缅北禁地

Civils d茅plac茅s par les combats dans le Sud du Soudan : L'Afrique compte pr猫s de 12 millions de personnes d茅plac茅es 脿 l'int茅rieur de leur propre pays, mais b茅n茅ficiant d'une assistance et d'une protection juridique moindres que celles accord茅es aux r茅fugi茅s qui traversent une fronti猫re.

Photo: ONU / Tim McKulka

C'茅tait un d茅part auquel ils n'avaient jamais eu le temps de se pr茅parer ; cherchant 脿 茅chapper 脿 la mort - parfois pris entre deux feux dans les combats entre l'arm茅e s茅n茅galaise et les rebelles de la r茅gion de Casamance, au Sud du pays - ils ont 茅t茅 des milliers 脿 fuir leurs foyers. Au cours des vingt derni猫res ann茅es un grand nombre d'entre eux se sont install茅s par vagues successives 脿 Ziguinchor, une importante ville de Casamance.

Depuis, retourner chez eux reste un r锚ve insaisissable, "nous le voulons, mais nous avons peur d'锚tre tu茅s, " a expliqu茅 en d茅cembre 脿 un journaliste de Radio France Internationale Gabriel Tandar, qui a fui quand son village a 茅t茅 attaqu茅 en 1991. Leurs vies ne se sont toujours pas am茅lior茅es, se plaignait-il, "nous n'avons pas de travail et nous d茅pendons des autres pour nos besoins les plus 茅l茅mentaires."

M. Tandar et des milliers d'autres comme lui, forc茅s d'abandonner leurs foyers mais qui restent dans leur propre pays, sont connus sous le nom de personnes d茅plac茅es 脿 l'int茅rieur de leur propre pays. Ce sont les victimes oubli茅es d'un conflit de basse intensit茅 prolong茅. Peur, deuil, d茅nuement et le sentiment d茅courageant d'锚tre en exil dans leur propre pays, tel est leur sort depuis pr猫s de deux d茅cennies.

Ils sont loin d'锚tre les seuls 脿 subir une telle 茅preuve. Selon les estimations de l'ONU et de l'Internal Displacement Monitoring Centre (IDMC), Centre de surveillance des d茅placements internes, le principal organisme d'茅tude de la question qui travaille en 茅troite collaboration avec l'ONU*, pr猫s de 12 millions de personnes (soit pr猫s de la moiti茅 des personnes d茅plac茅es dans le monde) partagent le m锚me drame 脿 travers l'Afrique.

Il y a des diff茅rences fondamentales entre les personnes d茅plac茅es et les r茅fugi茅s, qui cherchent refuge dans un autre pays. L'Afrique compte environ 3 millions de r茅fugi茅s prot茅g茅s par le droit international au titre de la Convention de Gen猫ve relative au statut des r茅fugi茅s de 1951 et de la Convention de 1969 r茅gissant les aspects propres aux probl猫mes des r茅fugi茅s en Afrique, adopt茅es toutes deux sous l'茅gide des Nations Unies. La Convention de Gen猫ve fait obligation 脿 la communaut茅 internationale de prot茅ger et d'aider les r茅fugi茅s en leur fournissant abri, nourriture et soins m茅dicaux. Les Nations Unies disposent d'une institution centrale qui se consacre 脿 cette mission importante, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les r茅fugi茅s (HCR).

Les personnes d茅plac茅es ne b茅n茅ficient pas du m锚me soutien juridique et institutionnel que les r茅fugi茅s. Le principal instrument destin茅 脿 assurer leur protection est un ensemble de principes certes reconnus mais pas juridiquement contraignants. Bien que ces principes d茅finissent des normes pour apporter la meilleure r茅ponse possible aux besoins des personnes d茅plac茅es, aucune institution n'est charg茅e d'en garantir l'application. La responsabilit茅 de la protection des personnes d茅plac茅es incombe avant tout 脿 leur propre gouvernement.

La nouvelle convention de l'Union africaine vise 脿 am茅liorer les soins de sant茅 et les autres formes d'aide apport茅es aux personnes d茅plac茅es.

