Vers un ¨¦norme march¨¦ unique
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Vers un ¨¦norme march¨¦ unique
Les rayons du supermarch¨¦ Choithrams de Freetown, en Sierra Leone, offrent une pl¨¦thore de produits import¨¦s, notamment des cure-dents de Chine, du papier hygi¨¦nique et du lait des Pays-Bas, du sucre de France, du chocolat de Suisse et des bo?tes d¡¯allumettes de Su¨¨de.
Pourtant, bon nombre de ces produits sont fabriqu¨¦s beaucoup plus pr¨¨s ¡ª au Ghana, au Maroc, au Nig¨¦ria, en Afrique du Sud et dans d¡¯autres pays africains ayant une base industrielle.
Alors, pourquoi les d¨¦taillants s¡¯approvisionnent-ils ¨¤ l¡¯autre bout du monde ? La r¨¦ponse : un patchwork de r¨¦glementations commerciales et de tarifs douaniers qui rendent le commerce intra-africain co?teux et cela entra?ne une perte de temps.
L¡¯Accord sur la zone de libre-¨¦change continentale africaine (ZLEC), sign¨¦ par 44 pays africains ¨¤ Kigali, au Rwanda, en mars 2018, vise ¨¤ cr¨¦er un continent exempt de droits de douane et en mesure de faire cro?tre les entreprises locales, stimuler le commerce intra-africain, relancer l¡¯industrialisation et cr¨¦er des emplois.
L¡¯accord cr¨¦e un march¨¦ continental unique pour les biens et les services ainsi qu¡¯une union douani¨¨re garantissant la libre circulation des capitaux et des gens d¡¯affaires. Les pays qui adh¨¨rent ¨¤ l¡¯accord doivent s¡¯engager ¨¤ supprimer les droits de douane sur au moins 90 % des biens qu¡¯ils produisent.
Si les 55 pays africains adh¨¨rent ¨¤ une zone de libre-¨¦change, celle-ci sera la plus grande du monde de par le nombre de pays qu¡¯elle regroupera, couvrant plus de 1,2 milliard de personnes et affichant un PIB combin¨¦ de 2,5 billions de dollars, selon la Commission ¨¦conomique pour l¡¯Afrique (CEA).
La CEA ajoute que le commerce intra-africain est susceptible d¡¯augmenter de 52,3 % d¡¯ici ¨¤ 2020 dans le cadre de la ZLEC.
Cinq autres pays ont sign¨¦ la ZLEC lors du sommet de l¡¯Union africaine (UA) en Mauritanie en juin, portant ¨¤ 49 ¨¤ la fin juillet le nombre total de pays s¡¯engageant ¨¤ respecter l¡¯accord. Mais, une zone de libre-¨¦change n¨¦cessite qu¡¯au moins 22 pays soumettent des instruments de ratification. En juillet 2018, seuls six pays ¡ª le Tchad, l¡¯Eswatini (ancienne appellation du Swaziland), le Ghana, le Kenya, le Niger et le Rwanda ¡ª avaient soumis des instruments de ratification; cependant de nombreux autres pays devraient suivre leur exemple avant la fin de l¡¯ann¨¦e.
Selon les ¨¦conomistes, l¡¯acc¨¨s en franchise de droits ¨¤ un march¨¦ immense et unifi¨¦ incitera les fabricants et les prestataires de services ¨¤ tirer parti des ¨¦conomies d¡¯¨¦chelle ; une augmentation de la demande entra?nera une ¨¦l¨¦vation de la production, ce qui, ¨¤ son tour, r¨¦duira les co?ts unitaires. Les consommateurs paieront moins chers pour les produits et services dans la mesure o¨´ les entreprises ¨¦tendront leurs activit¨¦s et recruteront des employ¨¦s suppl¨¦mentaires.
? Nous comptons sur une augmentation du nombre d¡¯emplois industriels et ¨¤ valeur ajout¨¦e en Afrique gr?ce au commerce intra-africain ?, a d¨¦clar¨¦ Mukhisa Kituyi, secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral de la Conf¨¦rence des Nations Unies sur le commerce et le d¨¦veloppement, un organisme qui s¡¯occupe du commerce, de l¡¯investissement et du d¨¦veloppement, lors d¡¯un entretien avec Afrique Renouveau (voir page 6).
