Lutte contre le sida : place aux traitements
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Lutte contre le sida : place aux traitements
Il y a dix ans, il n'y avait pas de traitement contre le VIH/sida. Un test positif de dépistage du VIH signifiait une mort certaine et imminente. Aujourd'hui, en revanche, les traitements à base d'antirétroviraux capables d'attaquer le virus à l'origine du sida peuvent transformer une condamnation à mort en une condition plus chronique, permettant aux patients de vivre plus longuement et en meilleure santé. Sur le plan technique, la thérapeutique antirétrovirale est réalisable partout dans le monde, le prix des médicaments ayant nettement baissé.
Même dans les régions les plus démunies de l'Afrique, des possibilités existent déjà . A Khayelitsha, une municipalité pauvre du Cap (Afrique du Sud), les autorités locales ont lancé en 1999 un programme de prévention de la transmission du VIH de la mère à l'enfant, en distribuant du Zidovudine, un antirétroviral. Deux ans plus tard, ce programme a proposé un traitement antirétroviral plus complet, face aux taux de mortalité très élevés parmi les patients. La plupart étaient très malades au moment d'entamer ce nouveau traitement, mais après six mois, leur numération globulaire de CD4 T (cellules orchestrant la réponse immunitaire du corps humain) avait nettement augmenté, et, au bout de neuf mois, 88 % des patients étaient encore vivants, avec peu d'effets secondaires graves.
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Obtention d'une ordonnance antirétrovirale au Botswana.
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Photo : ©Organisation mondiale de la santéÌý/ Eric Miller
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Des résultats semblables ont été obtenus par un autre programme pilote, dans une petite clinique rurale liée à l'hôpital de Masaka, dans le sud de l'Ouganda, et financé par l'association américaine AIDS Healthcare Foundation. Sur les 53 patients d'origine, trois sont morts et trois présentent des effets secondaires mineurs. L'état de santé des autres s'est nettement amélioré.
"Lorsque la mort guette", note un médecin sud-africain, les gens "n'ont aucun mal" à suivre le traitement antirétroviral. "Une ONG pourra l'administrer sans problème à des patients informés et éduqués des zones rurales", précise-t-il.
Ces résultats prouvent que l'insuffisance des systèmes sanitaires du continent n'est pas un obstacle insurmontable à la distribution d'antirétroviraux, même dans les zones rurales. Toutefois, les experts soulignent la nécessité de renforcer les systèmes de soins de santé avec une assistance financière supplémentaire des Etats et des donateurs.
Un début modeste
Les programmes de traitement antirétroviral n'en sont qu'à leurs débuts dans la plus grande partie de l'Afrique. Le Botswana offre de tels soins à environ 7Ìý500 personnes, le Nigéria à 15Ìý000, l'Ouganda à 10Ìý000, le Malawi à 3Ìý000, le Cameroun à 6Ìý000 et le Sénégal à 1Ìý500. La plupart des bénéficiaires vivent en ville, bien que certains pays, comme l'Ouganda et l'Afrique du Sud, s'efforcent de proposer aussi ce traitement en zone rurale.
Certains programmes fournissent les médicaments gratuitement (comme au Botswana et au Ghana), mais la plupart sont subventionnés. Le Gouvernement zambien, par exemple, subventionne le traitement antirétroviral de 10 000 personnes sur les 300 000 qui en ont besoin, à raison de cinq dollars par mois environ. Le Gouvernement kényan fournira d'ici à 2005 des antirétroviraux gratuits à 140Ìý000 personnes.
Quelques pays vont plus loin en construisant des usines de fabrication d'antirétroviraux génériques. En Zambie, deux sociétés pharmaceutiques internationales se sont associées à une entreprise locale pour produire des génériques avant juin 2004. En Ouganda, une société locale est en train d'ouvrir une usine capable de produire des antirétroviraux avant la fin de 2004 pour les quelque 100Ìý000 personnes qui seraient atteintes du VIH/sida. L'objectif est de commercialiser des rétroviraux pour moins de 50 centimes par jour.
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Sur plus de quatre millions d'Africains ayant besoin d'antirétroviraux, seuls 70Ìý000 à 100Ìý000 en bénéficient. Avec la chute des prix des médicaments, il est tout à fait possible d'étendre ce traitement.
