Bien que le dialogue soit une id¨¦e humaine depuis les anciens temps, ? le dialogue entre les civilisations ? est devenu une id¨¦e r¨¦pandue et partag¨¦e et est apparu comme un atout symbolique en raison de sa pr¨¦sentation appropri¨¦e et opportune. M¨ºme les attaques terroristes du 11 septembre 2001, qui ont eu lieu l'ann¨¦e qui avait ¨¦t¨¦ d¨¦sign¨¦e l'Ann¨¦e pour le dialogue entre les civilisations, donnant lieu ¨¤ une mont¨¦e en puissance du discours de la violence et de la guerre au d¨¦triment du discours de la paix et du compromis, n'ont pas emp¨ºch¨¦ le monde de poursuivre le dialogue des cultures dans divers domaines pratiques. Lorsque le paradigme existant est celui de la guerre, de la domination et de la violence, la voix de la paix, du dialogue et du compromis doit se faire entendre dans le monde. L'adh¨¦sion g¨¦n¨¦rale ¨¤ la proposition de d¨¦signer l'ann¨¦e 2001 l'Ann¨¦e du dialogue entre les civilisations par l'Assembl¨¦e g¨¦n¨¦rale rev¨ºtait une tr¨¨s grande importance. Le fait que la proposition ait ¨¦t¨¦ accept¨¦e par consensus indiquait que dans leur fort int¨¦rieur, les puissances, qu'elles soient les oppresseurs ou les opprim¨¦es, jugeaient la situation politique internationale inqui¨¦tante. Plus important encore, la r¨¦ponse positive de l'opinion publique ¨¤ cette proposition, en particulier des intellectuels, des philosophes, des universitaires et des hommes politiques, ainsi que des cercles sociaux, a ¨¦t¨¦ impressionnante.
On peut dire que le dialogue entre les civilisations a ¨¦t¨¦ l'une des rares initiatives, si ce n'est la plus importante, ¨¤ avoir r¨¦ussi ¨¤ cr¨¦er une coh¨¦sion aussi forte au cours de la derni¨¨re d¨¦cennie. Elle comprend la cr¨¦ation d'institutions de dialogue, la r¨¦daction d'ouvrages et de th¨¨ses dans ce domaine, la cr¨¦ation de chaires universitaires et la tenue de nombreuses conf¨¦rences internationales dans les pays occidentaux et orientaux, dans le monde musulman et le monde chr¨¦tien. Le fait que tous les gouvernements aient approuv¨¦ cette proposition et, plus important encore, que les associations scientifiques, des droits de l'homme, universitaires, sociales et politiques y aient pr¨ºt¨¦ attention, ¨¦tait remarquable. Toutefois, en y regardant de plus pr¨¨s, il n'est pas surprenant que certaines remarques soient parfois entendues, parfois pas. Face aux inqui¨¦tudes du public, le monde a r¨¦pondu ¨¤ cet appel ¨¤ ce moment particulier. C'est pourquoi le dialogue entre les civilisations a pris de l'ampleur - le moment ¨¦tait venu de traiter cette question. Malgr¨¦ tous les probl¨¨mes, le dialogue entre les civilisations reste une question dominante et continue d'exister. Si la propagation et la promotion de l'id¨¦e semblent perdre de leur vigueur, celle-ci continue d'¨ºtre importante et int¨¦ressante dans les profondeurs de la pens¨¦e et de l'histoire humaines et est une lumi¨¨re qui, je pense, ne s'¨¦teindra jamais.
Deux Gouvernements, l'un occidental et l'autre oriental, l'Espagne et la Turquie, ont plus tard abord¨¦ la question de l'? alliance des civilisations ?. En tant que l'un des 18 groupes de haut niveau que le Secr¨¦taire g¨¦n¨¦ral des Nations Unies avait choisis, j'ai dit que le dialogue entre les civilisations n'¨¦tait pas termin¨¦, que l'alliance entre les civilisations ne pouvait pas remplacer le dialogue. Les civilisations doivent d'abord ¨ºtre en mesure de dialoguer et de trouver leurs points communs tout en maintenant leur propre identit¨¦.