Photo: ONU / Arpan Munier

Cependant, de nombreux 脡tats ne disposent pas des capacit茅s ou des ressources, ni m锚me parfois de la volont茅 politique n茅cessaires pour apporter une assistance ad茅quate aux personnes d茅plac茅es. Ces derni猫res s'efforcent de faire face 脿 des conditions de vie difficiles mais ne re莽oivent souvent qu'une aide inefficace.

C'est pr茅cis茅ment 脿 cause de leurs souffrances que 17 pays africains ont sign茅 la Convention de l'Union africaine sur la protection et l'assistance aux personnes d茅plac茅es en Afrique - connue 茅galement sous le nom de Convention de Kampala, d'apr猫s la capitale de l'Ouganda o霉 le trait茅 a 茅t茅 sign茅 le 23 octobre 2009. Si elle est ratifi茅e, cette convention remplira ce vide dans le droit humanitaire international 脿 l'avantage des populations africaines d茅plac茅es.

La Convention de Kampala est un "accord historique visant 脿 prot茅ger et 脿 assister nos fr猫res et nos sours d茅plac茅s au plan interne," a d茅clar茅 脿 la presse le pr茅sident ougandais Yoweri Museveni le jour de la signature.

'Une lueur d'espoir'

En acceptant le premier trait茅 continental juridiquement contraignant relatif aux personnes d茅plac茅es, les dirigeants africains ont fait un audacieux pas en avant pour faire face 脿 "l'une des grandes trag茅dies de notre 茅poque", selon les termes employ茅s par l'ex-Secr茅taire g茅n茅ral de l'ONU, Kofi Annan.

Ce document est potentiellement porteur de profondes implications politiques. Les 脡tats qui le signent acceptent d'assumer la principale responsabilit茅 en mati猫re de pr茅vention des d茅placements forc茅s, notamment en mena莽ant de poursuites les responsables de ces d茅placements, dont les acteurs non 茅tatiques comme les groupes rebelles et insurg茅s, les compagnies militaire priv茅es et les soci茅t茅s multinationales. Il oblige aussi les 脡tats 脿 aider les personnes d茅plac茅es et 脿 faciliter leur relocalisation apr猫s un d茅placement forc茅.

Aux termes de la convention, les 脡tats aussi bien que les groupes arm茅s, sont tenus de prot茅ger et d'assister les personnes d茅plac茅es dans les zones qui sont sous leur contr么le effectif, d'aider les communaut茅s qui les accueillent et de faciliter l'acc猫s des organisations humanitaires 脿 ces populations.

Le trait茅 exige en outre des 脡tats qu'ils d茅dommagent les victimes pour le pr茅judice que le d茅placement leur a fait subir; il appelle de ses voux une coop茅ration entre les 脡tats, les organisations internationales, les agences humanitaires et les organisations de la soci茅t茅 civile pour assurer la protection des personnes d茅plac茅es.

Selon Julia Joiner, la Commissaire aux affaires politiques de l'UA, "cet instrument d茅montre clairement que les dirigeants africains sont conscients des difficult茅s que rencontrent les personnes d茅plac茅es et qu'ils sont pr锚ts 脿 faire tout leur possible pour mettre un terme 脿 leurs souffrances."

Walter K盲lin, le Repr茅sentant du Secr茅taire g茅n茅ral pour les droits de l'homme des personnes d茅plac茅es dans leur propre pays, a compar茅 la Convention de Kampala 脿 "une lueur d'espoir pour 12 millions d'Africains." Dans un entretien avec Afrique Renouveau, M. K盲lin souligne le fait que, par rapport aux principes directeurs sur les personnes d茅plac茅es soutenus par l'ONU, le trait茅 de l'UA clarifie les responsabilit茅s des 脡tats et des autres acteurs. Il note cependant qu'il reste "un long chemin 脿 parcourir avant qu'il ait un effet sur le terrain."

'Une crise tragique'

En raison de conflits prolong茅s, de violations massives des droits de l'homme et de catastrophes naturelles de grande ampleur, les d茅placements internes de populations ont atteint des proportions colossales en Afrique. "Entre 1969 et 1994 鈥� le nombre de personnes d茅plac茅es a fait un bond et se situe entre 10 et 15 millions," 茅crit Francis Deng, le premier Repr茅sentant du Secr茅taire g茅n茅ral de l'ONU pour les personnes d茅plac茅es dans un livre largement salu茅 qu'il a r茅dig茅 en collaboration avec Roberta Cohen, une ancienne chercheuse du Brookings Institute de Washington aux Etats-Unis**. C'est cette augmentation alarmante, ajoutent les auteurs, qui a pouss茅 en 1994 l'Organisation de l'unit茅 africaine, 脿 laquelle a succ茅d茅 l'Union africaine en 2002, 脿 affirmer que le d茅placement interne 茅tait "une des crises humanitaires et des droits de l'homme les plus tragiques que connaisse aujourd'hui l'Afrique."

