11 juin 2012

Les politiques nationales et internationales se heurtent aux imp¨¦ratifs ¨¤ court terme des cycles ¨¦lectoraux et, anim¨¦es par l'obsession du gain, ne sont pas orient¨¦es vers une voie durable. Les chefs de gouvernement passent une si grande partie de leur temps ¨¤ d¨¦fendre leur si¨¨ge d'¨¦lu que leurs politiques visent principalement ¨¤ gagner des ¨¦lecteurs et ¨¤ les conserver. L'¨¦lectorat, c'est-¨¤-dire les personnes ?g¨¦es de plus de 18 ans, ne prend pas en compte une partie importante de la population, ¨¤ savoir les moins de 18 ans, les g¨¦n¨¦rations ¨¤ venir et les g¨¦n¨¦rations d¨¦c¨¦d¨¦es. Comme le philosophe Edmund Burke l'a ¨¦crit : ? [La soci¨¦t¨¦ est] un partenariat non seulement entre ceux qui sont vivants, mais entre ceux qui sont vivants, ceux qui sont morts et ceux qui sont encore ¨¤ na¨ªtre1. ? La soci¨¦t¨¦ n'est pas, comme elle l'est devenue, un marchandage politique entre la classe dirigeante et l'opposition qui tente de s¨¦duire les nombreux ¨¦lecteurs flottants.

La Conf¨¦rence des Nations Unies sur le d¨¦veloppement durable en 2012, ou Rio +20, offre aux gouvernements et ¨¤ la soci¨¦t¨¦ civile l'occasion de corriger ces erreurs dans l'¨¦laboration des politiques. Alors que cette Conf¨¦rence nous offre la chance d'¨¦valuer les progr¨¨s r¨¦alis¨¦s en mati¨¨re de d¨¦veloppement durable, ne regardons pas seulement en arri¨¨re, car c'est aussi une occasion de cr¨¦er de nouveaux projets, de mener des actions audacieuses et de mettre en ?uvre des id¨¦es nouvelles. Dans une crise, il est parfois plus facile d'avancer ¨¤ grands pas qu'¨¤ petits, car les situations difficiles exigent des changements fondamentaux, pas seulement des amendements mineurs au statu quo.

Le d¨¦veloppement durable a ¨¦t¨¦ reconnu comme un objectif fondamental des institutions aux niveaux national, r¨¦gional et international. Il ne pourra cependant devenir r¨¦alit¨¦ qu'avec la consid¨¦ration pleine et ¨¦gale de ses trois piliers : environnemental, social et ¨¦conomique. Les pr¨¦occupations environnementales et sociales sont actuellement souvent mises de c?t¨¦ ou compromises par des motivations politiques, ce qui entra¨ªne une externalisation des co?ts et des faux compromis.

M¨ºme si la situation ¨¦conomique catastrophique des pays est au premier plan des pr¨¦occupations et sert d'excuse pour retarder toute action environnementale et sociale ¨¤ long terme, les questions sont ¨¦troitement li¨¦es. Cette plan¨¨te est dot¨¦e d'un ¨¦cosyst¨¨me fragile et ses ressources sont limit¨¦es. Il faut en tenir compte et agir, car ces limites plan¨¦taires sont une r¨¦alit¨¦ financi¨¨re et sociale, pas seulement environnementale. Pour s'assurer que cette r¨¦alit¨¦ n'est pas menac¨¦e par des int¨¦r¨ºts ¨¤ court terme, des enjeux ¨¦lectoraux ou l'affairisme, il faut cr¨¦er une institution qui adopte une approche ¨¤ plus long terme.

Le Conseil pour l'avenir du monde lance un appel ¨¤ tous les niveaux de la gouvernance aux M¨¦diateurs pour les g¨¦n¨¦rations futures et a pr¨¦sent¨¦ une proposition pour placer un Commissaire ou M¨¦diateur parlementaire pour les g¨¦n¨¦rations futures au niveau international en appelant ¨¤ la mise en ?uvre d'un Haut Commissaire des Nations Unions pour les g¨¦n¨¦rations futures comme proposition concr¨¨te dans le cadre du deuxi¨¨me th¨¨me de Rio +20 : cadre institutionnel du d¨¦veloppement durable. Cet article expliquera pourquoi cette institution aux niveaux international, r¨¦gional et national est une solution pertinente pour Rio +20.

