En novembre 2008, l'ancien Pr¨¦sident nig¨¦rian Olusegun Obasanjo, cherchant des moyens d'att¨¦nuer la crise qui s¨¦vissait dans l'est de la R¨¦publique d¨¦mocratique du Congo (RDC), a essuy¨¦ de nombreuses critiques apr¨¨s avoir appel¨¦ le G¨¦n¨¦ral congolais, Laurent Nkunda, ? mon fr¨¨re ?. Laurent Nkunda ¨¦tait accus¨¦ de crimes de guerre par le Gouvernement congolais et faisait l'objet d'une enqu¨ºte de la Cour p¨¦nale internationale (CPI) ¨¤ La Haye. Je dirigeais alors l'¨¦quipe des Grands lacs du D¨¦partement des op¨¦rations de maintien de la paix ¨¤ New York et supervisais la Mission de l'Organisation des Nations Unies en R¨¦publique d¨¦mocratique du Congo (MONUC) et le Bureau int¨¦gr¨¦ des Nations Unies au Burundi (BINUB). Laurent Nkunda occupait une grande partie de mes pens¨¦es.

Quelques mois avant, ¨¤ la fin du mois d'ao?t, des affrontements entre les troupes de Laurent Nkunda - les rebelles du Congr¨¨s national pour la d¨¦fense du peuple (CNDP) -- et l'arm¨¦e nationale - les Forces arm¨¦es de la R¨¦publique d¨¦mocratique du Congo (FARDC) - ont mis fin au cessez-le-feu qui avait ¨¦t¨¦ mis en place apr¨¨s la signature le 23 janvier 2008 d'un accord de paix entre le Gouvernement congolais, le mouvement de Laurent Nkunda et les groupes arm¨¦s dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu. Le regain des hostilit¨¦s a rouvert aussi une plaie r¨¦gionale de longue date : Laurent Nkunda a affirm¨¦ que ses forces prot¨¦geaient la minorit¨¦ tutsie des Kivu contre les Forces d¨¦mocratiques de la Lib¨¦ration du Rwanda (FDLR), le mouvement rebelle issu de la milice hutue Interahamwe qui avait fui la RDC en 1994 apr¨¨s avoir orchestr¨¦ le g¨¦nocide au Rwanda qui a fait environ 800 000 victimes, dont la majorit¨¦ ¨¦tait des Tutsis.

Malgr¨¦ les grands discours de Laurent Nkunda sur la protection, les forces du CNDP ont balay¨¦ le pays, s'emparant de vastes ¨¦tendues de terres fertiles et riches en min¨¦raux. Les unit¨¦s des FARDC (une arm¨¦e composite de soldats entra¨ªn¨¦s et d'¨¦l¨¦ments indisciplin¨¦s des anciens groupes rebelles qui avaient sign¨¦ divers accords) n'ont pas r¨¦sist¨¦ face aux troupes mieux entra¨ªn¨¦es et mieux organis¨¦es du CNDP. En deux mois, les combats ont fait plusieurs centaines de milliers de victimes parmi la population civile du Nord-Kivu. Des viols ont ¨¦t¨¦ commis par les soldats des diverses forces, celles du CNDP ayant particuli¨¨rement mis un point d'honneur ¨¤ tuer des civils, laissant derri¨¨re elles des populations terroris¨¦es.

Bien que Laurent Nkunda ait d¨¦clar¨¦ un cessez-le-feu unilat¨¦ral le 29 octobre, vu la fragilit¨¦ de la situation et le fait que la MONUC ¨¦tait d¨¦bord¨¦e, tout ¨¦tait sujet ¨¤ discussion : une demande du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral Ban Ki-moon au Conseil de s¨¦curit¨¦ pour autoriser l'envoi de 3 000 soldats et policiers suppl¨¦mentaires pour emp¨ºcher les combats; une demande de l'Union europ¨¦enne pour envoyer une force militaire provisoire au Nord-Kivu; ou encore l'envoi d'un Envoy¨¦ sp¨¦cial de haut niveau dans la r¨¦gion pour conclure un accord de paix ¨¤ long terme. Beaucoup craignaient qu'une escalade de la violence ne fasse intervenir d'autres acteurs dans la r¨¦gion.

