La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, ? un document court, composé de 30 articles [...] a probablement eu un plus grand impact sur l’humanité que tout autre document dans l’histoire des Nations Unies moderne ?, a dit en 2008 Navi Pillay, Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies alors en fonction. En décembre 1966, il y a un demi-siècle, les Nations Unies ont officiellement transformé les promesses rhétoriques de cette déclaration en des obligations juridiquement contraignantes en adoptant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Depuis, les efforts déployés au niveau mondial pour surveiller et suivre les violations des droits de l’homme se sont intensifiés.

Toutefois, les violations continuent de sévir. Alors que le système conventionnel des droits de l’homme célèbre son cinquantième anniversaire, comment pouvons-nous concilier une architecture mondiale de plus en plus sophistiquée pour surveiller les violations des droits de l’homme et la réalité des violations persistantes dans le monde ? Le système conna?t-il une crise de la cinquantaine ?

Certains gouvernements semblent s’appuyer sur des systèmes fondamentalement hostiles aux droits de l’homme fondamentaux. Les démagogues exploitent l’anxiété des populations, alimentent les divisions et justifient les politiques qui violent les droits comme mesures nécessaires pour répondre à la menace terroriste, lutter contre la toxicomanie ou réduire la migration. Les violations s’intensifient également en temps de guerre, comme l’a indiqué la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne dans son rapport de février 2016 sur les tortures des détenus politiques ainsi que la Commission des droits de l’homme au Soudan du Sud suite à une visite en décembre dans le pays où les violences sexuelles avaient atteint des proportions alarmantes.

Si les remarques faites par Navi Pillay en 2008 annon?aient le développement d’un système des droits de l’homme fondé sur des règles, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme actuel, Zeid Ra’ad Al Hussein, a exprimé son inquiétude sur l’érosion du système. ? Dans trop de pays, les défenseurs des causes nobles et justes font face à des fanatiques qui cherchent à gagner ou à garder le pouvoir en utilisant des préjugés et la tromperie au détriment des populations les plus vulnérables ?, a-t-il mis en garde dans son discours prononcé en septembre 2016, lors du Sommet des Nations Unies pour les réfugiés et les migrants.

Le? Secrétaire? généra l? des? Nations? Unies? António Guterres est allé plus loin : ? L’ONU a été créée pour prévenir la guerre en nous unissant tous au sein d’un ordre mondial fondé sur des règles. Aujourd’hui, cet ordre est menacé. ?

Il est difficile de ne pas s’inquiéter lorsque l’on voit la torture revendiquée par une précédente administration américaine, l’exploitation de la haine et de l’intolérance pendant la récente campagne présidentielle dans ce pays ainsi que l’influence croissante des partis politiques d’opposition à l’immigration en Europe. Ces développements ont mis tout le système en danger. Lorsqu’un ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture a récemment demandé aux autorités gambiennes l’autorisation de visiter les prisons, elles lui ont demandé pourquoi il n’allait pas plut?t à Guantánamo.

Mais il est important de se souvenir qu’en signant les deux Pactes complémentaires et imbriqués et en les ratifiant, les gouvernements mondiaux se sont engagés à respecter, à protéger et à satisfaire les droits de l’homme fondamentaux et inaliénables de tous. Par ces deux documents, les dirigeants ont accepté d’être tenus responsables non seulement envers les attentes de leurs propres citoyens, mais aussi envers la norme universelle de la communauté internationale. Le système international chargé de suivre et de surveiller la situation des droits de l’homme offre un moyen important de tenir les gouvernements responsables face à leurs engagements. En effet, au cours des quatre décennies qui ont suivi la mise en vigueur des Pactes en 1976, les mécanismes mondiaux chargés d’évaluer la situation des droits de l’homme sont devenus courants dans le paysage international.

Du travail des experts sur les organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, comme le Comité des droits économiques, sociaux et culturels et le Comité des droits de l’homme, au récent Examen périodique universel de la situation des droits de l’homme de tous les pays par le Conseil des droits de l’homme, une structure globale importante a été mise en place pour évaluer, surveiller et critiquer les violations des droits de l’homme.

Au niveau régional, en Europe, en Amérique latine et en Afrique, des mécanismes identiques existent pour tenir les ?tats responsables lorsqu’ils ne respectent pas leurs obligations. Des militants soudanais ont déposé une plainte contre leur Gouvernement auprès de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. En juillet 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Pologne à verser 100 000 euros à deux hommes pour sa complicité dans la détention arbitraire et les sévices infligés par l’Agence centrale de renseignements des ?tats-Unis.

Au niveau national, les institutions des droits de l’homme, comme la Commission australienne des droits de l’homme ou la Commission sud-africaine des droits de l’homme, ont contribué à institutionnaliser et à promouvoir les droits de l’homme. Les tribunaux nationaux, comme la Cour suprême de l’Inde et la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, se sont fondés sur les obligations internationales énoncées dans les Pactes pour étayer leur propre raisonnement afin de développer et d’étendre la protection des droits de l’homme dans leur propre système national.

Le développement le plus important, même au niveau local, tient peut-être au fait que le discours sur les droits de l’homme est devenu une chose courante. Aux ?tats-Unis, la famille de Michael Brown, un Noir non armé qui a été tué par un policier, a choisi de soumettre une déclaration écrite sur la mort de leur fils au Comité contre la torture des Nations Unies. Les groupes autochtones, comme le peuple U’wa en Colombie, les Premières Nations au Canada et le peuple Ogoni au Nigéria ont tous adopté le cadre en matière de droits de l’homme pour faire avancer leur cause. Pour reprendre les paroles célèbres d ’Eleanor Roosevelt : ? Où commencent les droits de l’homme universels, après tout ? Ils commencent près chez soi, dans des lieux si proches, si petits qu’on ne peut les voir sur aucune carte du monde […] Si dans ces lieux les droits sont dénués de sens, ils n’en auront guère davantage ailleurs. Si chacun ne fait pas preuve du civisme nécessaire pour qu’ils soient respectés dans son entourage, il ne faut pas s’attendre a? des progrès a? l’échelle du monde. ?