Des exemples existent d¨¦j¨¤ au niveau local. Le bureau du Commissaire parlementaire pour les g¨¦n¨¦rations futures en Hongrie a ¨¦t¨¦ cr¨¦¨¦ en 2007 pour sauvegarder le droit ¨¤ un environnement sain, tel que le pr¨¦voit la Constitution hongroise. En mai 2008, S?ndor F¨¹l?p a ¨¦t¨¦ ¨¦lu pour un mandat de six ans. Depuis qu'il a pris ses fonctions, il a r¨¦ussi, entre autres, ¨¤ emp¨ºcher la mainmise d'une multinationale sur la banque g¨¦n¨¦tique pour les plantes de la Hongrie, ¨¤ emp¨ºcher la privatisation des services collectifs hongrois d'approvisionnement en eau ainsi que la construction d'une centrale ¨¦lectrique ¨¤ paille dans la r¨¦gion de Tokaj, un site inscrit au patrimoine mondial.

La nouvelle Constitution hongroise de 2011 pr¨¦sente une description d¨¦taill¨¦e des ressources naturelles qui doivent ¨ºtre prot¨¦g¨¦es dans l'int¨¦r¨ºt des g¨¦n¨¦rations futures. Toutefois, en 2012, le poste de Commissaire a ¨¦t¨¦ abaiss¨¦ ¨¤ celui de M¨¦diateur adjoint.

Le Commissaire du parlement pour les futures g¨¦n¨¦rations de Hongrie est l'un des quatre M¨¦diateurs parlementaires. Le bureau a pour mission d'enqu¨ºter sur des plaintes pour atteinte ¨¤ l'environnement, de promouvoir les questions environnementales dans tous les domaines pertinents de la l¨¦gislation nationale et internationale et d'entreprendre des projets de recherche visant la viabilit¨¦ ¨¤ long terme des soci¨¦t¨¦s humaines. Des institutions similaires ayant des mandats plus ou moins importants existent ¨¦galement en Finlande, en Nouvelle-Z¨¦lande et au Pays de Galles.

Le Conseil pour les g¨¦n¨¦rations futures s'emploie ¨¤ porter les int¨¦r¨ºts des g¨¦n¨¦rations futures au c?ur de la formulation des politiques. Nous informons les d¨¦cideurs sur les politiques futures justes et les conseillons sur la mani¨¨re de les mettre en ?uvre. L'exemple hongrois est un m¨¦canisme institutionnel test¨¦ qui ¨¦value les politiques selon une approche int¨¦gr¨¦e ou ¨¤ l'¨¦preuve du futur, en fonction des besoins des g¨¦n¨¦rations pr¨¦sentes et futures. Les interventions sont fond¨¦es sur des plaintes et des pr¨¦occupations de parties prenantes ou d'organisations non gouvernementales et de communaut¨¦s locales. Cette institution travaille au c?ur du syst¨¨me de l'?tat tout en ¨¦tant ind¨¦pendante du pouvoir administratif, ce qui signifie que le bureau ne se limite pas aux cycles ¨¦lectoraux.

La proposition d'un M¨¦diateur international ou d'un Haut Commissaire pour les g¨¦n¨¦rations futures figure dans le paragraphe 57 de L'avenir que nous voulons - l'avant-projet du document officiel n¨¦goci¨¦ par les ?tats membres de l'ONU dans la p¨¦riode qui pr¨¦c¨¨de Rio +20. Bon nombre d'?tats membres et d'institutions de l'ONU r¨¦fl¨¦chissent ¨¤ cette proposition ainsi qu'aux possibilit¨¦s qu'elle offre. Au Sommet de la Terre de 1992, Malte avait sugg¨¦r¨¦ la nomination d'un gardien des g¨¦n¨¦rations futures. La proposition avait alors ¨¦t¨¦ pr¨¦sent¨¦e par le Ministre des affaires ¨¦trang¨¨res de l'¨¦poque, Guido de Marco, mais n'avait pas ¨¦t¨¦ incluse dans la d¨¦claration finale. Aujourd'hui, dans le cadre de sa loi nationale sur le d¨¦veloppement durable, Malte recommande de nommer un gardien national des g¨¦n¨¦rations futures.