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Sur les plus de quatre millions d'Africains qui auraient besoin d'antirétroviraux, seuls 70Ìý000 à 100Ìý000 en bénéficient à présent. Etant donné la chute spectaculaire du prix des médicaments et les résultats encourageants des programmes en cours, certains spécialistes de la santé et du développement en Afrique estiment qu'il est tout à fait possible de distribuer à grande échelle les antirétroviraux, d'accélérer les efforts de prévention contre le VIH et d'infléchir le cours de l'épidémie.
La situation serait sinon très préoccupante. "Si nous ne trouvons pas les moyens d'offrir ce traitement dans la durée, les systèmes socioéconomiques du continent risquent de s'effondrer", prévient le professeur Desmond Cohen, ancien directeur chargé du VIH et de développement au Programme des Nations Unies pour le développement, qui aide actuellement certains pays à étendre leurs programmes de traitement et de soins.
Reconnaissant l'urgence de la situation, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé en 2003 l'Initiative "Traiter trois millions d'ici à 2005", qui entend offrir des antirétroviraux et un accès aux services sanitaires afférents à trois millions d'habitants de pays en développement d'ici la fin 2005 (voir article :Ìý"Grande campagne anti-sida").
Gagner du temps, alléger le fardeau
Faciliter l'accès des Africains à ces médicaments n'est pas seulement une obligation morale, mais aussi une décision judicieuse sur le plan économique. "Les antirétroviraux permettent de gagner du temps, de sauver des ressources humaines, de conserver des mémoires, des compétences et de sauvegarder l'avenir", déclare à ÌýAfrique RelanceÌýTony Barnett de la London School of Economics, qui travaille sur la question depuis 1988.
En prolongeant la vie, les antirétroviraux atténuent sensiblement les effets à court terme les plus graves de l'épidémie. Les personnes vivant avec le sida demeureront productives plus longtemps, et seront à même de subvenir aux besoins de leurs familles en matière d'alimentation, de logement, d'éducation, de soins de santé et d'intégration sociale.
Il y aura également moins d'orphelins et d'enfants vulnérables, problème croissant en Afrique. A ce jour, 12 millions d'enfants ont perdu un ou leurs deux parents à cause de l'épidémie. Dans des régions du Zimbabwe et de la Zambie, des familles d'accueil se sont appauvries au point de ne plus pouvoir recueillir d'orphelins. Les antirétroviraux permettent donc d'alléger en partie les pressions qui s'exercent sur les structures d'accueil socio-économiques traditionnelles de l'Afrique.
L'accès au traitement permettra également de freiner la dégradation des institutions officielles et non-officielles, en particulier les perturbations des services essentiels comme les soins de santé, l'éducation et le développement agricole, provoquées par le nombre élevé de maladies et de décès parmi le personnel. Partout sur le continent, des ministères de l'agriculture et d'autres institutions rurales perdent leurs personnels et peinent à s'attaquer aux graves problèmes de sécurité alimentaire et de développement rural.
Ceux qui travaillent avec les personnes vivant avec le sida reconnaissent que le traitement n'a pas seulement pour but d'améliorer la santé des individus, mais aussi d'assurer la survie et la prospérité socioéconomique des ménages et de communautés entières. A Mbabane (Swaziland), lors d'une réunion organisée en août 2003 par la Swaziland AIDS Support Organization, les participants ont relevé que l'épidémie touchait toutes les familles du pays, urbaines ou rurales, riches ou pauvres. Deux membres fondateurs du Network of Zambian People Living with HIV/AIDS à Lusaka sont du même avis. L'accès aux antirétroviraux, ont-ils affirmé, devait être la principale priorité, pas seulement pour les personnes atteintes du sida, mais aussi pour leurs familles et leurs pays, compte tenu des taux élevés de morbidité et de mortalité enregistrés parmi les jeunes adultes de la plus grande partie de l'Afrique orientale et australe et de certaines régions de l'Afrique centrale et occidentale.
Coûts et bénéfices
Certains économistes affirment depuis longtemps que la vulgarisation des traitements antirétroviraux ne constitue pas un investissement judicieux des faibles ressources africaines et que d'autres utilisations de ces fonds seraient plus bénéfiques sur le plan social. Cet avis repose sur le calcul souvent simpliste des coûts des antirétroviraux et des services afférents.
