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Vers un ¨¦norme march¨¦ unique

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Vers un ¨¦norme march¨¦ unique

L¡¯Accord sur la zone de libre-¨¦change change la donne, selon les experts
Kingsley Ighobor
Afrique Renouveau: 
African Union chairperson and president of Rwanda Paul Kagame, president of Niger Mahamadou Issoufou and African Union Commission chairperson Moussa Faki Mahamat at the launch of AfCFTA in Kigali in March 2018.
Photo: Bureau du Pr¨¦sident Paul Kagame du Rwanda
(De gauche ¨¤ droite) Le pr¨¦sident Paul Kagame du Rwanda, qui est ¨¦galement pr¨¦sident de l¡¯UA, le pr¨¦sident Mahamaou Issoufou du Niger et le pr¨¦sident de la Commission de l¡¯Union africaine, Moussa Faki Mahamat, lors du lancement de la ZLEC ¨¤ Kigali en mars 2018. Photo: Bureau du Pr¨¦sident Paul Kagame du Rwanda
L¡¯Afrique est sur le point de devenir la plus grande zone de libre-¨¦change du monde avec l¡¯annonce de l¡¯Accord sur la zone de libre-¨¦change continentale africaine ¨¤ Kigali, au Rwanda, en mars 2018 : 55 pays vont s¡¯unir pour constituer un seul march¨¦ de 1,2 milliard de personnes avec un PIB combin¨¦ de 2,5 billions de dollars. Dans la pr¨¦sente ¨¦dition, nous analysons les avantages et les d¨¦fis d¡¯une zone de libre-¨¦change pour les pays et les op¨¦rateurs ¨¦conomiques.

Les rayons du supermarch¨¦ Choithrams de Freetown, en Sierra Leone, offrent une pl¨¦thore de produits import¨¦s, notamment des cure-dents de Chine, du papier hygi¨¦nique et du lait des Pays-Bas, du sucre de France, du chocolat de Suisse et des bo?tes d¡¯allumettes de Su¨¨de.

Pourtant, bon nombre de ces produits sont fabriqu¨¦s beaucoup plus pr¨¨s ¡ª au Ghana, au Maroc, au Nig¨¦ria, en Afrique du Sud et dans d¡¯autres pays africains ayant une base industrielle.

Alors, pourquoi les d¨¦taillants s¡¯approvisionnent-ils ¨¤ l¡¯autre bout du monde ? La r¨¦ponse : un patchwork de r¨¦glementations commerciales et de tarifs douaniers qui rendent le commerce intra-africain co?teux et cela entra?ne une perte de temps.

L¡¯Accord sur la zone de libre-¨¦change continentale africaine (ZLEC), sign¨¦ par 44 pays africains ¨¤ Kigali, au Rwanda, en mars 2018, vise ¨¤ cr¨¦er un continent exempt de droits de douane et en mesure de faire cro?tre les entreprises locales, stimuler le commerce intra-africain, relancer l¡¯industrialisation et cr¨¦er des emplois.

L¡¯accord cr¨¦e un march¨¦ continental unique pour les biens et les services ainsi qu¡¯une union douani¨¨re garantissant la libre circulation des capitaux et des gens d¡¯affaires. Les pays qui adh¨¨rent ¨¤ l¡¯accord doivent s¡¯engager ¨¤ supprimer les droits de douane sur au moins 90 % des biens qu¡¯ils produisent.

Si les 55 pays africains adh¨¨rent ¨¤ une zone de libre-¨¦change, celle-ci sera la plus grande du monde de par le nombre de pays qu¡¯elle regroupera, couvrant plus de 1,2 milliard de personnes et affichant un PIB combin¨¦ de 2,5 billions de dollars, selon la Commission ¨¦conomique pour l¡¯Afrique (CEA).

La CEA ajoute que le commerce intra-africain est susceptible d¡¯augmenter de 52,3 % d¡¯ici ¨¤ 2020 dans le cadre de la ZLEC.

Cinq autres pays ont sign¨¦ la ZLEC lors du sommet de l¡¯Union africaine (UA) en Mauritanie en juin, portant ¨¤ 49 ¨¤ la fin juillet le nombre total de pays s¡¯engageant ¨¤ respecter l¡¯accord. Mais, une zone de libre-¨¦change n¨¦cessite qu¡¯au moins 22 pays soumettent des instruments de ratification. En juillet 2018, seuls six pays ¡ª le Tchad, l¡¯Eswatini (ancienne appellation du Swaziland), le Ghana, le Kenya, le Niger et le Rwanda ¡ª avaient soumis des instruments de ratification; cependant de nombreux autres pays devraient suivre leur exemple avant la fin de l¡¯ann¨¦e.