Lorsque le CNDP a menac¨¦ d'entrer dans Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, il ¨¦tait urgent de trouver un n¨¦gociateur de haut niveau pour que Laurent Nkunda accepte de participer aux n¨¦gociations. Il fallait une personne qui jouisse du respect des autorit¨¦s congolaises ainsi que des autres gouvernements r¨¦gionaux et envers qui Laurent Nkunda ne pouvait se montrer trop irrespectueux. C'est dans ce contexte que le Pr¨¦sident Obasanjo a fait son entr¨¦e, une fois que le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral l'a nomm¨¦ son Envoy¨¦ sp¨¦cial pour les Grands lacs. Le Pr¨¦sident Obasanjo s'est rendu dans la r¨¦gion pour inciter les divers pr¨¦sidents ¨¤ s'engager ¨¤ d¨¦samorcer les tensions croissantes. Sa rencontre avec Laurent Nkunda a toutefois suscit¨¦ des critiques. L'image du Pr¨¦sident Obasanjo et de Laurent Nkunda, marchant c?te ¨¤ c?te comme des amis de longue date, a d¨¦plu ¨¤ de nombreux Congolais; certains ont adress¨¦ au Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral Ban Ki-moon une p¨¦tition demandant qu'Obansajo soit remplac¨¦. Un grand nombre de Congolais estimaient que la communaut¨¦ internationale avait comme responsabilit¨¦ morale de marginaliser Laurent Nkunda, pas de lui tendre la main. Et l'image du Pr¨¦sident Obasanjo passant les troupes du CNDP en revue n'a fait que jeter du sel sur la plaie. Les d¨¦tracteurs estimaient que cet honneur ¨¦tait r¨¦serv¨¦ aux arm¨¦es, et non pas ¨¤ ce qu'ils consid¨¦raient comme une milice qui semait la terreur, et qu'il donnait ¨¤ Laurent Nkunda une l¨¦gitimit¨¦ qu'il ne m¨¦ritait pas.

La strat¨¦gie d'Obasanjo ¨¦tait d'amener Laurent Nkunda ¨¤ n¨¦gocier dans des termes qu'il pouvait accepter. Cette strat¨¦gie l'a plac¨¦ dans le r?le du grand fr¨¨re ayant des solides r¨¦f¨¦rences : Obasanjo s'est fait les dents en RDC en octobre 1960 comme jeune soldat dans la premi¨¨re mission de maintien de la paix de l'ONU lorsque Dag Hammarskj?ld ¨¦tait Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral. Il a acc¨¦d¨¦ au rang de g¨¦n¨¦ral dans le pays le plus peupl¨¦ d'Afrique, a ¨¦t¨¦ chef d'?tat deux fois et connaissait bien le jeu de la politique, de la guerre et de la diplomatie.

? ce moment-l¨¤, les affrontements au Nord-Kivu avaient provoqu¨¦ le d¨¦placement de 25 000 personnes et les victimes civiles ¨¦taient nombreuses. Obasanjo pouvait discuter de ces questions, critiquant vivement Nkunda pour avoir cr¨¦¨¦ une crise humanitaire tout en insistant sur le texte de l'accord qu'il fallait conclure - principalement le maintien du cessez-le-feu, la recherche d'une paix g¨¦n¨¦rale dans la r¨¦gion, l'examen des causes profondes du conflit et l'acc¨¨s ¨¤ l'aide humanitaire. En s'adressant ¨¤ Nkunda aussi en tant que soldat, en faisant appel ¨¤ sa fiert¨¦ professionnelle en qualit¨¦ de g¨¦n¨¦ral et en lui rappelant son r?le en tant que dirigeant congolais, il a r¨¦ussi ¨¤ le motiver pour qu'il coop¨¨re. Finalement, les n¨¦gociations men¨¦es par le Pr¨¦sident Obasanjo ont permis l'ouverture de couloirs humanitaires afin d'atteindre les populations vuln¨¦rables, une am¨¦lioration dans les relations r¨¦gionales, la mise en place d'un dialogue entre le CNDP et le Gouvernement de la RDC ainsi que d'un processus d'int¨¦gration du CNDP dans les FARDC, ce qui, il faut pr¨¦ciser, ne s'est pas fait sans difficult¨¦. Pour Obasanjo, cependant, ce n'¨¦tait pas l'image projet¨¦e qui importait mais le contenu; c'¨¦tait un faible prix ¨¤ payer si l'objectif ¨¦tait la paix. ? Le maintien d'un cessez-le-feu, c'est comme le tango ?, a d¨¦clar¨¦ Obasanjo. ? Il faut ¨ºtre deux pour le danser. ?