? Les types d¡¯exportations qui en tireraient particuli¨¨rement profit sont les exportations ¨¤ forte intensit¨¦ de main-d¡¯?uvre, comme la fabrication et l¡¯agro transformation, plut?t que les combustibles et les min¨¦raux ¨¤ forte intensit¨¦ de capital, que l¡¯Afrique tend ¨¤ exporter ?, a reconnu Vera Songwe, secr¨¦taire ex¨¦cutive de la CEA, dans un entretien avec Afrique Renouveau, soulignant que les jeunes b¨¦n¨¦ficieront de cette cr¨¦ation d¡¯emplois.
En outre, les Africaines, qui repr¨¦sentent 70 % du commerce transfrontalier informel, b¨¦n¨¦ficieront de r¨¦gimes commerciaux simplifi¨¦s et de droits d¡¯importation r¨¦duits, ce qui apportera une aide indispensable aux petits commer?ants.
Si la mise en ?uvre de l¡¯accord est r¨¦ussie, une zone de libre-¨¦change pourrait permettre ¨¤ l¡¯Afrique de se rapprocher de son ambition s¨¦culaire d¡¯int¨¦gration ¨¦conomique pour favoriser la cr¨¦ation d¡¯institutions panafricaines telles que la Communaut¨¦ ¨¦conomique africaine, l¡¯Union mon¨¦taire africaine, l¡¯Union douani¨¨re africaine, etc.
De nombreux commer?ants et prestataires de services sont prudemment optimistes quant aux avantages potentiels de la ZLEC. ? Je r¨ºve du jour o¨´ je pourrai traverser les fronti¨¨res, d¡¯Accra ¨¤ Lom¨¦ [au Togo] ou Abidjan [en C?te d¡¯Ivoire] et acheter des produits fabriqu¨¦s localement pour les apporter ¨¤ Accra sans toutes les tracasseries aux fronti¨¨res ?, a d¨¦clar¨¦ ¨¤ Afrique Renouveau Iso Paelay, qui g¨¨re un complexe de loisirs dans la banlieue d¡¯Accra, au Ghana.
Et d¡¯ajouter : ? Pour l¡¯instant, il m¡¯est plus facile d¡¯importer les mat¨¦riaux que nous utilisons dans le cadre de nos activit¨¦s ¡ª
articles de toilettes, ustensiles de cuisine, produits alimentaires ¡ª de Chine ou d¡¯Europe que d¡¯Afrique du Sud, du Nig¨¦ria ou du Maroc ?.
Les dirigeants africains et les experts en d¨¦veloppement ont appris une bonne nouvelle en juin lors du sommet de l¡¯UA en Mauritanie. Lorsque l¡¯Afrique du Sud, b¨¦n¨¦ficiant d¡¯une ¨¦conomie africaine la plus industrialis¨¦e, (avec quatre autres pays), est devenue le dernier pays ¨¤ signer la ZLEC.
Le Nig¨¦ria, pays le plus peupl¨¦ d¡¯Afrique est lui aussi dot¨¦ d¡¯une ¨¦conomie ¨¦norme, fut l¡¯un des pays les plus r¨¦ticents. Le gouvernement affirme devoir tenir d¡¯autres consultations avec les fabricants et les syndicats autochtones. Les syndicats nig¨¦rians ont affirm¨¦ que le libre-¨¦change risquait d¡¯ouvrir les portes aux marchandises import¨¦es ¨¤ bas prix, et d¡¯atrophier ainsi, la base industrielle naissante du Nig¨¦ria.
Le Nigeria Labour Congress, un syndicat-cadre de travailleurs, a qualifi¨¦ la ZLEC ? d¡¯initiative politique n¨¦olib¨¦rale radioactive ? qui pourrait conduire ¨¤ ? une ing¨¦rence ¨¦trang¨¨re d¨¦brid¨¦e jamais vue dans l¡¯histoire du pays ?.
