30 d¨¦cembre 2011

Ban Ki-moon a ¨¦t¨¦ nomm¨¦ au poste de Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral des Nations Unies pour un deuxi¨¨me mandat de cinq ans dans son style habituel : la discr¨¦tion. Malgr¨¦ les jeux de pouvoir qui divisent actuellement le Conseil de s¨¦curit¨¦, les 15 membres lui ont apport¨¦ leur soutien et, une semaine plus tard, l'Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale lui a accord¨¦ son accord unanime. C'est la premi¨¨re fois qu'un candidat a ¨¦t¨¦ propos¨¦ sans que cela suscite des controverses parmi les ?tats membres, une r¨¦alisation remarquable pour Ban Ki-moon - qui devrait ¨ºtre salu¨¦e comme une victoire politique majeure.

Pourtant, les d¨¦buts de son premier mandat n'ont pas ¨¦t¨¦ faciles. Les six premiers mois, la presse occidentale ne s'est pas priv¨¦e de le critiquer. ? mi-parcours de son mandat, les opinions n'avaient gu¨¨re chang¨¦. ? Il c¨¨de trop facilement ?, indiquait The Economist, critiquant en particulier son style de direction et de diplomatie peu dynamique.

L'ann¨¦e 2011 a marqu¨¦ un tournant dans sa carri¨¨re politique. Selon Richard Gowan, du Center for International Cooperation de la New York University, les r¨¦sultats obtenus par l'ONU dans le domaine des op¨¦rations de maintien de la paix ont jou¨¦ un r?le d¨¦cisif dans sa r¨¦¨¦lection. En effet, le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral a pris fermement position contre Laurent Gbagbo, le Pr¨¦sident ivoirien sortant, vaincu aux ¨¦lections, lui demandant de c¨¦der le pouvoir. Il a ¨¦galement particip¨¦ ¨¦troitement au suivi du r¨¦f¨¦rendum sur l'autod¨¦termination du Sud-Soudan ainsi qu'aux ¨¦lections controvers¨¦es en Ha?ti. Sa conduite durant la situation volatile dans le monde arabe a ¨¦t¨¦ salu¨¦e par la communaut¨¦ internationale. Selon M. Gowan, les hauts fonctionnaires des Nations Unies ¨¦prouvent d¨¦sor- mais ? un respect nouveau pour son jugement et son courage politiques1 ?.

Comment Ban Ki-moon sera-t-il jug¨¦ au cours de son deuxi¨¨me mandat ¨¤ la t¨ºte de l'organisation mondiale ?uvrant ¨¤ r¨¦aliser la paix et la s¨¦curit¨¦ internationales ? Selon la premi¨¨re version critiqu¨¦e ou selon la deuxi¨¨me version plus favorable ? M¨ºme si une ¨¦tude approfondie nous entra¨ªnerait trop loin du sujet de cet article, je voudrais, afin d'encourager une analyse plus pouss¨¦e, dire quelques mots sur les fonctions centrales du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral. Dans le domaine de la paix et de la s¨¦curit¨¦, il porte plusieurs casquettes : il est g¨¦n¨¦ral des op¨¦rations de maintien de la paix, prince politique de la diplomatie internationale, pape la?c des valeurs de la Charte et Pr¨¦sident-directeur g¨¦n¨¦ral d'une bureaucratie internationale complexe. Tous ces r?les sont compl¨¦mentaires et li¨¦s entre eux, mais par souci de clart¨¦, cet article traitera chacun s¨¦par¨¦ment.

Apr¨¨s cinq ans ¨¤ son poste, il semble ¨¦vident que Ban Ki-moon a une pr¨¦f¨¦rence marqu¨¦e pour la casquette de diplomate international, et il la porte de mani¨¨re discr¨¨te. Depuis sa prise de fonctions, ses d¨¦clarations et ses actions indiquent une r¨¦orientation intentionnelle du maintien de la paix vers l'¨¦tablissement de la paix. Il a pass¨¦ une grande partie de sa premi¨¨re ann¨¦e ¨¤ d¨¦m¨ºler les complexit¨¦s d'une mission de maintien de la paix au Darfour. Son style diff¨¨re de celui de son pr¨¦d¨¦cesseur. Il s'est oppos¨¦ ¨¤ imposer de nouvelles sanctions contre le Soudan et a us¨¦ sans rel?che de son influence aupr¨¨s de la Chine, un alli¨¦ essentiel de Khartoum. Ses efforts ont ¨¦t¨¦ r¨¦compens¨¦s avec le d¨¦ploiement d'une op¨¦ration hybride men¨¦e par l'Union africaine et l'ONU au Darfour. Toutefois, ses efforts en mati¨¨re de diplomatie n'ont pas eu un tr¨¨s grand succ¨¨s : la mission a ¨¦t¨¦ d¨¦ploy¨¦e sur le terrain, mais le mat¨¦riel militaire a manqu¨¦ et des probl¨¨mes de gestion et de coordination se sont pos¨¦s. Depuis, on n'a plus parl¨¦ de ces nouvelles missions hybrides.

