Lutte contre la pauvreté : esquisse d'une approche nouvelle
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Lutte contre la pauvreté : esquisse d'une approche nouvelle
Les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) resteront sans doute un élément important de la lutte contre la pauvreté au-delà de 2015. Mais les politiques de développement actuelles sont remises en cause par une série de problèmes aggravés par les récentes crises (alimentaire, climatique, énergétique et financière). Le contexte économique et politique mondial favorable qui existait en 2000 lorsque les OMD ont été adoptés a disparu. Dès lors, à l'échelle mondiale, face aux inégalités persistantes, des idées nouvelles et de nouveaux moyens de mobilisation sociale et politique s'imposent.
Il ne fait pas de doute que les OMD ont marqué une avancée. Ils ont suscité un engagement politique sans précédent, contribué à forger un consensus fort en faveur de la lutte contre la pauvreté et permis le débat sur les moyens de mobiliser le soutien des bailleurs de fonds. Dans les pays en développement, ils ont permis à la société civile d'obliger les gouvernements à rendre compte de leurs décisions. Vus de l'ONU, les OMD ont eu plus de succès que la plupart des autres initiatives touchant les questions de développement.
Cependant, alors même que les OMD recueillaient un soutien international, le facteur essentiel de perpétuation de la pauvreté a été perdu de vue: l'inégale répartition du pouvoir aux niveaux national et international. Le concept des OMD repose sur la croyance que le développement humain va de pair avec un marché dérèglementé. De ce point de vue, si des pays sont pauvres, c'est parce qu'ils ne sont pas suffisamment ouverts à la mondialisation.
La pauvreté est dès lors considérée comme un défi purement technique qui peut être relevé en augmentant l'aide au développement. Toutefois, l'idée selon laquelle l'aide peut être le moteur du développement est très discutable. De même que la notion selon laquelle l'aide peut favoriser la redistribution des richesses à l'échelle mondiale. La pauvreté est la conséquence des structures internationales du pouvoir, de la mauvaise gouvernance, de l'oppression et de la discrimination. Elle exige une solution non pas technique mais politique.
Croissance inégale
En dépit des progrès réalisés dans nombre de pays, le déclin de la pauvreté à l'échelle mondiale résulte principalement de la croissance économique vigoureuse observée en Chine, en Inde, en Indonésie et au Vietnam. Selon les prévisions, la plupart des pays en développement ne devraient pas atteindre les OMD.
Contrairement à ce qui s'est passé dans les années 1980 et 1990, le revenu moyen dans les pays d'Afrique subsaharienne n'a cessé d'augmenter depuis 2000, avec des taux de croissance annuels de 5 pour cent en moyenne. Plus d'un tiers des Africains vivent dans des pays dont les économies connaissent un taux de croissance annuel supérieur à 4 pour cent depuis 10 ans et 18 de ces pays figurent au classement de la Banque mondiale dans la catégorie des "pays à croissance diversifiée et durable."
Cependant, cette croissance repose sur une forte hausse des prix des matières premières et de la consommation financée par des apports d'argent de l'extérieur. Peu d'emplois ont été créés. La croissance est inégale, supérieure en moyenne dans les pays exportateurs de pétrole. Des disparités similaires existent au plan national. Les statistiques indiquent que, dans de nombreux pays, les inégalités augmentent avec la croissance.
En général, ce sont les pays qui ont suivi leur chemin propre, et non pas celui tracé par les institutions internationales, qui ont enregistré une réduction marquée de la pauvreté. La Chine, l'Inde et le Vietnam, ont violé l'essentiel des directives édictées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, tout en évoluant vers une économie de marché.
Crise et revers
Bien qu'une croissance robuste ait favorisé la réduction de la pauvreté dans de nombreux pays, la hausse récente des prix des denrées alimentaires et de l'énergie, les baisses de productivité dues aux variations du climat et la crise financière mondiale ont constitué un sérieux revers. Le double choc de la hausse des prix des denrées alimentaires et de l'énergie constitue une menace vitale pour les moins nantis.
Bien que l'Afrique subsaharienne soit la région la moins intégrée dans l'économie mondialisée, elle a été durement frappée par la crise. L'Afrique a été affectée par la baisse des flux financiers privés, la perte de revenus commerciaux, la diminution des rapatriements de fonds et les restrictions apportées aux flux d'aide internationale, les pays donateurs d'aide devant eux-mêmes recourir à des mesures d'austérité.
Ces éléments ont pour effet de réduire les perspectives de réussite dans la poursuite des OMD. Ainsi au Kenya, l'industrie horticole - à forte main d'œuvre - a subi une chute des exportations de 35 pour cent, avec des répercussions inévitables sur cette main d'œuvre. En Zambie, près d'un quart des employés du secteur minier ont perdu leur emploi en 2008.
Le ralentissement de la croissance a réduit les revenus fiscaux des gouvernements, ce qui devrait entraîner une baisse des dépenses sociales, dans une région qui possède déjà très peu de filets sociaux efficaces.
La crise va largement accroître les coûts associés à la réalisation des OMD d'ici à 2015. Les pays d'Afrique subsaharienne à bas revenus en particulier ne seront pas en mesure de supporter ces coûts sans un supplément d'aide internationale et/ou un allègement de leur dette. Mais les niveaux de l'aide internationale sont peu susceptibles d'augmenter. Les engagements des donateurs n'étaient déjà pas entièrement honorés avant la crise.
Au-delà des OMD
La crise financière mondiale a démontré que des marchés dérèglementés posaient "une menace claire et immédiate" au développement humain. La croissance économique ne veut rien dire si elle ne s'accompagne pas de mesures visant à réduire les inégalités structurelles. Par conséquent, l'ordre du jour post-OMD doit être axé sur les moyens de faire face aux problèmes structurels dans les domaines de la production, de la distribution et de la propriété — ainsi que du pouvoir — qui perpétuent les déséquilibres.
La crise actuelle offre de nouvelles possibilités d'activisme. Elle présente l'occasion de s'engager sérieusement dans une grande mobilisation politique pour créer des structures et des institutions réellement redistributives aux niveaux local, national et international.
Dès lors, le monde a besoin de politiques nouvelles favorisant les pauvres, et de valeurs communes et de principes éthiques. Il nous faut des institutions nouvelles qui agissent réellement dans l'intérêt des groupes marginalisés de la société. Il faut aussi des mesures d'incitation visant à stimuler la productivité, les emplois et les revenus, ainsi que des ressources qui permettent de réaliser les aspirations humaines et de renforcer les capacités de la personne et la dignité de chacun.
Fantu Cheru est directeur de recherche à l'Institut nordique d'études africaines, basé à Uppsala, en Suède. Il a notamment co-dirigé un ouvrage collectif intitulé The Millennium Development Goals: Raising the resources to tackle world poverty (Londres: Zed Press, 2005). De 2004 à 2006, il a été membre d'un groupe consultatif mis en place par le Secrétaire général de l'ONU sur les moyens de mobiliser des ressources en faveur du Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique ().