缅北禁地

Depuis son investiture en 2006, Ellen Johnson-Sirleaf, premi猫re femme 茅lue pr茅sidente en Afrique, est une source d鈥檌nspiration pour les femmes du Lib茅ria et du continent.

Photo: Panos / Tim A. Hetherington

Quatre ans apr猫s que les 茅lecteurs du Lib茅ria, ravag茅 par des d茅cennies de dictature, de destruction 茅conomique et de guerre civile, ont 茅lu 脿 la pr茅sidence Ellen Johnson-Sirleaf, une ancienne banqui猫re pragmatique et haute fonctionnaire de l鈥橭NU, le pays est sur la voie d鈥檜n lent redressement. Mais le chemin 脿 parcourir reste long.

Des milliers de soldats de la paix et des forces de police des Nations Unies demeurent dans le pays pour y assurer la s茅curit茅 et entra卯ner la nouvelle arm茅e et police nationales. Les taux de pauvret茅 et de ch么mage sont 茅lev茅s parmi les jeunes et les quelque 100 000 anciens combattants d茅mobilis茅s, ce qui fait craindre pour la stabilit茅 du pays. Les installations et les services publics, (sant茅, 茅ducation et administration) ont 茅t茅 pratiquement r茅duits 脿 n茅ant par les affrontements. Le revenu moyen, bien qu鈥檈n hausse, est parmi les plus faibles du monde : en 2009 le Lib茅rien moyen peinait 脿 survivre avec l鈥櫭﹒uivalent d鈥櫭� peine 0,38 dollar par jour, d鈥檃pr猫s les estimations du Fonds mon茅taire international (FMI).

L鈥檃dministration d鈥檜n tel pays repr茅senterait une t芒che redoutable pour n鈥檌mporte quel pr茅sident. Les enjeux sont particuli猫rement importants pour Mme Johnson-Sirleaf, premi猫re femme 茅lue 脿 la t锚te d鈥檜n pays africain, et pour les millions de femmes 脿 travers le continent qui s鈥檌dentifient aux succ猫s et aux 茅checs de celle-ci.

Comme d鈥檃utres, la militante lib茅rienne pour la paix Leymah Gbowee, qui dirige 脿 pr茅sent le West African Regional Women Peace and Security Network-Africa consid猫re la Pr茅sidente Johnson-Sirleaf comme une pionni猫re. Malgr茅 les innombrables probl猫mes auxquels le Lib茅ria est confront茅 depuis l鈥檌nvestiture de sa pr茅sidente en janvier 2006, Leymah Gbowee estime que Madame Sirleaf a fait preuve d鈥檈xcellentes qualit茅s de leadership.

La paix pr茅caire qui a suivi la destitution de l鈥檃ncien pr茅sident Charles Taylor a tenu. L鈥櫭ヽonomie en ruines du pays enregistre un l茅ger fr茅missement alors que les personnes d茅plac茅es retrouvent leurs terres et que les industries et les commerces red茅marrent. Les 茅coles, les h么pitaux et les services publics ont rouvert, les infrastructures endommag茅es sont en voie de r茅novation. Les autorit茅s s鈥檈mploient 脿 r茅am茅nager les organismes publics, 脿 acc茅l茅rer le redressement 茅conomique et 脿 encourager la r茅conciliation nationale avec le concours des Nations Unies et des partenaires de d茅veloppement du Lib茅ria.

Elargir les horizons

Au d茅part, confie Mme Gbowee 脿 Afrique Renouveau, l鈥檃tout de Mme Johnson-Sirleaf a 茅t茅 tout simplement de ne pas appartenir au groupe d鈥檋ommes responsables de la guerre. 鈥淥n 茅tait 脿 bout. Ce n鈥檈st pas que les gens croyaient tellement aux femmes, mais le sentiment dominant 茅tait qu鈥檕n a essay茅 toutes sortes d鈥檋ommes, il est temps d鈥檈ssayer autre chose鈥�.

Depuis lors, dit-elle, la pr茅sidente s鈥檈st attir茅 la sympathie populaire pour sa conduite des affaires publiques. 鈥淛鈥檃i appris 脿 appr茅cier sa fa莽on de tenir t锚te aux critiques les plus acerbes et de faire le bien pour son pays鈥�.

Un tel propos constitue un compliment notable de la part d鈥檜ne fondatrice et animatrice du mouvement f茅minin communautaire pour la paix au Lib茅ria. Au plus fort des combats, Mme Gbowee a contribu茅 au rassemblement et 脿 la mobilisation de milliers de Lib茅riennes pour d茅noncer la guerre civile longue de 14 ans et plaider pour la r茅conciliation. Tenues 脿 l鈥櫭ヽart des n茅gociations de paix parrain茅es par la communaut茅 internationale, les femmes ont n茅anmoins trouv茅 le moyen de faire pression sur les chefs des factions bellig茅rantes et ont contribu茅 脿 sauver les n茅gociations. Leur intervention a d鈥檃illeurs fait l鈥檕bjet d鈥檜n documentaire (intitul茅 Pray the Devil Back to Hell*) et qui a obtenu plusieurs prix.

