Les Africains pauvres mettent les prêts à profit
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Les Africains pauvres mettent les prêts à profit
La microfinance profite-t-elle au développement économique ? Quand on lui pose la question, James Mwangi, Directeur général de la banque kenyane Equity Bank, répond affirmativement. Grâce à des prêts même modestes, “nous avons vu des familles progresser de la micro-entreprise à la petite entreprise”, déclare-t-il à Afrique Renouveau.
La microfinance est un type de crédit qui s’adresse aux personnes à bas revenus. La situation n’est pas nouvelle. Depuis les années 1970, des organisations non gouvernementales accordent de petits prêts aux plus pauvres, spécialement aux femmes et aux acteurs de l’économie parallèle, pour leur permettre de satisfaire des besoins essentiels et de lancer ou d’élargir un commerce.
Mais un nombre croissant d’investisseurs individuels et institutionnels dans le monde placent de plus en plus d’argent dans ce secteur, rapporte le Groupe consultatif d’aide aux populations les plus pauvres (CGAP), un organisme affilié à la Banque mondiale qui collabore avec les gouvernements pour offrir des possibilités de crédit aux plus défavorisés.
Traditionnellement, les prêts de microfinancement, qui se situent habituellement entre 20 et 300 dollars, provenaient d’organisations non gouvernementales (ONG). La plupart de ces organismes n’avaient pas le statut d’institution financière et dépendaient généralement pour offrir leurs prêts des contributions de bailleurs de fonds.
La Banque Grameen du Bangladesh, le premier organisme privé à pratiquer le microcrédit sur une large échelle, a alors fondé un nouveau modèle. Elle a démontré qu’il était possible de prêter à des millions de pauvres tout en faisant des bénéfices. Elle a aussi montré que les plus pauvres peuvent avoir l’esprit d’entreprise et être solvables.
Au cours des deux dernières décennies, la microfinance a dépassé le simple stade du prêt. Selon le CGAP, le terme se réfère aujourd’hui à “la banque de détail pour les plus pauvres”, et comprend les assurances et d’autres services ainsi que des innovations comme la banque mobile.
La demande a aussi énormément augmenté, bien au-delà de ce que les crédits disponibles peuvent satisfaire. Une étude de 2007 de la banque allemande Deutsche Bank note que si la microfinance représente dans le monde 4,4 milliards de dollars d’investissements, les besoins se montent en réalité à environ 250 milliards. Cette demande a fait de la microfinance une alternative intéressante pour les investisseurs à la recherche de nouveaux instruments financiers qui ne soient pas liés à des marchés financiers mondiaux de plus en plus volatiles. Cet intérêt a non seulement rendu disponibles des sommes plus importantes, il a aussi permis d’offrir plus largement des services financiers et de crédit aux plus pauvres, spécialement aux femmes (voir article).
Garantir les prêts
Donna Katzin, de l’organisme de prêt à but non lucratif Shared Interest établi à New York, explique que les garanties de prêts ont été une des innovations les plus réussies dans ce secteur. Shared Interest a suivi la voie tracée par l’organisme suisse Recherches et Applications de Financements Alternatifs au Développement (RAFAD), qui garantit depuis les années 1980 des prêts que les banques commerciales accordent à des entreprises et des projets de microfinance.
En garantissant ces prêts, RAFAD et Shared Interest ont considérablement réduit les risques que les banques commerciales assument quand elles prêtent à des particuliers ou à des groupes sans capacités de nantissement ou antécédents de crédit. L’engagement impliqué par la garantie — que RAFAD ou Shared Interest couvriront une partie des pertes en cas de défaillance de l’emprunteur — encourage les banques non seulement à accorder de tels prêts, mais aussi à y consacrer de plus larges sommes qu’elles ne le feraient normalement. En deux décennies, RAFAD et son Fonds International de Garantie ont offert 53 millions de dollars de garanties portant sur quelque 212 millions de dollars de crédits. Le fonds a créé à travers le monde 260 000 emplois en petite entreprise au bénéfice d’environ 1 million de personnes.
