27 mai 2020 — Les fumeurs sont-ils moins affectés par le coronavirus ? La nicotine protège-t-elle de la COVID-19 ? Alors que diverses études observationnelles répercutées par la presse sèment le doute sans apporter de preuve solide, l’ invite les chercheurs et les médias à la prudence, en précisant que le tabagisme, direct ou passif, accro?t la gravité des maladies respiratoires.
? Il n’y a actuellement pas suffisamment d’informations pour confirmer un lien entre le tabac ou la nicotine dans la prévention ou le traitement de la COVID-19 ?, a tranché l’OMS, le 11 mai, dans une très attendue, au vu du flot de données contradictoires sur la question. Une position qu’elle entend réaffirmer le 31 mai à l’occasion de la , centrée cette année sur les tactiques de l’industrie du tabac pour attirer les jeunes générations.
Dans l’immédiat, l’agence sanitaire des Nations Unies rappelle que le tabagisme tue chaque année plus de 8 millions de personnes dans le monde. Sur ce total, plus de 7 millions de décès sont dus à la consommation directe de tabac et environ 1,2 million sont la conséquence du tabagisme passif.
Loin d’avoir favorisé l’arrêt du tabac, le confinement des populations décidé pour endiguer la propagation du virus a souvent eu l’effet inverse. En France, par exemple, l’agence nationale de santé publique a signalé que 27 % des fumeurs avaient augmenté leur consommation pendant cette période propice au stress et à l’anxiété. La hausse moyenne était de cinq cigarettes par jour et touchait principalement les 25-34 ans et les actifs travaillant à domicile.
La tendance est similaire en Argentine, notamment dans la province de Buenos Aires, la plus peuplée du pays, où le confinement obligatoire vient d’être prolongé jusqu’au 7 juin. La consommation de cigarettes a progressé chez 40 % des fumeurs et les pénuries liées à l’arrêt des usines de fabrication poussent nombre d’entre eux à se tourner vers le marché noir. Même phénomène en Afrique du Sud, où le gouvernement a interdit les ventes de tabac jusqu’au déconfinement.
Dans ce contexte, l’OMS a réuni virtuellement, le 29 avril, des experts de santé publique pour faire le point sur les recherches menées sur les effets du tabac. Il ressort de cet examen que les fumeurs sont plus susceptibles que les non-fumeurs de développer une maladie grave avec la COVID-19.
Le tabagisme, facteur aggravant
Il est aujourd’hui établi que la COVID-19 est une maladie infectieuse qui touche principalement les poumons. De même, il est scientifiquement prouvé que le fait de fumer affaiblit la fonction pulmonaire, rendant l’organisme moins résistant aux coronavirus et à d’autres agents pathogènes.
? Les fumeurs courent un risque plus élevé d’être infectés par le virus par voie buccale lorsqu’ils fument des cigarettes ou consomment d’autres produits tabagiques ?, avertit l’OMS dans une actualisée. ? S’ils contractent le virus de la COVID-19, ils courent un plus grand risque de souffrir d’une infection grave car leur santé pulmonaire est déjà compromise ?.
L’OMS a aussi observé que le taux de mortalité d? à la COVID-19 est plus élevé chez les personnes atteintes de maladies préexistantes, parmi lesquelles les , telles que les maladies cardiovasculaires, les maladies respiratoires comme la bronchopneumopathie chronique obstructive et l’asthme, le cancer et le diabète. Or le tabagisme est le principal facteur de risque commun à toutes ces affections, relève l’agence onusienne.
certaines études avancent l’hypothèse selon laquelle la nicotine pourrait empêcher le coronavirus de se fixer aux cellules, l’OMS tient à rappeler que ? les substituts nicotiniques tels que les gommes à m?cher et les patchs sont destinés à aider les fumeurs à arrêter de fumer ?. Elle ajoute que ? la promotion d’interventions dont l’efficacité n’est pas prouvée peut avoir un effet néfaste sur la santé ?.
Compte tenu du facteur de risque que constitue le tabagisme pour les affections respiratoires, elle recommande vivement aux fumeurs de ? prendre sans attendre des mesures pour renoncer au tabac en utilisant des méthodes éprouvées comme les services gratuits d’aide par téléphone, les programmes d’envoi de textos et les substituts nicotiniques ?.
? Il n’y a actuellement pas suffisamment d’informations pour confirmer un lien entre le tabac ou la nicotine dans la prévention ou le traitement de la COVID-19 ?.
L’arrêt du tabac a des effets spectaculaires sur l’organisme, précise-t-elle. En l’espace d’une vingtaine de minutes, la fréquence cardiaque et la pression sanguine retombent. Après 12 heures, le taux de monoxyde de carbone dans le sang redevient normal. Entre 2 et 12 semaines, la circulation sanguine s’améliore et la fonction pulmonaire augmente. Et dans un délai de 1 à 9 mois, la toux et l’essoufflement diminuent.
Pressions de l’industrie du tabac
Pour faire face à l’explosion du tabagisme dans le monde et élaborer des stratégies de réduction de l’offre et de la demande, les ?tats Membres de l’OMS ont adopté en 2003 la de l’Organisation pour la lutte antitabac. En vertu de l’article 5.3 de ce traité et des pour son application, les Parties sont priées de protéger la santé publique ? contre les intérêts commerciaux et autres de l’industrie du tabac et de ceux qui servent ses intérêts ?.