R?le et Fonctions

Compte tenu des cadres de gouvernance et de l'architecture juridique existants, il ne peut y avoir ni une approche uniforme ni des institutions identiques d'un pays ¨¤ un autre. Si cela est n¨¦cessaire, les institutions identiques qui sont d¨¦j¨¤ en place doivent ¨ºtre r¨¦form¨¦es ou renforc¨¦es. Toutefois, pour qu'elles soient efficaces, il importe de d¨¦finir un ensemble de principes fondamentaux sur lesquels elles doivent ¨ºtre fond¨¦es. Ces principes sont tir¨¦s de notre compr¨¦hension des bonnes pratiques existantes. La s¨¦paration des pouvoirs fait partie de ces principes, ce qui signifie que ces institutions sont ind¨¦pendantes du gouvernement, tout en s'employant ¨¤ accro¨ªtre la responsabilit¨¦ politique, r¨¦duisant ainsi le risque de co?ts politiques et ¨¦conomiques pour les g¨¦n¨¦rations pr¨¦sentes et futures. Six crit¨¨res ont ¨¦t¨¦ d¨¦finis pour que ces institutions aient un impact positif. Elles doivent :

? ¨ºtre ind¨¦pendantes;

? ¨ºtres comp¨¦tentes, c'est-¨¤-dire disposer d'une ¨¦quipe poss¨¦dant de vastes comp¨¦tences multidisciplinaires;

? ¨ºtre transparentes;

? avoir acc¨¨s ¨¤ toutes les informations pertinentes;

? ¨ºtre d¨¦mocratiquement l¨¦gitimes;

? ¨ºtre largement accessibles aux ¨¦valuations externes et aux pr¨¦occupations des citoyens.

Nous avons d¨¦fini les r?les de ces institutions. Ces r?les sont les suivants :

? r¨¦pondre aux besoins des citoyens, donc accro¨ªtre la confiance dans la mise en application des politiques et la responsabilit¨¦ du gouvernement et combattre l'apathie politique;

? se tenir inform¨¦s et mobiliser les d¨¦cideurs et le public;

? faciliter la coh¨¦rence entre les diff¨¦rents piliers du gouvernement;

? tenir les d¨¦partements gouvernementaux et les acteurs priv¨¦s responsables;

? ¨¦quilibrer les int¨¦r¨ºts ¨¤ court terme et ceux ¨¤ long terme de la soci¨¦t¨¦ enti¨¨re.

FONCTIONS D'Ãå±±½ûµØHAUT COMMISSAIRE INTERNATIONAL POUR LES G?N?RATIONS FUTURES

Au niveau international, le terme ? Haut Commissaire ? est plus courant que celui de m¨¦diateur dans le contexte de l'ONU. Par exemple, il existe d¨¦j¨¤ le Conseil des droits de l'homme et le Haut Commissariat aux droits de l'homme qui y est associ¨¦, ce qui fournit un mod¨¨le utile pour nos discussions. Un Haut Commissaire pour les g¨¦n¨¦rations futures devrait avoir une place satisfaisante et recevoir une attention suffisante au sein des activit¨¦s et des programmes de l'ONU afin de fournir une gouvernance mondiale ¨¤ long terme.2