Comme le tango, n¨¦gocier avec les rebelles pour sauver des vies est une t?che complexe, difficile et d¨¦licate ¨¤ laquelle j'ai particip¨¦ plus d'une fois en RDC pendant les derniers jours de la p¨¦riode sanglante, qu'on appelle souvent ? la premi¨¨re guerre mondiale de l'Afrique ?, o¨´ huit nations ont combattu sur le sol de ce pays. Je me suis rendue en RDC en 2002 et ai trouv¨¦ un pays enti¨¨rement balkanis¨¦, avec un Gouvernement ¨¤ Kinshasa contr?lant l'ouest et divers groupes rebelles d¨¦fendant leurs territoires ¨¤ l'est. Pr¨¨s de la moiti¨¦ du pays ¨¦tait sous le contr?le du Rassemblement congolais pour la d¨¦mocratie-Goma (RCD-G). Les violents combats qui faisaient rage au Nord-Kivu et au Sud-Kivu ainsi que dans la province de l'Ituri ont fait des milliers de victimes parmi la population civile, un nombre encore plus important de bless¨¦s et provoqu¨¦ le d¨¦placement de 2,7 millions de personnes - un nombre qui allait atteindre 3,4 millions. Seul le personnel international de l'ONU pouvait traverser la RDC d'est ¨¤ l'ouest sans avoir ¨¤ remplir d'innombrables formalit¨¦s administratives et sans susciter la suspicion. La MONUC, alors de plus petite taille, comprenait environ 4 300 soldats, observateurs militaires et policiers. J'ai ¨¦t¨¦ engag¨¦e par le Repr¨¦sentant sp¨¦cial du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral alors en poste, Namanga Ngongi, pour diriger une section des affaires humanitaires en difficult¨¦ de la mission.

Le mandat de la MONUC ¨¦tait entre autres de faciliter l'aide humanitaire. Toutefois, pour que la Mission r¨¦ussisse, il ¨¦tait n¨¦cessaire que la Section des affaires humanitaires interpr¨¨te le terme ? faciliter ? de fa?on plus large qu'avant de fa?on ¨¤ inclure la protection des civils. Trois ¨¦l¨¦ments en faisaient partie :

1 r¨¦pondre aux besoins essentiels des personnes vuln¨¦rables en apportant un appui plus concret aux acteurs humanitaires et accro¨ªtre leurs moyens pour qu'ils touchent les populations cibles.

2 prot¨¦ger la population civile contre les actes de violence par l'¨¦change d'informations actualis¨¦es et exploitables et ¨ºtre pr¨ºt ¨¤ agir de mani¨¨re appropri¨¦e;

3 entreprendre des n¨¦gociations, chaque fois que n¨¦cessaire, pour atteindre ces objectifs.

La r¨¦sistance et les craintes initiales que les activit¨¦s du personnel humanitaire de la MONUC fassent double emploi avec celles des autres acteurs humanitaires se sont vite dissip¨¦es. Les besoins ¨¦taient si grands et les capacit¨¦s si limit¨¦es dans ce vaste pays que nous ne pouvions esp¨¦rer nous attaquer aux probl¨¨mes que si toutes les ressources ¨¦taient augment¨¦es, y compris celles de la MONUC. J'ai demand¨¦ aux organisations non gouvernementales (ONG) locales et internationales ainsi qu'aux organismes de l'ONU un soutien logistique plus important, y compris pour le transport du personnel et des marchandises. Ce soutien ¨¦tait crucial dans une RDC balkanis¨¦e - l'une des plus grandes crises humanitaires dans le monde et o¨´, paradoxalement, l'aide humanitaire ¨¦tait en diminution. La MONUC avait la capacit¨¦ de fournir, sans frais ou avec des frais limit¨¦s, une aide cruciale qui pouvait mobiliser les ressources de nos partenaires, leur permettant de mieux aider les populations qui souffraient.

