les bombardements, les massacres, les villages incendi¨¦s, les pillages, les coups de feu et la violence ¨¤ l¡¯¨¦gard des femmes et des enfants ¨¦taient fr¨¦quents, ce qui a provoqu¨¦ l¡¯exode massif des villageois. Les Rwandais qui travaillaient sur les march¨¦s et dans d¡¯autres endroits fr¨¦quent¨¦s par la population ¨¦taient pris pour cible par les insurg¨¦s, ce qui a entra?n¨¦ la mort de cette population impuissante et innocente. La confusion entre les tribus s¡¯est cr¨¦¨¦e. Les divisions entre les appartenances tribales ¨¦taient floues depuis que le gouvernement et l¡¯arm¨¦e ¨¦taient compos¨¦s de Hutus et de Tutsis. On ne connaissait plus les v¨¦ritables raisons de cette guerre. En juillet 1994, le FPR (parti des soldats ougandais) contr?lait la plus grande partie du pays. En proie ¨¤ la peur, la population a fui dans les pays voisins. La majorit¨¦ s¡¯est rendue en R¨¦publique d¨¦mocratique du Congo (RDC), y compris Walter et sa famille, o¨´, exil¨¦, il a continu¨¦ son ¨¦ducation ¨¤ l¡¯¨¦cole primaire. En 1997, des rumeurs se sont propag¨¦es sur l¡¯apparition d¡¯un conflit en RDC. Des camps de r¨¦fugi¨¦s ont ¨¦t¨¦ attaqu¨¦s et, de nouveau, des innocents et des personnes sans d¨¦fense ont ¨¦t¨¦ massacr¨¦s.

Une fois de plus, la famille a ¨¦t¨¦ chass¨¦e et a fui loin des champs de bataille, des bombes et des balles. Le c?ur bris¨¦ et sans lieu o¨´ aller, les survivants ont d? litt¨¦ralement marcher sur les chemins de la mort, traversant la jungle d¡¯Afrique centrale peupl¨¦e d¡¯animaux sauvages, souffrant de la faim et de maladies. L¡¯odeur naus¨¦abonde de la peur et de la mort remplissait l¡¯air. Des cadavres amput¨¦s jonchaient le sol. Walter se souvient que de nombreuses personnes, d¨¦j¨¤ tr¨¨s faibles ¨¤ cause du manque de nourriture et d¡¯eau, ¨¦taient ¨¦puis¨¦es par l¡¯effort qu¡¯elles devaient fournir pour les enjamber. Personne n¡¯avait le droit de parler de peur d¡¯¨ºtre entendu par les combattants qui auraient pu d¨¦tecter leur pr¨¦sence. De nombreux enfants mourants ¨¦taient port¨¦s par leurs parents impuissants, terrass¨¦s par la douleur. Les membres de la famille devaient prendre la d¨¦cision douloureuse de poursuivre leur chemin en laissant derri¨¨re eux les personnes sans force, les malades, y compris leurs propres enfants. Apr¨¨s six mois de marche, refugi¨¦s dans la for¨ºt, ils ont ¨¦t¨¦ attaqu¨¦s pr¨¨s du fleuve Congo, un fleuve large et plein de crocodiles, d¡¯hippopotames et de serpents venimeux. Ils ont ¨¦t¨¦ oblig¨¦s de se disperser. Des tirs entendus pr¨¨s de l¡¯eau les ont oblig¨¦s ¨¤ entrer dans l¡¯eau. C¡¯est alors que de nombreuses personnes ont ¨¦t¨¦ s¨¦par¨¦es. Cela a ¨¦t¨¦ le cas de ses parents et de ses fr¨¨res et s?urs. La marche s¡¯est alors faite avec des ¨¦trangers. Les r¨¦fugi¨¦s, agglutin¨¦s, ont poursuivi leur route.

