« Débarrassez nous des armes, » les femmes implorent l’émissaire de l'ONU
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« Débarrassez nous des armes, » les femmes implorent l’émissaire de l'ONU
Imaginez-vous devant payer 100 dollars pour un certificat médical attestant que vous avez été violée pour pouvoir poursuivre le coupable - ensuite devoir nourrir l'homme qui vous a violée pendant son procès.
Au rappel de telles histoires, Zainab Bangura, la Représentante spéciale des Nations Unies pour la lutte contre la violence sexuelle, laisse entrevoir un aperçu de la passion et de l'énergie qui la caractérisent. Jusqu'en 2002, les femmes et les filles dans son pays, la Sierra Leone, étaient victimes de violences sexuelles généralisées et systématiques, y compris le viol et l'esclavage sexuel. En tant que militante et activiste des droits des femmes, elle a documenté, dénoncé et suivi des cas de crimes et autres violations des droits humains. Lorsque le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone conjointement mis en place par le Gouvernement et l'Organisation des Nations Unies a siégé pour juger les responsables de crimes perpétrés pendant la guerre civile, elle a comparu en qualité de témoin expert.
Le parcours de Mme Bangura est impressionnant: elle a travaillé en tant que fonctionnaire international, a été responsable de la Commission de consolidation de la paix dans son pays et a exercé comme ministre des Affaires étrangères et ministre de la ³§²¹²Ô³Ùé.
« Je m’engage dans ce travail à l'ONU », a-t-elle déclaré à Afrique Renouveau », « avec deux perspectives - être une militante d'une part, qui connait la réalité du terrain, et d’autre part, j'ai été en même temps ministre au gouvernement et la voix du gouvernement sur la scène internationale. »
Rassembler des preuves
Mme Bangura est la deuxième personne à occuper ce poste. Son prédécesseur suédois, Margot Wallström, a terminé son mandat de deux ans en mai 2012. Pendant le mandat de Mme Wallström, le Bureau a été en mesure de faire pression pour une soi-disante liste de « stigmatisation » par le biais d'une résolution de l'ONU qui autorise la publication d'informations détaillées sur les auteurs de viols et d’autres formes de violences sexuelles. La résolution donne aussi au Conseil de sécurité la possibilité d'appliquer des sanctions sur les groupes ou les nations afin de mettre un terme aux crimes sexuels ayant cours.
Mme Wallström a également fait pression pour des réformes juridiques, en convainquant les tribunaux militaires en République démocratique du Congo (RDC) de juger les cas de violence sexuelle. Elle a obtenu 250 poursuites. « Je suis extrêmement satisfaite que mon prédécesseur a établi une très bonne base pour moi », affirme Mme Bangura, « et j'ai un personnel extrêmement compétent. »
Engager les gouvernements
L'émissaire de l'ONU est déjà très sollicitée par l’aggravation des crises en République centrafricaine, en RDC, en Syrie et au Mali, où l'on signale l’augmentation des cas de violences sexuelles perpétrées contre les femmes et les filles. Avec un personnel réduit et des ressources limitées, elle fait activement appel à l'aide des organismes des Nations Unies.
Cependant, selon Mme Bangura, la violence sexuelle dans les conflits n'est pas une question qui préoccupe seulement l'ONU. Le Royaume-Uni a récemment promis 1,6 millions de dollars pour soutenir les activités de son bureau. À une échelle plus grande, souligne-t-elle, « les États membres ont une responsabilité primordiale de protéger les personnes. » De ce fait, elle travaille régulièrement avec les gouvernements et les organisations locales pour faire face au problème. « Vous devez travailler avec le gouvernement pour pouvoir établir un dialogue solide et constructif sur la question et se rassurer qu'ils assurent le leadership politique au niveau national. » « Il incombe au gouvernement seul de prendre des mesures pour mettre fin » aux crimes sexuels. Ajoute-t-elle.
Les plus grands auteurs sont en uniforme
Mme Bangura cherche également à établir un dialogue avec les forces armées nationales et les groupes armés. Sa première mission d’enquête s’est déroulée en République centrafricaine (RCA), un pays qui a connu des années de violence et d'instabilité politique et où des dizaines de femmes et de filles sont sous le contrôle de groupes armés. Elle a décrit la RCA comme « l'un des pire pays » qu’elle a visité, avec très peu de ressources, et les acteurs internationaux se penchant sur la question. « Si nous pouvons faire une différence en RCA », explique-t-elle, « je pense que ce sera beaucoup plus facile dans les autres pays. »
La visite de Mme Bangura est arrivée à point nommé. Les récents accords de paix signés par les principaux acteurs du conflit dévoilaient un oubli flagrant : Aucune mention n’a été faite des droits de l'homme ou de violence sexuelle. Elle a donc négocié avec les deux parties. En conséquence, « Nous avons eu un accord aussi bien du gouvernement que des groupes armés qu'ils intègrent la question de la violence sexuelle. Nous avons exigé que nous espérions d'eux des actions très précises. » Elle a également insisté que les crimes sexuels fassent l’objet d'une enquête et que les commandants lancent un appel à leurs troupes pour l’arrêt des violences sexuelles.
Mme Bangura souligne que la police est aussi souvent coupable de ces crimes. « Nous avons beaucoup de preuves selon lesquelles les prisonniers sont sexuellement violentés quand ils sont en détention, et quand ils sont contraints de témoigner ou d'avouer. Les hommes en uniforme sont pointés du doigt ».
Dans les pays où les militaires et la police sont détachés pour travailler avec l'ONU, Mme Bangura estime qu'ils devraient être formés à « détecter quand et où la violence sexuelle se passe pour l'empêcher. Mais aussi pour ne pas commettre de violence sexuelle quand ils sont dans une mission de maintien de la paix. »
Briser la culture du silence
Les normes culturelles établies constituent souvent un obstacle face aux questions de violence sexuelle. Dans les zones de guerre, la plupart des femmes ont du mal à déclarer qu'elles ont été sexuellement abusées. Dans ces « sociétés souvent traditionnelles », le silence prend le dessus, explique la représentante de l'ONU. Les femmes sont souvent stigmatisées, voire menacées. En Libye, une loi oblige le violeur à épouser sa victime afin de « sauver l’honneur de celle-ci », Mme Bangura croit que, parfois : « la culture veut juste l’oublier et non pas y faire face. »
Travailler dans une insécurité continuelle est également un défi. Elle déclare qu'elle ne dira jamais assez que « l'insécurité engendre la violence sexuelle. » Quand un ensemble étatique s'effondre, souligne-elle, des éléments armés deviennent la loi et utilisent le viol comme arme de guerre.
Mme Bangura demeure catégorique : sans paix ni sécurité, la violence sexuelle ne peut être éradiquée. Ainsi, les femmes dans les zones de guerre lui donnent souvent un message semblable à transmettre aux dirigeants du monde : « Dites-leur de retirer les armes aux groupes armés. Nous ne nous sentons pas en sécurité. Nous ne sommes pas sécurisées. »