Il fallait une Section des affaires humanitaires qui ne se limite pas au soutien logistique, ¨¤ la surveillance et ¨¤ l'¨¦tablissement des rapports. J'ai propos¨¦ d'utiliser des projets ¨¤ impact rapide dot¨¦s d'objectifs humanitaires, de cr¨¦er des r¨¦seaux de communication et de s¨¦curit¨¦ avec les partenaires ONG/ONU, de n¨¦gocier l'acc¨¨s humanitaire, de persuader nos coll¨¨gues militaires de prot¨¦ger les missions d'¨¦valuation ONU/ONG/MONUC et les convois humanitaires lorsqu'ils en faisaient la demande ainsi que d'am¨¦liorer la coordination civilo-militaire et l'¨¦change d'informations. Nous avons ¨¦galement demand¨¦ que les militaires interviennent dans davantage de situations, r¨¦pondent plus rapidement lorsque la vie des civils ¨¦tait en danger et redoublent d'efforts pour soutenir nos partenaires de l'ONU et des ONG lorsqu'ils ¨¦taient en danger. M¨ºme si le succ¨¨s n'¨¦tait pas toujours certain, les critiques les plus virulents sur l'inefficacit¨¦ de la MONUC, en particulier les ONG locales et la soci¨¦t¨¦ civile congolaise, ont r¨¦agi dans l'ensemble positivement. Nous avons eu la chance que le Repr¨¦sentant sp¨¦cial du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral et la Repr¨¦sentante sp¨¦ciale adjointe du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral, Lena Sundh, ont d¨¦fendu la cause de la mission humanitaire et ont compris que contribuer ¨¤ am¨¦liorer les conditions des travailleurs humanitaires et, par cons¨¦quent, de ceux qu'ils servaient, ¨¦tait important.

C'est dans ce contexte qu'en d¨¦cembre 2002, le Repr¨¦sentant sp¨¦cial du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral Ngongi a dirig¨¦ une mission ¨¤ Bunia, la capitale de la province de l'Ituri, au nord-est de la RDC, avec le Directeur de pays du Programme alimentaire mondial (PAM), le chef du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (BCAH) en RDC, la Commission europ¨¦enne et moi-m¨ºme. Nous ¨¦tions venus pour n¨¦gocier sur des questions o¨´ la vie des personnes ¨¦tait en jeu. Le chef de guerre Thomas Lubanga (qui est actuellement jug¨¦ ¨¤ la Haye apr¨¨s avoir ¨¦t¨¦ inculp¨¦ par la Cour p¨¦nale internationale) refusait de laisser le PAM - l'acteur le plus important et probablement le plus crucial dans la r¨¦gion - acheminer l'aide humanitaire ¨¤ plus de 500 000 personnes d¨¦plac¨¦es ¨¤ moins que l'organisation n'utilise une compagnie de transport a¨¦rien appartenant ¨¤ son groupe ethnique Hema. Cette impasse a conduit le mouvement rebelle de Lubanga, l'Union des patriotes congolais (UPC), ¨¤ imposer un embargo sur tous les vols humanitaires en direction de Bunia. Certains lieux n'ont re?u aucune assistance pendant plus de trois mois. En outre, le repr¨¦sentant tr¨¨s dynamique du BCAH ¨¤ Bunia avait ¨¦t¨¦ d¨¦clar¨¦ persona non grata et a ¨¦t¨¦ expuls¨¦ de Bunia apr¨¨s avoir essay¨¦ de n¨¦gocier la lib¨¦ration d'un m¨¦decin belge de l'ONG Medair. L'UPC avait accus¨¦ ¨¤ tort Medair d'avoir essay¨¦ d'empoisonner la population, propageant la rumeur incendiaire que les d¨¦sinfectants p¨¦rim¨¦s que Medair avait dans ses stocks ¨¦taient en fait des m¨¦dicaments p¨¦rim¨¦s. Les travailleurs humanitaires se sentaient extr¨ºmement vuln¨¦rables - avec raison, compte tenu du fait qu'ils ¨¦taient constamment menac¨¦s. Dix-huit mois plus t?t, six travailleurs du Comit¨¦ international de la Croix-Rouge avaient ¨¦t¨¦ tu¨¦s dans une ville situ¨¦e pr¨¨s de Bunia.