Dans les crises suivantes, M. Ban a continu¨¦ de montrer sa pr¨¦f¨¦rence pour un engagement progressif et une diplomatie discr¨¨te. Au Kosovo, il a choisi de cr¨¦er un cadre neutre au sein duquel ? les pays pourraient, avec le temps, se prononcer sur l'ind¨¦pendance du Kosovo2 ?. Pendant la crise humanitaire de 2008 en R¨¦publique d¨¦mocratique du Congo (RDC), il a d¨¦p¨ºch¨¦ un envoy¨¦ sp¨¦cial, l'ancien Pr¨¦sident nig¨¦rian Olusegun Obasanjo, pour servir de m¨¦diateur. C'est ¨¤ ce dernier que l'on attribue le rapprochement entre la RDC et le Rwanda - un fait qui a renforc¨¦ les arguments qui plaident en faveur de l'engagement diplomatique plut?t qu'¨¤ d'autres options de maintien de la paix plus co?teuses.

Mais le vrai changement pour Ban Ki-moon a ¨¦t¨¦ la crise en C?te d'Ivoire en 2011, o¨´ il s'est jet¨¦ dans la bataille apr¨¨s le refus du Pr¨¦sident Gbagbo de quitter le pouvoir, ce qui a entra¨ªn¨¦ un cycle de violence dans ce pays d¨¦j¨¤ meurtri. Il est intervenu rapidement et a demand¨¦ ¨¤ Laurent Gbagbo de se retirer avant que le Conseil de s¨¦curit¨¦ ne prenne des mesures. Finalement, le Conseil s'est joint ¨¤ l'appel, autorisant la mission de maintien de la paix de l'ONU, avec l'appui des soldats fran?ais, ¨¤ utiliser tous les moyens n¨¦cessaires pour arr¨ºter les massacres. Cela a permis au pr¨¦sident ¨¦lu, Alassane Ouattara, de prendre ses fonctions apr¨¨s la capture et l'arrestation de Laurent Gbgabo. C'¨¦tait un pari inhabituellement dangereux, mais son initiative a suscit¨¦ de nombreux ¨¦loges.

La C?te d'Ivoire a ¨¦t¨¦, et est sans doute, une exception par rapport ¨¤ la m¨¦diation et ¨¤ la diplomatie pr¨¦ventive privil¨¦gi¨¦es par Ban Ki-moon. Lors d'une s¨¦ance informelle sur la m¨¦diation qui a eu lieu au Si¨¨ge des Nations Unies ¨¤ New York en novembre 2011, il a de nouveau insist¨¦ sur le fait que l'Organisation devait renforcer sa capacit¨¦ ¨¤ fournir un appui en mati¨¨re de m¨¦diation afin de pr¨¦venir les conflits dans le monde. Cela indique un int¨¦r¨ºt croissant pour la pr¨¦vention des conflits et l'¨¦tablissement de la paix au sein du syst¨¨me des Nations Unies parmi les ?tats membres et d'autres acteurs. Le nouveau Groupe des amis de la m¨¦diation, cr¨¦¨¦ par Ban Ki-moon, qui est compos¨¦ de 12 ?tats membres et se fait le champion de la r¨¦cente r¨¦solution relative ¨¤ cette question, est un exemple de ce nouvel activisme. Cette tendance r¨¦sulte indirectement d'une double dynamique sur la sc¨¨ne mondiale. Si en Europe, au Japon et aux ?tats-Unis, les Gouvernements ¨¤ court d'argent privil¨¦gient des initiatives de maintien de la paix moins co?teuses, les puissances ¨¦mergentes, comme la Chine, l'Inde et le Br¨¦sil, pr¨¦conisent ¨¦galement des d¨¦marches moins interventionnistes plut?t que le d¨¦ploiement de soldats. Tr¨¨s vraisemblablement, ces tendances continueront.

