16 novembre 2010

Jusqu'o¨´ allons-nous pour appliquer les politiques linguistiques dans le syst¨¨me ¨¦ducatif de fa?on ¨¤ int¨¦grer les populations d'une nation ? Toutes les nations choisissent au moins une langue comme langue officielle et certaines en choisissent une autre comme langue nationale. Cela est n¨¦cessaire pour la simple et bonne raison qu'une langue commune cr¨¦e la solidarit¨¦ et instille un sentiment d'identit¨¦ nationale et de fiert¨¦. Toutefois, pour ma¨ªtriser la langue du commerce et de l'¨¦conomie, de nombreuses langues, et parfois m¨ºme des cultures, sont sacrifi¨¦es. Des ¨¦tudes indiquent que les m¨¨res qui, dans la plupart des familles, jouent un r?le tr¨¨s important dans l'¨¦ducation, se donnent du mal pour ¨¦lever leurs enfants dans la langue parl¨¦e ¨¤ l'¨¦cole plut?t que dans leur langue maternelle afin qu'ils aient de l'avance lorsqu'ils entreront ¨¤ l'¨¦cole primaire ou m¨ºme ¨¤ l'¨¦cole maternelle.

La Malaisie est une soci¨¦t¨¦ multi-¨¦thnique qui a r¨¦ussi ¨¤ maintenir un ¨¦quilibre harmonieux entre ses diverses populations. Le pays est constitu¨¦ de trois groupes ethniques : les Malaisiens, les Chinois et les Indiens. Dans chaque groupe, plusieurs dialectes ou des variations de la langue principale sont parl¨¦s. En outre, une douzaine de langues minoritaires sont parl¨¦es dans la p¨¦ninsule ainsi que dans l'¨ªle de Born¨¦o o¨´ sont situ¨¦s les deux ?tats de Sabah et de Sarawak. Ces populations sont des communaut¨¦s autochtones qui appartiennent aux groupes ethnolinguistiques austron¨¦sien et austro-asiatique.

La langue officielle et nationale de la Malaisie, qui est le malais, ou bahasa malaysia, est ? la base de l'int¨¦gration nationale 1 ?. Le Gouvernement malaisien a toutefois reconnu l'importance de l'anglais en tant que langue internationale et a indiqu¨¦ que ? des mesures seront prises pour veiller ¨¤ ce que l'anglais soit enseign¨¦ comme deuxi¨¨me langue ?.

Afin de maintenir les langues des deux autres principaux groupes ethniques, le Gouvernement offre deux types diff¨¦rents d'¨¦coles au niveau du primaire : les ¨¦coles nationales o¨´ la langue d'enseignement est le malais et les ¨¦coles de type national o¨´ la langue d'enseignement est le chinois ou le tamoul. Il serait na?f de penser que cette initiative n'est pas motiv¨¦e par des consid¨¦rations politiques, compte tenu du fait que le gouvernement en place est une coalition des trois principaux groupes ethniques. Cela repr¨¦sente, n¨¦anmoins, un effort important pour la pr¨¦servation de ces langues. M¨ºme dans les trois principaux groupes, il existe des diff¨¦rences entre les dialectes (moins importantes dans le cas du tamoul). Pour que les Malaisiens, qui parlent pas moins de dix dialectes diff¨¦rents selon leur emplacement g¨¦ographique, ne perdent pas l'usage de ces dialectes, il faut faire en sorte qu'ils ? se les transmettent d'une g¨¦n¨¦ration ¨¤ l'autre 2 ?. Tant que les familles parleront leurs dialectes et les transmettront ¨¤ la g¨¦n¨¦ration suivante, ils ne risqueront pas de dispara¨ªtre.

Les Chinois parlent diff¨¦rents dialectes, par exemple, le foochow, le cantonnais, l'hokkein, le hakka, etc. selon leur origine ethnique. Toutefois, comme les enfants qui vont dans les ¨¦coles chinoises apprennent le mandarin, la langue d'enseignement officielle, leur famille parle le mandarin ¨¤ la maison lorsqu'ils sont jeunes, m¨ºme avant l'?ge d'aller ¨¤ l'¨¦cole, afin qu'ils puissent suivre facilement les cours. Le mandarin est la langue de choix de ce groupe conscient qu'il est le mode de communication pour le commerce et l'¨¦conomie. Nul ne contestera que les pays parlant le mandarin seront le prochain g¨¦ant ¨¦conomique, s'ils ne le sont pas d¨¦j¨¤. Plus ces parents voient leurs enfants comme faisant partie int¨¦grante de ce monde futur, plus les enfants malais chinois risquent de perdre leur propre langue et leur culture.