Walter se rappelle qu¡¯une fois, alors qu¡¯il ¨¦tait malade, il a d? s¡¯allonger sur un ponton en b¨¦ton o¨´ de petits bateaux venaient amarrer le long du fleuve. Il a entendu des coups de feu et vu deux femmes qui agonisaient pr¨¨s de lui. L¡¯un des soldats l¡¯a somm¨¦ de s¡¯arr¨ºter. Terrifi¨¦, il s¡¯est enfui et a trouv¨¦ refuge dans le fleuve, s¡¯enfon?ant dans la boue au milieu de mauvaises herbes. Il s¡¯est agripp¨¦ ¨¤ elles, s¡¯¨¦touffant ¨¤ cause de la boue. Il a r¨¦ussi ¨¤ se d¨¦gager, mais le courant ¨¦tait trop fort pour ce jeune enfant et il a ¨¦t¨¦ emport¨¦. Plus tard, en continuant son chemin, il a vu un homme qui p¨ºchait. Ils ne parlaient pas la m¨ºme langue, mais l¡¯homme a remarqu¨¦ qu¡¯il ¨¦tait malade. Il lui a donn¨¦ un morceau de poisson s¨¦ch¨¦ et de la farine de manioc et lui a indiqu¨¦ le chemin ¨¤ suivre. Seul, fatigu¨¦, souffrant du froid et rempli de crainte, il a continu¨¦ sa marche dans la for¨ºt. Alors que le soir tombait, il s¡¯est joint ¨¤ un groupe d¡¯une vingtaine de survivants qui avaient fui apr¨¨s avoir entendu des coups de feu. Ils ont rencontr¨¦ un pasteur congolais qui avait une cachette strat¨¦gique. Il a r¨¦ussi ¨¤ leur faire traverser le fleuve dans son petit bateau. Comme il ¨¦tait dangereux de traverser pendant la journ¨¦e, ils ont d? attendre la tomb¨¦e de la nuit. Le lendemain matin, ils ¨¦taient en route. Ils ont march¨¦ une journ¨¦e et demie. Walter a aper?u son petit fr¨¨re, Abayo, qui pleurait, assis au bord du sentier. Il souffrait d¡¯une grave blessure au pied. Du haut de ses dix ans, il a soulev¨¦ son fr¨¨re de quatre ans et l¡¯a port¨¦ sur son dos. Il ¨¦tait lourd, mais il ¨¦tait maintenant responsable de la vie de son petit fr¨¨re. Ils se retrouvaient dans de tristes circonstances, mais se r¨¦confortaient l¡¯un l¡¯autre. Ils s¡¯effor?aient de suivre la cadence de la marche, mais leurs petites jambes ¨¦taient fatigu¨¦es. ? chaque fois, l¡¯¨¦cart se creusait avec le groupe. Ils ont r¨¦ussi ¨¤ atteindre la route principale o¨´ ils ont suivi les traces des r¨¦fugi¨¦s qui ¨¦taient devant eux. Dans la for¨ºt, un chasseur les a rep¨¦r¨¦s et a vu que Walter portait une ceinture. Il lui a ordonn¨¦ de la lui donner sinon il le tuerait en lui tirant une fl¨¨che dans la poitrine. Il a d¨¦pos¨¦ son fr¨¨re ¨¤ terre, a retir¨¦ sa ceinture, l¡¯a donn¨¦e au chasseur, a soulev¨¦ son fr¨¨re et l¡¯a remis sur son dos. Ils ont poursuivi leur chemin en silence. Des jours durant, ils ont souffert de la faim. ? la tomb¨¦e de la nuit, ils ont d? s¡¯arr¨ºter. Ils ont d¨¦cid¨¦ de se reposer au bord d¡¯un sentier verdoyant. Des soldats arm¨¦s qui suivaient les r¨¦fugi¨¦s sont pass¨¦s pr¨¨s d¡¯eux. Un soldat a fr?l¨¦ Walter et son fr¨¨re ¨¤ son passage. Il s¡¯est arr¨ºt¨¦ pour uriner ne sachant pas qu¡¯il urinait sur les deux petits gar?ons qui ¨¦taient trop terroris¨¦s pour bouger de peur d¡¯¨ºtre tu¨¦s dans la nuit.

Au matin, Walter et Abayo ont repris leur marche. Plusieurs jours plus tard, ils ont rencontr¨¦ une dame qui priait, son chapelet ¨¤ la main. Walter avait aussi un chapelet. Ils se sont avanc¨¦s vers elle. Elle les a pris dans ses bras et leur a demand¨¦ de rester chez elle. D¡¯abord, Walter a refus¨¦, mais les gar?ons ¨¦taient sans ressources, fatigu¨¦s, en proie ¨¤ la faim et bless¨¦s. Son bon sens a eu le dessus. Le mari de cette dame ¨¦tait le chef de ce village. Les gar?ons ont v¨¦cu avec eux pendant deux mois. La fille du chef, qui ¨¦tait une religieuse, aidait ¨¤ acc¨¦l¨¦rer la r¨¦union des familles. Le Comit¨¦ international de la Croix-Rouge est venu chercher les enfants r¨¦fugi¨¦s qui ¨¦taient perdus dans la for¨ºt ¨¦quatoriale. Walter et Abayo et d¡¯autres enfants ont ¨¦t¨¦ ramen¨¦s au Rwanda. Apr¨¨s 9 ans de s¨¦paration, ces deux gar?ons ont retrouv¨¦s leurs proches, puis leur m¨¨re. Un an plus tard, ils ont appris que leur p¨¨re ¨¦tait en vie. Walter a termin¨¦ l¡¯¨¦cole secondaire. Sa famille, r¨¦fugi¨¦e du Rwanda et de la RDC, s¡¯est alors install¨¦e ¨¤ Brazzaville, au Congo. Walter vit aujourd¡¯hui en Afrique du Sud o¨´ il pr¨¦pare une licence de g¨¦nie ¨¦lectrique ¨¤ l¡¯Universit¨¦ de technologie de Durban. Il termine sa troisi¨¨me ann¨¦e et a obtenu d¡¯excellents r¨¦sultats. L¡¯industrie donne g¨¦n¨¦ralement la pr¨¦f¨¦rence aux ¨¦tudiants locaux, mais ses r¨¦sultats exceptionnels lui ont ouvert des portes.