La pr茅sidence de Mme Johnson-Sirleaf a ouvert de nouvelles perspectives aux femmes et aux jeunes filles du Lib茅ria. 鈥淧renez les petites commer莽antes, explique Mme Gbowee. Avant, l鈥檌d茅e de se rendre au Ghana et tenir un commerce des deux c么t茅s de la fronti猫res avec le Lib茅ria les aurait pleinement satisfaites. A pr茅sent, elles parlent de pr锚ts bancaires et d鈥檃ller jusqu鈥檈n Chine ou dans d鈥檃utres pays pour acheter leur marchandise鈥�. Elle estime que le fait qu鈥檜ne femme devienne pr茅sidente leur a donn茅 de nouvelles ambitions.

M锚me sa fille de neuf ans a 茅t茅 incit茅e 脿 remettre en cause les r么les traditionnellement attribu茅s 脿 chacun des deux sexes. Mme Gbowee raconte en souriant : 鈥淪ix mois apr猫s l鈥櫭﹍ection d鈥橢llen, l鈥櫭ヽole 茅l茅mentaire que fr茅quente ma fille a tenu des 茅lections [pour la pr茅sidence des classes]. Les enfants ont fait campagne dans l鈥櫭ヽole et le vote s鈥檈st d茅roul茅 comme pr茅vu. Il y avait 12 classes primaires et donc 12 pr茅sidents. Au bout du processus 11 des 12 pr茅sidents de classe 茅taient des pr茅sidentes, des filles!鈥�

La fin de la guerre civile et l鈥櫭﹍ection d鈥檜ne femme 脿 la pr茅sidence du Lib茅ria ont incit茅 de tr猫s nombreuses jeunes filles de ce pays 脿 s鈥檌nscrire 脿 l鈥櫭ヽole et 脿 茅largir leurs horizons.

Photo: ONU / Christopher Herwig

鈥淐鈥檈st ce qui m鈥檃 茅tonn茅e le plus. De mon temps, les filles voulaient 锚tre aum么niers ou tr茅soriers de leur classe. On ne les voyait pas d茅clarer: Je veux 锚tre pr茅sidente. Mais apr猫s l鈥櫭﹍ection de cette femme, on les a entendues dire : Si Ellen peut 锚tre pr茅sidente, je peux l鈥櫭猼re aussi.鈥�

Hausse des inscriptions scolaires

Depuis l鈥檌nvestiture de Mme Johnson-Sirleaf, les taux d鈥檌nscription scolaire ont connu une croissance subite, explique Mme Gbowee. Cette affirmation est confirm茅e par l鈥橭rganisation des Nations Unies pour l鈥櫭ヾucation, la science et la culture (UNESCO), qui, dans sa derni猫re 茅tude sur les progr猫s vers l鈥檕bjectif de parit茅 des sexes dans l鈥檈nseignement, constate que le rapport filles/gar莽ons dans l鈥檈nseignement primaire au Lib茅ria est pass茅 de 74 filles pour 100 gar莽ons en 1999 脿 94 filles pour 100 gar莽ons en 2007.

鈥淥n enregistre 茅galement des taux 茅lev茅s d鈥檌nscription de femmes dans les programmes d鈥檃lphab茅tisation des adultes,鈥� poursuit Mme Gbowee. 鈥淟a majorit茅 d鈥檈ntre elles vous disent que d鈥檌ci la fin de cette pr茅sidence dans deux ou trois ans, je veux savoir 茅crire quand je vais 脿 la banque et ne pas signer avec mon pouce. Aujourd鈥檋ui, les femmes souhaitent faire des tas de choses. Certaines des filles qui n鈥檕nt jamais pens茅 脿 poursuivre leurs 茅tudes disent maintenant : Je veux aller au lyc茅e et devenir quelqu鈥檜n.鈥�

M锚me dans les zones rurales, o霉 la tradition et la pauvret茅 concourent souvent 脿 emp锚cher la scolarisation des filles, celles-ci ont maintenant tendance 脿 s鈥檃ffirmer. 鈥淥n a lanc茅 des projets de leadership avec des filles dans trois r茅gions rurales. Dans deux de ces r茅gions les r茅sultats ont d茅pass茅 les attentes. Les filles qui ont achev茅 leurs 茅tudes secondaires cherchaient 脿 obtenir des bourses ou allaient solliciter l鈥榓ide de leur famille en disant : Il faut que j鈥檃ille 脿 l鈥檜niversit茅.鈥�

Progr猫s et difficult茅s

Reste toutefois 脿 voir si le syst猫me 茅ducatif en ruines du Lib茅ria pourra satisfaire les nouvelles aspirations. Certains progr猫s ont 茅t茅 enregistr茅s dans ce domaine. Les droits de scolarit茅 ont 茅t茅 supprim茅s en 2006, entra卯nant une hausse spectaculaire de 82% des inscriptions dans le primaire en deux ans 脿 peine. Les d茅penses r茅serv茅es 脿 l鈥櫭ヾucation ont atteint 8,6% du budget de 2008, deuxi猫me poste budg茅taire apr猫s la sant茅.