? Comme cela a été largement documenté, l’industrie n’hésite pas à user de la tromperie et à capitaliser sur les crises humanitaires, les catastrophes naturelles et d’autres événements catastrophiques similaires ?, a constaté Adriana Blanco Marquizo, Cheffe du Secrétariat de la Convention-cadre, dans une récente . ? Aujourd’hui ne fait pas exception ?, selon elle.
Avec la COVID-19, a-t-elle dénoncé, ? l’industrie du tabac cherche une fois encore à tirer parti de la situation vulnérable de nombre de nos parties, en offrant son ‘aide philanthropique’ sous la forme de dons financiers, de dons d’équipements de protection individuelle, de ventilateurs et d’autres ressources, dans une démarche visant à redorer son image et améliorer sa réputation ?.
Témoin de cette implication, deux géants du tabac, British American Tobacco (BAT) et Philip Morris, ont annoncé s’être lancés dans le développement d’un vaccin contre la COVID-19 par le biais de filiales de biotechnologie. BAT a fait savoir, le 15 mai, qu’il attendait le feu vert de la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine du médicament, pour entamer la phase 1 des essais cliniques.
Le fait que l’industrie du tabac propose son aide pendant cette pandémie relève du ? paradoxe ?, estime le Dr Blanco. ? N’est-ce pas là la même industrie qui produit et commercialise agressivement un produit addictif qui tue jusqu’à la moitié de ses utilisateurs ? N’est-ce pas là la même industrie dont les produits entra?nent une augmentation de l’incidence des maladies non transmissibles qui, à leur tour, aggravent l’issue des patients atteints de COVID-19 ? ?
? ses yeux, il est prévisible que l’industrie du tabac ? suive son schéma habituel en se targuant d’avoir apporté une aide significative aux gouvernements pendant la pandémie puis en faisant pression sur eux ou en s’ingérant dans les efforts que déploient ces mêmes gouvernements pour renforcer la lutte antitabac ?.
Les agences de l’ONU doublement mobilisées
Malgré la pandémie de coronavirus, le Secrétariat de la Convention-cadre de l’OMS poursuit sa mission d’appui aux Parties au traité et à son . Dans la période actuelle, il s’efforce de convaincre les gouvernements, notamment ceux dont les ressources sont limitées, d’augmenter les taxes sur le tabac. Une fa?on, argue-t-il, d’accro?tre leurs recettes fiscales, d’éviter des dépenses de soins de santé futurs et d’alléger la charge pesant sur leurs systèmes sanitaires.
Face à la première cause de décès évitables, l’OMS continue de faire campagne pour un monde sans tabac. Tout en concentrant ses ressources sur la COVID-19, elle multiplie les informations de prévention de cette maladie à l’attention des fumeurs, insistant notamment sur les liés à l’usage des pipes à eau et autres cigarettes électroniques. Des avertissements que l’agence a également en direction des musulmans tout au long du mois de Ramadan.
? l’approche de la Journée internationale sans tabac, l’agence publie trois destinés à informer les pays sur l’état actuel des connaissances scientifiques et sur les options réglementaires et politiques disponibles concernant de nouveaux produits du tabac, comme les inhalateurs électroniques contenant ou non de la nicotine et les produits du tabac chauffés. L’accent est mis sur la protection des jeunes, groupe cible pour l’industrie du tabac.
L’institution sanitaire de l’ONU agit aussi par le biais de ses bureaux régionaux. L’OMS/Europe a ainsi publié une consacrée aux effets du tabagisme sur la santé mentale, très largement affectée par l’épisode pandémique. L’ a quant à elle invité dimanche les 15 % d’adultes fumeurs des Amériques à renoncer au tabac, qu’avant la COVID-19, 81 % de tous les décès dans la région étaient dus à des maladies non transmissibles, 39 % étant survenus avant l’?ge de 70 ans.
Autre agence mobilisée, le s’emploie à sensibiliser les acteurs du secteur financier aux priorités antitabac mondiales définies par la Convention-cadre de l’OMS et les Objectifs de développement durable, notamment l’objectif 3 relatif à la santé et au bien-être de tous.
La branche finance du PNUE (PNUE FI) collabore pour cela à l’initiative , qui regroupe 129 signataires et 39 soutiens représentant plus de 8 300 milliards de dollars d’actifs gérés et 2 100 milliards de dollars de portefeuilles de prêts aux entreprises. Tous adhèrent aux lancés en 2006 par le PNUE et le Pacte mondial des Nations Unies.
Dans le cadre de cette initiative, l’organisation australienne Tobacco Free Portfolios proposait ce mercredi, en partenariat avec le PNUE FI, un sur les enjeux de santé publique liés au tabagisme et la responsabilité des entreprises. Point d’orgue de cette téléconférence, à laquelle ont participé le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS, et Inger Andersen, Directrice exécutive du PNUE : la ? combinaison particulièrement dangereuse ? de la COVID-19 et du tabac.