Le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral aborde ¨¦galement les questions relatives ¨¤ la paix et ¨¤ la s¨¦curit¨¦ en portant la casquette du pape la?c en soutien aux principes de la Charte des Nations Unies. Sa position, bien entendu, peut ¨ºtre en conflit ouvert avec son r?le de diplomate discret. Ici aussi, il a privil¨¦gi¨¦ la diplomatie discr¨¨te dans plusieurs circonstances. Il s'est peu exprim¨¦ sur les violations des droits de l'homme au Zimbabwe et au Myanmar, sur les nombreuses victimes civiles au Sri Lanka ou les combats ¨¤ Gaza. Il a pr¨¦f¨¦r¨¦ conseiller de ne pas recourir ¨¤ de nouvelles sanctions contre Khartoum afin de laisser la porte ouverte au d¨¦ploiement d'une op¨¦ration de maintien de la paix. En mettant en ?uvre le principe controvers¨¦ de la responsabilit¨¦ de prot¨¦ger (R2P), il a donn¨¦ beaucoup plus de poids ¨¤ l'alerte pr¨¦coce, ¨¤ la pr¨¦vention et ¨¤ l'examen des causes structurelles des massacres ¨¤ grande ¨¦chelle, choisissant de se tenir ¨¤ distance des actions interventionnistes pr¨¦conis¨¦es par certains Gouvernements occidentaux dans le contexte de la responsabilit¨¦ de prot¨¦ger.

Enfin, le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral g¨¨re une vaste bureaucratie internationale qui comprend un grand nombre de d¨¦partements et d'organisations. M¨ºme si son r?le de ? secr¨¦taire ? va au-del¨¤ de la paix et de la s¨¦curit¨¦, le nombre d'organisations engag¨¦es dans les situations de conflit et de post-conflits est impressionnant. En tant que responsable, il a choisi judicieusement de renforcer l'aspect diplomatique dans les crises. En s¨¦parant la logistique des missions de maintien de la paix du D¨¦partement des op¨¦rations de maintien de la paix (DOMP) avec la cr¨¦ation du D¨¦partement de l'appui aux missions, il a r¨¦duit la centralit¨¦ institutionnelle de ce D¨¦partement. De son c?t¨¦, le D¨¦partement des affaires politiques (DAP), en mettant davantage l'accent sur les missions politiques, a accompli des progr¨¨s importants dans l'am¨¦lioration des modes op¨¦ratoires, l'¨¦tablissement des budgets et le soutien des missions sur le terrain. La relation entre le chef du DAP et le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral est l'une des plus ¨¦troites parmi les membres de la haute direction des Nations Unies. Cela pourrait changer lors de son deuxi¨¨me mandat, car un nouveau responsable sera nomm¨¦ ¨¤ la t¨ºte du DAP au d¨¦but de 2012.

LES CINQ PROCHAINES ANN?ES

La pr¨¦f¨¦rence de M. Ban pour la diplomatie discr¨¨te et l'engagement progressif sera sans doute aussi une caract¨¦ristique de son deuxi¨¨me mandat. Contrairement ¨¤ son pr¨¦d¨¦cesseur, le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral ¨¦vitera les questions ¨¦pineuses comme la r¨¦forme du Conseil de s¨¦curit¨¦ et le processus de paix au Moyen-Orient. Toutefois, comme l'ont montr¨¦ la C?te d'Ivoire et le printemps arabe, les crises sp¨¦cifiques peuvent l'amener ¨¤ porter, m¨ºme ¨¤ contrec?ur, la casquette de g¨¦n¨¦ral ou de pape la?c. La mission en Libye et au Sud-Soudan posera tr¨¨s vraisemblablement de graves difficult¨¦s l'ann¨¦e prochaine.