Etant un organisme à but non lucratif, Shared Interest maintient ses taux à un bas niveau, mais les prêteurs du secteur privé demandent souvent un rendement supérieur. Pour la plupart des emprunteurs pauvres, même des taux d’intérêt atteignant 20 à 30 % restent inférieurs aux taux exorbitants habituellement exigés par les usuriers qui sont souvent les seules sources de crédit existantes Les investisseurs dans la microfinance peuvent donc obtenir des rendements beaucoup plus élevés que ceux offerts par d’autres placements traditionnels.
Un secteur en expansion
Attirés par ce potentiel, des entreprises privées comme MicroVest, un fonds d’investissement en microfinance américain, ont investi 1 million de dollars dans l’organisme de microcrédit ghanéen Sanapi Aba Trust. De même, AfriCap Microfinance Fund, formé en 2001, a investi dans 12 organismes de microfinance, entre autres au Ghana, au Kenya, au Sénégal, à Madagascar, au Malawi, au Mozambique, au Nigeria et en Sierra Leone. AfriCap, qui a un capital d’environ 50 millions de dollars, est le premier fonds de capital d’investissement privé africain à être entièrement consacré à la microfinance.
Les résultats ont été remarquables. L’injection par AfriCap et Helios de liquidités dans Equity Bank du Kenya, en échange respectivement de 12 et de 25 % du capital de cette banque, a contribué à transformer ce qui était auparavant un modeste organisme de microcrédit en banque commerciale de premier plan. Elle a aujourd’hui pour clients 2,5 millions de Kényans à bas et moyens revenus et a également pu faire l’acquisition de Uganda Microfinance, le plus grand organisme de ce genre en Ouganda. Les bénéficiaires de cette opération ont été de petites et moyennes entreprises.
En 2004, Equity Bank est devenu le premier organisme de microfinance à faire appel à l’épargne publique. En 2006, elle avait accordé des prêts pour plus de 106 millions de dollars, en grande partie à des femmes. Ceux qui y ont investi en ont tiré de bons bénéfices. “Nous avons constaté un rendement de 7 % sur nos avoirs et connu une croissance de 200 %,” souligne M. Mwangi.
Celui-ci pense que l’intérêt croissant pour la microfinance africaine et la progression des investissements dans ce secteur sont largement le résultat de “perspectives d’investissement qui s’étiolent ailleurs.” Joue aussi “la reconnaissance de plus en plus claire que l’Afrique a franchi un cap. Les gens discernent des perspectives d’avenir en Afrique, et se positionnent stratégiquement pour tirer parti de la croissance que connaît le continent.”
Des partenariats qui font naître l’espoir
Avec le double objectif de faire des bénéfices et d’aider les plus pauvres à avoir accès à des services financiers, les entreprises privées forment de plus en plus de partenariats avec les organismes donateurs afin d’investir conjointement dans la microfinance. Ces partenariats sont conformes à l’esprit du Consensus de Monterrey par lequel des chefs d’Etat et de gouvernement du monde entier s’étaient mis d’accord sur les priorités de financement du développement. Ces dirigeants avaient reconnu l’importance de la microfinance et s’étaient engagés à promouvoir “les innovations financières du secteur privé et les partenariats public-privé.” Ils avaient exprimé l’espoir que de tels partenariats renforceraient la capacité des institutions financières nationales à servir les secteurs de la population jusque-là négligés, comme les habitants des campagnes et les femmes. Selon les estimations du CGAP, ces deux marchés représentent deux tiers des usagers de la microfinance dans le monde.