Selon les ¨¦conomistes, l¡¯acc¨¨s en franchise de droits ¨¤ un march¨¦ immense et unifi¨¦ incitera les fabricants et les prestataires de services ¨¤ tirer parti des ¨¦conomies d¡¯¨¦chelle ; une augmentation de la demande entra?nera une ¨¦l¨¦vation de la production, ce qui, ¨¤ son tour, r¨¦duira les co?ts unitaires. Les consommateurs paieront moins chers pour les produits et services dans la mesure o¨´ les entreprises ¨¦tendront leurs activit¨¦s et recruteront des employ¨¦s suppl¨¦mentaires.

? Nous comptons sur une augmentation du nombre d¡¯emplois industriels et ¨¤ valeur ajout¨¦e en Afrique gr?ce au commerce intra-africain ?, a d¨¦clar¨¦ Mukhisa Kituyi, secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral de la Conf¨¦rence des Nations Unies sur le commerce et le d¨¦veloppement, un organisme qui s¡¯occupe du commerce, de l¡¯investissement et du d¨¦veloppement, lors d¡¯un entretien avec Afrique Renouveau (voir page 6).

? Les types d¡¯exportations qui en tireraient particuli¨¨rement profit sont les exportations ¨¤ forte intensit¨¦ de main-d¡¯?uvre, comme la fabrication et l¡¯agro transformation, plut?t que les combustibles et les min¨¦raux ¨¤ forte intensit¨¦ de capital, que l¡¯Afrique tend ¨¤ exporter ?, a reconnu Vera Songwe, secr¨¦taire ex¨¦cutive de la CEA, dans un entretien avec Afrique Renouveau, soulignant que les jeunes b¨¦n¨¦ficieront de cette cr¨¦ation d¡¯emplois.

En outre, les Africaines, qui repr¨¦sentent 70 % du commerce transfrontalier informel, b¨¦n¨¦ficieront de r¨¦gimes commerciaux simplifi¨¦s et de droits d¡¯importation r¨¦duits, ce qui apportera une aide indispensable aux petits commer?ants.

Si la mise en ?uvre de l¡¯accord est r¨¦ussie, une zone de libre-¨¦change pourrait permettre ¨¤ l¡¯Afrique de se rapprocher de son ambition s¨¦culaire d¡¯int¨¦gration ¨¦conomique pour favoriser la cr¨¦ation d¡¯institutions panafricaines telles que la Communaut¨¦ ¨¦conomique africaine, l¡¯Union mon¨¦taire africaine, l¡¯Union douani¨¨re africaine, etc.

De nombreux commer?ants et prestataires de services sont prudemment optimistes quant aux avantages potentiels de la ZLEC. ? Je r¨ºve du jour o¨´ je pourrai traverser les fronti¨¨res, d¡¯Accra ¨¤ Lom¨¦ [au Togo] ou Abidjan [en C?te d¡¯Ivoire] et acheter des produits fabriqu¨¦s localement pour les apporter ¨¤ Accra sans toutes les tracasseries aux fronti¨¨res ?, a d¨¦clar¨¦ ¨¤ Afrique Renouveau Iso Paelay, qui g¨¨re un complexe de loisirs dans la banlieue d¡¯Accra, au Ghana.

Et d¡¯ajouter : ? Pour l¡¯instant, il m¡¯est plus facile d¡¯importer les mat¨¦riaux que nous utilisons dans le cadre de nos activit¨¦s ¡ª

articles de toilettes, ustensiles de cuisine, produits alimentaires ¡ª de Chine ou d¡¯Europe que d¡¯Afrique du Sud, du Nig¨¦ria ou du Maroc ?.

Les dirigeants africains et les experts en d¨¦veloppement ont appris une bonne nouvelle en juin lors du sommet de l¡¯UA en Mauritanie. Lorsque l¡¯Afrique du Sud, b¨¦n¨¦ficiant d¡¯une ¨¦conomie africaine la plus industrialis¨¦e, (avec quatre autres pays), est devenue le dernier pays ¨¤ signer la ZLEC.

Le Nig¨¦ria, pays le plus peupl¨¦ d¡¯Afrique est lui aussi dot¨¦ d¡¯une ¨¦conomie ¨¦norme, fut l¡¯un des pays les plus r¨¦ticents. Le gouvernement affirme devoir tenir d¡¯autres consultations avec les fabricants et les syndicats autochtones. Les syndicats nig¨¦rians ont affirm¨¦ que le libre-¨¦change risquait d¡¯ouvrir les portes aux marchandises import¨¦es ¨¤ bas prix, et d¡¯atrophier ainsi, la base industrielle naissante du Nig¨¦ria.