L'id¨¦e de l'alliance entre les civilisations, au sens o¨´ toutes les civilisations se fondent pour en former une seule, est diff¨¦rente de l'id¨¦e qui a ¨¦t¨¦ encourag¨¦e ces derni¨¨res ann¨¦es. Imaginez que toutes les civilisations mettent enti¨¨rement de c?t¨¦ leurs probl¨¨mes et leurs objectifs et coop¨¨rent sur certains sujets; ce travail rel¨¨ve des gouvernements et des hommes politiques. Cette initiative a, toutefois, ¨¦tait bien re?ue, indiquant que l'id¨¦e du dialogue entre les civilisations continuait de recevoir une attention importante.
Le dialogue entre les civilisations n'est pas une philosophie en soi. Nous avons pr¨¦sent¨¦ la question comme un paradigme, comme un mod¨¨le souhaitable et un exemple pour les relations entre les ¨ºtres humains, les soci¨¦t¨¦s et les diff¨¦rents groupes. ? l'¨¦poque actuelle, mais en particulier au XXe si¨¨cle, le paradigme dominant ¨¦tait celui de la guerre. D'un c?t¨¦, il y avait la guerre froide, les guerres r¨¦gionales, les conflits militaires et r¨¦volutionnaires avec des r¨¦gimes qui n'¨¦taient pas accept¨¦s, de l'autre, il y avait la question de l'occupation, de l'oppression et deux guerres mondiales. Le paradigme existant refl¨¨te ce qui s'est r¨¦ellement pass¨¦.
Malgr¨¦ la Charte des Nations Unies et des organisations comme l'Organisation des Nations Unies pour l'¨¦ducation, la science et la culture, qui se sont focalis¨¦es sur la culture, le dialogue, contribuant ¨¤ la sensibilisation de l'opinion et ¨¤ la croissance spirituelle de l'homme tout en tentant d'¨¦liminer la pauvret¨¦ et la discrimination raciale, et malgr¨¦ les efforts de promotion des droits de l'homme, de la justice et de la libert¨¦ tout en r¨¦solvant les differences par la logique, la raison et la justice , la force a malheureusement pr¨¦valu. En plus, le droit de veto a ¨¦t¨¦ adopt¨¦ aux Nations Unies. Pourquoi quelques pays devraient-ils avoir des privil¨¨ges parce qu'ils ont gagn¨¦ la derni¨¨re guerre mondiale et b¨¦n¨¦ficier d'un plus grand pouvoir? Pourquoi auraient-ils le droit d'utiliser les institutions et les outils cr¨¦¨¦s aux Nations Unies pour promouvoir la paix et la comprehension afin d'imposer leurs demandes et leurs int¨¦r¨ºts?
L'opposition entre le dialogue entre les civilisations et le choc des civilisations a fait l'objet d'un d¨¦bat. L'id¨¦e que le choc des cultures et des civilisations remplacera les confrontations politiques et militaires, au titre du destin de l'homme, a ¨¦t¨¦ compl¨¦t¨¦e par la th¨¦orie sur la ? Fin de l'histoire ?.
Je n'essayais pas tant d'expliquer la base philosophique et th¨¦orique du dialogue entre les civilisations que de montrer que le paradigme et le mod¨¨le dominant des relations dans le monde d'aujourd'hui, et en particulier au XXIe si¨¨cle, sont tr¨¨s dangereux. Il est possible d'introduire un autre crit¨¨re et un autre mod¨¨le qui r¨¦soudront bon nombre de probl¨¨mes existants.