Cela dit, il y a peu de risque que le malais, le chinois et le tamoul disparaissent, car ces trois groupes ethniques sont tr¨¨s stables du point de vue d¨¦mographique. Sur une population totale de 28,25 millions 3 , les Malaisiens repr¨¦sentent environ 50,4 %, les Chinois 23,7 % et les Indiens 7,1 %. Comme pour les dialectes chinois, les dialectes malais ont ¨¦t¨¦ ¨¦tudi¨¦s et document¨¦s par des universitaires, ¨¤ la fois au niveau national et ¨¤ l'¨¦tranger, et les r¨¦sultats ont montr¨¦ une vitalit¨¦ ethnolinguistique importante parmi les locuteurs. Les linguistes ont trouv¨¦ que ? plus le degr¨¦ de vitalit¨¦ de la langue parl¨¦e par un groupe ethnique est ¨¦lev¨¦, mieux celui-ci sera ¨¤ m¨ºme de survivre et de se d¨¦velopper en tant qu'entit¨¦ collective 4 ?.

Mais la situation est diff¨¦rente pour les langues minoritaires. Des centaines de petites communaut¨¦s repr¨¦sentent 18,8 % de la population. On peut diviser les langues autochtones parl¨¦es dans la Malaisie p¨¦ninsulaire en trois principaux groupes linguistiques : les Negritos, les Senois et les Malayics (appel¨¦ aussi les Proto-Malais) qui sont divis¨¦s en plus de 18 sous-groupes en fonction de leur langue et de leur culture.

Une ¨¦tude consacr¨¦e aux populations Mah Meri 5 , qui font partie du groupe linguistique Senoi, a indiqu¨¦ un l¨¦ger d¨¦clin de la langue maternelle parmi la troisi¨¨me g¨¦n¨¦ration de Malaisiens. Tous les enfants sont scolaris¨¦s au moins jusqu'¨¤ l'?ge de 15 ans. Quelques-uns vont ¨¤ l'universit¨¦. Dans cette communaut¨¦, l'accent est mis sur l'¨¦ducation et certains aspirent ¨¤ s'assimiler ¨¤ la communaut¨¦ malaise en parlant sa langue et en adoptant son mode vestimentaire. En fait, ils ont d¨¦clar¨¦, au cours d'entretiens pour l'¨¦tude, ¨ºtre fiers de leur langue maternelle, mais ils se demandaient pourquoi il leur fallait l'apprendre. Leur langue ne remplissant aucune fonction importante, ils ne voyaient pas la n¨¦cessit¨¦ de la transmettre ¨¤ la prochaine g¨¦n¨¦ration. Une femme interrog¨¦e a m¨ºme remarqu¨¦ que les sons propres ¨¤ sa langue maternelle ¨¦taient peu harmonieux compar¨¦s ¨¤ ceux de langue malaise. Ces personnes vivent dans la p¨¦riph¨¦rie, ce qui leur permet d'avoir acc¨¨s aux emplois dans les villes voisines et aux communaut¨¦s appartenant ¨¤ d'autres groupes linguistiques, comme les Malaisiens, les Javanais et les Chinois. Mais m¨ºme dans la langue des Mah Meri, de nombreux termes malais et anglais sont apparus.

Un autre groupe que j'ai rencontr¨¦, les Jakun, appartenant au groupe linguistique mala?que, vit ¨¤ la p¨¦riph¨¦rie du parc national Endau Rompin, isol¨¦ des autres communaut¨¦s. Ces villages sont accessibles par des routes non goudronn¨¦es et taill¨¦es dans la jungle apr¨¨s trois heures de route en 4X4. Ce groupe est isol¨¦ des autres, mais ne vit pas reclus. De nombreuses personnes sont employ¨¦es dans le parc national pour nettoyer les chalets et d'autres comme guides pour les touristes qui souhaitent faire du trekking dans la jungle. D'une certaine fa?on, cela oblige les Jakun ¨¤ apprendre non seulement le malais mais aussi l'anglais pour r¨¦pondre ¨¤ la demande des nombreux touristes ¨¦trangers. Par exemple, ils doivent leur apprendre les techniques de survie dans la jungle, y compris ce qu'il faut faire et ne pas faire dans des situations qui leur sont ¨¦trang¨¨res.

Les Kanaq, appartenant aussi au groupe mala?que, est l'une des communaut¨¦s les plus menac¨¦es de la p¨¦ninsule, avec seulement 83 membres restants. Ayant tendance ¨¤ vivre repli¨¦ sur lui-m¨ºme, ce groupe n'accorde pas une priorit¨¦ ¨¤ l'¨¦ducation des enfants, m¨ºme si l'¨¦cole est accessible et les transports scolaires sont assur¨¦s le matin et le soir. Il arrive souvent que les enfants rentrent chez eux ¨¤ la mi-journ¨¦e par leur propre moyen. Selon une m¨¨re, ils rentrent chez eux parce qu'ils s'ennuient, sont r¨¦primand¨¦s ou sont chahut¨¦s par d'autres ¨¦l¨¨ves. Ils pr¨¦f¨¨rent rester entre eux et ne s'ouvrent pas facilement aux autres. M¨ºme si leur langue a ¨¦t¨¦ pr¨¦serv¨¦e, ils disent ne pas avoir de l¨¦gendes ou de croyances culturelles. J'en doute. Je crois plut?t que, contrairement aux Jakun et aux Mah Meri, les Kanaq n'accordent pas une importance particuli¨¨re ¨¤ la transmission de leur tradition orale. C'est donc un aspect de sa culture que la communaut¨¦ a irr¨¦m¨¦diablement perdu, m¨ºme si elle r¨¦ussit plus ou moins ¨¤ pr¨¦server sa langue. D'apr¨¨s mes observations, cette communaut¨¦ ne semble pas aspirer ¨¤ s'¨¦lever dans l'¨¦chelle sociale ou ¨¤ am¨¦liorer sa situation ¨¦conomique. Il serait int¨¦ressant de voir s'il existe une relation entre ce manque d'int¨¦r¨ºt pour l'¨¦ducation ou le caract¨¨re introverti de ses membres et sa capacit¨¦ ¨¤ pr¨¦server sa propre langue.