Cette méthode ignore certains bénéfices "cachés" du traitement. Par exemple, la prise en charge des patients recevant des antirétroviraux pourrait être moins onéreuse à la longue que celle des patients n'en recevant pas. Souvent ces derniers souffrent d'infections opportunistes, qui sont difficiles à dépister et à traiter, et qui entraînent des hospitalisations répétées. Les patients recevant des antirétroviraux voient au contraire leur état de santé s'améliorer spectaculairement. Comme le fait valoir un médecin au Botswana, "le temps consacré à soigner un patient en salle d'urgence pourrait servir à traiter 5 à 10 patients qui ne sont pas aussi malades".
Les frais d'achat des antirétroviraux seront donc en grande partie compensés par la diminution du nombre d'hospitalisations et du temps de travail du personnel soignant, comme le prouve l'exemple du Brésil. Ce sera aussi probablement le cas dans certaines régions de l'Afrique australe. L'Afrique du Sud, par exemple, consacre à présent environ 400 millions de dollars aux soins et traitements des personnes atteintes du sida, selon une étude de 2003 menée par l'Université du Cap et par Médecins sans Frontières.
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En Afrique du Sud, en Ouganda et dans d'autres pays africains, le lancement des programmes de soins antirétroviraux devrait contribuer à faire renaître l'espoir en l'avenir, pourvu que des mesures rapides et décisives soient prises.
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Il faudra aussi tenir compte des coûts économiques à long terme, dont le recul du taux de croissance économique de 0,3 % à 1,5 % par an, dû à la perte de production, la hausse des frais de santé et d'autres facteurs. Bien que difficiles à établir, il y a aussi des coûts à plus long terme liés à la reproduction sociale, à l'affaiblissement des institutions et aux pertes du savoir et des compétences traditionnels des populations pauvres.
Incitation au dépistage
Les antirétroviraux s'avèrent également être un facteur efficace de prévention du VIH. Jusqu'à récemment, on entendait fréquemment dire en Afrique : pourquoi passer des tests de VIH si le traitement n'est pas disponible ? Une étude de 2003 menée par Médecins sans Frontières et par l'OMS sur les effets des antirétroviraux dans la municipalité sud-africaine de Khayelitsha indique qu'ils encouragent la prévention car ils :
-- incitent les gens à vouloir connaître leur sérologie -- sans possibilité de traitement, savoir que l'on est séropositif ne débouche que sur l'exclusion sociale
-- encouragent la transparence et réduisent l'ostracisme, le VIH n'étant plus considéré comme une sentence de mort
-- préservent les familles et leur stabilité économique, en offrant une protection aux personnes les plus vulnérables (femmes et enfants) et en réduisant au maximum le nombre de personnes exposées.
"La prévention et les soins sont des priorités complémentaires, et non pas concurrentes", affirme le Dr Peter Piot, Directeur exécutif du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA). "La prévention préserve l'avenir. Le traitement sauve des vies et économise de l'argent dans l'immédiat." Et en contribuant à accélérer les efforts de prévention, le traitement représente aussi un investissement pour l'avenir.
Au-delà du secteur de la santé
Jusqu'ici, la distribution à plus grande échelle des antirétroviraux a eu le soutien actif du secteur de la santé et a surtout été menée en zone urbaine. Mais offrir ce type de soins à tous ceux qui en ont besoin, ou au moins à trois millions de personnes d'ici à 2005, dans les zones urbaines comme rurales -- comme le souhaite l'OMS -- est une tâche d'une ampleur telle qu'elle ne peut être menée à bien par les seuls services de santé africains. L'administration de ces traitements se heurte à des obstacles d'ordre socioéconomique et socioculturel, comme la condition inférieure des femmes, la pauvreté, l'insécurité alimentaire et l'ostracisme lié au VIH/sida, qui dissuadent de nombreuses personnes de se faire soigner.
Il faut considérer la question de l'accès aux médicaments antirétroviraux pas seulement sous un angle médical, mais aussi comme une priorité multisectorielle de développement qui concerne tous les secteurs, l'agriculture et le développement rural, l'industrie et l'éducation. Cela se produira lorsque tous les responsables des secteurs autres que la santé uniront leurs efforts pour favoriser l'accès aux antirétroviraux, pas seulement pour des raisons médicales, mais aussi pour atténuer au maximum les effets de l'épidémie dans leurs domaines respectifs. Le succès qu'a obtenu le Botswana en associant l'action de divers ministères et institutions pour prévenir le VIH au niveau départemental a valeur de modèle aussi pour les antirétroviraux.