Une fois que le Repr¨¦sentant sp¨¦cial du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral eut termin¨¦ son expos¨¦, chacun de mes coll¨¨gues ont expliqu¨¦ ¨¤ Thomas Lubanga les questions dont nous allions d¨¦battre. Celui-ci, flanqu¨¦ de son chef d'¨¦tat-major Bosco Ntaganda et d'autres, ont ¨¦cout¨¦, m¨ºme si parfois ils se sont montr¨¦s agressifs et irrespectueux. En tant que chef humanitaire du Repr¨¦sentant sp¨¦cial du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral, ¨¤ chaque fois que j'ai accompagn¨¦ ce dernier ou son adjoint dans une mission comme celle-ci, j'¨¦tais souvent la derni¨¨re ¨¤ prendre la parole. Ce jour-l¨¤ n'a pas ¨¦t¨¦ diff¨¦rent. J'ai dit ¨¤ Thomas Lubanga que je venais aussi d'un pays d¨¦chir¨¦ par la guerre, le Liberia, et que j'avais vu la guerre d¨¦truire des vies, y compris la mort de nombreuses personnes de ma famille. Je lui ai dit que Bunia et l'Ituri semblaient si loin qu'on pensait que personne ne savait ce qui s'y passait, mais que c'¨¦tait faux, que le monde avait son regard riv¨¦ sur lui et que les gens savaient ce qui se passait et en ¨¦taient choqu¨¦s. Je lui ai demand¨¦ ce qu'il voulait faire quand il ¨¦tait jeune et il m'a r¨¦pondu qu'il voulait ¨ºtre pr¨ºtre. Je lui ai dit que ce qui s'est pass¨¦ ¨¤ Bunia, ce qu'il a fait, resteront dans l'histoire, et ai demand¨¦ ¨¤ cet homme qui avait r¨ºv¨¦ d'¨ºtre pr¨ºtre, quelle image il voulait laisser dans l'histoire. Lorsque nous avons tous termin¨¦ nos expos¨¦s, il a assur¨¦ le Repr¨¦sentant sp¨¦cial du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral et les ¨¦quipes de n¨¦gociation que les ONG et l'ONU pourraient mener ¨¤ bien leur mission en toute s¨¦curit¨¦ dans le territoire contr?l¨¦ par l'UPC.

M¨ºme si Thomas Lubanga a par la suite rempli seulement quelques-unes de ses promesses et seulement pendant une p¨¦riode, mon coll¨¨gue, un n¨¦gociateur comp¨¦tent et l'ancien chef du BCAH en RDC, a not¨¦ que mes paroles avaient chang¨¦ le climat dans la pi¨¨ce et cr¨¦¨¦ une ouverture aux n¨¦gociations. Je ne me rappelle pas avoir appel¨¦ Lubanga ? mon fr¨¨re ?, mais j'ai pu le faire. Je l'ai fait par la suite avec d'autres chefs rebelles, y compris le puissant chef du RDC-Goma Adolphe Onusumba tout en n¨¦gociant avec succ¨¨s avec lui pour garantir l'acc¨¨s humanitaire et la lib¨¦ration d'enfants soldats.

Nous avons aussi men¨¦ des n¨¦gociations dans d'autres situations. Je me rappelle que l'¨¦v¨ºque de Butembo, craignant une attaque de la ville, a fait des remarques incendiaires contre la MONUC ¨¤ l'¨¦glise et ¨¤ la radio qui ont conduit ¨¤ plusieurs attaques contre notre personnel, y compris des jets de pierre sur nos v¨¦hicules. Ma chef, la Repr¨¦sentante sp¨¦ciale adjointe du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral, Lena Sundh, a laiss¨¦ clairement entendre ¨¤ l'¨¦v¨ºque que ses d¨¦clarations avaient mis la vie des membres de la mission en danger et sap¨¦ notre travail. Elle l'a aussi assur¨¦ que la MONUC n'allait pas rester les bras crois¨¦s et regarder Butembo tomber. J'ai rappel¨¦ ¨¤ l'¨¦v¨ºque qu'il ¨¦tait l'un des principaux partisans du d¨¦ploiement du personnel de la MONUC ¨¤ Butembo. Montrant du doigt mes coll¨¨ges policiers et civils bangladais et am¨¦ricains pr¨¦sents dans la pi¨¨ce, je lui ai demand¨¦ s'il ¨¦tait pr¨ºt ¨¤ ce que ces personnes soient bless¨¦es ou m¨ºme tu¨¦es ¨¤ cause de son incitation ¨¤ la violence. Je lui ai rappel¨¦ que les nombreuses personnes qui travaillaient dans la MONUC avaient laiss¨¦ leur vie et leur famille dans des pays lointains pour venir en aide au peuple congolais et que de nombreux Congolais faisaient partie du personnel de la MONUC. Peu apr¨¨s notre visite, l'¨¦v¨ºque a communiqu¨¦ de nouveaux messages qui ont imm¨¦diatement calm¨¦ la col¨¨re de la population et ont permis ¨¤ notre personnel de reprendre son travail sans crainte. La pr¨¦sence de Mme Sundh dans la r¨¦gion a r¨¦duit les tensions et les attaque anticip¨¦es contre Butembo ne se sont jamais mat¨¦rialis¨¦es.