Ma principale pr¨¦occupation ¨¦tait de savoir si nous pouvions construire un monde meilleur. Cela est possible si nous arrivons ¨¤ changer notre mani¨¨re de voir les choses. Par exemple, nous devrions cesser de mesurer les pays de l'Islam par leur puissance militaire et la puissance des pays occidentaux par leurs progr¨¨s industriels, technologiques et militaires. Peut-on voir les choses diff¨¦remment? Je pense que oui. Le but du dialogue entre les civilisations consiste ¨¤ identifier les bases et les concepts des civilisations afin de d¨¦finir des politiques et des puissances nouvelles et de cr¨¦er un nouvel ensemble de relations. Les questions politiques ne peuvent certainement pas ¨ºtre ignor¨¦es. En adoptant le crit¨¨re du dialogue, nous pouvons critiquer les politiques, pas les justifier. Le dialogue entre les civilisations aura alors un effet constructif sur les politiques.
Il importe de comprendre la relation entre la civilisation et l'identit¨¦ des peuples, et si l'identit¨¦ est un obstacle ou une ouverture au dialogue. L'identit¨¦ est une ¨¦p¨¦e ¨¤ double tranchant. Mal comprise, elle peut donner lieu ¨¤ la violence, ¨¤ l'opposition et ¨¤ l'alt¨¦rit¨¦, mais bien comprise, elle peut conduire au rapprochement et ¨¤ la compr¨¦hension.
Une personne d¨¦finit son identit¨¦ en dessinant les contours de sa personnalit¨¦ historique, ¨¦motionnelle et religieuse et d¨¦cide qui appartient ¨¤ ce groupe et, donc, ceux qui sont ¨¤ l'int¨¦rieur et ceux qui sont ¨¤ l'ext¨¦rieur, les ¨¦trangers. Si vous faites preuve de favoritisme envers ce groupe, les personnes qui sont ¨¤ l'ext¨¦rieur, ? les autres ?, sont de plus en plus nombreux; ces personnes, qui ne doivent pas exister, doivent adh¨¦rer ¨¤ vos points de vue ou se fondre dans votre identit¨¦. L'histoire est pleine de guerres, de conflits et de violence caus¨¦s par ces cercles ferm¨¦s. D'un autre c?t¨¦, on n'a jamais vu une personne d¨¦nu¨¦e d'identit¨¦. Retirer toute importance ¨¤ l'identit¨¦, c'est comme retirer l'humanit¨¦ aux ¨ºtres humains. Sur cette question, le dialogue entre les civilisations peut ¨ºtre une solution ¨¤ notre probl¨¨me. Pouvons-nous traiter la question de l'identit¨¦ sans engendrer des antagonismes, des conflits, la violence et l'¨¦limination et garantir la compatibilit¨¦ entre les diff¨¦rentes identit¨¦s?
Les identit¨¦s ferm¨¦es et enti¨¨rement s¨¦par¨¦es sont caus¨¦es par la violence, les conflits et l'¨¦limination. Toutefois, si nous pouvions d¨¦finir les identit¨¦s de mani¨¨re ¨¤ ce qu'elles se croisent tout en maintenant leurs caract¨¦ristiques, elles auraient alors des attributs communs. Pour que le dialogue entre les civilisations puisse ¨ºtre r¨¦alis¨¦, il faut reconna¨ªtre ces diverses identit¨¦s. Les extr¨¦mistes et les fanatiques se revendiquent comme les seuls d¨¦tenteurs de la v¨¦rit¨¦ et n'ont qu'un seul but dans la vie, l'¨¦limination de l'autre. Ils ne pensent qu'en termes de violence qui conduit seulement ¨¤ la violence.
Ces questions ont exist¨¦ ¨¤ la fois dans le monde musulman et dans le monde occidental. On a dit que le monde moderne avait lib¨¦r¨¦ l'humanit¨¦ du joug de deux tyrannies : la tyrannie du pouvoir religieux et du pouvoir politique. La tyrannie politique existait dans le pouvoir politique avant la naissance de la modernit¨¦ et de la d¨¦mocratie. La modernit¨¦ a lib¨¦r¨¦ l'homme de la tyrannie politique. La tyrannie du pouvoir religieux, qui ¨¦tait une question qui touchait principalement le Moyen-?ge, peut ¨ºtre d¨¦finie comme une situation o¨´ une institution qui est le garant officiel de la religion, comme l'?glise et d'autres institutions religieuses, d¨¦termine le d¨¦cret divin auquel chacun doit se soumettre. Nul ne pouvait contester l'autorit¨¦ et le d¨¦cret de l'institution qui se consid¨¨re comme le seul garant de la religion. La situation dans les pays musulmans, bien que similaire, ¨¦tait moins stricte et ne peut ¨ºtre compar¨¦e au monde chr¨¦tien pendant le Moyen-?ge. Malgr¨¦ l'existence de tyrans politiques, le monde musulman jouissait d'une plus grande libert¨¦ culturelle et intellectuelle que le monde occidental.