GroFin Africa Fund est l’un de ces partenariats public-privé. Avec des avoirs d’à peu près 150 millions de dollars, GroFin est un consortium qui rassemble entre autres le Fonds africain de développement, la Société financière internationale du groupe de la Banque mondiale (SFI), la fondation Deutsche Bank Americas, Skoll, Syngenta et la fondation Shell. Il envisage d’investir directement dans environ 500 petites et moyennes entreprises (PME) au Kenya, en Tanzanie, en Ouganda, au Rwanda, au Ghana, au Nigeria et en Afrique du Sud.
Business Partners International (BPI) du Kenya est un consortium similaire. Il inclut la SFI, la Banque européenne d’investissement, la Banque d’investissement pour l’Afrique de l’Est et les fonds de capital d’investissement privé kényans Tran Century et CDC group. En février 2006, BPI a mis en place un fonds de 14,1 millions de dollars. Le fonds prend des biens en garantie comme nantissement quand cela est possible afin de parer aux risques de défaillance. Cependant, quand les candidats à l’emprunt n’ont pas les moyens d’offrir ces garanties, les décisions sont basées sur “la viabilité de l’entreprise,” a déclaré à la presse locale Sally Gitonga, responsable principale des investissements à BPI.
Retard sur les prévisions
En dépit du volume croissant des moyens engagés par le secteur privé et les bailleurs de fonds qui font leur entrée sur le secteur en Afrique, “la microfinance africaine a un retard d’au moins cinq ans par comparaison avec l’Asie du Sud ou l’Amérique latine,” a déclaré à une publication destinée aux investisseurs Sasidhar Thumuluri, analyste chez MicroVest.
Mme Katzin note que pour que des initiatives comme celles de Shared Interest réussissent, “il faut un système bancaire officiel qui dispose de suffisamment de capitaux et qui puisse utiliser des lettres de crédit internationales.” Le succès sera difficile à obtenir “là où les réglementations ne présentent pas un environnement favorable,” a-t-elle confié à Afrique Renouveau.
Les défaillances des emprunteurs sont un autre sujet de préoccupation. Mme Katzin affirme qu’une assistance technique est cruciale quand des clients ont des difficultés, pour les aider à obtenir de meilleurs résultats et à réduire les risques pour les investisseurs. En fournissant cette aide, Shared Interest a maintenu le taux de défaillance sur ses prêts à 3,2 %.
Pour s’assurer encore plus des moyens apportés par les investisseurs, Shared Interest a aussi mis en place un fonds de réserve pour absorber ses pertes. “Nous ne fuyons pas le risque, dit Mme Katzin. Nous gérons le risque. Si les gens ne payent pas, nous utilisons notre fonds de réserve pour compenser le manque à gagner. Jusqu’à présent, aucun investisseur n’a perdu même un centime de son principal.”
Trop pauvres pour emprunter
Tout le monde n’est pas prêt pour le crédit, reconnaît Mme Katzin. Certains sont si pauvres qu’emprunter pourrait les plonger encore plus profondément dans la dette et la pauvreté au lieu de les aider. Parce que ces groupes sont extrêmement vulnérables, les bailleurs de fonds doivent continuer à leur fournir un soutien sous forme de subventions. “Il y a des pays où l’on ne recommanderait pas un système de prêts, parce que la pauvreté y est tellement enracinée, explique-t-elle. Dans ces endroits, il faut d’abord des subventions, pour permettre aux gens de se débrouiller seuls, avant de pouvoir passer à d’autres formes de capital."
M. Mwangi est d’accord : “Vous devez d’abord aider les ménages à faire face au coût de la vie. Ensuite vous voyez que les enfants restent plus longtemps à l’école et que l’état de santé de la famille s’améliore. C’est seulement alors que la famille peut être à même d’épargner et aussi de consommer plus largement."
M. Mwangi croît qu’une fois qu’une famille a la capacité d’épargner, la microfinance peut l’aider à atteindre des objectifs plus ambitieux, comme d’utiliser le crédit pour la création ou l’expansion d’une entreprise. “C’est à ce point que la croissance économique démarre.”