Dans le domaine des n¨¦gociations, que ce soit pour l'acc¨¨s humanitaire ou pour la paix, il y a des moments o¨´ tout change et o¨´ un faible espoir luit ¨¤ l'horizon. Dans ses consultations avec Thomas Lubanga, le Pr¨¦sident Obasanjo a compris que briser la glace pouvait ¨ºtre un tournant d¨¦cisif dans les n¨¦gociations. Pour ma part, j'ai compris que chaque rebelle cherchait ¨¤ ¨ºtre respect¨¦ et ¨¤ ce que ses aspirations soient comprises, quels que soient leur bien-fond¨¦ et leur pertinence. Une avanc¨¦e ¨¦tait souvent possible, m¨ºme si c'¨¦tait seulement pour une p¨¦riode limit¨¦e, lorsqu'on r¨¦ussissait ¨¤ toucher le c?ur du chef de guerre qui voulait laisser une bonne image dans l'histoire. La capacit¨¦ d'un n¨¦gociateur ¨¤ nouer une relation avec un rebelle d¨¦terminera souvent si les vies seront sauv¨¦es ou non.

Peut-¨ºtre l'un des moments les plus r¨¦ussis et les plus catalyseurs en mati¨¨re de n¨¦gociations de paix a eu lieu en juillet 2003 lorsqu'un groupe de femmes d¨¦termin¨¦es venant de mon pays, le Liberia, profond¨¦ment frustr¨¦es par la guerre civile d¨¦vastatrice du pays, assistaient aux pourparlers de paix ¨¤ Ghana entre deux groupes rebelles et le gouvernement du chef de guerre Charles Taylor. Lorsqu'elles ont compris que les parties allaient quitter l'h?tel o¨´ se d¨¦roulaient les pourparlers sans parvenir ¨¤ un accord, elles ont fait un sit-in devant l'h?tel. Lorsque les agents de s¨¦curit¨¦ sont venus pour les disperser, elles ont refus¨¦ de partir, mena?ant de se mettre nues jusqu'¨¤ ce qu'un accord soit conclu. L'ancien chef d'?tat nig¨¦rian, qui ¨¦tait le m¨¦diateur des pourparlers de paix, a r¨¦agi vivement lorsqu'un des rebelles a menac¨¦ de battre les femmes qui emp¨ºchaient son d¨¦part. Il lui a dit ? Reviens ¨¤ la table des n¨¦gociations. Si tu ¨¦tais un vrai homme, tu ne tuerais pas ton peuple ?. Sa tactique a march¨¦. L'accord a ¨¦t¨¦ conclu assez rapidement et moins de trois semaines plus tard, un accord de paix a ¨¦t¨¦ sign¨¦. Ces femmes et leurs actions courageuses et non orthodoxes ont consid¨¦rablement contribu¨¦ ¨¤ ce succ¨¨s. Ne se contentant pas d'en rester l¨¤, ces m¨ºmes femmes, apr¨¨s la signature de l'accord de paix, ont mobilis¨¦ leurs s?urs au Liberia pour qu'elles votent et ont jou¨¦ un r?le important dans l'¨¦lection d'Ellen Johson Sirleaf, en novembre 2005, la premi¨¨re femme africaine ¨¤ avoir ¨¦t¨¦ ¨¦lue Pr¨¦sidente, donnant espoir aux femmes des autres pays sortant d'un conflit.