Face aux conséquences désastreuses du sida sur la productivité des communautés rurales, une solution a consisté à promouvoir des techniques agricoles et domestiques utilisant peu de main-d'oeuvre, comme les cultures mixtes pour diminuer le temps de désherbage, des charrues plus légères pour les jeunes, les femmes et les personnes âgées, et emploi de fourneaux utilisant peu de combustibles. Toutefois, ces techniques ne facilitent pas en elles-mêmes la tâche des jeunes malades chroniques dont la première préoccupation est de s'occuper des membres malades de leurs familles, de leur propre état de santé et de se faire soigner contre les infections opportunistes.
Dans ces conditions, affirme le professeur Barnett, "le traitement antirétroviral permettra d'économiser de la main-d'oeuvre". Grâce aux antirétroviraux, la santé des membres de la famille s'améliorera suffisamment pour leur permettre d'adopter ces nouvelles technologies. Plus généralement, le rendement des activités de base des programmes agricoles pourra être renforcé par l'association de techniques peu consommatrices de main-d'oeuvre et d'autres services agricoles aux soins de santé et antirétroviraux dans le cadre de partenariats avec les systèmes de santé publics et les associations communautaires.
Les antirétroviraux peuvent être également associés aux mesures ciblées de sécurité alimentaire et de nutrition. Certaines institutions, comme le Programme alimentaire mondial (PAM), se sont déjà engagées dans cette voie. "Le PAM est actif dans ce domaine parce que antirétroviraux et alimentation nutritive vont de pair", explique à ÌýAfrique RelanceÌýRobin Jackson, responsable de la section VIH/sida du PAM. "Les personnes vivant avec le VIH/sida qui reçoivent des antirétroviraux doivent pouvoir se nourrir normalement si l'on veut que le traitement donne des résultats."
Le PAM distribue une aide alimentaire aux patients tuberculeux, dont le tiers est séropositif. Une alimentation normale les aide à suivre et compléter leur traitement. Le PAM participe aussi aux programmes de prévention de la transmission de la mère à l'enfant et distribue des rations alimentaires aux orphelins des écoles.
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Mozambique : cette adolescente de 18 ans est responsable de sa famille après la mort de ses parents victimes du sida.
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Photo : ©AFP / Getty Images / Alexander Joe
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Il est également possible de renforcer les systèmes de soins sanitaires de base en zone rurale et dans les communautés urbaines pauvres par la constitution de partenariats avec des ONG spécialisées qui offrent des antirétroviraux. Le succès du programme de Khayelitsha a ainsi été attribué en grande partie à l'engagement communautaire (pour sélectionner les patients recevant des antirétroviraux), à la responsabilisation des patients par rapport à ces soins et au rétablissement de l'espoir dans une communauté décimée par le VIH /sida.
"Le modèle de Khayelitsha est important car il réussit à fournir des antirétroviraux en partenariat avec la communauté", note le professeur Cohen. "Cette méthode pourrait être utilisée avec les populations des zones rurales et pour intensifier les moyens de lutte contre les facteurs structurels contribuant à l'infection à VIH, comme la pauvreté et l'insécurité alimentaire."
Les antirétroviraux ne sont pas la solution à la crise du sida. Selon M. Jackson du PAM, même si les trois millions de personnes visées étaient soignées, "15 autres millions de leurs proches ou des personnes qui leur sont à charge ainsi que ceux ne recevant pas de traitement continueraient à souffrir des répercussions de l'épidémie. Ces personnes ne doivent pas être oubliées", lance-t-il.
L'expérience indique à ce stade que les antirétroviraux font partie intégrante de la solution, au même titre que la prévention, les soins, l'atténuation des effets nocifs de l'épidémie et, sur le plan médical, la mise au point de vaccins et autres remèdes. Les antirétroviraux permettront de prolonger la vie de ceux qui vivent avec le VIH/sida, d'atténuer les souffrances, d'économiser de l'argent et de protéger les générations futures par une prévention renforcée.
A l'heure où de nombreux jeunes Africains des zones rurales se demandent pourquoi cultiver la terre s'ils vont mourir bientôt, il est difficile d'espérer. Mais en Afrique du Sud, en Ouganda et dans d'autres pays africains qui ont lancé des programmes de traitement, les antirétroviraux font renaître l'espoir -- pour peu que des mesures rapides et décisives soient prises. L'inaction et les retards risqueraient d'entraîner les sociétés africaines dans une spirale infernale dont elles pourraient ne plus se remettre.