Cependant, selon un rapport r茅cemment publi茅 sur les progr猫s accomplis dans la r茅alisation des objectifs de d茅veloppement convenus 脿 l鈥櫭ヽhelle internationale, au nombre desquels figure la scolarisation universelle primaire d鈥檌ci 脿 2015, moins de 40% des enfants lib茅riens 茅taient inscrits en 2007 au niveau correspondant 脿 leur 芒ge (si l鈥檕n tenait compte des 茅tudiants plus 芒g茅s inscrits 脿 des niveaux inf茅rieurs, le taux global d鈥檌nscription serait d鈥檈nviron 86%). Il y a peu de chances que tous les enfants en 芒ge d鈥櫭猼re scolaris茅 au Lib茅ria soient inscrits dans le cycle primaire d鈥檌ci la date-butoir de 2015.

Ceci est imputable en partie aux combats qui ont d茅chir茅 le pays. Les autorit茅s estiment que plus de 70% des 茅tablissements scolaires du pays ont 茅t茅 endommag茅s ou d茅truits pendant les affrontements et que des centaines de milliers d鈥櫭﹖udiants ont 茅t茅 d茅plac茅s. La situation financi猫re catastrophique du pays ralentit 茅galement les progr猫s. C鈥檈st aussi le cas du plafonnement sur les emprunts et les d茅penses gouvernementales impos茅 dans le cadre d鈥檜n accord avec le FMI. D鈥檃pr猫s un rapport gouvernemental r茅cemment publi茅 sur l鈥櫭﹖at d鈥檃vancement des OMD, 脿 mesure que l鈥櫭ヽonomie s鈥檃m茅liore, les contraintes budg茅taires impos茅es par le programme [du FMI] devront 锚tre assouplies pour faciliter l鈥檃ugmentation de la production et l鈥檃cc猫s aux services socio-茅conomiques de base.

Le Lib茅ria pourrait bien parvenir 脿 scolariser autant de filles que de gar莽ons d鈥檌ci 脿 2015 鈥� autre objectif du mill茅naire pour le d茅veloppement 鈥攇r芒ce 脿 la scolarisation croissante des filles et 脿 la priorit茅 nationale accord茅e depuis 2006 脿 l鈥櫭ヾucation des filles.

R茅action violente

Certains hommes ont r茅agi de fa莽on violente face 脿 cette nouvelle donne, affirme Mme Gbowee. 鈥淎u d茅part, ils ont dit : Les hommes ont 茅chou茅, laissons faire les femmes. Mais 脿 pr茅sent leur r茅action est : On vous a laiss茅 faire quatre ans, 莽a suffit鈥�.

La persistance des taux 茅lev茅s de viols et d鈥檃gressions sexuelles atteste ce changement d鈥檃ttitude. 芦Il s鈥檃git apparemment de r茅actions 脿 la forte 茅mancipation des femmes et au fait qu鈥檈lles font maintenant des choses qu鈥檈lles n鈥檕nt jamais os茅 faire. Certes, il y a de nombreuses femmes 茅mancip茅es dans notre pays, mais on se demande comment elles sont trait茅es chez elles et dans leur communaut茅鈥�.

Paradoxalement, ce sont les progr猫s accomplis jusqu鈥櫭� pr茅sent qui compliquent les efforts des Lib茅riennes d鈥檃ller de l鈥檃vant. 鈥淒epuis la fin de la guerre la concurrence entre les femmes s鈥檈st durcie. Les femmes ont le sentiment qu鈥檌l est inutile de serrer les rangs pour r茅ussir. On a cet 茅norme flux de filles scolaris茅es et les femmes ont des taux de r茅ussite extraordinaires, mais l鈥檈sprit d鈥櫭﹒uipe qui nous a permis de consolider la paix est en train de s鈥檈ffilocher car chacune d鈥檈lles se voit comme la prochaine grande vedette鈥�.

艗uvre de pionnier

Malgr茅 les difficult茅s, la premi猫re femme 脿 锚tre Pr茅sidente du Lib茅ria a ouvert de nouvelles voies aux Africaines. 鈥淟orsque vous parlez 脿 mes s艙urs du continent, elles disent qu鈥橢llen est notre pr茅sidente 脿 toutes鈥�, dit Mme Gbowee. Elles veulent toutes la voir r茅ussir, car elles se disent que sa r茅ussite facilitera l鈥櫭﹍ection d鈥檃utres femmes 脿 la fonction supr锚me.

鈥淪i elle r茅ussit dans son entreprise, tout le monde 鈥� femmes, hommes, jeunes, gar莽ons et filles 鈥� suivra son exemple dans d鈥檃utres domaines. Si elle 茅choue, les chances des autres femmes sont t茅nues. Je sais que les gens la suivent de pr猫s. Elle a insuffl茅 aux femmes d鈥檃utres pays le courage de s鈥檃ffirmer. En tant que femmes, il nous faut en tirer pleinement profit. N鈥檋茅sitons pas 脿 nous affirmer haut et fort pour r茅aliser de r茅els progr猫s鈥�.