Le Nigeria Labour Congress, un syndicat-cadre de travailleurs, a qualifi¨¦ la ZLEC ? d¡¯initiative politique n¨¦olib¨¦rale radioactive ? qui pourrait conduire ¨¤ ? une ing¨¦rence ¨¦trang¨¨re d¨¦brid¨¦e jamais vue dans l¡¯histoire du pays ?.

Cependant, selon l¡¯ancien pr¨¦sident nig¨¦rian Olusegun Obasanjo, ? notre salut [¨¦conomique] se trouve dans l¡¯accord ?.

Lors d¡¯un colloque organis¨¦ en juillet ¨¤ Lagos en l¡¯honneur de feu Adebayo Adedeji, ancien secr¨¦taire ex¨¦cutif de la CEA, Yakubu Gowon, un autre ancien dirigeant nig¨¦rian, a fait part de son espoir de voir le Nig¨¦ria adh¨¦rer ¨¤ l¡¯accord.

S¡¯exprimant lors de la m¨ºme manifestation, Mme Songwe a exhort¨¦ le Nig¨¦ria ¨¤ se joindre ¨¤ l¡¯accord apr¨¨s les consultations et a offert le soutien de son organisation.

En avril dernier, le pr¨¦sident nig¨¦rian Muhammadu Buhari a manifest¨¦ une position protectionniste sur les questions commerciales tout en d¨¦fendant le refus de son pays de signer l¡¯accord de partenariat ¨¦conomique entre la Communaut¨¦ ¨¦conomique des ?tats de l¡¯Afrique de l¡¯Ouest et l¡¯Union Europ¨¦enne. Il a alors d¨¦clar¨¦ :

? Nos industries ne peuvent pas rivaliser avec les industries plus efficaces et hautement technologiques d¡¯Europe ?.

Dans certains pays, dont le Nig¨¦ria et l¡¯Afrique du Sud, le gouvernement aimerait exercer un contr?le sur la politique industrielle, indique la publication britannique The Economist, ajoutant : ? Ils craignent aussi de perdre des recettes tarifaires, parce qu¡¯ils ont du mal ¨¤ percevoir d¡¯autres taxes ?.

Les b¨¦n¨¦ficiaires

Alors que les experts pensent que les grandes ¨¦conomies africaines en voie d¡¯industrialisation tireront le meilleur parti d¡¯une zone de libre-¨¦change, la CEA estime pour sa part que les petits pays ont aussi beaucoup ¨¤ gagner parce que les usines des grands pays s¡¯approvisionneront en intrants de petits pays pour ajouter de la valeur aux produits.

La ZLEC a ¨¦galement ¨¦t¨¦ con?ue pour faire face ¨¤ la multiplicit¨¦ et au chevauchement des adh¨¦sions de nombreux pays aux Communaut¨¦s ¨¦conomiques r¨¦gionales (CER), ce qui complique les efforts d¡¯int¨¦gration. Le Kenya, par exemple, appartient ¨¤ cinq CER. Les CER vont maintenant contribuer ¨¤ la r¨¦alisation de l¡¯objectif continental d¡¯une zone de libre-¨¦change.

De nombreux commer?ants se plaignent de l¡¯incapacit¨¦ des CER ¨¤ ex¨¦cuter des projets d¡¯infrastructures qui soutiendraient le commerce transfrontalier. Ibrahim Mayaki, chef du Nouveau Partenariat pour le d¨¦veloppement de l¡¯Afrique (NEPAD), une branche de l¡¯UA charg¨¦e de la mise en ?uvre des projets, affirme que les CER n¡¯ont pas les moyens de mettre en ?uvre des projets.

La ZLEC pourrait changer la situation ¨¦conomique de l¡¯Afrique, mais des inqui¨¦tudes subsistent quant au fait que la mise en ?uvre pourrait ¨ºtre le maillon le plus faible de l¡¯accord.

Dans le m¨ºme temps, les dirigeants africains et les experts en d¨¦veloppement consid¨¨rent la cr¨¦ation d¡¯une zone de libre-¨¦change comme une r¨¦alit¨¦ in¨¦vitable. ? Nous devons mobiliser la volont¨¦ politique n¨¦cessaire pour que la Zone de libre-¨¦change continentale africaine devienne enfin une r¨¦alit¨¦ ?, a d¨¦clar¨¦ Moussa Faki Mahamat, pr¨¦sident de la Commission de l¡¯UA, lors du lancement ¨¤ Kigali.? ?