Cependant, selon l¡¯ancien pr¨¦sident nig¨¦rian Olusegun Obasanjo, ? notre salut [¨¦conomique] se trouve dans l¡¯accord ?.
Lors d¡¯un colloque organis¨¦ en juillet ¨¤ Lagos en l¡¯honneur de feu Adebayo Adedeji, ancien secr¨¦taire ex¨¦cutif de la CEA, Yakubu Gowon, un autre ancien dirigeant nig¨¦rian, a fait part de son espoir de voir le Nig¨¦ria adh¨¦rer ¨¤ l¡¯accord.
S¡¯exprimant lors de la m¨ºme manifestation, Mme Songwe a exhort¨¦ le Nig¨¦ria ¨¤ se joindre ¨¤ l¡¯accord apr¨¨s les consultations et a offert le soutien de son organisation.
En avril dernier, le pr¨¦sident nig¨¦rian Muhammadu Buhari a manifest¨¦ une position protectionniste sur les questions commerciales tout en d¨¦fendant le refus de son pays de signer l¡¯accord de partenariat ¨¦conomique entre la Communaut¨¦ ¨¦conomique des ?tats de l¡¯Afrique de l¡¯Ouest et l¡¯Union Europ¨¦enne. Il a alors d¨¦clar¨¦ :
? Nos industries ne peuvent pas rivaliser avec les industries plus efficaces et hautement technologiques d¡¯Europe ?.
Dans certains pays, dont le Nig¨¦ria et l¡¯Afrique du Sud, le gouvernement aimerait exercer un contr?le sur la politique industrielle, indique la publication britannique The Economist, ajoutant : ? Ils craignent aussi de perdre des recettes tarifaires, parce qu¡¯ils ont du mal ¨¤ percevoir d¡¯autres taxes ?.
Les b¨¦n¨¦ficiaires
Alors que les experts pensent que les grandes ¨¦conomies africaines en voie d¡¯industrialisation tireront le meilleur parti d¡¯une zone de libre-¨¦change, la CEA estime pour sa part que les petits pays ont aussi beaucoup ¨¤ gagner parce que les usines des grands pays s¡¯approvisionneront en intrants de petits pays pour ajouter de la valeur aux produits.
La ZLEC a ¨¦galement ¨¦t¨¦ con?ue pour faire face ¨¤ la multiplicit¨¦ et au chevauchement des adh¨¦sions de nombreux pays aux Communaut¨¦s ¨¦conomiques r¨¦gionales (CER), ce qui complique les efforts d¡¯int¨¦gration. Le Kenya, par exemple, appartient ¨¤ cinq CER. Les CER vont maintenant contribuer ¨¤ la r¨¦alisation de l¡¯objectif continental d¡¯une zone de libre-¨¦change.
De nombreux commer?ants se plaignent de l¡¯incapacit¨¦ des CER ¨¤ ex¨¦cuter des projets d¡¯infrastructures qui soutiendraient le commerce transfrontalier. Ibrahim Mayaki, chef du Nouveau Partenariat pour le d¨¦veloppement de l¡¯Afrique (NEPAD), une branche de l¡¯UA charg¨¦e de la mise en ?uvre des projets, affirme que les CER n¡¯ont pas les moyens de mettre en ?uvre des projets.
La ZLEC pourrait changer la situation ¨¦conomique de l¡¯Afrique, mais des inqui¨¦tudes subsistent quant au fait que la mise en ?uvre pourrait ¨ºtre le maillon le plus faible de l¡¯accord.
Dans le m¨ºme temps, les dirigeants africains et les experts en d¨¦veloppement consid¨¨rent la cr¨¦ation d¡¯une zone de libre-¨¦change comme une r¨¦alit¨¦ in¨¦vitable. ? Nous devons mobiliser la volont¨¦ politique n¨¦cessaire pour que la Zone de libre-¨¦change continentale africaine devienne enfin une r¨¦alit¨¦ ?, a d¨¦clar¨¦ Moussa Faki Mahamat, pr¨¦sident de la Commission de l¡¯UA, lors du lancement ¨¤ Kigali.? ?