Il me faut toutefois apporter quelques corrections. Il ne faut pas oublier que l'humanit¨¦ a ¨¦t¨¦ lib¨¦r¨¦e de la tyrannie du profane d¨¦guis¨¦ en sacr¨¦, ce qui est une libert¨¦ significative et un acte louable. Au Moyen-?ge et dans de nombreux pays id¨¦ologiques, le principal probl¨¨me venait du fait que ce non-sacr¨¦ d¨¦guis¨¦ en sacr¨¦ ¨¦tait impos¨¦. Pourquoi devrionsnous croire que certaines institutions religieuses d¨¦tiennent la v¨¦rit¨¦ absolue et que personne ne peut les remettre en question malgr¨¦ l'¨¦volution des soci¨¦t¨¦s humaines, des besoins et des situations?
Il est regrettable que dans le monde moderne, non seulement le profane d¨¦guis¨¦ en sacr¨¦ ait ¨¦t¨¦ ¨¦vinc¨¦, mais que le sacr¨¦ lui-m¨ºme ait ¨¦t¨¦ oubli¨¦ ou ignor¨¦. Un monde sans spiritualit¨¦ est un monde mort et sem¨¦ d'emb?ches. Je ne pense pas que l'Occident et l'Orient n'aient ¨¦t¨¦ jamais plus pr¨¦occup¨¦s par le bien-¨ºtre de l'humanit¨¦ qu'¨¤ l'¨¦poque actuelle.
Les religions, comme l'islam et le christianisme, croient au sacr¨¦. Mais le fait de consid¨¦rer comme sacr¨¦e l'interpr¨¦tation de la religion construite socialement et historiquement, de l'imposer ¨¤ la soci¨¦t¨¦ et, donc, de faire obstacle ¨¤ la pens¨¦e et au progr¨¨s cause bien des difficult¨¦s. Nous devons apprendre ¨¤ faire preuve d'une plus grande souplesse afin de pouvoir communiquer avec le reste du monde tout en restant fid¨¨le ¨¤ nos croyances, de pouvoir dire au monde moderne que nous consid¨¦rons cette ¨¦volution de son histoire, la s¨¦cularisation, comme ¨¦tant prometteuse, m¨ºme si nous contestons les affirmations selon lesquelles le sacr¨¦ n'existe pas, qu'il est impossible ¨¤ atteindre ou inaccessible.
Je pense que le niveau de violence a nettement augment¨¦ apr¨¨s le 11 septembre, ce qui a occult¨¦ le dialogue et la compr¨¦hension. Mais, je crois aussi qu'un mouvement prometteur vers la libert¨¦, la compr¨¦hension et le rejet de la violence est n¨¦ de l'ab¨ªme de la violence dans le monde. Je pense qu'il nous faut d¨¦finir un objectif commun : combattre l'extr¨¦misme et les pr¨¦jug¨¦s dangereux qui peuvent se trouver dans n'importe quelle religion, culture et civilisation en Orient ou en Occident.
Ce qui se passe aujourd'hui au Moyen-Orient constitue un v¨¦ritable progr¨¨s - des r¨¦volutions sans le recours ¨¤ la violence. Les comportements dangereux des gouvernements, des factions ou des mouvements puissants qui ne croient qu'en la force ne font plus recette. Cela montre que les m¨¦thodes non violentes, les approches pacifiques et aussi l'importance du dialogue et de la compr¨¦hension ¨¦mergent, une fois de plus, de la violence prolong¨¦e. Je suis donc optimiste sur l'avenir du monde. ?
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