Dans les ?tats de Sabah et de Sarawak, sur l'¨ªle de Born¨¦o, les langues dominantes parl¨¦es par diff¨¦rents groupes ethniques sont le kadazandusun et l'iban. M¨ºme si le malais continue d'¨ºtre enseign¨¦ ¨¤ l'¨¦cole et est la principale langue d'enseignement, le kadazandusun est parl¨¦ ¨¤ Sabah et l'iban ¨¤ Sarawak dans la vie sociale ainsi que pour faire des achats et effectuer des transactions commerciales locales. L'iban et le kadazandusun sont m¨ºme enseign¨¦s dans les ¨¦coles de Sarawak et de Sabah. ? Sarawak, on d¨¦nombre une douzaine de groupes autochtones allant du plus important, les Iban, au plus petit, les Lugat. Lors de ma visite ¨¤ Sarawak, en 1996, les Lugat comptaient seulement 37 personnes. Vivant au nord, le moyen le plus rapide de se rendre dans ce lieu et de visiter les longhouses traditionnelles consiste ¨¤ remonter le fleuve Rajang en bateau. La longhouse est une maison commune que partagent les Tatau, une petite communaut¨¦. On a constat¨¦ que parmi les petites communaut¨¦s comme les Lugat et les Tatau, les mariages exogamiques ¨¦taient courants. De nombreux mariages se font entre les membres du groupe Iban dominant. Dans un mariage exogamique, la langue parl¨¦e est l'iban, la langue v¨¦hiculaire ¨¤ Sarawak ¨¦tant le plus souvent l'iban. Aspirant ¨¤ suivre des ¨¦tudes sup¨¦rieures et ¨¤ am¨¦liorer leur niveau de vie, m¨ºme parmi les petits groupes autochtones ¨¤ Sarawak et ¨¤ Sabah, ces personnes apprennent et utilisent l'iban, le kadazandusun, le malais et l'anglais.

La Malaisie a la chance d'abriter ces divers groupes ethniques. Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'¨¦ducation, la science et la culture (UNESCO) et le Centre culturel Asie-Pacifique pour l'UNESCO, un organisme ¨¤ but non lucratif, la Malaisie a un taux d'alphab¨¦tisation de plus de 93 % 6. En mati¨¨re de politiques linguistiques, le Gouvernement a r¨¦ussi ¨¤ ce que son peuple parle au moins couramment la langue nationale, contribuant ¨¤ promouvoir la fiert¨¦ et l'identit¨¦ nationales. Une nation est unie par une langue commune qui favorise la communication et la compr¨¦hension. Un grand nombre de parties int¨¦ress¨¦es, fondations et chercheurs, aux niveaux local et international, ¨¦tudient et documentent les diverses langues minoritaires en Malaisie afin de parvenir ¨¤ leur viabilit¨¦. Nous ne pouvons pas arr¨ºter la marche du progr¨¨s du monde moderne et l'¨¦volution de la situation sociale par l'¨¦ducation dans les langues officielles. Mais, en m¨ºme temps, il est imp¨¦ratif de faire parall¨¨lement des efforts pour pr¨¦server les diverses langues et cultures au risque d'¨¦liminer les langues minoritaires de la surface de la Terre.
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Notes

1. Troisi¨¨me plan de la Malaisie, 1976-1980

2. J. Fishman, Gina Cantoni (ed.) ? Maintaining Languages: What Works and What Doesn't? Stabilizing Indigenous Languages (Flagstaff, AZ: Northern Arizona University, 1996), pp.5168.

3. D¨¦partement des statistiques de Malaisie .

4. R.Y. Bourhis, Donsbach, Wolfgang (ed)? Ethnolinguistic Vitality and Communication ?(Blackwell Publishing, 2008) Blackwell Reference Online, 5 septembre 2010 : .

5. Choi Kim Yok, Kamila Ghazali, Ikbal SheikhSalleh. 2006. In Asmah Hj. Omar (Ed). Etnografi Kampung Bukit Bangkong. Bahasa Mah Meri. Kuala Lumpur: University of Malaya Press.

6. Centre culturel Asie-Pacifique pour l'UNESCO, politiques nationales d'alphab¨¦tisation (2 juillet 2002) :

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