Depuis le milieu des ann茅es 1990, les nombreuses guerres qui ont embras茅 la r茅gion des Grands Lacs (Burundi, Rwanda, R茅publique d茅mocratique du Congo, Ouganda), l'Afrique de l'Ouest (Lib茅ria, Sierra Leone, C么te d'Ivoire) et la Corne de l'Afrique (脡thiopie, Erythr茅e, Somalie) ont forc茅 des millions de personnes 脿 fuir de chez elles.

Ces derni猫res ann茅es, avec la diminution du nombre de conflits, un plus grand nombre de personnes d茅plac茅es sont retourn茅es dans leurs foyers. En Ouganda, plus de la moiti茅 des 1,8 million de personnes d茅plac茅es recens茅es en 2005 茅taient rentr茅es chez elles en d茅cembre 2009. Au Burundi, leur nombre est pass茅 de 800 000 en 1999 脿 100 000 脿 la fin de 2009. Selon l'IDMC, le nombre de personnes d茅plac茅es actuellement recens茅es en Afrique est 脿 son plus bas niveau depuis dix ans.

Cependant, ces deux derni猫res ann茅es, trois des cinq d茅placements internes de populations les plus importants dans le monde se sont encore produits en Afrique. Avec 4,9 millions de personnes d茅plac茅es, le Soudan compte la plus importante population d茅plac茅e, compos茅e de victimes du conflit dans la r茅gion du Darfour et de l'instabilit茅 qui affecte le Sud du Soudan. On estime 脿 2 millions les personnes d茅plac茅es en R茅publique d茅mocratique du Congo ; en outre, quelque 1,3 million de personnes ont d没 fuir leurs foyers en Somalie. Au total, 19 pays africains font face 脿 des probl猫mes de d茅placements forc茅s en cons茅quence d'un conflit, de violences et de violations des droits de l'homme g茅n茅ralis茅es. "Les communaut茅s d茅plac茅es 脿 l'int茅rieur des pays africains font face 脿 des risques multiples en raison, dans certains cas, de menaces imm茅diates contre leur s茅curit茅" note le rapport de l'IDMC. Le viol et la violence sexuelle 脿 l'encontre des femmes et des filles ainsi que le recrutement forc茅 d'enfants par des groupes arm茅s sont des menaces particuli猫rement insidieuses et r茅pandues, ajoute ce centre.

La communaut茅 internationale aussi bien que les 脡tats africains ont g茅n茅ralement 茅t茅 lents 脿 trouver des solutions. Jusqu'脿 la fin de la Guerre froide, l'action en faveur des personnes d茅plac茅es 茅tait tr猫s limit茅e. En 1992, le Secr茅taire g茅n茅ral a nomm茅 M. Deng, un ancien Ministre des affaires 茅trang猫res soudanais, au premier poste de Repr茅sentant pour les personnes d茅plac茅es. Il a jou茅 un r么le essentiel dans la mise au point et la promotion de m茅canismes juridiques, dont les principes directeurs, destin茅s 脿 assurer leur protection.

En Afrique, au fil des ans, une position plus ferme a 茅t茅 adopt茅e. En 2006, 11 pays des Grands Lacs ont adopt茅 un protocole concernant les personnes d茅plac茅es. Avant m锚me la Convention de Kampala, certains pays avaient mis ou s'appr锚taient 脿 mettre en place des cadres juridiques pour assurer la protection des personnes d茅plac茅es.

La Convention de Kampala est le fruit d'un processus complexe long de trois ans et impliquant des gouvernements, des organisations non gouvernementales et des experts, de l'ONU notamment. A ce jour, elle est l'initiative la plus ambitieuse pour traiter le probl猫me des personnes d茅plac茅es.