Les bouleversements qui se sont produits dans les sph¨¨res du pouvoir et de l'influence dans le monde ne faciliteront pas sa t?che. Il aura un r?le minime dans la d¨¦finition de ces dynamiques g¨¦opolitiques. Toutefois, les ¨¦conomies ¨¦mergentes exercent une plus grande influence sur les d¨¦cisions relatives aux changements climatiques, au Darfour, aux sanctions, ¨¤ l'envoi de contingents dans les op¨¦rations de maintien de la paix ou au recours ¨¤ la force. Le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral devra continuer ¨¤ travailler d'arrache-pied pour aider les puissances occidentales et les puissances ¨¦mergentes ¨¤ mieux se comprendre sur ces questions difficiles. Les ?tats Membres sont de plus en plus divis¨¦s. Surmonter ces divisions sera un point important de l'h¨¦ritage qu'il laissera.

La pression constante des ?tats Membres pour ma¨ªtriser les co?ts et les moyens conjugu¨¦e ¨¤ la restructuration interne du DOMP et du DAP mentionn¨¦e plus haut peut repr¨¦senter une occasion suppl¨¦mentaire pour le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral de rationaliser la r¨¦ponse des Nations Unies dans le domaine de la paix et de la s¨¦curit¨¦. Au cours des derni¨¨res ann¨¦es, divers programmes au sein du Secr¨¦tariat ont produit des documents strat¨¦giques et op¨¦rationnels, notamment le document de travail de 2009 intitul¨¦ ? Un partenariat renouvel¨¦ : d¨¦finir un nouvel horizon pour les op¨¦rations de maintien de la paix des Nations Unies ?, le rapport du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral sur la consolidation de la paix au lendemain d'un conflit, le rapport du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral en 2010 sur la strat¨¦gie globale d'appui aux missions, l'?valuation des capacit¨¦s civiles en 2011 et le tout premier rapport du Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral intitul¨¦ Les fruits de la diplomatie pr¨¦ventive. Ces documents prospectifs fournissent au Secr¨¦tariat dans son ensemble le mat¨¦riel de base pour ¨¦laborer une vision et une strat¨¦gie unifi¨¦es.

Malgr¨¦ les changements profonds dans la nature des menaces ¨¤ la paix et ¨¤ la s¨¦curit¨¦ internationales, l'ONU continue de fonctionner sur la base de l'Agenda pour la paix de 1992. Ce document historique a ¨¦t¨¦ la plus grande source de vision des activit¨¦s men¨¦es r¨¦cemment par l'ONU dans le domaine de la paix et de la s¨¦curit¨¦. Les le?ons tir¨¦es du document Un agenda pour la paix ont peut-¨ºtre ¨¦t¨¦ trop bien apprises, car les nouvelles entit¨¦s de l'ONU cr¨¦¨¦es au cours des dix derni¨¨res ann¨¦es ont conduit, dans la pratique, ¨¤ la compartimentalisation des interventions de l'Organisation dans le domaine de la paix et de la s¨¦curit¨¦. Il est temps de reconna¨ªtre les limites des concepts de pr¨¦vention des conflits et de l'¨¦tablissement de la paix, du maintien de la paix et de la consolidation de la paix comme il est soulign¨¦ dans ce rapport, ainsi que des d¨¦partements et des arrangements institutionnels qui d¨¦coulent de ces concepts. Il faut rompre d'urgence avec les processus institutionnels cloisonn¨¦s actuels pour mieux tenir compte des liens entre les efforts politiques, de s¨¦curit¨¦ et de d¨¦veloppement.

Le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral pourrait rationaliser les recommandations faites dans les nombreux rapports publi¨¦s au cours des derni¨¨res ann¨¦es en une vision coh¨¦rente qui inspirerait le travail du Secr¨¦tariat en mati¨¨re de paix et de s¨¦curit¨¦ internationales. Il s'agirait d'un nouvel Agenda pour la paix qui exposerait les arguments en faveur d'une adaptation institutionnelle dans un environnement politique et ¨¦conomique modifi¨¦. Les cinq prochaines ann¨¦es repr¨¦sentent une opportunit¨¦ pour M. Ban de moins s'attirer les foudres de ses d¨¦tracteurs et, surtout, de laisser un h¨¦ritage aux g¨¦n¨¦rations futures. ?

Notes

1 Richard Gowan, ? Floating Down the River of History: Ban Ki-Moon and Peacekeeping, 2007-2011 ?, Global Governance 17 (2011), 399.

2 David Harland, ? Kosovo and the Ãå±±½ûµØ?, Survival 52, n° 5 (2010), 94.

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