La cr¨¦ation d'une institution en vue de prot¨¦ger les int¨¦r¨ºts des g¨¦n¨¦rations futures donnerait sans aucun doute priorit¨¦ aux besoins futurs par rapport aux besoins pr¨¦sents. La mission du Haut Commissaire pour les g¨¦n¨¦rations futures devrait viser ¨¤ promouvoir et ¨¤ prot¨¦ger les int¨¦r¨ºts des g¨¦n¨¦rations futures en gardant ¨¤ l'esprit les besoins pr¨¦sents, sans compromettre la capacit¨¦ des g¨¦n¨¦rations futures ¨¤ r¨¦pondre ¨¤ leurs propres besoins, et selon la d¨¦finition du d¨¦veloppement durable de la Commission Brundtland. L'institution jouerait un r?le dans l'¨¦tablissement des priorit¨¦s mondiales, engageant les gouvernements et le public ¨¤ comprendre les d¨¦fis auxquels fait face la communaut¨¦ internationale concernant les g¨¦n¨¦rations futures. Cela encouragerait une plus grande responsabilit¨¦ des ?tats Membres de l'ONU dans l'acceptation et la mise en ?uvre de politiques ¨¤ long terme et, ce faisant, la n¨¦cessit¨¦ de mieux int¨¦grer les perspectives ¨¤ long terme.
Le r?le consisterait aussi ¨¤ surveiller les organisations des Nations Unies et les institutions sp¨¦cialis¨¦es connexes, y compris les secr¨¦tariats des accords multilat¨¦raux relatifs ¨¤ l'environnement, afin qu'une approche int¨¦gr¨¦e des enjeux soit adopt¨¦e dans les prises de d¨¦cisions au plus haut niveau, dans les politiques, les programmes et les accords multilat¨¦raux. En ce sens, le Haut Commissaire plaiderait en faveur des int¨¦r¨ºts des g¨¦n¨¦rations futures dans les organisations de l'ONU et les institutions globales cl¨¦s. La pr¨¦sentation d'un rapport annuel ¨¤ l'Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale sur leurs activit¨¦s permettrait de souligner les progr¨¨s r¨¦alis¨¦s et de signaler les objectifs qui n'ont pas encore ¨¦t¨¦ atteints, ¨¦largissant ainsi le d¨¦bat et la prise de conscience. Le travail du Haut Commissaire pourrait, bien entendu, ¨ºtre ¨¦troitement li¨¦ au Conseil de d¨¦veloppement durable qui a ¨¦t¨¦ propos¨¦, mais il importe de ne pas le consid¨¦rer comme une initiative personnelle d'un Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral donn¨¦. Comme nous l'avons remarqu¨¦ au niveau national, il est essentiel que le bureau cr¨¦¨¦ au sein des Nations Unies soit ind¨¦pendant.

Le Haut Commissariat pour les g¨¦n¨¦rations futures devrait fonctionner en ¨¦troite collaboration avec la soci¨¦t¨¦ civile et le public, afin d'encourager et de faciliter leur enti¨¨re participation et leur engagement pour assurer leur repr¨¦sentation dans les processus pertinents et prendre en consid¨¦ration les documents officiels qu'ils soumettent aux Nations Unies.

Enfin, le Haut Commissaire, ¨¤ la demande des gouvernements ou des groupes de la soci¨¦t¨¦ civile, devrait contribuer ¨¤ la politique internationale par une mise en ?uvre nationale, la coordination avec les organismes nationaux pertinents, comme les M¨¦diateurs pour les g¨¦n¨¦rations futures au niveau national, o¨´ ils existent. Il pourrait apporter son soutien ¨¤ la mise en place de M¨¦diateurs aux niveaux national, r¨¦gional ou local.

Cette institution fonctionnerait en accord avec les principes de l'¨¦conomie verte et une s¨¦rie d'objectifs durables en fournissant les m¨¦canismes de suivi et de responsabilit¨¦ n¨¦cessaires pour examiner l'important d¨¦ficit de gouvernance qui n'a toujours pas ¨¦t¨¦ abord¨¦ au sein de l'architecture de l'ONU. Les propositions faites pour r¨¦former le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) permettrait de renforcer le programme en mati¨¨re d'environnement, et l'examen d'un nouveau Conseil du d¨¦veloppement durable permettrait de renforcer et de souligner l'importance des questions relatives au d¨¦veloppement durable en g¨¦n¨¦ral. Toutefois, seul un Haut Commissaire pourrait contribuer ¨¤ fournir l'impulsion, l'acc¨¨s et, surtout, l'int¨¦gration des int¨¦r¨ºts des g¨¦n¨¦rations futures aux activit¨¦s et ¨¤ la structure des Nations Unies. Comme l'a d¨¦clar¨¦ le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral Ban Ki-moon au Conseil d'administration /Forum minist¨¦riel mondial pour l'environnement du PNUE le 20 f¨¦vrier 2012 : ? Le moment est venu de faire progresser le programme du d¨¦veloppement durable de la th¨¦orie et des progr¨¨s in¨¦gaux ¨¤ une mise en ?uvre d¨¦cisive ?.

Je tiens ¨¤ remercier Catherine Pearce pour sa contribution.

Notes

1 Edmund Burke, Reflections on the Revolution in France, 1790, par. 150-174.

2 Ces id¨¦es sont tir¨¦es d'un article r¨¦dig¨¦ conjointement par le conseil pour l'avenir du monde et la Foundation for Democracy and Sustainable Development, 2012,

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