Les d茅fis du futur

A peine la convention sign茅e, que des observateurs attiraient d茅j脿 l鈥檃ttention sur les nombreux d茅fis auxquels elle sera confront茅e. En premier lieu se pose le probl猫me de la ratification ; pour prendre force de loi, la convention doit 锚tre officiellement adopt茅e par 15 pays. Katinka Ridderbos de l鈥橧DMC a d茅clar茅 脿 Afrique Renouveau : 鈥渋l est improbable que la totalit茅 des 53 pays africains ratifient la convention.鈥�

Cependant, Mme Ridderbos affirme qu鈥檜n nombre suffisant d鈥櫭塼ats ratifiera le document pour lui donner force de loi. Les 11 signataires du protocole de la r茅gion des Grands Lacs devraient adopter sans probl猫me la convention de l鈥橴A, les 15 membres de la Communaut茅 de d茅veloppement de l鈥橝frique australe se sont engag茅s 脿 l鈥檈ndosser, mais d茅but mars 2010, seul l鈥橭uganda, le pays h么te, avait ratifi茅 le trait茅.

Un autre probl猫me sera celui de l鈥檃pplication effective de la convention. M. K盲lin, dont le travail pour l鈥橭NU comprend un r么le d鈥檃ppui aux autorit茅s nationales qui s鈥檈fforcent de prot茅ger les personnes d茅plac茅es, pr茅voit que 鈥渓e manque de capacit茅s et de ressources tant financi猫res qu鈥檋umaines鈥� constituera un s茅rieux obstacle.

鈥淟鈥橝frique ne peut pas y arriver toute seule, explique Mme Joiner de l鈥橴A. C鈥檈st pourquoi nous appelons 脿 la formation de partenariats.鈥�

Pour que la convention b茅n茅ficie aux millions d鈥橝fricains d茅plac茅s, l鈥檈ngagement politique des dirigeants du continent sera l鈥櫭﹍茅ment le plus important ; 鈥渦ne absence de volont茅 politique suffisante d鈥檃dh茅rer aux engagements pris鈥� serait d茅sastreuse, affirme M. K盲lin. Dans certains cas, il a 茅t茅 difficile de venir en aide aux personnes d茅plac茅es parce que les autorit茅s nationales refusaient de reconna卯tre leur existence ; invoquant leurs droits d鈥櫭塼ats souverains, ils ont 茅t茅 r茅ticents 脿 laisser intervenir des acteurs 茅trangers.

Trop souvent, les gouvernements ou les groupes rebelles n鈥檃cceptent pas leurs responsabilit茅s envers les personnes d茅plac茅es et nient fr茅quemment les avoir forc茅es 脿 quitter leurs foyers. Dans certains cas, les d茅placements de population ont m锚me fait partie d鈥檜ne strat茅gie militaire et des civils ont 茅t茅 utilis茅s comme boucliers humains.

A l鈥櫭﹑oque de l鈥橭rganisation de l鈥檜nit茅 africaine, les 脡tats africains h茅sitaient 脿 s鈥檌ng茅rer dans les affaires int茅rieures de leurs voisins, m锚me en cas de massacres ou de d茅placements de populations 脿 grande 茅chelle, au nom du principe de souverainet茅 nationale,鈥� regrette Salim Ahmed Salim, ancien secr茅taire g茅n茅ral de l鈥橭UA.

Mais depuis, des progr猫s ont 茅t茅 r茅alis茅s. Selon M. K盲lin, bien que la Convention de Kampala reconnaisse la souverainet茅 des 脡tats, elle 鈥渃omprend ce concept non comme le droit des gouvernements 脿 ne rien faire face 脿 des situations de d茅placements internes de populations, mais plut么t comme une responsabilit茅 d鈥檃ssister et de prot茅ger leurs personnes d茅plac茅es 鈥� une responsabilit茅 qui d茅coule du fait qu鈥檌ls sont les seuls 脿 pouvoir le faire.鈥�

A pr茅sent que ce trait茅 existe, les gouvernements africains ont le devoir de faire en sorte que 鈥渓a convention devienne un instrument contraignant,鈥� d茅clare Jean Ping, le pr茅sident de la Commission de l鈥橴nion africaine. 鈥淎 ce stade, cela constitue une r茅alisation, mais non pas une fin en soi.