Ses ¨¦tudes sont parrain¨¦es par une entreprise italienne et il est aujourd¡¯hui recrut¨¦ par une entre- prise allemande qui compte l¡¯envoyer en Allemagne pour y faire un stage. Son petit fr¨¨re, Abayo Innocent, qui consid¨¦rait Walter comme un mod¨¨le ¨¤ suivre, a d¨¦cid¨¦ de le rejoindre en Afrique du Sud apr¨¨s sa derni¨¨re ann¨¦e d¡¯¨¦cole secondaire. Le 4 mars 2012, une s¨¦rie d¡¯explosions a eu lieu ¨¤ Brazzaville, dans un d¨¦p?t d¡¯armes de l¡¯arm¨¦e situ¨¦ pr¨¨s de l¡¯¨¦cole d¡¯Abayo Innocent. Il fut l¡¯une des nombreuses victimes ¨¤ conna?tre une mort tragique. ? quatre ans, il a march¨¦ pendant des ann¨¦es pour trouver un lieu s?r et, malgr¨¦ les circonstances douloureuses grav¨¦es dans son esprit innocent, lui aussi s¡¯¨¦tait ¨¦panoui et ¨¦tait promis ¨¤ un avenir brillant, plein de promesses ¨¤ donner ¨¤ l¡¯humanit¨¦. Mais sa vie s¡¯est termin¨¦e tragiquement ¨¤ l¡¯?ge de 19 ans. Walter ¨¦tait en Afrique du Sud ¨¤ ce moment-l¨¤ et n¡¯a pas pu dire au revoir ¨¤ son fr¨¨re qu¡¯il avait aid¨¦ ¨¤ ¨¦chapper aux pi¨¨ges de la vie, ni m¨ºme r¨¦conforter ses parents.

Sans ressources mat¨¦rielles, mais dot¨¦ seulement d¡¯un esprit r¨¦solu et m? par la foi et l¡¯espoir, Walter a jur¨¦ qu¡¯il ferait de sa vie un succ¨¨s. L¡¯¨¦ducation lui permettrait d¡¯aider sa famille ¨¤ combattre la pauvret¨¦ et les injustices que subissent ceux qui sont vuln¨¦rables et sans d¨¦fense. L¡¯encouragement de ses parents l¡¯a motiv¨¦. Il a r¨¦alis¨¦ que l¡¯¨¦ducation ¨¦tait l¡¯¨¦l¨¦ment vital qui lui ouvrirait des portes et lui permettrait de mener une vie satisfaisante et ¨¦panouissante, car elle-conf¨¨re ¨¤ un ¨ºtre humain la dignit¨¦, l¡¯ind¨¦pendance, le pouvoir de prendre les bonnes d¨¦cisions, la prise de conscience de son r?le potentiel, une voix pour d¨¦battre, n¨¦gocier et avoir des opinions. Bien que l¡¯¨¦ducation soit un droit de l¡¯homme fondamental, l¡¯esprit des jeunes r¨¦fugi¨¦s est priv¨¦ de cette nourriture stimulante. L¡¯¨¦ducation donne davantage d¡¯autonomie et l¡¯espoir qu¡¯il est possible d¡¯apporter une contribution importante ¨¤ un monde o¨´ la paix est souvent menac¨¦e.

Les personnes d¨¦plac¨¦es perdent souvent l¡¯espoir, leur humanit¨¦ et leur capacit¨¦ ¨¤ faire confiance et ¨¤? aimer. Les enfants sont priv¨¦s de choses que l¡¯on consid¨¨re pour acquises ¨C les c?lins du matin, l¡¯accueil, les petits-d¨¦jeuners en famille ou m¨ºme les pri¨¨res. Ils n¡¯ont ni terre, ni maison, ni sentiment d¡¯appartenance. Contre toute attente, Walter est un jeune homme d¨¦termin¨¦ qui croit que Dieu s¡¯est montr¨¦ bon et g¨¦n¨¦reux en envoyant des gens qui l¡¯ont aid¨¦ ¨¤ rejoindre un lieu s?r.

? la naissance, Dieu place dans le c?ur de chaque ¨ºtre humain une ? graine d¡¯espoir ? et, malgr¨¦ l¡¯ivraie, si cette graine est bien nourrie et qu¡¯elle peut germer, l¡¯arbre donnera des fleurs et des fruits dont toutes les cr¨¦atures de Dieu pourront profiter. Walter en est un exemple vivant. Il est l¡¯expression vivante de la r¨¦silience et de l¡¯espoir pour tous. ? ?