Alors que le discours et les mécanismes de surveillance en matière de droits de l’homme sont indéniablement davantage ancrés, les gouvernements autoritaires sont devenus aussi plus efficaces a? saisir, manipuler et exploiter le système pour leur propre bénéfice.

Les entreprises, bien que n’étant pas directement liées aux Pactes, ont la responsabilité de promouvoir les droits de l’homme et de les protéger. Dans certains cas, leur connaissance en matière de normes sur leur responsabilité et leur habilité a? travailler au sein de son architecture peuvent les protéger contre des critiques justifiées. La Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale dédiée aux prêts au secteur privé, a investi des millions dans le secteur théier de l’Inde par l’intermédiaire du Groupe Tata, malgré de vives préoccupations concernant les droits de l’homme et les conditions de travail dans les plantations qui ont re?u ces investissements.

Une enquête de conformité a, par la suite, montré que la SFI avait accordé une trop grande confiance a? la réputation du Groupe Tata et déclaré son intention de satisfaire aux normes externes de certification au lieu d’effectuer un examen indépendant des préoccupations liées a? l’environnement et aux droits de l’homme, alors même que les politiques de la SFI requièrent une supervision des règles de conduite. Il semble, au moins dans ce cas, que les garanties prévues dans les systèmes de diligence de la SFI ont été contournées par de beaux discours sur le respect des normes qui sont en porte-a?-faux avec la réalité. La même chose s’est produite au niveau intergouvernemental. Lorsque, en 2013, l’Arabie saoudite s’est portée candidate a? l’élection pour siéger au Conseil des droits de l’homme, son Gouvernement s’est engagé a? ? soutenir les organes et les mécanismes des droits de l’homme des Nations Unies et a? coopérer de manière constructive avec eux, en particulier avec le Conseil des droits de l’homme et ses mécanismes subsidiaires ?. En réponse, Human Rights Watch et Amnesty International ont, ensemble, appelé l’Assemblée générale des Nations Unies a? suspendre ce pays du droit de siéger indiquant les violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme commis lorsqu’il en était membre et soulignant qu’il avait profité de sa position pour se désengager de ses responsabilités vis-a?-vis des violations commises au Yémen.

Les auteurs de violation n’ont pas besoin de siéger dans des organismes mondiaux pour bénéficier de la couverture diplomatique offerte par le système. Au Conseil de sécurité des Nations Unies, la République populaire démocratique de Corée a échappé a? la critique malgré la situation horrible des droits de l’homme dans ce pays. En décembre 2016, lorsque neuf membres du Conseil ont demandé a? discuter de la situation des droits de l’homme dans ce pays, un membre permanent du Conseil a imposé un vote de procédure arguant que le Conseil de sécurité n’était ? pas une tribune pour discuter des droits de l’homme et encore moins de la politisation de cette question ?. L’opposition a? ces discussions a limité la surveillance des droits de l’homme au sein du Conseil de sécurité a? une seule réunion annuelle et empêché toute conclusion officielle.

Alors que les organes conventionnels de surveillance des traités sont essentiels, l’élaboration de normes a des limites si les ?tats ne s’engagent pas fermement a? les appliquer. Les ?tats qui ont ratifié les Pactes ont la responsabilité collective de protéger ces principes fondamentaux en tenant responsables les ?tats qui commettent des violations et en collaborant malgré les divergences régionales et politiques en vue de traiter des questions mondiales, comme la migration, le contre-terrorisme et la montée de la xénophobie.

Alors que nous réfléchissons au système des organes conventionnels mis en place il y a 50 ans, il est clair que la construction d’une architecture sophistiquée pour surveiller et suivre les violations des droits de l’homme ne suffit pas pour y mettre fin. En de trop nombreux lieux, le discours ne correspond pas a? la réalité. Après avoir assisté a? une séance du Comité des Nations Unies contre la torture et répondu a? des questions sur des allégations de torture par ses membres, la délégation burundaise ne s’est pas présentée a? la deuxième réunion où elle devait fournir des réponses. Au lieu, elle a envoyé une note verbale qui réitérait son engagement a? coopérer avec les organes conventionnels des droits de l’homme tout en déclarant qu’il était contre-productif d’avancer des allégations ? comme le faisait le Comité ?. Dans d’autres lieux, les recommandations? des experts mandatés par les organes conventionnels sont ignorés. Bien que les activistes soudanais aient déposé une plainte auprès de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et obtenu un jugement, la mise en ?uvre est encore loin d’être acquise.

Certains semblent se livrer sans vergogne a? des violations et cherchent même a? renforcer leur pouvoir en exploitant les condamnations émises par le système international des droits de l’homme a? des fins de recrutement ou utilisent leur réputation comme dissuasion, convaincus qu’aucune action ne sera prise a? leur encontre. Pourtant, sans ces systèmes qui ont pour fonction de suivre et de sur veiller les violations, l’espoir? de voir la justice rendue et la responsabilité des ?tats engagée serait encore plus amoindri. Si des efforts n’étaient? pas faits pour recueillir des preuves et identifier les comportements abusifs en violation des obligations internationales, les victimes n’auraient aucun moyen de demander justice.

Même loin d’être parfait, le simple fait de sur veiller des violations et de les appeler par leur nom a une force indéniable. ? ?

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